Exception Handicap

Journée d’étude ABF (Commission Accessibib) / BPI / SLL – médiathèque Marguerite-Duras (Paris), 24 mars 2015

Laurence Favreau

Le 24 mars 2015, la journée d’étude « Exception handicap : extension de l’accessibilité pour des bibliothèques plus inclusives » a réuni 150 professionnels à la médiathèque Marguerite-Duras (Paris) pour faire un point sur la manière dont les bibliothèques peuvent accompagner l’accès au livre et à la lecture en faveur des personnes empêchées de lire du fait d’un handicap. Au travers de retours d’expériences et d’ateliers, les participants ont pu avoir un large panorama des actions portées par des équipes convaincues et volontaires, engagées dans une action qui voit aujourd’hui le cadre législatif évoluer vers une facilitation de l’accès aux contenus.

Alors que la question de l’accessibilité entre à nouveau dans le calendrier législatif 2015, les publics ne peuvent attendre et quelques bibliothèques innovent et inventent, seules, en partenariat ou en réseau, leur offre de services et de collections. Des idées et des exemples à décliner et amplifier.

LES PUBLICS « DYS » : FUTURS BÉNÉFICIAIRES
DE L’EXCEPTION HANDICAP AU DROIT D’AUTEUR ?

EXCEPTION AU DROIT D’AUTEUR : DES ACTIONS ET DES ÉVOLUTIONS

Vanessa Van Atten, chargée de mission « Publics empêchés » pour le Service du livre et de la lecture, décline les évolutions attendues de l’Exception handicap au droit d’auteur appliquée aux bibliothèques, exception qui a pour objet de donner accès aux œuvres aux publics empêchés de lire du fait d'un handicap, quel qu'il soit.

La loi DADVSI, complétée de ses décrets d’application 1, fixe les niveaux d’agrément et définit les bénéficiaires.

La concertation menée par le ministère de la Culture et de la Communication, suite au rapport 2013 de l’Inspection générale des affaires culturelles, a retenu trois objectifs pour faire évoluer l’exception handicap : l’amélioration de la définition des publics bénéficiaires en l’étendant notamment aux publics « DYS », (voir ci-dessous : « Qui sont les DYS ? » l’amélioration de l’activité d’adaptation grâce aux nouveaux formats (dont XML), et les échanges de fichiers adaptés entre pays signataires du traité de Marrakech 2. En juin 2015, ces nouvelles dispositions seront présentées en Conseil des ministres au sein du projet de loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine avant son passage à l’Assemblée nationale à l’automne de cette année.

Vanessa Van Atten insiste sur l'importance que les bibliothèques placent les usagers en situation de handicap au cœur de leurs projets d'établissement, dans l'esprit de la loi du 11 février 2005 relative à l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : développer les compétences de leurs équipes, axer leurs actions sur un accueil de la qualité, une médiation adaptée, des collections disponibles, des actions inclusives, nouer des partenariats, communiquer et faire connaître leurs actions, et les évaluer régulièrement.

QUI SONT LES DYS ?

Si la définition donnée du terme DYS est simple –« personne dont une fonction cognitive supérieure ou un apprentissage spécifique dysfonctionne »–, Diane Cabouat, vice-présidente de la Fédération française des DYS, s’est attachée à montrer la grande variété des situations (dyslexie, dyspraxie, dysorthographie, dyscalculie…)  3et la prise en charge des troubles associés, en insistant sur le fait que les bibliothèques représentent pour ces publics à la fois un défi mais surtout un lieu de réconciliation avec la lecture, pour peu qu’on leur propose des documents adaptés et surtout un accueil disponible.

LES DYS : BIENVENUE EN FLANDRES !

Les actions menées par la Luisterpunt – bibliothèque publique destinée aux personnes ayant des difficultés d’accès à la lecture – ainsi qu’un grand nombre de bibliothèques flamandes sont exemplaires : la campagne « Je déteste la lecture » permet aux DYS et à leurs accompagnants de découvrir des services inclusifs et adaptés, dont le prêt de livres DAISY (85 % des bibliothèques bruxelloises et flamandes en proposent). Partenariats, marketing, signalétique, mobilier spécifique, moyens humains et financiers, communication sont les clés de cette réussite.

Saskia Boets, bibliothécaire à la Luisterpunt en Belgique, a participé à la rédaction des guidelines de l’IFLA sur la dyslexie. Prochainement traduites par la BPI, elles se veulent un guide de bonnes pratiques basées sur des expériences réussies et intègrent les évolutions législatives internationales.

« FACILE À LIRE ET À COMPRENDRE »

UNE DÉMARCHE INCLUSIVE AU SERVICE DE DIFFÉRENTS PUBLICS

Si le concept du « Facile à lire » est très développé en Suède et aux Pays-Bas, son implantation en Bretagne fait suite à la signature en 2013 du Pacte d’avenir pour la Bretagne. Démarche inclusive basée sur l’offre éditoriale existante, elle a abouti à la création d’un kit de 100 livres faciles à lire et a permis le développement de différentes actions sur la région (ateliers d’écriture, auteurs en résidence, tables rondes) ainsi que la participation de nombreuses personnes en situation d’illettrisme ou de handicap. Françoise SARNOWSKI, créatrice du kit, réfléchit aujourd’hui à une sélection de titres faciles à écouter.

EXPÉRIENCES ET ATELIERS : ÉCHANGER POUR DÉVELOPPER

Au travers de 5 ateliers, les participants ont pu expérimenter les outils de lecture sur tablette (VoiceOver, VoiceDream, iBooks…) avec les bibliothécaires de la Ville de Paris, découvrir la communication mise en place par le Musée du Quai Branly à l’occasion de la Semaine de l’accessibilité avec Franck Moulai, faire leurs premiers pas avec différents lecteurs Daisy (Plextalk, Milestone 312, Victor) et Claria (ex-Télorion) guidés par Hélène Kudzia, voir comment proposer des titres aux publics sourds et quelles qualités professionnelles développer avec Anne-Laure Gautier, et envisager la mise en place d’un espace facile à lire (« c’est facile à faire ! ») après avoir découvert l’expérience de l’équipe de Landerneau présentée par Hélène Fouéré.

Les expérimentations sont multiples et les idées à prendre partout pour développer l’offre sur le terrain. S’il faut des moyens, et avant tout une volonté politique et l’adhésion des équipes pour des actions d’ampleur, l’inventivité et l’énergie, l’engagement et la conviction restent les moteurs forts des actions innovantes.

COMMENT SE SAISIR DE L’EXCEPTION HANDICAP ?

L’ACCESSIBILITÉ DOCUMENTAIRE EN BU

L’enquête menée en 2014 par la BCU de Clermont-Ferrand a permis d’illustrer la complexité de l’accessibilité documentaire pour les étudiants. Françoise Fontaine-Martinelli fait le constat que peu de structures sont agréées et que les besoins d’adaptation sont difficiles à satisfaire, ne serait-ce que parce qu’ils sont mal identifiés et traités par différentes entités au sein d’une même université. Intégrer la question du schéma directeur pluriannuel sur le handicap dans le projet de service de la BU, poser la question du caractère accessible des ressources numériques mises à la disposition des étudiants, et partager les documents déjà adaptés, seraient des pistes à étudier en priorité.

L’ADAPTATION D’ALBUMS JEUNESSE EN LSF

À la bibliothèque Chaptal, membre du Pôle sourd du réseau de la Ville de Paris 4, l’agrément de niveau 2 obtenu en 2013 concerne l’adaptation d’albums jeunesse en LSF. Les enfants sourds, adultes en devenir, ont été priorisés et les actions adaptées aux moyens disponibles tant humains que matériels et financiers. Proposer du contenu en langue des signes dans la bibliothèque était une évidence. Donner du plaisir, sortir du scolaire et des apprentissages, valoriser la langue des signes et adapter des coups de cœur, l’essence du projet. Les bibliothécaires sourds signent les histoires et les albums sont prêtés aux adultes et aux enfants, avec les DVD réalisés. Anne-Laurence Gautier annonce d’ailleurs l’arrivé imminente d’un sixième titre.

LE FORMAT DAISY, UNE OPPORTUNITÉ
POUR L’ÉLARGISSEMENT DES PUBLICS

DAISY DANS VOS BIBLIOTHEQUES  5

Pour la deuxième année consécutive, la médiathèque Valentin-Haüy 6 lance un appel à projet soutenu par le ministère de la Culture et de la Communication afin de nouer des partenariats avec 16 bibliothèques, qu’elle aidera à développer des collections et des services adaptés.

Si la médiathèque de l’AVH, titulaire de l’agrément de niveau 2, adapte et prête des milliers de livres au format Daisy (129 000 prêts, sur CD gravés ou via Eole), elle ne peut proposer à tous ses usagers répartis sur le territoire les services, la médiation et l’accueil d’une bibliothèque de proximité.

Laurette Uzan estime que lorsque les publics en difficulté face à la lecture du fait d’un handicap se tourneront naturellement vers leur bibliothèque, l’avancée sera réelle.

CONSTITUER ET FAIRE VIVRE UN FONDS DAISY EN BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE

Marie-Emmanuelle Beraud-Sudreau, responsable de l’espace Diderot  7 créé à l’ouverture de la bibliothèque Médiadek, a fait évoluer l’offre à destination des publics empêchés de lire grâce au projet « Daisy dans vos bibliothèques » en 2014. Sélection des documents, réflexion sur l’identification des collections sur le catalogue, nouveau mobilier, prêt de matériel et gravure à la demande via Eole : autant de pratiques à faire connaître aux équipes et aux usagers qui plébiscitent la disponibilité quasi immédiate des titres après leur parution papier. La prochaine étape : mettre à disposition des jeux vidéo et de société accessibles !

DAISY HORS LES MURS : L’EXPÉRIENCE DU RÉSEAU DU VAL MAUBUÉE  8

Ce réseau situé en Seine et Marne comprend un service hors les murs qui a pu mener, en accord avec les axes du projet de service, des actions en partenariat pour proposer des services adaptés et individualisés aux usagers en situation de handicap. Au cours des trois dernières années, les équipes ont été formées et ont engagé différentes actions avec les partenaires retenus : prêts de livres audio en format Daisy à domicile ou dans un ESAT, information auprès des usagers, tests de lecture voix humaine / voix de synthèse, accompagnement à l’utilisation des services… Le travail avec les différentes équipes est pour Sylvie Cussot, responsable de ce service, la clef du succès de leur action.

OUTILS PROFESSIONNELS : PROLONGER LA RÉFLEXION
ET PARTAGER LES EXPÉRIENCES

VEILLE NUMÉRIQUE DANS LE DOMAINE DU HANDICAP ET DES BIBLIOTHÈQUES

Pour Luc Maumet, directeur de la médiathèque de l’AVH, la veille joue un rôle particulier dans le travail mené sur la question de l’accessibilité. Permettant de suivre les travaux des instances internationales (IFLA, Consortium Daisy, Consortium ABC), des associations (APF, AVH avec le Certam…) des communautés (Edencast…), cette veille permet de croiser les points de vue et de s’informer ; elle ne demande qu’à être enrichie. En bonus, une sélection de 60 comptes Twitter.

WEB PRO DE LA BPI

Rubrique du nouveau site pro de la BPI, ALPHAbib est un outil collaboratif dont la fonction est d’aider les bibliothèques à améliorer l’accueil des personnes en situation de handicap : fiches pratiques, aides techniques, annuaire des membres du réseau mais aussi échange de pratiques et d’expériences, annonces de formations. Son accès a été repensé.

Un appel à contribution via l’adresse lecture-handicap@bpi.fr est lancé par Céline Moreau Bertsch.

Évolution de la législation, extension de la labellisation, formation des professionnels, échange et mutualisation de bonnes pratiques, multiplication des initiatives, vigilance sur l’accessibilité des sites  9 et des contenus numériques, inscription de l’accessibilité dans les projets de service des collectivités : autant de pistes qui, selon Yves Alix, grand témoin de la journée, sont à creuser afin de proposer un cadre non marginalisant au public qui représente, selon la dernière étude sur l’édition de livres accessibles, 28 % de la population  10.

Comme à Lyon le 5 mars 2015, lors de la journée ARALD-AVH, c’est sur le constat de l’importance d’un travail plus collaboratif et de la nécessité d’une grande ambition pour concourir efficacement à l’accessibilité universelle que la journée – live twittée (#EH2015), sous-titrée en vélotypie et signée – s’est conclue.