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La représentation des bibliothèques dans le cinéma policier

Julien Barlier

S’il est vrai que les bibliothèques de lecture publique dorlotent désormais le polar devenu particulièrement attractif au sein de leurs collections, ce dernier leur rend-il cette affection ? Parcours original de la représentation des bibliothèques et de leurs personnels dans le cinéma policier.

Crime novels now have pride of place on the shelves of many public libraries. But do crime films love libraries in return? The article offers an original study of how libraries and librarians are depicted in thrillers on screen.

Qu’aujourd’hui les bibliothèques publiques affectionnent le polar, voici une affaire à peu près classée, et quoiqu’une poignée d’entre elles tiquent encore, dans leur plan de classement, à séparer la littérature policière de leurs collections générales, la plupart ont compris, grâce à un engouement populaire sans cesse renouvelé pour les narrations criminelles, qu’elles avaient tout à gagner à valoriser ces fonds qui constituent un des fers de lance de leur attractivité. De fait, nul ne s’étonne plus de voir des bibliothèques monter des « crime parties », participer à des festivals du noir, organiser des ciné-clubs sur le polar, inviter régulièrement les écrivains du genre, et même porter leur nom.

Cependant, s’il est vrai que les bibliothécaires dorlotent le polar, ce dernier leur rend-il cette affection ? Pour creuser la question, examinons par exemple de quelle manière, dans un genre très prisé comme le film policier, les bibliothèques publiques et leurs personnels y sont cités.

Dans le polar, la présence d’une bibliothèque ou d’un personnage de bibliothécaire est plus souvent justifiée par des enjeux scénaristiques et rythmiques que par une véritable motivation pour l’univers social des bibliothèques. Autrement dit, on trouve rarement un personnage ou une intrigue de film policier sis dans le milieu des bibliothèques (La neuvième porte et Le nom de la rose restent à ce titre exceptionnels) ; en revanche, on verra fréquemment, et de manière ponctuelle, des protagonistes de fiction policière franchir les portes d’une bibliothèque publique.

Si l’on voulait caractériser par triangulation l’intérêt que le topique bibliothèque peut présenter pour le polar, nous pourrions dire qu’il est toujours positionné à l’intérieur d’un triangle de valeurs dont les arêtes seraient le secret, le savoir et la transgression.

  • Le secret : car la bibliothèque est avant tout un lieu qui entrepose de nombreux livres (porteurs putatifs de révélations) avec des principes de rangement qui favorisent paradoxalement l’invisibilité de chacun (debout et fermés, serrés les uns contre les autres, les plus précieux remisés…) et créent une ambiance de mystère prompte à rencontrer l’univers du polar (comme celui du fantastique, par ailleurs).
  • La transgression : car la bibliothèque, usuellement conçue comme un lieu préservé, de quiétude, voire de retraite, peut par antithèse intéresser un scénariste dans l’installation d’un biotope criminel (tout crime s’inscrivant par nature dans une transgression sociale).
  • Le savoir : car l’intrigue policière repose le plus souvent sur un schéma post tenebras lux consistant à passer de l’obscurité d’un crime à la lumière de son dévoilement. Or, sur ce chemin qui mène de l’ignorance au savoir, la bibliothèque publique apparaît aisément, en tant que lieu documenté ouvert à tous, comme un relais, une halte opportune.

À la vérité, c’est presque toujours la fonction savoir de la bibliothèque qui est mise en valeur dans le film policier. Cette approche est éminemment corrélée au besoin qu’a l’enquêteur de collecter des informations pour avancer dans sa mission ; aussi n’est-on pas surpris que les services de la bibliothèque les plus employés par les personnages de polar soient la consultation de la presse et des ouvrages documentaires, ainsi que l’accès à internet. En balance, notons une invariable indifférence pour la fonction divertissement de la bibliothèque : le polar ne référence quasiment jamais l’action culturelle  1, les bacs de DVD et de BD, ni même les ouvrages littéraires qui, lorsqu’ils sont utilisés, le sont à titre documentaire et non pour procurer du dépaysement ou du plaisir. Par exemple, dans l’estimé Seven, on ne lit la poésie de John Milton que pour y glaner des indices destinés à discerner les motivations d’un serial killer. Il apparaît ainsi que, dans les développements du polar, le livre perd ses qualités esthétiques et d’évasion pour s’inscrire au contraire dans un processus d’invasion : l’invasion d’un réel qui, dans sa dimension la plus violente (le meurtre), soustrait l’objet livre à sa vocation créatrice et l’assujettit, tout comme la bibliothèque dont la médiation n’est plus réduite qu’à celle d’un outil favorisant la régulation sociale (fournir des éléments pour arrêter les criminels).

La bibliothèque, du côté des forces de l’ordre

Il ne faudrait pas s’en plaindre : pour utilitaire qu’elle soit, la bibliothèque dans le film policier est la plupart du temps du côté des gentils, et ça, à notre époque où la corporation doute beaucoup sur elle-même, c’est déjà gratifiant. Car oui, la bibliothèque de polar œuvre contre le mal, auprès d’enquêteurs pour lesquels, à l’instar d’autres lieux-ressources comme les services d’archives et de documentation (La taupe, Le chacal, Anges et démons…), elle assure une fonction documentaire qui soutient les forces de la lumière.

Nous pourrions même dire que cette présence de la bibliothèque a tendance à se banaliser dans le polar contemporain, notamment à cause des évolutions sociologiques du rôle d’enquêteur qui, sous l’effet de la diversification du genre, est de plus en plus porté à se déprofessionnaliser, si bien qu’on voit facilement, dans le cinéma policier d’aujourd’hui, une mère de famille ou un chômeur de longue durée s’improviser enquêteurs. Or, pour ces enquêteurs de fiction assurément moins (bien) entourés qu’avant, la bibliothèque représente un soutien qui succède, en quelque sorte, au rôle informatif qui, dans le polar classique, était tenu par l’adjoint du commissaire ou l’assistant du détective : ce second érudit, astucieux ou diligent, que pouvaient incarner un docteur Watson ou un inspecteur Lucas. Autrement dit, dans une société devenue de plus en plus complexe et individualiste, la fonction d’accès à l’information se trouve être, pour un enquêteur amateur, voire un policier isolé (ou subissant les affres des réductions de personnels), le motif le plus banal de la présence des bibliothèques publiques dans les intrigues policières. On citera tous ces films où, à l’exemple de Fausses rumeurs, on fouille dans les almanachs poussiéreux de la bibliothèque universitaire pour retrouver l’identité d’un ancien étudiant devenu tueur en série. C’est aussi Julia Roberts qui, dans L’affaire Pélican, cherche son coupable, recluse dans des magasins documentaires, Denzel Washington qui consulte internet et parcourt des archives de presse sur microfiches (Un crime dans la tête), le commissaire Adamsberg qui découvre l’origine d’un signe cabalistique dans un ouvrage de la BnF (Pars vite et reviens tard) ou encore Clint Eastwood qui, dans son adaptation de Créance de sang, réalise une très belle recherche booléenne sur l’Opac de sa bibliothèque communale (« vol ET cagoule ET fusillade »).

Outre que la bibliothèque s’offre comme un lieu de révélation et un outil de travail pour les personnages positifs du polar, l’utilité de sa présence est aussi à chercher du côté du rythme propre au genre. En effet, la scène de bibliothèque offre généralement une accalmie dans l’action et, partant, un temps de respiration, une parenthèse réflexive pour des protagonistes qui ont avantage à prendre régulièrement de la distance vis-à-vis du fil narratif qui les éprouve. La scène de bibliothèque du film Seven illustre avec virtuosité cette fonction de retour sur soi. On y voit Morgan Freeman se rendre en soirée à la bibliothèque. Pour la première fois, l’inspecteur est détendu, plaisante avec les agents de sécurité et feuillette des illustrés de Dante, dans un entrelacs de mise en scène qui montre son coéquipier dans une disposition équivalente, chez lui en train de relire ses dossiers devant un match de basket et un pack de bière. On le saisit alors, la décélération de l’intrigue procurée par la scène de bibliothèque est également profitable au spectateur, qui peut employer ce temps pour assimiler les trépidations scénaristiques accumulées jusqu’alors et faire le point avant les suivantes.

D’autre part, et même si la bibliothèque reste une force progressiste qui concourt à élucider les nœuds criminels, le polar s’amuse de temps en temps à pointer la force d’inertie que la bibliothèque, ou spécialement le bibliothécaire, peut représenter pour l’enquête. Ce n’est pas contradictoire : la valeur de la bibliothèque résidant avant tout dans ses ressources (les livres, archives et postes internet qui permettent au protagoniste de s’instruire), il s’avère intéressant pour le genre, mû par ses codes habituels de suspense, de mettre en scène les freins que l’écosystème bibliothèque peut contenir. Car cela permet de donner une plus grande valeur heuristique à la ressource et de valoriser la ténacité d’un enquêteur qui, précisément, se montrera capable de dépasser les difficultés qui se présentent à lui. Ces difficultés, cette résistance de la bibliothèque, tiennent essentiellement à deux choses : soit à un bibliothécaire rétif à faciliter le renseignement, soit à un fonctionnement du lieu inadapté à l’exigence et à la temporalité du limier.

Le principe d’un bibliothécaire acariâtre, qu’il faut contourner pour pouvoir accéder à la richesse documentaire, est le plus commun : c’est le bibliothécaire-cerbère des Hommes du président, qui fait dire à Robert Redford et à Dustin Hoffman, à peine arrivés à la bibliothèque du Congrès : « J’ai l’impression qu’on va avoir du mal à trouver une personne avenante ici ! » C’est l’archiviste de Millénium qui s’impatiente des longues séances de recherche de Lisbeth Salander, ou celui de Chinatown qui rabroue Jack Nicholson en lui rappelant que les documents ne peuvent pas sortir des murs…

Ces tempéraments revêches mis à part, on peut comprendre les frictions entre bibliothécaires et enquêteurs comme tenant, supérieurement, à une vraie divergence de temporalité :

  • entre un détective pris dans le stress d’un scénario qui le contraint à une obligation de résultat, voire à une timeline oppressante ;
  • et un agent de bibliothèque, dont l’objectif premier est de tenir son établissement en veillant à ce qu’il demeure un havre ordonné.

Dans d’autres configurations, ce n’est pas tant le bibliothécaire que l’organisation même de la bibliothèque qui entrave le travail de l’enquêteur : voir la rencontre avec la bibliothécaire allemande du Labyrinthe du silence, répondant à un jeune procureur que le livre qu’il cherche est classé dans une autre bibliothèque et que, s’il veut y avoir accès, elle peut le faire acheminer moyennant un délai de… 9 à 10 semaines. Ou le thriller académique Crimes à Oxford, dont les deux têtes d’affiche se cassent le nez sur la grille close de la bibliothèque, puis finissent par mener leurs recherches dans une librairie, aux horaires d’ouverture manifestement plus adaptés.

Ainsi, à de nombreux égards, donc, la bibliothèque offre dans le polar un catalyseur pour la créativité d’enquêteurs qui ont à faire preuve d’habileté tant dans la recherche documentaire que pour surpasser les rigueurs et les contrariétés de l’institution bibliothèque.

Dirty Bibli’

Sans contradiction avec le fait que les bibliothèques de polar se placent du côté de la lumière, des films s’appuient parfois sur l’atmosphère ténébreuse que peuvent revêtir certaines d’entre elles afin de donner, dans une forme de clair-obscur, une vision plus nuancée d’équipements qui, sans rogner sur leur mission de mise en lumière, ne fournissent pas moins un continuum à l’épaisseur et à la tension du scénario. Ainsi, dans le film d’Hitchcock L’ombre d’un doute, où la bibliothèque visitée dans la nuit par la jeune Charlotte est une vieille bâtisse prise par le lierre qui, avec la bibliothécaire cadavérique de céans, participe de la tension générale du film tout en libérant l’intrigue par la fécondité de la recherche qu’y mène l’héroïne sur la presse locale. Tout en restant, in fine, un lieu solaire, la bibliothèque peut, donc, néanmoins concourir à l’aura d’inquiétude, de menace et de mystère qui pèse sur l’enquête.

À ce titre, la version la plus typée de la bibliothèque mystérieuse, auréolée de secret, restera celle de la bibliothèque académique et patrimoniale, très présente dans les films policiers, avec ses boiseries et ses lampes à opaline, sa forêt de travées et son caractère auguste possiblement incommodants.

La bibliothèque du campus imaginaire des Rivières pourpres en offre une éloquente illustration, à tel point que Jean Reno, pour évacuer la tension qui l’environne, finira par molester quelqu’un sur le bureau de renseignement. On croise ce type de bibliothèque, cathédrale et ombragée, dans de nombreux films à enquête comme La neuvième porte ou Les aventures de Tintin : le secret de la licorne. Le polar médiéval Le nom de la rose, quant à lui, choisit de pousser l’idée du dédale et de l’hermétisme jusqu’à l’allégorie, dès les escaliers conduisant à la bibliothèque du film, qui s’apparentent aux méandreuses constructions de M. C. Escher. Et dans Les hommes du président, un travelling aérien d’Alan Pakula traduit l’étourdissement causé par le monumental agencement concentrique de la bibliothèque de Washington.

Dans tous ces cas, le malaise mis en avant par l’agencement et la densité de la bibliothèque renvoie directement à la notion de faux-semblant, constitutive d’un genre policier qui se définit entre autres par des personnages dont les enjeux individuels consistent à cacher leur jeu, se rapprochant en cela de l’objet livresque qui, pour être destiné à éclairer les esprits, n’en est pas moins présenté, en bibliothèque, dans une conception accumulative qui le rend peu accessible.

À côté de cette approche esthétique (touchant volontiers à la fascination) que le polar adopte à l’endroit des bibliothèques pour insuffler l’interlope par-devant la quête de vérité, des adjuvants moins filmiques que scéniques sont parfois ajoutés afin d’accentuer le trouble. Ainsi, les étudiants présents dans la bibliothèque universitaire des Rivières pourpres portent tous le même et étrange survêtement, et ceux de L’armée du crime, le film de Guédiguian dans lequel deux résistants se donnent rendez-vous à la bibliothèque Sainte-Geneviève, jettent vers les deux personnages des regards en tapinois comme pour figurer que les forces de la collaboration peuvent être partout. Dans le thriller de David Fincher Gone Girl, pour planter la nature vénéneuse du couple principal, une incise le montre en train de faire brutalement l’amour entre les rayons artificiellement embrumés d’une bibliothèque municipale.

Cette idée, que la souillure et la menace puissent affleurer le monde apparemment sécurisé et salvateur des bibliothèques, ne procède pas systématiquement d’une origine exogène : de temps en temps, le ver est déjà dans la pomme et la faille est celle des bibliothécaires eux-mêmes. Dans quelques films, par exemple, le métier de bibliothécaire est utilisé pour donner une assise sociale servant à justifier la psychologie d’un des protagonistes – le cas le plus répandu étant celui de la femme insatisfaite, que son bovarysme conduit progressivement de l’ennui aux ennuis. Ainsi, dans la comédie d’espionnage La totale !, où la médiathécaire Miou-Miou s’avilit auprès d’un petit malfrat mythomane incarné par Michel Boujenah, jusqu’au thriller neigeux Un plan simple dans lequel Bridget Fonda campe une bibliothécaire docile qui suit petit à petit son homme sur des chemins délictueux. Sur un même schéma, la bibliothécaire apparemment transparente de L’homme aux yeux d’argent, polar remarquable de Granier-Deferre, s’entiche d’un ancien détenu qui vient remettre la main sur son magot, enfoui sous la bibliothèque.

Tout ceci, on le concédera, est aussi schématique que peu flatteur pour la condition féminine : la femme qui vit entourée de livres passe son temps à rêvasser et en vient à s’amouracher de personnages peu recommandables. Dans le film Miranda, assez rare à cette enseigne, ce bovarysme touche cette fois un homme, jeune agent de bibliothèque désœuvré qui s’éprend de la première femme fatale qui se présente à sa banque de prêt.

Ouvrant des possibilités encore plus disgracieuses à l’endroit des bibliothécaires, le polar met quelquefois en scène des agents de bibliothèques ayant définitivement basculé dans la délinquance ou la criminalité : c’est la bibliothécaire des Inconnus dans la ville qui arrondit ses fins de mois en barbotant le sac à main des lectrices qu’elle accueille ou, pire, celle du téléfilm La tueuse, « une douce et timide bibliothécaire qui, la nuit, se transforme en superbe et sauvage séductrice »… et éradique des hommes mariés. Si l’on souhaite vite passer sur le cas de l’effroyable docteur Lecter qui, dans Hannibal, s’est racheté une identité de conservateur de bibliothèque à Florence, on pourra cependant évoquer, toujours en catégorie A+, le film Leur dernière nuit dans lequel Jean Gabin masque ses activités mafieuses derrière un emploi de conservateur de bibliothèque plutôt bien noté par ses supérieurs. Ici et là, le polar se plaît à jouer sur le registre de la transgression et à faire du lieu bibliothèque, avec la tranquillité censée y régner, une couverture de premier choix, un alibi pour des agissements inavouables.

Dans d’autres scénarios, le crime n’attaque pas tant la nature (quiète) du lieu bibliothèque que sa fonction (de réservoir documentaire). Ainsi, dans la comédie policière 22 Jump Street, on démantèle un trafic de drogue en découvrant que des livres de la bibliothèque universitaire ont été découpés pour y dissimuler les sachets de stupéfiants. Le même procédé est employé dans un film de John Woo, À toute épreuve, avec un tueur à gages qui « customise » un livre de bibliothèque pour transporter discrètement le revolver avec lequel il va assassiner sa cible, un étudiant qui bachote sa trigo en salle de lecture. Et dans Le nom de la rose, l’arme du crime est un livre dont les coins de page ont été empoisonnés. Dans tous ces films, c’est ironiquement la dimension la plus incongrue mais aussi la plus métaphorique de l’objet livre qui est à l’œuvre : le savoir est une arme et un livre peut à lui seul faire basculer l’ordre social.

Enfin, quand la bibliothèque n’est pas le lieu du crime, elle peut le préfigurer. C’est alors la bibliothèque-traquenard, celle où le mal rôde, tapi dans l’ombre en attendant de sévir : une vision pour le moins cynique d’un univers dont le postulat devait être la rassurance liée au calme et à la présence des œuvres de l’esprit. En s’invitant dans le lieu-refuge par excellence, la menace sert évidemment à doper l’intensité d’un scénario basé sur l’effroi. Ainsi, dans La neuvième porte, Johnny Depp sillonne les collections d’une bibliothèque patrimoniale pour mener ses recherches bibliophiliques tandis qu’une jeune femme, cachée derrière les étagères, lui lance des œillades pour l’attirer dans un piège qui s’avérera être, à proprement parler, diabolique. Même déconvenue pour Dustin Hoffman, qui étudiait tranquillement dans la bibliothèque de Marathon Man et crut y faire la rencontre d’une jolie blonde intéressée par sa personne. Une poignée de scènes plus loin, on apprendra que cette rencontre n’avait en réalité rien de spontané et que la jeune femme a été payée pour servir d’appât et l’attirer dans un guet-apens qui finira dans une insoutenable séance de torture à la mode nazie. Dans de tels films, le thriller amplifie ses effets en infectant avec perversion la thématique courante et doucettement transgressive de l’amour à la bibliothèque.

Quoiqu’il soit plus plaisant de s’intéresser aux films dans lesquels les bibliothèques occupent une place singulière, nous devrons reconnaître que la grande majorité des scénarios du policier ne cesse de nous renvoyer à l’identité d’une « bibliothèque-ressource » dont l’unique vocation semble être de documenter ses enquêteurs.

Cela étant, avec l’essor technologique et les mutations des accès à l’information, le polar s’en tiendra-t-il, même, encore longtemps à cette assignation apparemment solide ?

En effet, de la même façon qu’avec leur émergence sociétale il y a quinze ans, les téléphones cellulaires ont largement modifié le rythme et les codes scénaristiques du film noir, on peut augurer qu’avec le boom du web nomade, l’utilité documentaire des bibliothèques dans le polar risque d’être sérieusement questionnée. Certains scénarios ont déjà développé cette hypothèse, comme celui du film américain Les trois prochains jours, remake du polar hexagonal Pour elle, où le protagoniste se rend à la bibliothèque municipale pour effectuer sa recherche, alors que, dans le film français, Vincent Lindon réalise la même recherche… depuis le canapé de son salon, grâce à son laptop. L’adaptation cinéma du Da Vinci Code illustre la même dispute des anciens et des modernes : quand Tom Hanks propose à Audrey Tautou de se rendre dans une bibliothèque pour vérifier une information, la jeune femme, de façon à gagner du temps, l’invite plutôt à emprunter le smartphone d’un quidam et à mener leurs recherches directement sur la Toile. On voit alors l’éminent universitaire s’essayer au pianotage digital puis, se réjouissant de cette fructueuse promenade dans le vaste web, oublier aussitôt le chemin de la bibliothèque…

Films cités, dans l’ordre de leur apparition

• La neuvième porte, Roman Polanski (1999)

• Le nom de la rose,

Jean-Jacques Annaud (1986)

• Seven, David Fincher (1995)

• La taupe, Tomas Alfredson (2012)

• Le chacal, Fred Zinnemann (1973)

• Anges et démons, Ron Howard (2009)

• Fausses rumeurs, Davis Guggenheim (2000)

• L’affaire Pélican, Alan Pakula (1993)

• Un crime dans la tête, Jonathan Demme (2004)

• Pars vite et reviens tard, Régis Wargnier (2007)

• Créance de sang, Clint Eastwood (2002)

• Les hommes du président, Alan Pakula (1976)

• Millénium, David Fincher (2011)

• Chinatown, Roman Polanski (1974)

• Le labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli (2014)

• Crimes à Oxford, Alex de la Iglesia (2008)

• L’ombre d’un doute, Alfred Hitchcock (1943)

• Les aventures de Tintin : le secret de la licorne, Steven Spielberg (2011)

• L’armée du crime, Robert Guédiguian (2009)

• Gone Girl, David Fincher (2014)

• La totale !, Claude Zidi (1991)

• Un plan simple, Sam Raimi (1998)

• L’homme aux yeux d’argent, Pierre Granier-Deferre (1985)

• Miranda, Marc Munden (2002)

• Les inconnus dans la ville, Richard Fleischer (1955)

• La tueuse, Steven Hilliard Stern (1990)

• Leur dernière nuit, Georges Lacombe (1953)

• 22 Jump Street, Phil Lord (2014)

• À toute épreuve, John Woo (1992)

• Marathon Man, John Schlesinger (1976)

• Les trois prochains jours, Paul Haggis (2010)

• Pour elle, Fred Cavayé (2008)

• Da Vinci Code, Ron Howard (2006)

  1. (retour)↑  Notons toutefois la scène, rarissime, de conférence littéraire visible dans le thriller psychologique Le prix du désir (Roberto Ando, 2004).