Histoire de la Bibliothèque nationale de France
Histoire de la Bibliothèque nationale de France
Préface de Laurence Engel
Paris, Bibliothèque nationale de France, 2022
ISBN 978-2-7177-2897-2
En cette année où la Bibliothèque nationale de France (BnF) achève la mue de son site parisien historique 1
Voir l’entretien de Véronique Heurtematte avec Laurence Engel, présidente de l’établissement, paru sur le site du BBF le 8 septembre 2022 : « Le site de Richelieu permet de mener jusqu’au bout la volonté d’ouverture à tous de la BnF », Bulletin des bibliothèques de France, 8 septembre 2022. En ligne : https://bbf.enssib.fr/bbffocus/le-site-de-richelieu-permet-de-mener-jusqu-au-bout-la-volonte-d-ouverture-a-tous-de-la-bnf_70718.
Une importante bibliographie générale
Un deuxième intérêt majeur de cette parution, pour qui s’intéresse à l’histoire des institutions, notamment aux bibliothèques et à la première d’entre elles, trésor de la nation, est qu’elle vient enrichir une documentation paradoxalement pauvre en ouvrages généraux et en synthèses. On peut évaluer l’importance d’un tel apport en examinant l’imposante bibliographie générale donnée en annexe (trente-cinq pages), où rien d’essentiel n’a été omis. Les deux directeurs de l’ouvrage le soulignent eux-mêmes dans leur introduction : « Son passé si riche a, paradoxalement, peu attiré l’attention des historiens, pourtant nombreux dans ses salles de lecture. Les rares histoires générales remontent au XIXe siècle. Elles ont été enrichies par des études spécialisées portant sur les départements. » En effet, pour le dernier demi-siècle, à côté de La Bibliothèque Nationale des origines à 1800, de Simone Balayé (Droz, 1988), on ne peut guère citer que les chapitres consacrés à l’établissement dans les quatre volumes de l’Histoire des bibliothèques françaises (Promodis-Cercle de la Librairie, 1988-1992), écrits par André Vernet, Claude Jolly et Dominique Varry pour les trois premiers volumes, des origines à 1914, et par Thérèse Kleindienst, Pierre-Yves Duchemin et Gérald Grunberg pour la période contemporaine. Il est juste d’ajouter à ces sommes historiques les monographies en livre de poche consacrées à la bibliothèque par Bruno Blasselle (La Bibliothèque nationale, Que sais-je ?, 1993), par le même et Jacqueline Melet-Sanson (La Bibliothèque nationale, mémoire de l’avenir, Découvertes Gallimard, 1990) ou encore La Bibliothèque nationale de France. Collections, services, publics, par Daniel Renoult et Jacqueline Melet-Sanson, paru en 2001 dans la défunte collection « Bibliothèques » du Cercle de la Librairie : chacun d’eux fait un rappel, plus ou moins détaillé, de l’histoire de l’établissement.
Une histoire qui continue de s’écrire
Pour une telle histoire écrite à voix multiples, plusieurs partis étaient possibles ; les concepteurs ont sagement choisi le plus simple, une approche chronologique, structurée en six grandes périodes : les origines ; la Bibliothèque royale de la Renaissance à la fin de l’Ancien Régime ; Révolution et Empire ; de la Restauration à la Première Guerre mondiale ; de 1914 à 1945 ; de 1945 à aujourd’hui. Pour chaque période, un ou plusieurs chapitres décrivent les évolutions générales de la bibliothèque, presque toujours fortement liées à celles des régimes politiques, des mouvements économiques, sociaux, culturels, civilisationnels, d’autres la naissance, les développements et métamorphoses des départements spécialisés. Cette architecture claire permet donc à la fois, selon les besoins, une lecture linéaire ou une approche circonscrite à une période, un département, voire une catégorie de documents.
Les deux partis pris assumés de l’entreprise – une histoire écrite de l’intérieur et une collection plutôt qu’une synthèse confiée à un ou des historiens extérieurs –, faisaient courir un double risque : que cette histoire soit émiettée au point que le lecteur échoue à faire la synthèse nécessaire (pensons aux candidats aux concours professionnels, susceptibles d’être interrogés sur les « grandes dates » de l’histoire de l’établissement 3
À ce propos, on peut exprimer un léger regret, qui pourra être aisément réparé dans une édition ultérieure : l’absence d’un tableau chronologique ou/et synoptique, peut-être moins utile au chercheur qu’au curieux ou à l’étudiant, mais toujours éminemment « parlant ».
Écrire l’histoire récente de la bibliothèque, c’est donc revenir aussi bien sur les échecs que sur les réussites, sur les réponses données aux questions d’hier comme sur celles qu’appellent les questions d’aujourd’hui. Deux grands acteurs de cette histoire montrent dans cet exercice une clairvoyance qu’il faut saluer. Jacqueline Sanson tout d’abord, qui réussit dans le chapitre qu’elle consacre à la période charnière 1988-1998 le tour de force de revenir sur les épisodes les plus mouvementés et les polémiques violentes de la création de la BnF, qu’elle a vécus aux premières loges, en faisant exactement la part des choses, avec la plus grande hauteur de vues, sans pourtant feindre d’ignorer ou de laisser dans l’ombre ces tempêtes et ces polémiques 4
C’est très bien ainsi, d’autant que le récit de Jacqueline Sanson se lit comme un roman : c’est palpitant ! Cela dit, il faudra bien pourtant qu’un jour, un historien ou une historienne revienne par le menu sur cette période – que beaucoup d’entre nous ont vécu d’assez près –, qu’il ou elle relise tous les rapports, tous les documents officiels, tous les comptes rendus de débat, mais aussi tous les articles de journaux, les dossiers de revues, sans compter les livres de mémoires, etc., pour écrire le détail de cette histoire, sans passion, mais sans naïveté. Ce sera, assurément, une histoire à rire et à pleurer… Mais on se consolera, au bout du compte, en constatant que, dans cette histoire où tout le monde a voulu avoir à toute force le dernier mot, les bibliothécaires, discrets comme à leur habitude (« Chut ! »), n’ont pas eu le plus mauvais rôle.