La revanche des bibliothécaires

Les représentations de bibliothécaires et de bibliothèques sont fréquentes en littérature, de Robert Musil à Jorge Luis Borges, ainsi qu’au cinéma, comme l’avait analysé avec finesse et humour Julien Barlier 1

La revanche des bibliothécaires de Tom Gauld, en dépit de son titre prometteur, ne parle finalement qu’assez peu de ceux-ci. Assez classiquement, ils sont associés à leur obsession du classement, leur amour du silence et leur détestation des emprunteurs retardataires. Pour autant, ce livre réjouira sûrement ses lecteurs ou, plutôt, les lecteurs en général.

Tom Gauld est un auteur de bandes dessinées britannique. Ses œuvres sont régulièrement publiées dans la presse anglo-saxonne, du New Scientist au New Yorker, en passant par le supplément littéraire du Guardian. Les strips de La revanche des bibliothécaires sont issus de ce quotidien britannique. La majorité des livres de Tom Gauld a été traduite en France par les éditions 2024, un éditeur strasbourgeois de bandes dessinées très soucieux de la qualité de ses ouvrages. Les livres de Tom Gauld se caractérisent par un humour intelligent à la fois riche en références culturelles et décalé.

Si les bibliothécaires ne sont pas au centre de son dernier livre, celui-ci convoque néanmoins la majeure partie des acteurs de la chaîne du livre : auteurs, éditeurs, libraires, critiques, etc. Ils sont en particulier mis en scène à l’ère numérique et représentés comme soumis à des déterminants économiques qui agissent sur le monde du livre, du poids du marketing aux relations entre auteurs et éditeurs.

L’actualité récente est aussi évoquée, notamment l’épidémie de la Covid-19. Ainsi, avec un clin d’œil à Kafka, un homme se transforme du jour au lendemain en cafard sans que sa vie ne soit changée, puisqu’il est déjà confiné… Tom Gauld adapte de manière convaincante En attendant Godot pour Zoom ou encore Le petit chaperon rouge en pleine pandémie, avec ses autorisations de déplacement pour aller voir sa grand-mère. De manière générale, il aime à transposer personnages et intrigues de roman de manière loufoque. Il détourne fréquemment des titres de romans, par exemple les « classiques réédités avec de plus modestes ambitions » : « Gatsby le nul » ou encore « Les faibles espérances ». Sous influence oulipienne, Tom Gauld propose plusieurs pages ludiques à l’attention de ses lecteurs, invités à composer leurs propres histoires à partir d’éléments à combiner, ainsi que des bandes dessinées dont il est le héros.

Le graphisme de Tom Gauld est volontairement simple, à la limite du dessin enfantin par moment, à l’image de ses personnages-bâtons finement hachurés. Le décalage entre le trait adopté et le sujet, celui du livre – sérieux, voire sacré –, renforce le propos comique de l’ensemble, tout comme ses choix de couleurs, à dominante sépia. Il donne aussi une nouvelle vie au format strip, associé aux débuts de la bande dessinée et à sa publication régulière dans la presse.

En bref, La revanche des bibliothécaires réjouira les passionnés du livre, tout en croquant avec justesse leurs habitudes et travers (manie du rangement, achats compulsifs, pile de livres à lire, etc.). Le tout dans une ambiance nonsense et cosy très britannique ; la tasse de thé n’est jamais loin du lecteur, tout comme Jane Austen, qui fait plusieurs apparitions remarquées.