Accueillir les publics avec un trouble du neurodéveloppement en bibliothèque universitaire

Arthur Saunier

Introduction : enjeu moral, obligation légale

Les bibliothèques universitaires (BU) jouent un rôle clef dans la réussite académique, en permettant non seulement l’accès aux ressources nécessaires aux travaux des étudiants, mais aussi en mettant à leur disposition un lieu d’étude et de sociabilité. Toutefois, tous les étudiants ne sont pas égaux face à l’accessibilité de ces espaces. En effet, celle-ci n’est pas systématiquement garantie pour les publics souffrant de troubles neurodéveloppementaux (TND) – qui incluent les troubles du spectre de l’autisme (TSA ; entre 1 et 2 % de la population), le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ; 6 % des enfants et 3 % des adultes), le trouble du développement intellectuel (TDI ; 1 % de la population), et les troubles « Dys » (8 % de la population), qui incluent les troubles de la communication, notamment la dysphasie, les troubles spécifiques des apprentissages comme la dyscalculie, la dyslexie et la dysgraphie, et des troubles moteurs comme la dyspraxie. En tout, 1 enfant sur 6 est concernée par un TND et, pour 70 % d’entre eux, des difficultés cognitives persisteront à l’âge adulte 1

. Pour ces publics, l’accès à la bibliothèque peut parfois relever du défi, que ce soit pour consulter ou emprunter un ouvrage, ou bien pour trouver un espace de travail. Ce, notamment, en raison des nombreuses particularités cognitives qui caractérisent leurs handicaps, leurs difficultés organisationnelles et sensorielles, qui peuvent être invisibles et qui peuvent demeurer aujourd’hui peu ou mal connus par les personnels et les autres usagers des bibliothèques. L’environnement universitaire exige une forte autonomie et une gestion complexe de l’information que dans le secondaire, ce qui peut accentuer les difficultés des étudiants TND en bibliothèque universitaire. En plus d’être un enjeu moral, l’inclusion de ces publics en BU est aussi une obligation légale 2
X

Voir Vanessa Van Atten, « Les cadres juridiques en pratique », dans Françoise Fontaine-Martinelli et Luc Maumet (dir.), Accessibilité universelle et inclusion en bibliothèque, Paris, Association des bibliothécaires de France, 2017, p. 19-25.

. En effet, la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances 3 impose une obligation d’accessibilité aux services publics, et ce, pour tous les handicaps. Aussi, la nouvelle Stratégie nationale TND (2023-2027), comprend dans ses engagements et ses mesures la nécessité de prendre en compte les spécificités des étudiants TND dans les établissements d’enseignement supérieur 4
X

Engagement no 4, mesure no 57, dans la liste des mesures de la stratégie nationale TND 2023-2027, disponible sur : https://handicap.gouv.fr/nouvelle-strategie-nationale-pour-les-troubles-du-neurodeveloppement-autisme-dys-tdah-tdi

. Dans un article publié en 2009, Claire Bonello souligne ainsi que l’accessibilité ne se limite pas à des aménagements architecturaux, mais doit être élargie aux difficultés organisationnelles, relationnelles ou sensorielles, et concerne donc la médiation, la formation du personnel et la prise en compte de besoins particuliers, individuels. L’accessibilité est une démarche d’équité et de responsabilité professionnelle, vis-à-vis de tous les handicaps, même invisibles 5
X

Claire Bonello, « Accessibilité et handicap en bibliothèque », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2009, no 5, p. 34-40. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-05-0034-006

.

L’attention particulière que les bibliothèques doivent porter à ces publics dans leurs politiques d’accessibilité est légitimée par la reconnaissance des TND dans leurs caractérisations les plus récentes dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et clinique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques (DSM-5) de l’Association américaine de psychiatrie (en 2015 et en 2022 pour la traduction française), et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’occasion de la publication de sa dernière Classification internationale des maladies (CIM-11) (en vigueur depuis 2022). Bien que les bibliothèques publiques et la lecture jeunesse n’aient pas attendu ces dernières classifications et critères cliniques et diagnostiques pour se mobiliser autour de ces handicaps, il n’existe finalement que peu de ressources documentaires sur l’accueil des étudiants TND en BU, sujet pourtant crucial dans la réussite universitaire de ces étudiants. En effet, l’étudiant TND doit composer avec un environnement souvent bruyant, une signalétique parfois conçue pour des usagers avertis, et une surcharge cognitive liée à l’organisation des collections et aux interactions sociales entre étudiants et avec les personnels de la bibliothèque.

Enfin, certaines personnes avec des difficultés liées à un TND, diagnostiqué ou non, n’osent pas se présenter devant les services compétents de l’université, soit parce que leur handicap n’est pas reconnu par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), soit par peur d’être jugées, incomprises, stigmatisées. Bénéficier des services proposés par la BU aux étudiants handicapés peut donc relever d’un double effort, d’abord envers le service compétent de l’université, ensuite envers la BU. C’est pourquoi la BU, en tant que lieu de travail et de sociabilité, devrait peut-être inclure tous les aménagements d’accessibilité envers les personnes TND dans une démarche globale de « design » de ses espaces, physiques ou numériques, afin de les rendre inclusifs par nature. Nous verrons notamment que les aménagements que nous proposons ici seront utiles pour l’ensemble de la communauté universitaire, en ce qu’ils peuvent bénéficier à tous les étudiants, notamment en gain de confort, ou n’interférer en rien avec leurs habitudes déjà acquises 6

X

Voir Julie Camus, « Consulter tous les publics, avec ou sans handicap », dans Françoise Fontaine-Martinelli et Luc Maumet (dir.), Accessibilité universelle et inclusion en bibliothèque, op. cit., p. 39-41.

.

Quelles mesures pour quelles difficultés

D’après les critères cliniques et diagnostiques des TND (CIM-11 et DSM-5), voici les difficultés pouvant affecter ces publics et les solutions qui peuvent être mises en œuvre pour y pallier.

Les TND peuvent se manifester sous des formes variées chez les usagers de la BU. Certains obstacles touchent plus particulièrement un seul type de TND, tandis que d’autres concerneront l’ensemble de ces profils, même si leur impact varie d’une personne à l’autre. Dans tous les cas, l’important est d’identifier ces difficultés et de trouver des pistes d’aménagement qui puissent bénéficier au plus grand nombre, sans se soucier de classer à tout prix chaque problème par catégorie de trouble.

Le bruit et l’agitation

Dans un environnement universitaire, le bruit est parfois considéré comme un simple fond sonore que la majorité des usagers parvient à ignorer. En 2007, Marielle de Miribel avait déjà montré en quoi le bruit, inévitable en bibliothèque, peut être perçu très différemment chez les individus 7

X

Marielle de Miribel, « “Chut ! Vous faites trop de bruit ! ” : quel silence en bibliothèque aujourd’hui ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2007, no 4, p. 76-83. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-04-0076-002

. En effet, certaines personnes avec un TND peuvent y être particulièrement sensibles, au point que des sons habituellement jugés négligeables (soufflerie des systèmes de ventilation, chuchotements, cliquetis de clavier, portes qui claquent, chaises qui raclent le sol) peuvent devenir assourdissants ou très perturbants. Pour ces étudiants, la surcharge auditive peut conduire à un stress important, une accélération du rythme cardiaque, de la fatigue, voire un découragement dans la poursuite de leur travail sur place. Les difficultés de concentration liées à une distractibilité élevée (caractéristique de nombreux TND) s’en trouvent accentuées, notamment dans un « silence » relatif ponctué de bruits intermittents, rendant les sessions d’étude éprouvantes. L’intensité de la gêne varie d’une personne à l’autre, mais il est fréquent que les usagers TND, quels qu’ils soient (TSA, TDAH, TDI, Dys), aient besoin d’espaces mieux insonorisés ou de dispositifs pour atténuer les bruits environnants.

Pour offrir un environnement plus apaisé face aux bruits parasites, il est possible d’envisager des dispositifs d’isolation phonique supplémentaires. En effet, dans son article de 2007, Marielle de Miribel fournit un argumentaire solide pour justifier la création d’espaces calmes et l’investissement dans l’isolation phonique 8

X

Ibid.

. L’intervention sur l’architecture et la sensibilisation du public sont deux éléments particulièrement pertinents et salvateurs dans le cas des TND. Par exemple, l’installation de cloisons acoustiques ou de panneaux muraux absorbants entre les zones de travail individuel peut significativement lisser les bruits et donner l’impression d’un fond sonore continu acceptable en réduisant la réverbération du son. Encourager l’usage de tapis, de moquette ou de patins pour chaises et tables limite les bruits de frottement sur le sol et absorbe les bruits de pas, apportant un supplément de confort auditif pour les usagers TND. Enfin, le prêt de casques antibruit ou l’installation d’un distributeur de bouchons d’oreille pourrait être d’un grand secours aux lecteurs enclins à oublier les leurs, ou n’ayant pas encore pensé à cette astuce.

L’éclairage et les stimuli visuels

L’éclairage et la profusion d’éléments visuels dans une BU peuvent constituer une source de gêne pour de nombreux étudiants présentant des TND. Les tubes fluorescents, appelés « néons » par abus de langage, dont la lumière vive est blafarde et peu chaleureuse par sa nature initialement industrielle, qui lorsque arrivés en fin de vie se mettent à clignoter, peuvent provoquer un inconfort sensoriel et une fatigue visuelle, voire des céphalées. L’abondance de panneaux et d’affiches très disparates dans leurs formes et couleurs (de la teinte très vive de l’annonce d’une fermeture pendant les fêtes au bleu dépoli d’un colloque d’il y a plusieurs mois ou années) peut créer de l’anxiété ou de la confusion. Les personnes sujettes à l’hypersensibilité visuelle, à la distractibilité ou encore à la fatigue cognitive éprouvent plus de difficultés à se concentrer dans un environnement visuellement surchargé. Elles peuvent aussi s’épuiser plus rapidement à force de lutter contre les agressions lumineuses ou les mouvements incessants (allées et venues, va-et-vient de regards, etc.). Enfin, pour celles dont la vision est liée à des troubles de type dyspraxie visuo-spatiale, trop d’éléments perturbent la lecture de la signalétique ou le repérage dans l’espace.

En complément d’un éclairage plus tamisé et davantage chaleureux, si possible individuel et correctement orienté (la source lumineuse n’est pas orientée vers les yeux du lecteur), les espaces d’affichage peuvent être restreints à un certain lieu, si possible hors de la BU ou dans un espace de passage et non de travail, bien délimité et régulièrement actualisé. Ces zones de passage peuvent aussi être séparées des lieux d’étude par des collections, des cloisons ou des rideaux, afin de minimiser les distractions visuelles. De plus, proposer un éclairage progressif le matin et tamisé en fin de journée permet d’offrir une transition en douceur aux usagers plus sensibles aux changements de luminosité, tout en respectant les rythmes biologiques des lecteurs. Enfin, et cela pourrait être aussi utile pour limiter les difficultés auditives des étudiants TND, des carrels ou des salles isolées, sur réservation, pourrait palier très efficacement ces difficultés sensorielles liées à leurs particularités cognitives. Comme nous l’explique Céline Montedori à l’occasion de son compte rendu d’une rencontre, en 2018, entre professionnels des bibliothèques autour de l’accessibilité des bibliothèques, ce type d’aménagements lumino-visuels ne profite pas uniquement aux étudiants TND : s’il s’agit ici d’une démarche d’inclusion, et non d’intégration, c’est que la bibliothèque se rend accessible aux étudiants TND, ce n’est pas à eux de s’y adapter 9

X

Céline Montedori, « L’accessibilité en bibliothèque : pour des lieux plus inclusifs : Rouen, 21 juin 2018 », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2018, no 16. En ligne : https://bbf.enssib.fr/tour-d-horizon/l-accessibilite-en-bibliotheque-pour-des-lieux-plus-inclusifs_68699

.

La signalétique et le repérage dans l’espace

La classification et la signalisation des collections et la répartition des différents usages dans l’espace d’une BU peuvent vite devenir labyrinthiques pour les étudiants avec un TND. Un manque de clarté dans la signalétique (panneaux surchargés, absence de fléchage, utilisation d’un langage professionnel) peut générer de la confusion dans le repérage spatial et augmenter le temps de recherche des documents. Certains usagers, par exemple ceux présentant un trouble de la coordination ou une dyspraxie, peinent à se repérer spatialement et ont besoin d’indices visuels simples et cohérents. D’autres, parfois distraits ou enclins à « zapper » les consignes (TDAH), peuvent oublier, parfois immédiatement après l’énonciation d’une information à l’oral, l’emplacement d’un ouvrage ou l’usage d’un lieu. Enfin, un bouleversement imprévu – parfois un changement mineur prévu et communiqué – de l’organisation (réaménagement des rayons, changement de numérotation, fermeture anticipée, etc.) peut s’avérer particulièrement stressant pour les personnes qui ont besoin de routines (TSA) ou qui assimilent les informations plus lentement (TDI).

Dans un article commun publié en 2009, Ramatoulaye Fofana-Sevestre et Françoise Sarnowski appliquent aux bibliothèques le concept d’« Universal Design », par le biais de deux principes : celui d’« utilisation simple et intuitive » et celui d’« information perceptible ». La conception universelle des bibliothèques peut fournir en effet un cadre particulièrement accueillant pour les étudiants TND, notamment par la simplification des parcours ou l’utilisation de pictogrammes uniformes et d’un code couleur dépouillé 10

X

Ramatoulaye Fofana-Sevestre et Françoise Sarnowski, « Universal Design : les principes de la conception universelle appliqués aux bibliothèques », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2009, no 5, p. 12-18. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-05-0012-002

. Pour renforcer l’accessibilité de la signalétique, il peut être judicieux de proposer un plan didactique imprimé de la BU et, si possible, de développer une application mobile indiquant pas à pas le cheminement vers un rayon ou espace spécifique. Il pourrait être possible de prendre exemple sur l’application mobile iOS et Android développée par l’Université de Montpellier Paul-Valéry, « Mon Assistant Poche (MAP) » 11 ; en prenant en compte non plus l’intégralité du campus, mais plus spécifiquement la BU, et en ciblant non plus spécifiquement les étudiants primo-entrants, mais aussi les besoins des étudiants TND. Cette application ou ce plan didactique imprimé pourraient aider les usagers TND à éviter la confusion face à une carte trop détaillée, et à anticiper leur visite, diminuant le stress pouvant être ressenti face à l’inconnu d’une BU dont on ne connaît pas les recoins, et à propos de laquelle l’étudiant TND peut se questionner sur les pratiques et les usages. L’organisation ponctuelle de visites guidées en petit groupe, au début de chaque semestre ou sur demande, peut également rassurer et familiariser les étudiants TND avec les lieux, tout en leur montrant concrètement les différents services offerts par la BU.

Longues procédures et tâches séquencées

Qu’il s’agisse de rechercher un document dans le catalogue, de le réserver en ligne ou le localiser dans les rayons pour le consulter ou l’emprunter, de demander un prêt entre bibliothèques (PEB), ou d’utiliser un photocopieur partagé, chaque étape demande une attention soutenue, de la méthodologie et parfois une lecture minutieuse des consignes. La multiplicité des procédures (créer un compte, valider son mail, créer un mot de passe – différent, s’il vous plaît –, s’authentifier, badger une carte pour se connecter, scanner un code-barres, etc.) peut être déroutante si elle n’est pas correctement expliquée. L’impatience et la distractibilité élevée (chez les étudiants TDAH), la difficulté à retenir et à comprendre de longs textes explicatifs (certains Dys ou TDI), ou encore l’angoisse générée par tout changement dans la procédure (certains TSA), accroissent aussi le risque d’erreurs (documents oubliés, impressions inachevées), et sont autant de facteurs susceptibles de freiner l’autonomie en BU, surtout lorsque le matériel se bloque, qu’aucun personnel n’est disponible, ou que l’on ne dispose pas de modes d’emploi simplifiés.

Marie-Noëlle Andissac et Françoise Fontaine-Martinelli ont déjà montré, en 2017, que l’accessibilité n’était pas qu’une question de mobilier et d’architecture, mais qu’elle était aussi une question de services et de médiation quotidienne 12

X

Marie-Noëlle Andissac et Françoise Fontaine-Martinelli, « La bibliothèque accessible : état des lieux des actions et mises en œuvre », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2017, no 11, p. 26-35. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2017-11-0026-003

. À travers les exemples de bibliothèques ayant mis en place des démarches inclusives, répertoriées dans différents niveaux (accueil, procédures, formations), nous pouvons nous inspirer de ces « bonnes pratiques » pour fluidifier certaines démarches administratives et documentaires (fiches simplifiées, tutorat individuel, etc.). Outre l’accompagnement humain, il est possible, pour alléger leur complexité, de détailler ces procédures sur la page Web de la BU, afin que l’étudiant qui le souhaite puisse s’entraîner chez lui, à son rythme, avant de passer à la pratique en BU. En 2015, Franck Letrouvé et Marc Maisonneuve soulignaient que la nécessaire accessibilité des portails Web était encore trop souvent négligée 13
X

Franck Letrouvé et Marc Maisonneuve, « Engager une politique offensive de mise en accessibilité des portails de bibliothèque », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2015, no 4, p. 198-205. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2015-04-0198-003

. Depuis, aucun état des lieux sur l’accessibilité de ces sites Internet n’a été réalisé.

De la même manière qu’il existe des parcours d’initiation à la recherche documentaire dans certaines BU, il est possible, sur les mêmes formats (rencontres, cours, webinaires, fiches didactiques en ligne ou imprimées et disponibles en BU), de proposer aux lecteurs une initiation à toutes les procédures, qu’elles soient en ligne (rechercher, prolonger le prêt d’un document, etc.) ou en BU (localiser ou emprunter un document, utiliser les photocopieurs collectifs, etc.). Par ailleurs, le format FALC (Facile à lire et à comprendre) pourrait être un excellent support pour la communication de modes d’emplois des services proposés par la BU, de guides liés à la circulation dans celle-ci, et ce, non seulement pour les étudiants en situation de handicap, mais aussi pour les étudiants non francophones ou en difficulté face à des textes trop dense. Pour limiter le nombre de manipulations manuelles et d’opérations cognitives, l’interface des écrans tactiles peut être simplifiée en affichant des raccourcis pour certaines opérations courantes (recharger sa carte d’impression, réserver un document, etc.).

Difficultés de lecture et d’écriture

Le travail sur les documents (articles et ouvrages universitaires, notices en ligne, archives, etc.) repose en grande partie sur la lecture et la prise de notes. Pour les personnes souffrant de dyslexie ou de dysorthographie 14

X

Voir Saskia Boets, « Dyslexiques ? Bienvenue à la bibliothèque ! », dans Françoise Fontaine-Martinelli et Luc Maumet (dir.), Accessibilité universelle et inclusion en bibliothèque, op. cit., p. 69-81.

, la lenteur de déchiffrage rend le travail plus long et plus épuisant. Celles souffrant d’un trouble de l’attention (TDAH) peinent à maintenir leur concentration au cours d’une lecture exigeante, risquant de décrocher ou d’abandonner. Les profils TSA peuvent montrer une excellente compréhension lorsqu’ils travaillent sur leurs sujets d’intérêt, mais rencontrer d’importantes difficultés de motivation dès qu’il s’agit de domaines moins familiers. Dans tous les cas, la présence de nombreux documents longs et denses peut constituer un véritable obstacle si aucun aménagement (versions audio, logiciels d’aide, polices adaptées) n’est proposé.

Dans le cadre de l’Exception Handicap (loi du 1er août 2006), les bibliothèques universitaires peuvent produire des livres audios, diffuser des œuvres au format Daisy 15

X

Voir Luc Maumet, « Les livres au format Daisy », dans Marie-Noëlle ANDISSAC (dir.), Handicap et bibliothèques, Paris, Association des bibliothécaires de France, 2e éd., 2009, p. 56-58.

ou des ePub remaniés pour les publics à besoin spécifiques. Le format Daisy est conçu particulièrement pour proposer à ses utilisateurs une navigation structurée et une synchronisation audio/texte, de faciliter la navigation par chapitres, tandis que le format ePub offre des possibilités de personnalisation visuelle, comme la modification de la police d’écriture ou de la taille d’affichage des caractères. En 2015, Laurence Favreau rappelait que les BU peuvent obtenir un agrément pour produire et diffuser des œuvres adaptées 16
X

Laurence Favreau, « Exception Handicap : journée d’étude ABF (Commission Accessibib) / BPI / SLL – médiathèque Marguerite-Duras (Paris), 24 mars 2015 », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2015, no 5. En ligne : https://bbf.enssib.fr/tour-d-horizon/exception-handicap_65269

, ce qui bénéficie aux étudiants TND, y compris non diagnostiqués ou hésitant à se signaler. C’est notamment le cas à l’Université Toulouse – Jean Jaurès 17.

Afin de faciliter la lecture et l’écriture, des bornes de scannage rapide, reliées à un service de OCR (reconnaissance optique de caractères), permettraient de transférer du texte écrit sur papier (livre ou article imprimé, par exemple) à un ordinateur ou une tablette. Il est aussi envisageable de rendre disponible au prêt des tablettes ou des liseuses électroniques. Il existe aussi des stylos capables de scanner et de restituer un texte auditivement, par le biais d’une synthèse vocale. Un étudiant, par exemple dyslexique, pourrait lire un ouvrage muni de ce stylo et d’un casque, sans gêner ses pairs. Ce service est notamment proposé à l’Université Rennes 2 18

. Enfin, le prêt de livres audio pourrait être une aubaine, notamment pour les étudiants qui peinent à se concentrer à cause de distractions auditives. Aussi, dans le cadre du prêt d’un document audio, l’étudiant concerné pourrait écouter son livre en réalisant d’autres activités, ce qui peut paradoxalement l’aider à se concentrer (sport, ménage, tricot, etc.). Du côté du matériel, l’introduction de postes de travail « adaptables » (par exemple, de bureaux dits « assis-debout » dont la hauteur est modulable) peut soulager les personnes souffrant de troubles de la coordination, de douleurs liées à la posture ou d’hyperactivité.

Relations sociales et règles implicites

Le cadre collectif d’une BU implique des règles implicites (niveau sonore, partage des espaces, attente au guichet, etc.) et des interactions ponctuelles avec le personnel ou d’autres usagers. Certaines personnes avec un TND ont du mal à interpréter les codes sociaux (indices non verbaux, gestion de la politesse), ce qui peut les freiner dans leurs demandes d’aide ou leurs échanges, voire agacer leurs pairs et accroître leur marginalisation. Pour d’autres, la difficulté réside dans le contrôle de l’impulsivité (parler trop fort, couper la parole) ou dans la compréhension des usages établis (respect des files d’attente, intrusions incontrôlées dans les conversations ou les lectures d’autrui). Le stress peut d’autant être prononcé si le lieu est très fréquenté et que les consignes ne sont pas explicitement rappelées. Les personnes souffrant de troubles du langage peuvent aussi être incomprises par le personnel lorsqu’elles tentent d’exprimer leur besoin. Un encadrement bienveillant et une communication simple permettent d’éviter de nombreux quiproquos.

Sur ce point, et comme le remarquait déjà Claire Bonello en 2009 19

X

Voir note 5.

puis Marie-Noëlle Andissac et Françoise Fontaine-Martinelli en 2017 20
X

Voir note 12.

, c’est la sensibilisation et la formation des personnels qui pourront transformer un guichet hostile en un véritable point d’accueil inclusif. Le recours aux vacataires étudiants sur les postes d’accueil, qui sont souvent de la même tranche d’âge que l’étudiant souffrant d’un TND, peut être déstabilisant, du fait de la familiarité éventuellement présente entre les deux étudiants, et surtout en raison de leur brève expérience du métier. Un bibliothécaire formé aux TND, disponible pour répondre à toutes les questions (même les plus basiques), offrirait un premier soutien et le cas échéant, une meilleure orientation vers les bons interlocuteurs. Par ailleurs, afficher régulièrement des rappels clairs sur la façon de demander de l’aide ou de signaler un souci (petite affichette « Besoin d’aide ? Demandez au personnel, nous sommes là pour vous accompagner ! ») peut encourager les usagers avec un TND à ne pas hésiter à se manifester, même s’ils redoutent les interactions sociales.

Temps et gestion de l’organisation

La planification et l’organisation des sessions de travail en BU constituent un défi pour de nombreux étudiants TND. Certains d’entre eux (TDAH) peinent à élaborer un plan d’étude ou à respecter un emploi du temps ; d’autres (TDI) ont besoin d’un rythme plus lent pour assimiler les consignes, ce qui peut être compromis par des horaires qui diffèrent selon les jours ou les périodes de l’année, ou par des fermetures imprévues ou anticipées. Les individus qui ont besoin de routines (par exemple certains TSA) peuvent être perturbés par un changement soudain d’horaires ou de lieu de travail. Quant à la gestion des délais (date de retours des documents empruntés et pénalités de retard), elle suppose de la rigueur et de la vigilance, tâche qui peut devenir complexe lorsque des difficultés de repérage dans le temps ou des troubles de l’attention s’ajoutent à la charge académique.

Communiquer clairement sur les horaires, les rendre les plus simples et constants possible, proposer des rappels automatiques ou des règles plus souples concernant les retours sont autant de pistes pour faciliter l’organisation des étudiants TND et alléger leur stress. Quant aux réservations d’une place précise, qu’elle soit en salle ou dans un carrel, il est important de veiller au choix des mots employés pour la gestion de ces réservations. En effet, un étudiant TND pourra considérer comme « menaçant » des mails évoquant la possibilité de voir « son compte bloqué » en cas de « réservation non honorée ». L’instauration d’un système de réservation davantage flexible sur l’horaire d’arrivée et de départ éviterait, notamment en période de faible affluence, aux personnes plus lentes ou ayant des temps de réflexion plus longs de devoir interrompre brutalement leur activité ; à condition bien entendu de ne pas estampiller ces places réservables d’un logo « handicapé ». Enfin, des « timers » (à condition qu’ils ne produisent pas de « tic-tac ») pourraient être mis à la disposition des étudiants qui le souhaitent, afin de mieux se repérer temporellement dans leur travail.

Conclusion

Pour conclure, l’adaptation des bibliothèques universitaires aux besoins des personnes souffrant d’un trouble du neurodéveloppement constitue un impératif moral et une exigence légale, qui, lorsqu’elle est mise en œuvre, bénéficie à l’ensemble de la communauté universitaire. En réduisant la surcharge sensorielle, en clarifiant la signalétique, en assouplissant les procédures et en formant les personnels, la BU se dote en effet de ressources et de dispositifs profitables à tous. Au-delà de l’accessibilité, il s’agit de créer un environnement globalement plus accueillant, qui valorise la diversité et l’inclusion de tous les profils d’étudiants et favorise la réussite de chacun.