Réinformatiser à l’heure du SGBM
Journée ADBU/ABES – 20 février 2014
Jeudi 20 février dernier à la Bulac, l’ADBU proposait une journée d’information et de réflexion sur la thématique « Réinformatiser à l’heure du SGBM ». Organisée en partenariat avec l’Abes et animée par Grégory Miura, conservateur au SCD de Bordeaux 3 et animateur de la commission SSI [signalement et système d’information à l’ADBU], la journée a permis d’aborder le sujet sous différents angles dont ceux des bibliothèques universitaires (dites « sites pilotes ») prêtes à se lancer dans l’aventure de ce nouveau système de gestion de bibliothèque 1.
SGBM, ou l’union sacrée autour d’un rêve protéiforme
Rappelons en quelques mots l’historique de ce projet, aux contours complexes et mouvants et dont on serait bien en peine aujourd’hui de savoir ce qui en sortira 2. L’idée d’un système de gestion de bibliothèque mutualisé est née en 2011, lorsque plusieurs sites universitaires ont souhaité se regrouper pour lancer ensemble un cahier des charges de réinformatisation. Du côté des bibliothèques, les objectifs étaient multiples : rationaliser les coûts d’acquisition puis de maintenance des systèmes d’information, intégrer les ressources électroniques aujourd’hui très difficilement gérées, bénéficier autant que faire se peut du travail d’autres institutions à l’échelle internationale, travailler selon ces fameux « nouveaux standards du web » (dont le langage RDF et ses triplets) pour faire entrer les ressources et les données dans l’univers du web sémantique. Du côté de l’Abes, qui s’est intéressée au projet, ce nouveau système allait permettre de restreindre la multiplicité des SIGB dans le Sudoc (164 établissements en font aujourd’hui partie, et de nouvelles demandes de déploiement arrivent chaque année), d’améliorer la gestion des ressources électroniques dont les métadonnées parviennent aujourd’hui en masse à l’Agence qui peine à les intégrer, et, pourquoi pas, de remplacer le système informatique porteur du Sudoc, le CBS de la société OCLC, dont la fin de vie était annoncée d’ici deux à trois ans (en 2011).
Dès les premières réflexions, l’idée d’un système de gestion de bibliothèque (SGB) dit de nouvelle génération s’est imposée. Pour être explicité très schématiquement, à la différence d’un SIGB classique, le SGBM réunit les principales applications documentaires ainsi qu’un résolveur de liens et un ERMS pour la gestion des métadonnées des ressources numériques, une base de connaissances et un index central permettant l’exploitation fine de données. Ces grandes applications documentaires sont proposées sur une plate-forme de services de bibliothèque dans les nuages (cloud), communes à toutes et configurables dans leurs fonctions locales par chacune d’entre elles.
Grégory Miura s’est d’emblée interrogé sur les enjeux actuels de la réinformatisation à l’heure où l’idée du SGBM commence à prendre de l’ampleur, sinon son envol. Il a rappelé la dimension structurante d’un projet associant douze établissements universitaires 3, tout en soulignant la complexité d’un tel travail en réseau dans une période de forte autonomie. En cette époque de refondation importante du paysage bibliographique national (liens resserrés entre les grandes institutions que sont la BnF, l’Abes et l’INIST, création de la BSN…) et à l’heure des grands projets nationaux comme ISTEX, la question de l’amélioration des métadonnées dans les ressources numériques francophones et la demande récurrente de solutions d’intégration de ces mêmes ressources deviennent cruciales. Tout comme l’est désormais celle de l’ouverture des systèmes et des données qui, nativement produites pour le web, doivent être immédiatement visibles et aisément exploitables. Si cet objectif de décloisonnement et d’interopérabilité est aujourd’hui clairement affiché par tous, il faut avoir conscience qu’il induit des changements très profonds dans la mentalité et les pratiques professionnelles dont il faudra tenir compte dans les services de formation pour accompagner la nécessaire adaptation des organisations et des fonctions 4.
Enfin – et cela a été rappelé plus d’une fois dans la journée –, force est de constater que cette volonté affichée d’accentuer la mutualisation entre les établissements est par ailleurs indissociable des contraintes budgétaires de plus en plus fortes, obligeant les institutions à s’allier dans l’idée que le partage réduira les coûts. Or on serait aujourd’hui bien en peine d’évaluer les économies que ce projet offrira tant les inconnues y sont encore nombreuses, et les déplacements de coûts inévitables mais encore non quantifiables.
Cela posé, trois intervenants de l’Abes se sont ensuite succédé au micro : Jérôme Kalfon, directeur de l’Agence depuis octobre 2013, qui a évoqué le lien entre le SGBM et les autres projets en cours de développement à l’Abes (hub de métadonnées, projet Bacon…) ; Jean Bernon, chargé de mission et chef de projet pour le SGBM, dont les propos ont explicité les travaux en cours à l’Abes et l’avancée de la réflexion ; Marianne Giloux, enfin, qui s’est intéressée plus particulièrement à l’étude nationale lancée sur le catalogage partagé et le catalogue collectif. Une table ronde a clos cette journée, qui a mis en présence des bibliothèques universitaires ayant décidé d’être sites pilotes dans le projet SGBM (Bordeaux, Paris-Descartes…) face à d’autres qui ont fait le choix d’une réinformatisation individuelle (Strasbourg, Diderot-Lyon, Tours…), en raison de contraintes de maintenance, de réorganisation interne ou au vu des besoins locaux exprimés.
Ce qu’il faut comprendre et retenir
Du côté de l’Abes, quelques bases ont été posées par Jérôme Kalfon et Jean Bernon, avec ce postulat fondamental, socle incontournable de la réflexion : les métadonnées sont aujourd’hui au cœur de toutes les préoccupations. Si l’outil d’exploitation peut changer, les métadonnées quant à elles doivent être conservées et entièrement maîtrisées. Quelle que soit la solution retenue à l’avenir, il est fondamental de la dissocier des données qu’elle contiendra, les utilisateurs devant rester autonomes à l’égard du prestataire retenu. Par ailleurs, se pourrait-il que l’Abes, opérateur de l’État par ses missions nationales, ne devienne agence de mutualisation du fait du SGBM ? Ce possible glissement induirait un changement dans les statuts auxquels le CA devra réfléchir. La question doit également être posée du rôle que l’Agence aura à tenir dans la formation au nouvel outil, devenant l’intermédiaire quasi obligé entre le prestataire et les bibliothèques membres du marché.
De manière plus inattendue, mais ô combien vivifiante, cette journée aura également été l’occasion de rappeler l’importance, pour ne pas dire la nécessité, d’un réseau national de catalogage et le sentiment d’appropriation, de connivence et de confiance des catalogueurs à l’égard de WiniBW et de l’Abes. Certes, et Marianne Giloux ne s’est pas fait faute de le rappeler, le Sudoc pèche aujourd’hui par plusieurs points : sous-utilisation par les bibliothèques de la valeur ajoutée par le réseau lui-même lors des exports ; absence de synchronisation des données entre le Sudoc et les SIGB ; difficile gestion des métadonnées de ressources électroniques. Mais l’attachement des bibliothécaires à ce réseau, la confiance qu’ils portent à l’Abes quant à la gestion des métadonnées, la normalisation, l’aide apportée au catalogage, le développement d’applications novatrices, fondent sa cohérence, sa cohésion et sa légitimité. L’entendre rappeler ne peut qu’être salutaire dans un contexte où les termes de mutualisation et d’indépendance flirtent parfois avec ceux d’éclatement et de perte de contrôle des données.
Où en est-on aujourd’hui ?
Le prochain CA de l’Abes, fixé au 12 mai 2014, devrait valider le programme fonctionnel établi par les sites pilotes et permettre ainsi l’ouverture du premier dialogue compétitif sur les spécifications techniques des systèmes locaux (250 fonctionnalités ont été identifiées après synthèse). Il devra également s’interroger sur l’aptitude générale de l’Agence à rénover le Sudoc et décider, après la migration des sites pilotes prévue début 2016, du lancement d’un second dialogue compétitif pour le remplacement du CBS, ce second marché étant indépendant des résultats du premier 5.
Le CA devra également réfléchir aux conclusions de l’étude Pléiade portant sur les différents scénarios pour le catalogage et la production de métadonnées. « Doit-on/Peut-on ne pas dissocier catalogue collectif national et catalogage partagé ? », a questionné Jean Bernon. Quatre modèles sont aujourd’hui en lice, dont un scénario allemand qui semble recevoir les faveurs de l’Abes malgré ce qui est apparu à certains auditeurs de cette journée comme une régression fort dommageable. Le scénario allemand 6 repose en effet sur deux clouds commerciaux portés par Alma et WorldCat (avec gestion locale, outil de découverte, espace de catalogage partagé, etc.). La synchronisation des données en temps réel a pour objectif la création d’un grand catalogue collectif ou German Data Pool, gestionnaire d’applications spécifiques (à l’instar en France d’IdRef, STAR, Calames…), et dont la visée est triple : sauvegarder les données, soutenir le PEB, élaborer un index national de ressources autres qu’universitaires. Une application à la française pourrait se lire, selon le degré d’optimisme du lecteur, soit comme l’éclatement du Sudoc actuel en plusieurs super-Sudoc coexistant les uns avec les autres, qui signerait la mort d’un réseau unique et fédérateur de catalogage partagé, garant de pratiques professionnelles harmonieuses ; soit comme la coexistence de plusieurs SGB mutualisés, interconnectés, avec synchronisation des données en temps réel permettant des économies non négligeables. L’autre option, également envisagée, serait un prolongement du système actuel, impliquant impérieusement une granularité plus fine des données pour des exports de qualité, un travail approfondi pour améliorer les flux de métadonnées en lien avec les éditeurs, la BnF, ISTEX et autres institutions partenaires, l’intégration des FRBR enfin comme étant le meilleur modèle pour l’évolution des catalogues et leur exploitation.
Les questions demeurent, et elles restent d’importance. Les décisions du CA de l’Abes seront d’un poids crucial dans l’évolution et la transformation du paysage bibliographique actuel.