Trois institutions pionnières de la promotion du livre jeunesse français

La Joie par les livres, la section française de l’IBBY et le CRILJ, 1960-1980

Delia Guijarro Arribas

Aujourd’hui les livres français destinés à la jeunesse constituent une production légitime et reconnue tant au niveau national qu’international. Ainsi la jeunesse occupe-t-elle la première place en France pour les cessions de droits, soit 3 991 titres en 2018 (hors coéditions), ce qui représente près d’un tiers du total des cessions de droits, le double de celles de la fiction adulte 1

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« Cessions de droits et coéditions en 2018 », Repères statistiques, l’édition jeunesse : France et international 2018-2019, Syndicat national de l’édition, 2019, p. 14-19.

. À titre de comparaison, la jeunesse n’arrivait en 1993 qu’en troisième position, après la fiction adulte et les livres de sciences humaines et sociales [Sapiro et Bokobza, 2008 : 157]. Ces chiffres témoignent du développement d’un véritable marché international du livre jeunesse qui représente une manne importante pour l’édition française. Toutefois, cette reconnaissance du livre jeunesse français s’est construite tardivement, en s’appuyant sur un processus d’autonomisation d’un sous-champ de l’édition jeunesse, qui court des années 1960 aux années 1980.

Cette autonomisation a reposé sur un ensemble d'agents issus des champs universitaire, artistique et éditorial, qui s’appuyèrent tour à tour sur la valeur du livre illustré dans le marché éditorial international, sur les nouvelles représentations de l’enfance et les pratiques sociales diffusées après Mai 68 et, à partir des années 1980, sur le développement des politiques du livre et de la lecture [Guijarro Arribas, 2019].

Cette contribution souhaite éclairer un pan fondamental, quoique relativement méconnu, de ce processus. L’objectif est ainsi de souligner le rôle pionnier que jouèrent trois institutions culturelles dans le travail de reconnaissance, de critique et de promotion du livre jeunesse : La Joie par les livres, la section française de l’International Board on Books for Young People (IBBY) et le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ). Ces institutions, créées dans les années 1960, furent investies par un même réseau d’acteurs issus d’univers sociaux relativement indépendants : bibliothèques, milieux artistiques, éditoriaux et universitaires. Dans ce premier temps de la valorisation du livre jeunesse français, ces collectifs agirent la plupart du temps dans le cadre d’initiatives privées, et ce n’est que plus tard qu’ils reçurent le soutien des autorités publiques. La bibliographie sur la littérature jeunesse s’est intéressée à certains de ces acteurs, mais toujours de manière fragmentée. La synthèse que nous proposons permet de restituer le contexte d’émergence et d’action de ces trois institutions et la portée de leur action militante, tout en interrogeant les liens interpersonnels qui les traversaient, leur effet au plan national et l’impact qu’elles eurent sur la reconnaissance internationale de l’illustré français.

La Joie par les livres

Après la libération, alors que les dessinateurs, les ligues catholiques et les éducateurs luttaient pour orienter les débats sur une future loi de moralisation des publications à destination de la jeunesse (qui donna lieu à la loi du 16 juillet 1949) 2

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Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. « Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ou sexistes. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse ».

, les gouvernements successifs tentèrent de reconstituer ou de consolider un réseau de bibliothèques publiques. Le décret du 8 août 1945 créa la Direction des bibliothèques et de la lecture publique (DBLP) rattachée au ministère de l’Éducation Nationale. Elle mit en place un plan d’équipement qui prévoyait en priorité la reconstruction de bibliothèques sinistrées, la création de bibliothèques rurales et des BDP au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que de bibliothèques pour la jeunesse [Carbone, 2012 : 32]. Une circulaire de la DBLP de 1947 conseillait d’ailleurs de s’inspirer, pour l’organisation des sections jeunesse et pour l’achat de livres, de l’expérience de la Bibliothèque de l’Heure Joyeuse de Paris 3
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L’Heure Joyeuse fut la première bibliothèque spécialement destinée à la jeunesse à Paris. Elle ouvrit ses portes en 1922 grâce aux financements du Book Committee on Children’s Libraries, crée en 1918 et qui avait pour mission la reconstruction éducative des pays alliés. Il prit ainsi la relève du Comité américain pour les régions dévastées (CARD) pour la création des bibliothèques.

. À cet effet, cette dernière proposait des stages de trois mois aux futurs responsables de bibliothèques pour enfants [Renonciat, 1991 : 99]. Bien que l’aménagement de véritables sections pour la jeunesse dans les bibliothèques publiques françaises ne se fit que très progressivement 4
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Hélène Weis a compté 207 sections jeunesse créées entre 1945 et 1975 en France, alors qu’ils n’en existaient que vingt-cinq à la fin de la guerre.

[Weis, 2005 : 25], ces politiques publiques facilitèrent une professionnalisation du métier de bibliothécaire. Ainsi fut créé en 1951 un diplôme national, le Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB), qui proposait une option « Jeunesse » [Feinstein, 1999 : 80-84]. C’est dans ce contexte national marqué par la moralisation de la production jeunesse et par la professionnalisation des bibliothécaires que fut créée La Joie par les livres.

En 1963, Anne Gruner-Schlumberger souhaitait financer la création d’une bibliothèque pour enfants dans un quartier populaire de la région parisienne. Une association, La Joie par les livres, fut créée à cette fin et une bibliothèque fut effectivement inaugurée en 1965 à Clamart, sous la direction de la bibliothécaire Geneviève Patte. Très vite, les bibliothécaires de la Joie par les livres s’illustrèrent par de nombreuses activités qui visaient à promouvoir la littérature jeunesse, avec des expositions et des espaces dédiés à la critique et à la sélection des livres jeunesse. Un comité de lecture y fut ainsi créé, en collaboration avec l’Association des bibliothécaires français (ABF). Il publiait des notices critiques dans le Bulletin d’analyse de livres pour enfants. Le premier bulletin, paru en septembre 1965, était préfacé par l’ancien Administrateur général de la Bibliothèque nationale, Julien Cain. Celui-ci défendait dans sa préface la nécessité de donner aux bibliothécaires une revue de critique professionnelle pour les livres jeunesse, « avec le souci d’écarter ce qui est médiocre et vulgaire » [Lévêque et Meyer, 2007], faisant écho aux débats sur les bonnes et les mauvaises lectures, une des principales batailles des bibliothécaires jeunesse à l’époque.

La Joie par les livres était née d’une initiative privée, et elle ne se rapprocha que plus tard des institutions publiques. En 1970, le ministère de l’Éducation et la Bibliothèque nationale mit à sa disposition des locaux à Paris. Deux ans plus tard, l’association fut dissoute et La Joie par les livres fut rattachée au ministère de l’Éducation nationale, puis à l’École supérieure de bibliothécaires (ENSB). Elle se vit même attribuer la responsabilité de l’option « Jeunesse » du CAFB. En 1980, le centre parisien – toujours sous la direction de Geneviève Patte 5

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Geneviève Patte dirigea La Joie par les livres de 1965 à 2002.

 – fut renommé La Joie par les Livres-Centre national du livre pour enfants (CNLE). Puis il changea plusieurs fois de tutelles avant de devenir en 2008 le département des livres jeunesse de la Bibliothèque nationale de France et – ultime consécration – d’emménager sur le site François Mitterrand 6
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La petite bibliothèque de Clamart, quant à elle, est confiée en 2006 à la commune de Clamart qui la renomme la Petite Bibliothèque ronde.

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Cette « mise sous tutelle » progressive des institutions privées de valorisation du livre jeunesse, ainsi que le rôle joué par Geneviève Patte au sein de la section française de l’IBBY, explique que celle-ci soit aujourd’hui confondue avec la BnF.

La section française de l’IBBY

L’IBBY [International Board of Books for Young People, Union internationale pour les livres de jeunesse] est une organisation internationale créée en Suisse en 1953 à l’initiative de l’allemande Jella Lepman 7

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Jella Lepman (1891-1970), journaliste allemande. Juive de confession et membre de la section féminine du Parti démocrate allemand, elle a dû s’exiler à Londres dans les années 1930. À son retour en Allemagne, elle a fondé successivement la Bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich (1949) et l’IBBY (1953).

. L’institution fut conçue à l’origine comme un réseau transnational et translinguistique de personnalités soucieuses de diffuser et de valoriser les livres et la littérature jeunesse avec un enjeu pacifiste au sortir de la guerre. Elle s’organisait autour des sections nationales qui, toutefois, ne représentaient pas officiellement les Etats-nations, mais correspondaient à la nationalité de leurs membres [Guijarro Arribas, 2019]. La section française de l’IBBY fut créée tardivement, soit plus de dix ans après sa fondation. En effet, c’est lors du IXe Congrès de l’IBBY célébré à Madrid en 1964 qu’eut lieu l’intégration officielle de quinze nouvelles sections nationales, dont la française 8
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L’IBBY est fondée en 1953 par les sections nationales de l’Autriche, la RFA, la Norvège, l’Espagne, la Suède, la Suisse et la Yougoslavie. En 1962 ont déjà été créées celles du Canada, de la Finlande, de Grande-Bretagne, d’Israël, d’Italie, du Japon, du Luxembourg, de Nouvelle-Zélande et des États-Unis.

. Cette même année, le prix Hans-Christian-Andersen décerné par l’institution (considéré comme le petit Nobel de la littérature jeunesse) fut d’ailleurs octroyé pour la première fois à un auteur français, René Guillot. Cette intégration tardive est d’autant plus surprenante qu’à cette date le marché français du livre jeunesse était considéré à l’international comme un grand marché historique, et que des personnalités françaises influentes du livre jeunesse avaient noué très tôt des liens avec l’IBBY, à l’instar de l’éditeur Michel Bourrelier 9
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L’éditeur Michel Bourrelier (1900–1983) a notamment créé le Prix Jeunesse en 1934 (décerné jusqu’en 1972).

, de l’éditeur Paul Faucher 10
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L’éditeur Paul Faucher (1898–1967) est le créateur des albums du Père Castor (1931).

ou encore de Paul Poindron, conservateur en chef à la Direction des bibliothèques de France. Ces derniers avaient en effet participé au Ve Congrès de l’IBBY à Florence en 1958, où ils étaient venus accompagnés d’inspecteurs et d’éducateurs représentant l’Institut pédagogique national et la Ligue de l’enseignement. Paul Faucher faisait même partie des intervenants 11
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Paul Faucher fait une communication autour du thème « Comment adapter la littérature enfantine aux besoins des enfants », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1958, n° 5, p. 345-352. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1958-05-0345-002

et Paul Poindron était membre du jury du prix Hans-Christian-Andersen 12
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Le même groupe de personnes avait déjà été invité la même année lors d’un stage organisé par le ministère de l’Instruction publique belge autour de la littérature pour les adolescents. Stage « littérature pour adolescents », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1958, n° 7-8, p. 543-546. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1958-07-0543-004

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Cette entrée tardive et les débuts compliqués que connut la section française de l’IBBY s’expliquent en partie par les luttes d’influence menées depuis différentes institutions culturelles françaises. Ces luttes ont été documentées par Francis Marcoin dans un article important sur les origines d’IBBY France [Marcoin, 2012]. Ainsi, en 1963, un an avant le congrès de Madrid, Lise Lebel réunit au Cercle de la Librairie plusieurs personnalités reconnues du livre jeunesse parmi lesquelles Geneviève Patte, Paul Poindron, Raoul Dubois 13

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Raoul Dubois (1922–2004), militant communiste, membre et dirigeant de diverses associations pour la jeunesse. Il fut très influencé en matière de lecture publique par les prescriptions de la Bibliothèque de l’Heure Joyeuse.

, Marc Soriano 14
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L’universitaire Marc Soriano (1918–1994) fut dans les années 1960 et 1970 un pionnier de l’étude et de la critique de la littérature jeunesse.

, Janine Despinette 15
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Janine Despinette (1926–2007), chercheuse et critique spécialisée en littérature jeunesse.

ou Tatiana Rageot 16
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Tatiana Rageot a créé en 1941 avec son mari George Rageot les éditions de l’Amitié-G. T. Rageot.

. Elle leur proposa la création d’une section française de l’IBBY en s’appuyant sur l’Association nationale du livre français à l’étranger (ANLFE) 17
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L’ANLFE était une association d’éditeurs essentiellement financée par le ministère des Affaires Étrangères.

dont elle était la responsable. Dans un premier temps, Lise Lebel dirigea la nouvelle section et siégea au comité exécutif d’IBBY International. Mais les règles de l’IBBY (limitation à deux mandats) ne lui permirent pas de se présenter à nouveau au comité exécutif en 1970, et c’est Geneviève Patte, directrice de La Joie par les livres, qui remporta l’élection contre Raoul Dubois, le candidat de Lise Lebel. Geneviève Patte bénéficiait en effet de nombreux contacts au sein du comité exécutif, grâce aux liens qu’elle avait tissé à la Bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich – une institution aux origines de l’IBBY, également créée et dirigée par Jella Lepman. Elle avait séjourné à la Bibliothèque de Munich en tant que boursière et avait par la suite organisé avec son soutien une grande exposition à la Bibliothèque de Clamart en 1967 (voir l’affiche de l’exposition ci-dessous). L’élection de Geneviève Patte généra une situation durable de tension, puisque Lise Lebel restait à la tête de la section nationale et de son principal soutien financier, l’ANLFE.

Parallèlement, ces mêmes professionnels de la lecture pour la jeunesse, animés par une forte critique vis-à-vis de l’action des pouvoirs publics (infrastructures et politiques de soutien à la lecture jugées insuffisantes), se retrouvèrent pour donner naissance au Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ) 18

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Sur la création et l’histoire du CRILJ, consulter sa propre page web : http://www.crilj.org/ En particulier l’article « Du CRILJ au CRILJ ».

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Illustration
Affiche. L’illustration contemporaine des livres pour enfants.

Bibliothèque d’enfants, à Clamart. Exposition organisée par la Bibliothèque internationale de la jeunesse (Munich) et la Joie par les livres, du 22 mai au 24 juin 1967. Affiche d’André François. Ville de Paris – Bibliothèque Forney / Roger-Viollet, AF 151151 PF.

Le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ)

Le CRILJ est une association créée en 1965 pour développer une meilleure connaissance et une promotion élargie des livres destinés aux enfants et aux jeunes. L’idée était née en 1962 dans l’appartement de l’illustratrice Natha Caputo, où s’était réuni un réseau informel d’acteurs de la promotion du livre jeunesse : Marc Soriano, Raoul Dubois, Janine Despinette, l’éditrice et écrivaine Isabelle Jan ou encore la bibliothécaire de l’Heure Joyeuse Mathilde Leriche.

D’abord soutenu par l’ANLFE, le CRILJ fut rapidement hébergé au Centre international d’études pédagogiques de Sèvres, où son directeur Jean Auba organisait régulièrement des journées d’études [Weis, 2005 : 149]. C’est à Sèvres que fut décidée en 1973 une possible fusion du CRILJ et de la section française de l’IBBY en un unique Institut de Littérature pour la jeunesse. Pour mener à bien cette fusion, la « rencontre de Marly » dessina quatre commissions de travail dirigées par Marc Soriano, Geneviève Patte, Raoul Dubois et François Faucher 19

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François Faucher a succédé à son père Paul Faucher, fondateur de l’Atelier du Père Castor, et dirigé la maison d’édition de livres pour enfants de 1967 à 1996.

(fils de Paul Faucher). Ces commissions devaient représenter un maximum de diversité professionnelle : bibliothécaires, éditeurs, chercheurs et éducateurs. Toutefois, les problèmes budgétaires dus à la disparition de l’ANLFE et des divergences d’opinions suscitèrent l’abandon définitif du projet d’Institut.

Les deux associations suivirent alors des chemins bien différents. La section française de l’IBBY se convertit peu à peu en un organisme institutionnel. En 1978, après la disparition de l’ANLFE et la création du ministère de la Culture, elle tomba sous la houlette de la Direction du Livre et de la Lecture. Si Jean Gattégno, Directeur du livre, présida officiellement la section, Geneviève Patte continua toutefois d’avoir un poste clé, celui de liaison officer, qui lui permit de maintenir le lien entre la section française et La Joie par les livres, aujourd’hui confondues.

De son côté, le CRILJ réussit en 1978 à se faire agréer par le ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs. Il se vit ainsi chargé du pilotage du Prix de la Jeunesse et des Sports, aussi connu comme le Prix du roman jeunesse, décerné de 1981 à 2004 [Gaiotti et Tison, 2017]. Bien que le prix fût instauré par le ministère, c’est le CRILJ qui sélectionnait les manuscrits envoyés, avant de les soumettre à deux jurys. Deux ouvrages étaient ainsi récompensés par une publication et une somme d’argent pour l’auteur, l’un par un jury de professionnels de la lecture, l’autre par un jury d’enfants de 12 à 15 ans. Quoiqu’encore en activité, les membres du CRILJ ont diminué leur rythme d’activité depuis le milieu des années 2000. Faute de moyens, ils se sont rapprochés de la revue Griffon 20

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La revue Griffon est la continuation de la revue Trousse Livres née en 1976 au sein du Centre laïque de lecture publique de la Ligue française de l’enseignement et de l’éducation permanente. En 1986, quand la Ligue décide d’abandonner la parution de Trousse Livres, c’est la même équipe qui reprend bénévolement la rédaction et la gestion de la nouvelle revue Griffon. Elle disparaît définitivement en 2013.

pour y publier leurs notices critiques, puis de l’université d’Artois pour la conservation et la valorisation de leurs archives.

Conclusion

L’action conjointe de ces trois organismes et de leurs membres fut ambivalente pour la promotion et la reconnaissance de la littérature jeunesse française au tout début du processus d’autonomisation de l’espace éditorial jeunesse. D’un côté, leur action fut pionnière en France, où la littérature jeunesse était encore, dans les années 1960, considérée comme un genre mineur. Bien que privées, ces initiatives furent en effet à l’origine d’une partie des institutions publiques dont la France s’est dotée par la suite pour promouvoir ses livres jeunesse au niveau national et international. D’un autre côté, ces trois institutions, en partie liées les unes aux autres par leurs participants, et parfois même des locaux, ont entretenu dans la seconde moitié du XXe siècle des rapports complexes à la fois entre elles et avec la puissance publique, ce qui explique les débuts quelque peu chaotiques de la collaboration française aux institutions internationales de promotion de la littérature jeunesse. Ce « retard » français permet de comprendre pourquoi l’illustré français n’a bénéficié d’une reconnaissance internationale notoire qu’à partir de la fin des années 1970, au moment où les éditeurs français commencèrent à accaparer les prix internationaux, comme ceux de la Foire internationale du livre jeunesse de Bologne [Guijarro Arribas 2019].

Aujourd’hui, une partie des activités initiées et promues dans les années 1960 et 1970 par ces trois institutions pionnières ont été centralisées par le département jeunesse de la BnF (Centre national de la littérature pour la jeunesse-CNLJ). La BnF est ainsi devenue la section française de l’IBBY en 2008, au moment où elle phagocytait La Joie par les livres. Cette fusion a marqué l’aboutissement d’un lent processus d’institutionnalisation de ces premières initiatives privées, et renforce en même temps la position de la littérature jeunesse au sein de la BnF. Elle est enfin le symptôme de la transformation structurelle d’IBBY International, à partir des années 1960, depuis un réseau transnational d’acteurs vers une véritable organisation internationale dans laquelle les différentes sections sont devenues les représentants et les promoteurs officiels des littératures jeunesse nationales.

Bibliographie

  • Carbone P., Les bibliothèques, Paris, Presses universitaires de France, 2012.
  • Feinstein K., « La formation des bibliothécaires pour la jeunesse », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 3, 1999, p. 80-84. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1999-03-0080-012
  • Gaiotti F. et Tison G,. « Une critique souterraine : le Prix du roman jeunesse », Strenæ, n° 12, 2017. En ligne : https://journals.openedition.org/strenae/1747
  • Guijarro Arribas D., Du classement au reclassement. Sociologie historique de l’édition jeunesse en France et en Espagne, thèse de doctorat en sociologie, sous la direction de Gisèle Shapiro, EHESS, 2019.
  • Lévêque M. et Meyer V., « Regards sur la critique de la littérature pour la jeunesse », Strenæ, n° 12, 2017. En ligne : https://journals.openedition.org/strenae/1696
  • Marcoin F., « Aux origines d’Ibby-France », Strenæ, n° 3, 2012. En ligne : https://journals.openedition.org/strenae/501
  • Renonciat A., Livre, mon ami : lectures enfantines, 1914-1954 : exposition des Bibliothèques de la Ville de Paris, Paris, Agence culturelle de Paris, 1991.
  • Sapiro G. et Bokobza A., « L’essor des traductions littéraires en français », dans : Gisèle Sapiro (dir.), Translatio : le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, Paris, CNRS Éditions, 2008.
  • Weis H., Les bibliothèques pour enfants entre 1945 et 1975 : modèles et modélisation d’une culture pour l’enfance, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2005.