Histoire des services éducatifs d’archives en France, jalons d’éducation artistique et culturelle
Faire l’histoire contemporaine de la médiation des fonds patrimoniaux, notamment auprès du public scolaire, revient à détailler la stratégie publique (nationale et territoriale) de constitution des « services éducatifs » (ou « unités d’action pédagogique ») auprès des archives nationales, puis départementales, comme acteurs et comme leviers de la valorisation patrimoniale jusqu’à leur mutation actuelle en « services culturels ». Se pencher sur l’histoire des services éducatifs des archives en France, dans les pas de Marie-Christine Bordeaux 1
Marie-Christine BORDEAUX, « Du service éducatif au service culturel dans les musées : éducation et médiation », Bulletin des bibliothèques de France, 2013, n° 3, p. 18-22. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2013-03-0018-003
Aux origines du service éducatif à la française, le musée… américain
Un service éducatif, également appelé service culturel et pédagogique, est un service public au sein d’une institution culturelle comme un musée ou des archives. Son objectif principal est d’éduquer les élèves au patrimoine, conservé et communiqué par cette institution. Il s’agit d’un partenariat formalisé entre l’institution culturelle et l’école, établissant des moyens humains et matériels pour organiser des activités pédagogiques.
L’émergence des services éducatifs, dans le domaine patrimonial, trouve ses racines outre-Atlantique, marquée par le mouvement muséal qui a pris de l’ampleur aux États-Unis à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Jean Galard 2
Jean GALARD, « La mise en culture d’une grande institution culturelle : le service culturel du Louvre », Les cahiers d’A+U+C, septembre 2001, n° 25.
Jean LAMEERE, « La conception et l’organisation des musées », Mouseion, 1930, n° 12, p. 303. Cité par Arnaud TROCHET, « La médiation orale avant l’heure (1919-1944) : visites accompagnées et conférences éducatives au Louvre et dans les musées nationaux : enjeux, modalités, acteurs », Histoire, 2020. En ligne : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02952104v1
Aux États-Unis, à la fin du XIXe siècle, les « heures de musée » ont été intégrées dans le programme scolaire, répondant à un objectif éducatif et patriotique visant à permettre aux élèves d’acquérir une culture commune en pleine construction. Ce concept implique un rôle éducatif actif des musées, avec le recrutement des « professeurs de musée » chargés d’accueillir les classes et de les guider. L’Organisation internationale des musées, dès 1927, préconise que les musées soient ouverts et fréquentés par les jeunes, notamment à travers des visites structurées et dirigées. Elle encourage la création de services éducatifs au sein des musées 4
, s’inspirant de l’exemple des États-Unis. En Europe, la Belgique et la Suède ont été des pionniers dans cette approche 5Jacques LEFRANCQ, « Le rôle social des musées : un exemple belge », Mouseion, 1927, n° 3. Sixten STROEMBOM, « L’éducation populaire au musée national de Stockholm », Mouseion, 1933, n° 21-22.
Au XIXe siècle, des musées spécialement conçus pour l’éducation des enfants apparaissent aux États-Unis, avec le premier ouvrant à Brooklyn en 1899, suivi du célèbre Children’s Museum de Boston en 1913. Vers 1952, environ 35 de ces musées existent aux États-Unis, tandis qu’en Europe, seul le musée de l’Éducation à La Haye, créé en 1920, porte cette qualification 6
Cora COHEN-AZRIA, Yves GIRAULT, « Quelques repères historiques sur le partenariat école musée ou quarante ans de prémisses tombées dans l’oubli », Aster, Institut national de recherche pédagogique, 1999, L’école et ses partenaires scientifiques, p. 9-25. En ligne : https://hal.science/hal-02572120
Aujourd’hui, la plupart des musées américains ont développé des dispositifs spécifiques pour accueillir le jeune public lors de visites scolaires ou de visites en famille. Ces services éducatifs mettent l’accent sur des concepts adaptés à l’âge des visiteurs, en suivant une pédagogie centrée sur l’enfant et favorisant l’observation par rapport à une approche centrée sur l’objet 7
Stéphanie PINEL-JACQUEMIN, Muriel LEFEBVRE, Julie RENARD, et Chantal ZAOUCHE GAUDRON, « Que signifie « expérience de visite » pour le public enfant ? », Communication, 2019, vol. 36, n° 1. En ligne : http://journals.openedition.org/communication/9790
« Études de publics, années 30 », Publics & Musées, 1995, n° 8. La revue est aujourd’hui titrée Culture & Musées. En ligne : https://www.persee.fr/doc/pumus_1164-5385_1995_num_8_1_1064
Une préfiguration au musée d’abord
En France, la préfiguration des services éducatifs vient de la Direction des musées de France, dès la fin des années 1930 9
Les enseignants mis à disposition obtiendront à partir de 1971 le statut de guide conférencier des musées nationaux.
Rapport sur l’administration et la conservation des musées nationaux et sur l’enseignement de l’école du Louvre pendant l’année 1931, Paris, Imprimerie des Journaux Officiels, 1933, cité par Arnaud TROCHET, op. cit.
AN 20150044/153. [s. d.], vers 1931. Note sur les visites guidées collectives et privées. Cité par Arnaud TROCHET, op. cit.
Le premier service éducatif de France, aux Archives nationales
En France, sous la IIIe République, les quelques liens entre archives et éducation se limitent bien souvent aux étudiants de l’enseignement supérieur et à quelques très rares visites de groupes d’élèves du secondaire. Il faut cependant signaler une circulaire ministérielle de 1912 13
Cité p. 217 par Véronique CASTAGNET, Christophe BARRET, Annick PEGEON, Le service éducatif des archives nationales : par chemins de traverse, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012. En ligne : https://books.openedition.org/septentrion/18143?lang=fr
Au XXe siècle, ces conférences étaient régulièrement organisées et documentées par les écoles normales, comme en témoignent les archives, notamment celles des Côtes d’Armor jusqu’aux années 1970 14
. Ces conférences étaient un moment privilégié entre les écoles normales et les archives. Les instituteurs entretenaient également des liens étroits avec les archives communales en étant bien souvent secrétaires de mairie dans les zones rurales (10 % des instituteurs publics en 1933 dans les Côtes-du-Nord, 53 % des communes du Finistère concernées en 1907 15Emmanuel LAOT, Les hussards bleus de Bretagne, Instituteurs publics de la IIe République, Morlaix, Ed. Skol Vreizh, 2002, 83 p.
Le musée des Archives nationales (AN), fondé en 1867 au Palais Soubise par le marquis de Laborde, expose au public des documents d’archives conservés par l’institution (Musée de l’Histoire de France de 1939 à 2006) et invite les professeurs des lycées parisiens et leurs élèves à venir découvrir une sélection de documents emblématiques. C’est au sein de ce musée qu’est créé le premier service éducatif dès 1950 16
Annick PEGEON, « La classe “Archives” des Archives nationales : une éducation non formelle à l’Histoire », Transmettre les sciences : vulgarisation et enseignement ; Spirale-Revue de recherches en éducation, octobre 2011, n° 48, p. 139-156. En ligne : https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2011_num_48_1_1784
Ce jalon majeur est l’œuvre de Charles Braibant, qui assurait, depuis 1948, la double direction des Archives nationales et des Archives de France (direction qui relevait alors du ministère de l’Éducation nationale, ce n’est sans doute pas sans lien d’ailleurs). Il est à la fois un archiviste et un homme de lettres qui a obtenu le prix Renaudot en 1933, pour son roman Le roi dort. Lors d’une conférence à la Société de l’école des chartes en 1949, il déclare qu’« il faut rendre les archives plus vivantes, les enrichir d’attributions plus actuelles, sans rien leur enlever, bien entendu de leurs fonctions historiques, qui est leur raison d’être » 17
Charles BRAIBANT, « Les Archives de France. Hier, aujourd’hui, demain », La Gazette des archives, 1951, p. 2-18. En ligne : https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1951_num_9_1_1341
Sa circulaire aux archivistes français du 5 novembre 1951 18
Circulaire incitant à la création de services éducatifs dans les archives départementales (5 novembre 1951) ; Ministère de l’Éducation nationale, Direction des Archives de France. En ligne : https://francearchives.fr/fr/file/9f142bde1d41d771c488cd1f9ba8b90fa2ce8ed5/Circulaire_services_educatifs_1951.pdf
Lucile JOYEUX, « “Professeur-relais” : une mission à la jonction de deux ministères », in Anne JONCHÉRY, Sylvie OCTOBRE (dir.), L’éducation artistique et culturelle. Une utopie à l’épreuve des sciences sociales, Paris, Ministère de la Culture – DEPS ; Les Presses de Sciences Po, 2022 (coll. Questions de culture), p. 135-156. En ligne : https://journals.openedition.org/lectures/59012
Figure 1. Circulaire services éducatifs, 1951
© France Archives
En 1957, dans l’avant-propos d’une publication des Archives de France, intitulée La classe d’histoire aux archives, il expose sa démarche éducative. Il met en avant divers moyens, notamment le « Quart d’heure de culture », une période ouverte à tous, notamment les ouvriers et salariés du quartier du Marais, pendant la pause déjeuner, pour explorer les documents essentiels du Musée de l’Histoire de France 20
Charles BRAIBANT, « Avant-propos », in M. DUCHEIN et S. RUMEAU, La classe d’histoire aux archives, Paris, Direction des Archives de France, 1957 ; Charles BRAIBANT & Robert-Henri BAUTIER, « Les archives et l’enseignement », in Une table ronde utile à l’histoire. Première conférence, Paris, 1954, Paris, Direction des Archives de France, 1958 (AD22 1226 W27).
Figure 2. La classe d’histoire aux archives
© AD22 1226 W27
Figure 3. Le quart d’heure de culture
© AD22 1226 W27
Le développement des services éducatifs dans les archives départementales
Le mouvement est lancé 21
Entretien sur Radio France de Charles Braibant, directeur des Archives de France, 20 juillet 1959. En ligne : https://francearchives.fr/file/105e34f280636b1a21387cc6c7f677a4c05b6328/static_693.pdf
La Gazette des Archives, 1953, n° 13, p. 2741. Citée par Ariane JAMES-SARAZIN, Isabelle RAMBAUD, « Les Archives à la rencontre de leur public, les services éducatifs », La Gazette des archives, 2006, p. 255-276. En ligne : https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2006_num_204_4_3839
Dès lors, les créations de ces « unités d’action pédagogiques » vont se multiplier au sein des Archives départementales, dopées en 1954 par la première Conférence internationale de la table ronde des archives (CITRA), justement consacrée aux archives et à l’enseignement. L’Éducation nationale, consciente du rôle fondamental d’éducation à la citoyenneté que peuvent jouer les archives, soutient le programme en détachant des professeurs et en leur accordant des « heures supplémentaires » 23
.On peut ensuite parler de généralisation sur une trentaine d’années : 9 services éducatifs étaient en place en 1955, 16 en 1956, 20 en 1957, 45 en 1968, 67 en 1977 24
Manuel d’archivistique : théorie et pratique des archives publiques en France, ouvrage élaboré par l’Association des archivistes français, SEVPEN, Paris, 1970, 807 p.
Les musées vont rejoindre le mouvement qu’ils ont initié dans les années 1930. Charles Braibant demande en 1949 à l’historienne Régine Pernoud de devenir conservateur aux Archives nationales pour rénover le vieux Musée de l’Histoire de France 25
. Pour cela, elle s’intéresse aux musées américains. Son article sur « L’éducation dans les musées américains » 26 fait date. On peut y voir le point de départ de la nomination d’une dizaine de chargés d’enseignement dans les musées nationaux.Ensuite dans les années 1970, dans les archives, les services éducatifs s’ouvrent aux élèves de l’enseignement primaire. La loi du 22 juillet 1983 (n° 83-663) sur les archives a conforté la mission des services éducatifs en ajoutant à l’obligation de conservation des archives, celle de leur mise en valeur 27
Archives de France, L’action éducative et culturelle des Archives : actes du colloque « Quelle politique culturelle pour les services éducatifs des Archives ? », Hôtel de Ville de Lyon, 1 et 2 juin 2005, Paris, La Documentation française, 2007, p. 312.
Le maillage départemental s’achève en 1985, avec la création, cette année-là, du service éducatif des Archives de Paris (qui est tout à la fois une commune et un département).
Par ailleurs, des archives municipales se joignent au mouvement comme Douai dès 1958 jusqu’à Marseille en 1986 ou Le Havre et Nantes en 1989, par exemple, pour atteindre le nombre de 14 services éducatifs d’archives municipales en 2014 28
Brigitte GUIGUENO, « Les activités éducatives dans les archives, entre bilan et perspectives », La Gazette des archives, 2017, p. 153-167. En ligne : https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2017_num_247_3_5561 ; Christine PÉTILLAT, Brigitte GUIGUENO, Les activités éducatives dans les archives, entre bilan et perspectives, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, Direction générale des patrimoines, Service interministériel des archives de France, Inspection des patrimoines, 2016. En ligne : https://francearchives.fr/file/e951142fc29a4171a028fb9fc938d35dddecec2f/static_9373.pdf
Les concours scolaires
Les concours éducatifs ont été, dès la création des services éducatifs, un moyen de structurer l’offre éducative autour de thèmes partagés. Le « Concours de l’historien de demain », créé en 1953 par Régine Pernoud, sous le nom de « Concours des historiens en herbe » 29
« Cette idée charmante de Mademoiselle Pernoud [qui] ne constitue pas moins un moyen fructueux d’intéresser la jeunesse des écoles à l’histoire de sa patrie », in Charles BRAIBANT, La classe d’histoire aux archives, Paris, Direction des Archives de France, 1957, p. 7.
En ligne : https://www.education.gouv.fr/le-concours-national-de-la-resistance-et-de-la-deportation-4295
AN : Archives du service éducatif, dossiers « concours de l’historien de demain », non cotées. Cité par Véronique CASTAGNET, Christophe BARRET, Annick PEGEON dans le chapitre 10. La classe « Archives » : un parcours culturel, op. cit., p. 217-244.
Annick PEGEON, « La classe “Archives” des Archives nationales : une éducation non formelle à l’Histoire », op. cit.
Un service éducatif ou un service d’action culturelle ?
Les années 1980 sont une période propice aux bilans et aux réflexions théoriques dans le domaine des archives. Cela est illustré par des événements tels que le Congrès national de l’Association des archivistes français à Nice, centré sur l’action culturelle dans les archives, ainsi que des publications dans des revues spécialisées. En décembre 1989, la Revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, Historiens et Géographes, consacre un numéro spécial au rapport entre l’école et les archives. Ce numéro répertorie 88 services éducatifs, 133 enseignants et de nombreux supports éducatifs. Jean Favier, directeur général des Archives de France 35
y appelle de ces vœux une évolution de ces services éducatifs. Il affirmait notamment « la nécessité de coopérer plus avant avec toutes les instances régionales et départementales des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale et sur la transformation du service éducatif en service d’action culturelle, pour lequel la seule action du professeur n’[est] plus suffisante » 36Jean FAVIER, « Les services éducatifs », Historiens et géographes, déc. 1989-janv. 1990, n° 326, p. 26.
Dans les années 1990 et 2000, les services éducatifs ont évolué pour relever deux défis : toucher plus d’élèves tout en rivalisant avec d’autres institutions culturelles. Initialement centrés sur l’éducation, les enseignants des services éducatifs ont élargi leurs activités, organisant des événements, produisant des expositions et des publications. La diversification de l’offre éducative a créé une compétition implicite pour attirer les écoles et obtenir des financements. Les services d’archives ont été moins visibles que les musées ou les bibliothèques, subissant une réduction de moyens, notamment en heures supplémentaires ou de décharge, dans ce contexte concurrentiel.
Pour mieux cadrer les choses, la circulaire du 3 mars 1993 relative aux services éducatifs, parue au Bulletin officiel de l’Éducation nationale, clarifie alors le rôle du service éducatif et celui du ou des professeur(s) mis à disposition. Les services éducatifs au sein des institutions culturelles sont placés sous le contrôle ou la tutelle des ministères de l’Éducation nationale et de la Culture et de la Communication et voient leur mission définie. « Le programme de travail annuel du service éducatif doit s’inscrire dans ce programme de développement culturel des archives, dans son registre spécifique. Le service éducatif collabore à l’information du milieu scolaire, … à la mise en œuvre d’un programme d’activités comportant notamment l’accueil des élèves, le conseil aux établissements scolaires et à l’aide au projet ; à la conception de documents et de matériel pédagogique destinés au milieu scolaire… aux actions de formation initiale et continue des enseignants… à la réflexion méthodologique sur l’action éducative des institutions culturelles, à l’évaluation et à la valorisation d’expériences pédagogiques innovantes » 37
Véronique CASTAGNET-LARS, L’éducation au patrimoine - De la recherche scientifique aux pratiques pédagogiques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013.
Les missions du professeur-relais seront rappelées et explicitées par la circulaire du 3 mars 2010 autour de quatre axes 38
:- informer le monde éducatif des possibilités pédagogiques des archives ;
- former ses collègues ;
- préparer la venue des élèves ;
- et produire des ressources pédagogiques.
Alors qu’il relevait avant du plan Lang-Tasca (2000) de façon conjointe des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et des rectorats, il est depuis, géré par un service du Rectorat, la Délégation académique aux arts et à la culture (DAAC), désormais communément appelée délégation académique à l’éducation artistique et culturelle ou délégation régionale académique à l’éducation artistique et culturelle (DRAEC). Lucile Joyeux a pu montrer en 2022 que malgré un cadrage national « la mission des enseignants dans les services éducatifs des institutions culturelles, longtemps indéfinies, obéis aujourd’hui à des nécessités territoriales qui la rendent hétérogène » 39
. Si elle a beaucoup insisté sur les aspects passion et vocation de leur engagement, elle a relevé la diversité des situations en termes de moyens d’exercices, allant d’indemnité financière à des heures de décharges d’enseignement (la norme jusqu’en 2002).En 2003, une enquête a montré que près de 79 % des archives départementales disposaient d’enseignants pour des activités éducatives, travaillant en moyenne 5 heures par semaine. Les moyens dédiés ont considérablement diminué depuis, mais le temps consacré semble être resté similaire. L’enquête a également souligné des différences marquées dans l’engagement des collectivités territoriales dans les services éducatifs des archives 40
.Les collectivités territoriales en faveur de services d’action culturelle
Dans les années 1980, si les collectivités départementales ont construit de nombreux bâtiments d’archives dans le cadre de la décentralisation, pour ce qui est du personnel des services éducatifs, elles sont intervenues bien plus tard. Pour Marie-Christine Bordeaux, « le passage du service éducatif au service culturel se fait souvent au moment et à la faveur du recrutement de personnels disposant de compétences et de missions spécifiques. Ce fut notamment le cas des emplois-jeunes dans le secteur culturel en 1997, qui furent très nombreux à être recrutés sur des postes de médiateurs culturels. Bien que la réalité des tâches exercées fut souvent éloignée de la médiation proprement dite, et plutôt centrée sur l’administration de projet, ce fut un temps fort pour l’institutionnalisation de la médiation dans la culture » 41
. En effet, les conseils généraux ont renforcé les services éducatifs des archives départementales en y affectant des agents territoriaux, alors que les moyens et les effectifs enseignants étaient en baisse.Le ministère de la Culture 42
Ministère de l’Éducation nationale, Le plan pour les arts et la culture à l’École, 2000. En ligne : https://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/tascalang.pdf
En 2004, une enquête 44
Morrad BENXAYER, L’action éducative et culturelle des archives. Enquête sur les services éducatifs, Paris, Direction des archives de France – Département des publics, 2004 ; Ariane JAMES-SARAZIN, Isabelle RAMBAUD, op. cit.
La question clé de la formation des différents personnels
La formation des enseignants et du personnel des services éducatifs liés aux archives est d’une importance multidirectionnelle. La formation des enseignants trouve ses racines dans la formation initiale et continue des instituteurs et institutrices, devenus plus tard des professeurs des écoles.
Dans les années 1990, les services éducatifs des archives, tels que ceux de l’académie de Rennes, ont intégré le champ de la formation continue des enseignants grâce aux plans académiques et nationaux. Ces formations étaient initialement axées sur les matières disciplinaires, en particulier l’histoire, mais ont progressivement évolué vers l’interdisciplinarité et la pédagogie de projets 45
.Par la suite, les archivistes ont également commencé à former leur propre personnel, avec un accent mis sur l’accueil des divers publics. La formation continue dans le domaine des archives a été renforcée dans les années 2000, avec des modules tels que « Archives et pédagogie » 46
Brigitte PIPON, Xavier LAUBIE, Archives et pédagogie : les services éducatifs, Module 12 – section 2 : version 1, 14 novembre 2011. En ligne : https://www.piaf-archives.org/sites/default/files/bulk_media/m12s2/section2_papier.pdf ; Module 12 – section 2 : version 2, 30 octobre 2019. En ligne : https://www.piaf-archives.org/sites/default/files/bulk_media/m12-s2v2-2/co/12_section2.html
En juin 2022, l’Association des archivistes français a proposé une formation qui met en lumière les enjeux actuels des services éducatifs liés aux archives.
Un état des lieux des services éducatifs aujourd’hui
Dans le domaine des musées, la fonction éducative a été renforcée à partir des années 1970, bien avant l’émergence du concept de service culturel dans ces établissements. Des services culturels ont été créés dans des musées majeurs comme le musée d’Orsay en 1986 et le musée du Louvre en 1988. En 2000-2001, on recense 700 services éducatifs et culturels dans l’ensemble des secteurs culturels, auxquels s’ajoutent les actions éducatives de grands établissements culturels. La loi de 2002 48
, relative aux musées de France, inscrit dans les missions des musées la conception et la mise en œuvre d’actions éducatives et de diffusion pour assurer un accès égal à la culture pour tous. Chaque musée doit disposer d’un service chargé de l’accueil, de la diffusion, de l’animation et de la médiation culturelle, assuré par des personnels qualifiés, éventuellement mutualisé entre plusieurs musées.Sur le plan quantitatif, une enquête menée en 2014 49
Brigitte GUIGUENO, Enquête en ligne sur les services éducatifs dans les services d’archives, (2014) : analyse des résultats, Paris, Service interministériel des Archives de France, 2016, p. 17-19. En ligne : https://francearchives.gouv.fr/fr/file/80b47a038a3d3503565e4e786eb4d5941e3bfcb0/Rapport_Enquete%20en%20ligne_services%20educatifs.pdf.
L’éducation artistique et culturelle (EAC) dans les archives. Rapport 2014. Rapport produit conjointement par l’Inspection des patrimoines et les Archives de France à partir de sources multiples (rapports annuels et rapports d’inspection, enquête en ligne menée en 2014 sur l’action éducative menée par le Service interministériel des Archives de France du 30 septembre au 7 novembre 2014 auprès du réseau des Archives nationales, départementales et municipales ; 85 réponses obtenues, dont 2 pour les services à compétence nationale, 63 pour les Archives départementales et 20 pour les Archives municipales., sites Internet des services d’archives. En ligne : https://francearchives.fr/file/e951142fc29a4171a028fb9fc938d35dddecec2f/static_9373.pdf
Marie-Christine BORDEAUX, op. cit. et en ligne : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Education-artistique-et-culturelle/Mission-educative/Musees
Archives et Éducation artistique et culturelle – Restitution de la journée professionnelle du 13 décembre 2018. En ligne : https://francearchives.fr/fr/article/163478891 ; https://francearchives.fr/file/6685a58b90f839a210a85e2fea30758b53aedca7/Introduction_Guillaume%20d%27Abbadie.pdf
Les enquêtes et colloques soulignent la qualité la et diversité de l’offre pédagogique des services d’archives, offerte aux élèves de tous niveaux. Ces offres sont variées en termes de lieux, de sujets (local, national, histoire des arts) et de supports (expositions, multimédias, archivobus). Elles ont pour but de développer l’esprit critique des élèves et s’insèrent dans les parcours citoyen et avenir, leur permettant de découvrir la diversité des métiers liés aux archives 53
. En s’intégrant désormais dans les orientations portées par l’éducation artistique et culturelle (EAC), la palette des activités dispensées s’est diversifiée bien au-delà des seules visites et séances sur documents prévues à l’origine. L’offre s’adapte aux spécificités du territoire et favorise la collaboration avec d’autres acteurs culturels locaux, permettant ainsi une approche transversale et enrichissante pour les élèves. De nouvelles formes ludiques et virtuelles d’activités ont vu le jour, comme la bande dessinée 54Site web des archives départementales d’Ille-et-Vilaine, Cycle Bande Dessinée et Histoire, p. 61-71. En ligne : https://archives.ille-et-vilaine.fr/fr/article/presentation-du-cycle-bande-dessinee-et-histoire ; Claude JEAY, « Bande dessinée et archives, une autre histoire », in « Chemins de traverse : ces métiers au service des archives », La Gazette des archives, 3e trimestre 2015, n° 239, p. 163.
Pour mesurer toute la place légitime des archives dans l’EAC en France, le portail numérique France Archives 57
propose une remarquable bibliographie conclue par des exemples de réalisations de services éducatifs. Des nouveaux outils comme la plateforme numérique de l’Éducation nationale dédiée à la généralisation de l’éducation artistique et culturelle, ADAGE 58, et le dispositif Pass culture 59 permettent aux services des archives de poursuivre leur marche en avant, en jouant sur toute la gamme des partenariats.Le nouvel Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle (INSEAC) 60
, inauguré à Guingamp en septembre 2021, a mis en avant l’importance des Archives dans ses programmes de formation destinés à tous les acteurs de l’EAC (professionnels de l’Éducation nationale, de la Culture, artistes, professionnels de l’animation et de l’éducation populaire, ainsi que les travailleurs sociaux et les professionnels des collectivités territoriales, etc.).Les services éducatifs sont donc bien au cœur de la politique publique du 100 % éducation artistique et culturelle pour poursuivre l’éducation de tous élèves au patrimoine de proximité que représentent les milliers de kilomètres linéaires de documents originaux conservés et valorisés par les services d’archives en France.