Bibliothèques et inclusion numérique

Éditorial

Reine Bürki

En quoi le numérique fait-il « fracture » ? Sous cette notion se cache une réalité complexe que la crise globale, accélérée par la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs, a révélée avec acuité. Le numérique est un puissant levier d’accès à l’information et au savoir, d’échange de données et de partage d’intérêts, de gestion du quotidien et d’ouverture au monde. Pourtant – parce qu’il permet tout cela – coexistent dans un même élan des opportunités de connaissances et de sociabilités décuplées, et des phénomènes d’exclusion redoutables.

Treize millions de Français sont aujourd’hui considérés en difficulté avec le numérique et l’inclusion est une priorité politique inscrite au Plan de relance. Mais, au-delà de ce constat, chacun peut à tout moment faire l’expérience de ses limites face à la dématérialisation des démarches administratives, des modalités de travail distancié, des pratiques de loisirs et de consommation ou de suivi de scolarité des enfants… Car une fois dépassée la question matérielle – et cependant cruciale – de l’équipement et de l’accès au wifi, le risque de fracture est aussi cognitif et méthodologique. Il concerne les usages et l’autonomie de chacun face à des outils en évolution continue et à un écosystème qui nécessite d’en maîtriser les codes. Les défis de la médiation numérique reposent moins sur l’acquisition temporaire de compétences techniques, que sur la capacité d’apprendre à apprendre, d’atteindre à une forme d’adaptabilité numérique qui concerne aussi bien les professionnels de l’information que tout citoyen dans la construction – et la maîtrise – de son identité numérique.

Les bibliothèques, par leur ancrage de terrain et leur proximité avec les usagers, mais aussi par leur expérience en termes de médiation et de formation, leur capacité à travailler en réseau et à nouer des partenariats avec d’autres acteurs, ont un rôle opérationnel à jouer dans la lutte contre l’exclusion numérique et dans l’accompagnement à l’autonomisation des publics. Elles disposent des atouts pour se saisir de cet enjeu sociétal et inscrire l’inclusion numérique dans leurs missions.

Et en ces temps de distanciation sociale et d’éloignement forcé, le numérique nous confronte aussi aux limites de ses usages. Le risque d’un phénomène qui ne serait alors plus d’exclusion, mais d’isolement numérique, renforce plus que jamais la valeur de la bibliothèque comme lieu physique, espace de capacitation individuelle et de vivre-ensemble.