Les micro-folies en bibliothèque

Retour sur l’installation du kit culturel au sein de la lecture publique

Marianne Voldoire

« Micro-folie », un concept culturel

« Avec les Micro-folies, tout est envisageable ! » s’exclame le président du Parc et de la Grande Halle de La Villette, Didier Fusillier, lors d’une interview avec Françoise-Aline Blain pour Beaux Arts magazine, le 30 mars 2022. « D’ici à la fin de l’année, on comptera 600 Micro-folies. Cet ensemble est devenu le deuxième réseau national après les bibliothèques. […] Avec elles, on ne fait plus l’effort d’aller au musée. » Sans pour autant vouloir remplacer les musées, les Micro-folies fleurissent dans divers lieux à vocation culturelle afin d’en démocratiser l’accès, à l’aide du numérique : aussi les voit-on inaugurées dans des cinémas désaffectés, des salles de spectacles, des centres culturels et même des bibliothèques municipales dans la plupart des régions françaises 1

X

Les cartes de déploiement des Micro-folies. Février 2024, La Villette, Issuu.com. En ligne : https://issuu.com/lavillette_/docs/cartes_deploiement_-_02_2024

.

Lancé en 2016 par La Villette et son président, le concept se veut simple : diffuser un kit culturel mêlant art et numérique, par le biais d’un catalogue d’œuvres numérisées des grands musées nationaux, auprès de publics enclavés ou considérés comme éloignés de la culture. Le terme « Micro-folie » a été retenu pour son étymologie : en architecture, une folie est une petite maison qui se distingue par son originalité et sa vocation à accueillir des événements ponctuels. On en retrouve la trace dans le Parc de La Villette, où des folies de couleur rouge sont installées de manière à former un parcours événementiel. À l’inverse de ses grandes sœurs déjà physiquement implantées, une Micro-folie en tant que concept est présentée comme un kit d’animation à monter soi-même et personnalisable selon son territoire hôte. Elle se compose en général de plusieurs modules qui permettent de varier les animations tels que le Musée numérique et son catalogue de collections, à visée éducative et contemplative, et le FabLab, plutôt axé sur la créativité et les activités manuelles via des imprimantes 3D. De nombreux avantages lui sont attribués : étonnante tant par son fonctionnement que par sa communication visuelle, elle garantit une offre culturelle de proximité, éveille la créativité et encourage à terme la visite de musées. Sur le plan technique, elle se veut peu onéreuse et inscrit les établissements dans un réseau où les pratiques de conception d’animations sont partagées.

État des lieux et l’enquête

Une proportion non négligeable de Micro-folies sont installées dans des médiathèques, premier réseau culturel de France : c’est à partir de ce constat que nous avons souhaité mener notre étude dans le cadre du mémoire de master « Politique des bibliothèques et de la documentation » de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), en 2022 2

X

Marianne VOLDOIRE, Les Micro-folies dans les médiathèques : établissements et professionnels face au kit culturel, mémoire de master « Politique des bibliothèques et de la documentation », sous la direction de Susan Kovacs, Villeurbanne, Enssib, 2022. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/71183-les-micro-folies-dans-les-mediatheques-etablissements-et-professionnels-face-au-kit-culturel

. Notre enquête a soulevé trois principaux objectifs de ces médiathèques munies d’une Micro-folie. Tout d’abord, il s’agit d’attirer de nouveaux publics, de démocratiser les arts, mais aussi de promouvoir la création numérique pour les scolaires et les non-usagers. En mars 2022, 24 des 124 Micro-folies françaises étaient installées dans des médiathèques. Deux ans plus tard, en mars 2024, sur les 275 Micro-folies recensées, 65 médiathèques en sont équipées selon les chiffres du ministère de la Culture 3
X

Base des lieux et des équipements culturels ou Base géocodée des lieux et des équipements culturels en France par commune, complétée d’indicateurs relatifs à la nature, à la taille et à la labellisation des équipements, ministère de la Culture, août 2021. En ligne : https://data.culture.gouv.fr/explore/embed/dataset/base-des-lieux-et-des-equipements-culturels/table/?disjunctive.type_equipement_ou_lieu&disjunctive.label_et_appellation&disjunctive.region&disjunctive.domaine&disjunctive.sous_domaines&disjunctive.departement&disjunctive.precision_equipement&disjunctive.demographie_en%20tree_sortie&refine.label_et_appellation=Microfolie

. En observant cette tendance, l’objet de notre étude a été de questionner l’utilisation et l’intégration d’une Micro-folie dans une médiathèque ayant déjà sa propre identité et son propre programme culturel.

L’enquête a été menée de plusieurs manières, par le biais d’un questionnaire à destination des cadres – qui a obtenu 10 retours sur les 24 établissements contactés –, d’entretiens avec des médiateurs et d’observations in situ à la médiathèque de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) qui nous a aimablement ouvert ses portes. L’expérience de celle-ci, commencée en septembre 2021, s’est avérée concluante.

Composition et installation d’une Micro-folie

Selon le Dossier de présentation générale du dispositif 4

X

Micro-folie, plateforme culturelle au service des territoires. Dossier de présentation, La Villette et le ministère de la Culture, octobre 2019. En ligne : https://www.culture.gouv.fr/Media/Regions/Drac-Paca/Files/Politique-culturelle/Dossier-de-presentation-genezrale-des-Micro-Folies

publié en octobre 2019 par le ministère de la Culture et La Villette, le dispositif se compose dans l’idéal des modules suivants, avec leur estimation financière :

Musée numérique • 40 000 €Composé d’un écran géant accompagné de tablettes pour le public, il donne accès au catalogue numérique de La Villette qui recense des larges échantillons de collections issues de grands musées nationaux, et peu à peu alimenté par les collections des musées régionaux. Il doit être animé par des médiateurs ou des conférenciers mais peut être aussi utilisé en accès libre par le public. Équipements : ordinateur, borne wifi, vidéoprojecteur, écran géant, 20 tablettes, 30 casques audio.
Fablab / Espace atelier • 5 000 € (hors matériaux d’impression 3D)

Espace composé d’imprimantes 3D, de machines à coudre et/ou d’ordinateurs.

Kit de réalité virtuelle • 1 500 €

Grâce à des casques de réalité virtuelle (2), et de leur tablette associée, le dispositif propose une sélection de contenus immersifs (documentaires, jeux, etc.).

Ludothèque / médiathèque • 1 500 €

Ce kit comprend des jeux de société, 2 mallettes pédagogiques, 30 livres pour accompagner les animations.

Espace scénique (selon les espaces disponibles)

Espace visant à accueillir des spectacles, concerts d’artistes ou d’associations locales.

Café folie (selon les espaces disponibles)

Il se veut un espace ludique et convivial pour les enfants et les familles. On peut notamment s’y restaurer.

Le site de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Provence Alpes Côte d’Azur indique qu’« il suffit d’un espace de 40 à 60 m² pour accueillir un musée numérique [...] [avec un coût minimum de] 40 000 euros [qui] peut évoluer en fonction des modules souhaités ». De plus, il est stipulé que l’Établissement public du Parc et de la Grande Halle de la Villette (EPPGHV) accompagne son nouvel adhérent pour toute la durée de l’installation du dispositif, « autour du choix du matériel dédié selon la déclinaison de sa Micro-folie », mais assure aussi des formations au maniement de l’outil pour les futurs médiateurs. Selon le dossier de présentation de La Villette, seuls deux médiateurs suffisent pour accompagner les publics dans la prise en main des espaces phares tels que le Musée numérique et le FabLab.

L’enquête a mis en lumière des Micro-folies aussi diverses que les médiathèques hôtes elles-mêmes, en fonction de la composition de leur équipe et de la disposition de leurs espaces. Nous exposons dans cet article les réussites et les points de vigilance à partir des résultats du questionnaire et des entretiens menés avec des responsables et des médiateurs.

Les points d’attention à avoir lors de l’arrivée d’une Micro-folie

Parmi les besoins exprimés, la formation en médiation, notamment en histoire de l’art, arrive en tête. Si le catalogue d’œuvres et le kit de médiation remis par La Villette offrent une matière certaine pour mener à bien des cycles d’animation, les agents, qui ne sont pas tous issus d’un parcours en histoire de l’art, s’inquiètent de leur mise en œuvre et de la légitimité de leur posture. Un temps de prise en main est nécessaire afin de rassembler des informations, composer soi-même sa liste thématique d’œuvres et adapter son discours selon le profil du public accueilli. Un bibliothécaire interrogé souligne qu’il n’est pas un guide de musée et qu’il convient de se positionner en tant que vulgarisateur non spécialiste. Compte tenu du temps que demandent l’appropriation d’informations et la construction de l’exposé, il est nécessaire d’ajuster les fiches de poste de telle sorte à ce que la gestion de la Micro-folie concerne 50 % à 100 % des missions demandées. Du côté du FabLab, des compétences informatiques et numériques sont essentielles à son bon fonctionnement.

Côté financier, l’acquisition d’une Micro-folie requiert aussi d’avoir un budget de fonctionnement confortable pour assumer la gestion et la mise à jour régulière du parc numérique, hors consommables pour l’imprimante 3D par exemple.

Parmi les objectifs ayant des difficultés à être remplis, les répondants ont regretté l’absence de lien entre les artistes et musées locaux et la Micro-folie, mais ce constat a vocation à évoluer, au même titre que le catalogue d’œuvres numérisées, qui s’enrichit au fil du temps. Certaines régions bénéficient déjà de leur Musée numérique local, comme la collection régionale de Corse par exemple 5

X

Laure FILIPPI, « Le dispositif Micro-folie tisse sa toile culturelle sur l’île », Corse matin, 27 mai 2021. En ligne : https://www.corsematin.com/articles/le-dispositif-Micro-folie-tisse-sa-toile-culturelle-sur-lile-119245

. Les bibliothèques répondantes ont souligné que l’ouverture d’une Micro-folie dans leurs murs avait pour principal objectif d’attirer de nouveaux publics : l’enquête montre que l’installation n’a pas entraîné davantage d’inscriptions ou de fréquentation malgré la campagne de communication faite par la bibliothèque ou les services de la mairie. Les animations liées à la Micro-folie attirent en grande majorité les publics habitués. L’installation d’une Micro-folie remplit toutefois d’autres objectifs, qui n’étaient pas forcément ceux cités en tête : diversifier l’offre d’animations et (re)nouer des partenariats avec les autres services culturels et scolaires du territoire.

Les points forts d’une Micro-folie en bibliothèque

L’enquête menée in situ à la médiathèque de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) a confirmé le succès des animations menées dans le cadre de partenariats entre les autres services culturels de la ville (cinéma, théâtre, MJC…) et les scolaires de tous niveaux (excepté les tout-petits). Plusieurs projets mêlant art, histoire, création numérique autour d’un thème commun ont porté leurs fruits et garnissent les canaux de communication de la bibliothèque, qui tient un compte Instagram spécialement dédié à la Micro-folie. Lors de ces projets, tous les modules de la Micro-folie sont mobilisés. Outre ces grands projets, d’autres animations quotidiennes ont lieu auprès des scolaires du premier cycle, qui ont permis une consolidation des partenariats entre la bibliothèque et les écoles primaires. Le musée numérique fonctionne en effet mieux avec les publics captifs, car lorsque la bibliothèque choisit de le laisser en accès libre, la fréquentation chute drastiquement. Malgré la communication, il apparaît que le public a toujours du mal à saisir le concept et sa dénomination. L’usage encadré d’une Micro-folie par le biais d’une thématique est donc idéal.

Illustration
Scénographie de la Micro-folie en format conférence à la médiathèque de Fontenay-aux-Roses, avec son écran géant et ses tablettes

Photos : Marianne Voldoire, avril 2021

Lors du lancement du projet, des études pointaient 6

X

Julien DEVRIENDT, Valoriser et diffuser les arts numériques en bibliothèque. Pratiques et enjeux, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2021 (coll. La Boîte à outils ; 49).

le risque que ce nouveau service se développe en vase clos par rapport aux autres activités régulières de la bibliothèque où il est implanté. Les réponses au questionnaire mentionnent en grande majorité un lien réciproque entre les thématiques du moment de la Micro-folie et les autres services, animations et collections. L’exemple de la médiathèque de Fontenay-aux-Roses montre qu’il n’en est rien : la Micro-folie, gérée par des agents en poste, mène ses propres animations sans concurrencer les autres, elle diversifie l’offre de la médiathèque autour des arts et du numérique et consolide les partenariats avec des services extérieurs. L’installation s’est faite dans la continuité d’une tradition liant cette médiathèque aux activités artistiques de la ville, le service dispose en effet de grandes salles d’exposition accueillant chaque année des événements : c’est dans ces lieux que le musée numérique a pu trouver sa place, mêlant art local et collections nationales. Les bibliothécaires interrogés confirment avoir pu, après un temps d’adaptation nécessaire, s’approprier pleinement le concept.

Micro-folie, un atout pour l’accueil des publics jeunesse du territoire

La vocation d’une Micro-folie est d’aller à la rencontre de publics éloignés de la culture et du numérique. Située dans une bibliothèque, elle remplit plus difficilement cet objectif puisque l’enquête a démontré qu’elle attirait presque uniquement les publics déjà habitués. Pour des personnes n’en ayant jamais poussé la porte, le sentiment d’illégitimité à l’égard de l’institution culturelle peut demeurer. Néanmoins, on suppose que leur implantation dans d’autres lieux non traditionnellement rattachés à la culture peut créer un effet de surprise et brasser un plus large panel de publics. On retiendra toutefois que dans le contexte de la lecture publique, une Micro-folie est un atout certain pour les partenariats entre services culturels d’un territoire et la diversification des animations pour le public jeunesse. Le succès rencontré auprès des scolaires, comme l’ont souligné les échanges avec les bibliothécaires, peut également attirer des parents non fréquentants. L’enquête a enfin mis en lumière de la satisfaction de la part des personnels eux-mêmes, qui rappellent toutefois qu’à l’heure où l’enquête a été menée, le dispositif était encore neuf et l’on manquait encore de recul critique pour en dresser un bilan exhaust