YouTube en bibliothèque universitaire

Introduction 1

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Cet article est une synthèse du mémoire de conservateur de bibliothèque (DCB 31), YouTube en BU : de l’offre à la production de contenus, quelle stratégie adopter dans l’accès à l’information et l’apprentissage ?, sous la direction de Juliette Pinçon, Villeurbanne, Enssib, 2023. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/71197-youtube-en-bu-de-l-offre-a-la-production-de-contenus-quelle-strategie-adopter-dans-l-acces-a-l-information-et-l-apprentissage.pdf

Les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans notre société de l’information contemporaine, et les bibliothèques ne font pas exception à cette tendance. Cependant, YouTube, plateforme majeure de l’écosystème des réseaux sociaux et leader du secteur de la vidéo à la demande, reste inégalement utilisé par les bibliothèques.

Dans cet article, nous examinerons la situation de YouTube dans les bibliothèques de l’enseignement supérieur et recherche (ESR) français et aborderons les initiatives actuelles d’utilisation de YouTube en bibliothèque, en soulignant les défis et les opportunités qu’elles présentent. Nous mettrons également en lumière la nécessité d’une approche réfléchie et collaborative pour tirer pleinement parti de cette plateforme.

Méthodologie d’enquête

En complément de la littérature scientifique et professionnelle, un triple dispositif d’enquête a été lancé pour les besoins de ce mémoire :

• un parangonnage des chaînes YouTube des 173 structures documentaires de l’ESR, en reprenant la nomenclature de l’Enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires (ESGBU) ;
• un questionnaire auto-administré à destination de tous les étudiants, sans conditions, ayant généré 267 réponses ;
• une série de 11 entretiens semi-directifs, menés avec des acteurs variés du monde de l’ESR, bibliothécaires, enseignants-chercheurs, associations étudiantes, etc.

Chaque élément a permis d’interroger des aspects différents du sujet, de manière quantitative et qualitative, mais c’est surtout le croisement de ces données qui a permis de dégager des enseignements et de mettre en évidence des points clés, notamment dans la différence entre l’offre proposée par les bibliothécaires et la demande des publics.

Outre la cartographie de la situation actuelle, l’enquête a été l’occasion de recenser des « bonnes pratiques » et des initiatives, lesquelles peuvent être reproduites par la suite et adaptées à des contextes différents.

L’omniprésence des réseaux sociaux dans notre société

Les réseaux sociaux ont envahi notre quotidien, transformant nos modes de communication, de partage d’informations et de divertissement. Les bibliothèques, en tant qu’institutions ancrées dans la société, ne peuvent ignorer cette réalité. Elles doivent s’adapter à ces nouvelles tendances et intégrer les réseaux sociaux dans leur stratégie globale de communication et de service. Les pages Facebook, les comptes Instagram ou Pinterest par exemple sont ainsi aujourd’hui légion.

Malgré la popularité écrasante de YouTube et son influence incontestable dans le paysage des réseaux sociaux, les bibliothèques tardent souvent à exploiter pleinement cette plateforme. Ce paradoxe est d’autant plus frappant lorsque l’on considère l’importance de YouTube en tant que canal d’information, d’éducation et de divertissement pour de nombreux publics, y compris les étudiants, comme le montre l’enquête menée pour les besoins du mémoire, ou encore le baromètre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc).

Les initiatives actuelles en bibliothèque et la demande des publics étudiants

Le format vidéo est ainsi de plus en plus plébiscité par les publics, notamment jeunes et étudiants, que ce soit pour le divertissement, mais aussi pour l’apprentissage. En effet, ce format offre les avantages des modalités auditives et visuelles notamment et permet une variété dans les formes d’acquisition de connaissances. Dès lors, l’offre disponible a explosé au fil des années, conjuguée à la démocratisation du matériel et des logiciels de captation et le développement de l’internet haut débit.

Si des plateformes académiques et institutionnelles existent, comme Canal U, elles ne sont pas comparables à YouTube dans la volumétrie des contenus et des publics touchés ni même dans leurs ambitions et leurs objectifs. Si elles sont plus éthiques et respectueuses des données personnelles, elles sont aussi beaucoup moins connues des publics. Il appartient alors aux structures de veiller au respect du cadre légal national et européen et de se prémunir des risques concernant la protection des données et la propriété intellectuelle des contenus produits et publiés, problème déjà rencontré sur d’autres réseaux portés par des géants du numérique. Ces plateformes doivent donc davantage être vues comme complémentaires d’un outil grand public et largement adopté comme YouTube plutôt que concurrentes.

Certes, des initiatives d’utilisation de YouTube en bibliothèque existent, mais elles ne reflètent pas toujours la demande des publics étudiants. On trouve ainsi de nombreux supports de communication, plus ou moins édités ou encore des conférences filmées. Il est essentiel d’écouter attentivement les besoins et les attentes des utilisateurs potentiels de la bibliothèque, en particulier des étudiants, afin de proposer des contenus pertinents et attrayants sur YouTube. De plus, l’analyse du corpus étudiant a permis de souligner des usages et des motivations très différents en fonction du diplôme préparé et de la discipline étudiée, prouvant l’existence de publics plutôt que d’une masse uniforme.

Intégrer la dimension de production de vidéos et la curation de contenus

Les bibliothèques commencent progressivement à intégrer la dimension de production de vidéos, en créant des tutoriels, des vidéos de communication institutionnelle, etc. Ces projets sont généralement la conséquence d’initiatives personnelles d’agents ayant un attrait pour la question et s’autoformant au fur et à mesure. Le sujet des vidéos produites peut donc parfois être lié à la fiche de poste de l’agent et son service de rattachement. Les entretiens menés ont aussi montré des organisations différentes, avec des liens forts entretenus avec le service de communication de l’université et la mise à disposition ponctuelle de matériel et de compétences humaines. Enfin, quelques bibliothèques comme la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (Bulac) ont franchi le pas en investissant massivement dans l’achat de matériel ou l’équipement d’un studio d’enregistrement, permettant des captations de qualité.

Cependant, la curation de contenus sur YouTube reste encore peu développée, malgré ses similarités avec la politique documentaire traditionnelle, avec un périmètre plus large. Les bibliothécaires sont ainsi tout à fait qualifiés et légitimes pour évaluer la qualité des contenus sur YouTube, en tant que professionnels de l’information, au même titre que pour les monographies ou les abonnements à des ressources numériques.

L’infinité de dispositifs pour investir YouTube en bibliothèque

Il est important de noter qu’il existe une multitude de dispositifs possibles pour investir YouTube en bibliothèque, couvrant toutes ses dimensions et s’adaptant à divers niveaux de ressources financières et humaines. L’imagination est ainsi la seule limite pour des équipes motivées. Des collaborations avec d’autres bibliothèques, en profitant de la culture aiguisée de réseau et des coconstructions avec les publics étudiants et chercheurs peuvent également permettre d’exploiter au mieux cette plateforme, et notamment de répondre à un des écueils principaux soulevé : la masse d’informations impossible à traiter par un individu, ou même une équipe.

Parmi ces dispositifs, on peut citer pêle-mêle :

• la valorisation au cas par cas de vidéos isolées via des supports physiques (QR codes, Tiny URL) ;
• la valorisation de collections ou de services via la création d’une chaîne YouTube de la bibliothèque ;
• la production de vidéos de communication ou de capsules d’autoformation et de tutoriels ;
• la captation et diffusion en direct et à la demande de conférences ou de journées d’études ;
• la médiation culturelle et scientifique du travail de youtubeurs ;
• la formation d’usagers à l’évaluation de l’information sur YouTube ;
• la coconstruction d’une liste de recommandations de vidéos pertinentes au niveau local, d’un réseau ou national en utilisant des outils comme la plateforme Tournesol.

Les défis et les conditions de réussite

Ces projets nécessitent toutefois des formations adaptées pour les agents, une formalisation claire de leurs taches sur leurs fiches de poste, ainsi qu’un soutien solide de la direction du service pour accompagner les équipes dans ce changement. De plus, ces projets doivent s’inscrire dans un projet global de la bibliothèque afin d’éviter qu’on les considère comme de simples « gadgets ». C’est notamment le cas du réseau des médiathèques de Bordeaux, qui propose une large palette de formats diversifiés, permettant en outre la valorisation du travail des agents en plus de celles des services et des collections.

Il est en outre capital de préciser et rappeler que la curation de contenus sur YouTube n’a pas pour ambition de remplacer les ressources des bases de données ou les monographies, mais davantage de proposer une offre complémentaire, répondant à d’autres besoins ou pouvant servir d’introduction à certains sujets. Là encore, les usages dépendent fortement des caractéristiques des publics et de leurs appétences.

L’évolution du métier de bibliothécaire

L’intégration de YouTube dans les bibliothèques encourage également à s’interroger sur l’évolution du métier de bibliothécaire, ou plutôt de sa diversification. De « prescripteurs » traditionnels, mettant à disposition des ressources payantes à leurs publics, les bibliothécaires doivent devenir des accompagnateurs capables de guider les usagers dans l’utilisation de cette plateforme, et d’autres ressources, et de les aider à évaluer la qualité et la fiabilité des contenus disponibles. Car en effet, contrairement à un catalogue de bibliothèque dans lequel un usager peut naviguer en toute sécurité, un outil comme YouTube contient des informations de qualités très variables, et notamment des sources de désinformation. La formation à ces outils largement utilisés par des usagers fait donc partie des missions des bibliothécaires, et peut par ailleurs contribuer à l’offre du service, en alimentant la liste de recommandations, dans le cadre d’ateliers par exemple.

La vigilance face aux évolutions d’internet et des plateformes

Enfin, la nature même d’internet et des réseaux sociaux invite à une vigilance constante quant aux évolutions des plateformes, à leurs régulations et aux usages des internautes. Les bibliothèques doivent rester informées et adaptatives pour continuer à offrir des services pertinents dans ce contexte en constante évolution. Si la position de leader incontestable du secteur de la vidéo à la demande de YouTube semble aujourd’hui incontestée, la jeune histoire d’internet montre que la situation de ces plateformes reste fragile, comme le montre l’exemple du rachat de Twitter en 2022 ou les évolutions successives des conditions générales d’utilisation (CGU) et les plaintes de créateurs de contenus. L’émergence de concurrents comme Twitch ou TikTok, aux caractéristiques bien particulières mais frontalières de YouTube peut aussi permettre de faire bouger les lignes, ou de tester de nouveaux formats. En fonction des moyens et des compétences disponibles, il peut toutefois être contreproductif pour une structure de se disperser sur plusieurs plateformes plutôt que de se concentrer sur la plus protéiforme : YouTube.

Conclusion

Les bibliothèques universitaires ont donc pris du retard dans l’exploitation de YouTube, mais gardent toutes les cartes en main pour remédier à cette situation. En exploitant pleinement cette plateforme, les bibliothèques peuvent étendre leur influence, toucher de nouveaux publics et devenir des acteurs clés de la sélection et de la mise en valeur des contenus vidéo.

Les possibilités sont nombreuses, tant dans l’ambition que dans le type d’activité et peuvent s’adapter à un large éventail d’objectifs. Cependant, cela nécessite des moyens financiers et/ou humains, des efforts collaboratifs, des formations adéquates et surtout, une vision stratégique à long terme. Les bibliothèques doivent également rester attentives aux évolutions des plateformes et des usages des internautes pour s’adapter aux besoins changeants de leurs publics et proposer une offre de services pertinente.