Bibliothèque Sorbonne Nouvelle (BSN), après un an d’ouverture

Quel bilan faire en 2023 d’un projet immobilier conçu en 2013 ?

Brigitte Auby-Bucherie

Floriane Berti

La BSN est la bibliothèque universitaire (BU) du nouveau campus de la Sorbonne Nouvelle qui, depuis la rentrée universitaire 2022-2023, a ouvert ses portes quartier Nation – Paris 12e. Anciennement nommée « Paris 3 », l’université Sorbonne Nouvelle et ses bibliothèques avaient jusqu’alors des locaux vieillissants datant des années 1960 et multi-sites, le principal étant celui du quartier Censier – Paris 5e.

Parce qu’elle doit son architecture remarquable à Christian de Portzamparc, qu’elle est la BU centrale et pluridisciplinaire au cœur d’un nouveau campus Paris intramuros et, last but not least, parce qu’elle est la première BU à s’implanter dans un arrondissement moins dense en BU que le Quartier latin, la BSN espérait, lors de son ouverture, renouveler le paysage des BU parisiennes.

En cette deuxième rentrée universitaire, quel verdict tirer de l’utilisation des publics durant la première année de vie de ce nouvel équipement ? En quoi une BU programmée de 2013 à 2016, construite de 2017 à 2021 et ouverte aux publics en 2022 peut-elle répondre (ou pas !) aux besoins des usagers, au premier chef celui des étudiants dont le quotidien de vie en 2023 a totalement intégré les évolutions des pratiques induites brutalement par la crise sanitaire ?

Les paris tenus

Être le couteau suisse de l’étudiant : l’armer pour réussir ses études et lutter contre la précarité

Est-ce enfoncer une porte ouverte que de rappeler le rôle crucial, dans l’expérience étudiante, de la bibliothèque, de la documentation qu’elle achète et met à disposition, ou encore des formations à la recherche informationnelle qu’elle organise dans un contexte de précarité étudiante et d’« infobésité » croissante accélérée par l’intelligence artificielle (IA) ?

Ne pas mentionner les offres traditionnelles et « évidentes » qu’offre la BSN reviendrait néanmoins à oublier la source principale de satisfaction de son public-cible, à savoir la communauté universitaire Sorbonne Nouvelle dans laquelle elle s’inscrit.

16 % d’unicas 1

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Les unicas sont des titres (de périodiques dans le contexte du Sudoc-PS) qui ne sont détenus que par une seule bibliothèque du réseau Sudoc.

et huit fonds labellisés « CollEx » réunis au même endroit constituent des collections uniques en France pour une BU en Lettres, SHS et Arts, à la fois très pointues et grand public : livres, revues, presse en formats papier et numériques, DVD, bande dessinée, films numérisés, documents rares et précieux, etc. La chance d’être la BU d’une université de pointe dans ces disciplines permet d’offrir une documentation susceptible d’intéresser toute personne, même non universitaire (derniers romans parus, bande dessinée, séries et films en Blu-ray et vidéo à la demande), et donc propice aux actions culturelles (en moyenne 1/semaine).

Des équipements high-tech et ultra-connectés pour avoir en présentiel un accès facilité au distanciel : cela s’imposait en 2013 comme incontournable pour une future BU ambitionnant d’être innovante. La mise à disposition dans la BSN de PC, copieurs multifonctions, écrans, vidéoprojecteurs, lecteurs DVD, prises électriques et accès à Internet s’est ainsi avérée être un pari gagné facilement dès l’ouverture en 2022 puisqu’entre-temps étaient survenus des phénomènes sociétaux aggravant la précarité étudiante : implications de la pandémie COVID, explosion du bimodal dans un contexte de fracture numérique.

Être un lieu hybride : un concentré d’espaces et ambiances variés pouvant inclure tout usage actuel… et futur

La principale promesse du projet immobilier de la BSN était de réunir dans un même lieu des besoins de prime abord concurrents : travailler seul / en groupe, en silence / en parlant ou bien s’isoler pour faire une « visio » à plusieurs, faire une pause gourmande, rencontrer ses amis, regarder une série, etc.

Comment rendre simultanément possibles des pratiques si diverses dans une BU de 5 000 m² d’espaces publics répartis sur quatre niveaux pour une communauté universitaire de 17 000 usagers ?

Au vu des enquêtes menées en 2022, la promesse est tenue :

  • près de 5 000 entrées / jour en période d’examens ;
  • 253 emprunts des collections papier / jour ;
  • 1 590 vues ou téléchargements des collections en ligne / jour ;
  • 6 600 followers des réseaux sociaux de BSN fin 2022 et + de 50 000 comptes touchés.

« Spacieuse, aérée, lumineuse, colorée et sobre à la fois. Un agencement intérieur original et moderne. Une grande variété de types de places assises. Très accessible aux personnes handicapées. Globalement une très bonne impression. J’aurais aimé pouvoir y accéder plus tôt (je suis à la fin de mon Master 2). » 2

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Verbatim extrait de : Les usagers racontent leur première visite de la BSN. En ligne : https://www.dbu.univ-paris3.fr/mieux-nous-connaitre/enquetes

Les clefs de réussite résident dans les partis pris immobiliers souhaités dès la programmation :

  • évolutivité et hyper-connectivité : présence d’un faux-plancher technique et d’une charge au sol maximale dans les espaces publics afin que modularité et câblage des espaces soient optimums ;
  • aménagement intérieur adaptable et inclusif : prise électrique et lumière individuelles outre les blocs de prises et éclairages généraux afin que chacun se sente comme à la maison ;
  • zonage des espaces pour varier les ambiances : sur le total des 1 100 places, parti pris d’en dédier le tiers (363) à des espaces de travail en groupe pour lesquels la petite (plutôt que grande) capacité d’accueil a été sciemment privilégiée.
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Constituer un « safe space » au cœur de la vie de campus et de la Cité

La politique d’ouverture sur la ville voulue dès la programmation s’est avérée réussie : librement et gratuitement accessible à toute personne à partir du niveau Première et offrant la possibilité de s’inscrire de manière payante ou gratuite selon les services souhaités, la BSN dresse le bilan 2022 suivant :

  • 5 800 lecteurs extérieurs à la Sorbonne Nouvelles se sont inscrits à ce jour depuis son ouverture en mai 2022, dont 74 % uniquement pour utiliser les espaces et services sur place ;
  • 2 400 visiteurs dans le cadre des événements culturels gratuits organisés (conférences, lectures, visites guidées) ;
  • 84 réservations / jour des salles de travail en groupe insonorisées, remplies à 100 % au cœur de l’année universitaire : dispositifs phoniques de haute qualité, prises, écran partageable, tableau blanc, aménagements classiques ou « cosy ».
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Des défis inattendus mais remportés

Miser en 2013 sur une future BU particulièrement évolutive et hyperconnectée s’est donc avéré en 2022 être un pari gagnant.

Toutefois, le « revers de la médaille » et les limites du tout numérique n’avaient pas, à l’époque, été pressentis aussi finement.

Limites du BYOD

Si le BYOD (bring your own device) n’est pas démenti au vu des pratiques utilisateurs (qui sont ravis de trouver dans la BSN des prises à chaque place), il est à nuancer : outre les usagers qui n’ont pas les moyens de s’acheter un appareil, beaucoup préfèrent laisser le leur chez eux pour des raisons pratiques (transports entre lieux d’habitation, d’étude, d’emploi, etc.). Les équipes se félicitent à cet égard d’avoir prévu 150 PC fixes en libre accès, dont certains prédisaient l’inutilité : présage démenti par les publics qui les utilisent !

Explosion des visioconférences

Une partie des cours se tenant en distanciel, parfois entre des cours en présentiel, les étudiants ainsi que les enseignants ont fréquemment besoin de participer à des visioconférences pour leurs activités de cours et de recherche. Les espaces actuels de la BSN n’y répondant que partiellement (difficulté de mobiliser une salle de six places pour une seule personne en visioconférence, saturation des trois cabines téléphoniques occupés en permanence), un projet d’installation de cabines visioconférence est en préparation.

Revival du low-tech et de la déconnexion dans un monde surconnecté

Le succès considérable des quelques équipements low-fi prévus en plus des nombreux dispositifs high-tech évoqués a pu également surprendre : 25 prêts/jour de petits matériels type feutres Velleda.

Enfin, quid du droit à la déconnexion et aux pratiques induites par les préoccupations développement durable plus récentes concernant la pollution numérique ?

Un cocon de sieste a récemment été prêté par l’Accueil Handicap de l’université afin qu’on puisse aisément se « couper du monde » lors de son séjour en BU.

La synergie avec les autres services universitaires est justement amenée à se développer plus fortement en 2024, ainsi que la recherche de financements externes (appels à projets, appels à manifestation d’intérêt, contribution à la vie étudiante et de campus, mécénat) pour répondre mieux et en synergie aux besoins de déconnexion dont l’importance pour les étudiants d’aujourd’hui avait été sous-évaluée (mais pas ignorée !) en 2013 :

  • créer des espaces de sieste dans la BSN, voire en dehors dans le campus ;
  • étendre les espaces hybrides de la BSN souvent saturés, type Biblio Café dans les espaces du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) en dehors des heures de restauration.

Les paris non tenus : prochains défis à relever !

Si les réserves les plus bloquantes survenues en fin de chantier, au cours de l’hiver 2021, sont aujourd’hui levées, des problèmes bâtimentaires persistants continuent d’avoir un fort impact sur les publics :

  • Biblio Café actuellement non équipé de distributeurs de boissons chaudes ;
  • dispositifs phoniques à ajouter dans des zones à la criticité minorée par la prestation acoustique (les escaliers publics et le hall d’accueil général).

S’inscrire dans le dispositif SP+ (Services Publics +) 3

, intensifier la collaboration avec l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) et les autres services de l’université, donner la parole aux usagers/non usagers par des biais variés et stimuler leur créativité pour définir avec les bibliothécaires « leur » bibliothèque, autant de pistes d’amélioration continue !

La feuille de route 2024 des équipements de la BSN est ainsi toute tracée. Malgré les changements de contexte survenus depuis la programmation du projet en 2013, elles continuent d’adopter les mêmes méthodes et fil rouge : construire le projet de service (tout comme le bâtiment !) en réponse aux besoins des publics.