Éduquer aux médias et à l’information

Quelles formations et collaborations pour les acteurs scolaires ?

Valentine Favel-Kapoian

Sur Eduscol 1

– portail national d’information et de ressources mis à disposition par le ministère de l’Éducation nationale –, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est présentée ainsi : « L’objectif d’une éducation aux médias et à l’information est de permettre aux élèves d’exercer leur citoyenneté dans une société de l’information et de la communication, former des "cybercitoyens" actifs, éclairés et responsables de demain ».

Cette définition, qui évite la question des contenus pour se concentrer sur celle des objectifs, résume à elle seule la difficulté à poser une définition universelle, intemporelle et consensuelle de cet enseignement. Cette difficulté est inhérente à sa condition « éducation à » qui, parce qu’elle n’est pas inscrite dans une discipline et dans des programmes, favorise la diversité des interprétations et des appropriations. Mais elle est aussi intrinsèque à ses objets d’étude, celui des médias et de l’information et dont l’éducation revient, par un jeu de miroirs, à analyser une société tout entière [Gonnet, 1996 : 5] 2

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Ndrlr : les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’article.

. Par ses caractéristiques, l’EMI s’inscrit dans la mouvance des éducations aux questions socialement vives et dont l’objectif est de faire acquérir aux élèves une « opinion raisonnée » [Fabre, 2014 : 3].

Après avoir dressé un rapide panorama de l’EMI à l’école (premier et second degrés) à travers les principaux textes de références, leur mise en œuvre dans le cadre de l’enseignement et de la formation des enseignants, nous présenterons le diplôme universitaire en EMI qui ouvre à la rentrée prochaine à l’université Lyon-1 (composante Institut national supérieur du professorat et de l’éducation – Inspé). Enfin nous ferons un focus sur un dispositif de formation à destination d’enseignants stagiaires que nous avons expérimenté cette année, et dont l’évaluation permet d’imaginer d’autres dispositifs de formation à destination des enseignants porteurs de sens et d’apprentissages transposables en classe.

Les territoires de l’EMI à l’école

Rappels historiques

La place des médias et de l’information dans l’éducation est un processus d’institutionnalisation qui s’inscrit sur la longue durée [Delamotte, 2017] et qui doit être appréhendé aux regards des courants pédagogiques, des innovations techniques et des contextes historiques. Cet objet pluriforme évolue en fonction des conditions de production et de réception des médias et du contexte politique [Saemmer, Tréhondart, 2019 : 2]. Tour à tour « éducation à l’image et par l’image », « éducation par les médias » (les médias comme outils pédagogiques au service des apprentissages), « éducation aux médias » (comprendre les mécanismes technico-médiatiques), « éducation au numérique ou aux NTICE » (apprivoiser les environnements informatiques qui organisent les informations) et « éducation à l’information » (maîtriser les compétences info-documentaires), elle ne s’impose comme « éducation aux médias et à l’information » que récemment, en 2013 avec la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 3

. Cette loi, qui s’appuie sur les préconisations de l’Unesco et sa conception de Media Information Literacy (MIL) 4, reconnaît la maîtrise de l’information comme indispensable à la formation du citoyen dans la société numérique. En 2015, l’EMI devient une « priorité » du ministère (discours de Najat Vallaud-Belkacem du 30 juin 2015), le terrorisme et les attentats ayant été mis en corrélation avec le danger d’embrigadement de la jeunesse sur les réseaux sociaux et l’émergence de récits fantasmatiques sur le net [Courroy, Froissard, 2018 : 186].

En France, le discours institutionnel sur l’EMI a toujours été à la fois le porteur du changement et son fidèle accompagnateur [Courroy, Froissard, 2018 : 176]. La mesure 3 des « 11 mesures pour une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » (janvier 2015), instaure la création d’un nouveau parcours éducatif de l’école élémentaire à la terminale, le parcours citoyen 5

, construit autour « d’une éducation aux médias et à l’information prenant pleinement en compte les enjeux du numérique et de ses usages ». Puis, l’inscription de l’EMI dans les référentiels se confirme avec le nouveau socle commun de culture et de connaissances 6 de 2016 et l’inscription de l’EMI dans les 5 domaines, mais surtout le domaine 2 : les méthodes et outils pour apprendre. Pour autant, cette reconnaissance officielle ne s’accompagne pas de la mise en place d’un programme clair et l’EMI reste une « éducation à » dont les compétences sont à développer au fil de l’eau, dans le cadre des disciplines.

Textes officiels encadrant l’EMI à l’école aujourd’hui

Tel qu’imaginée par le ministère, l’EMI doit être intégrée de manière transversale dans les différentes disciplines. C’est donc l’ensemble des enseignants qui partagent la responsabilité de cette éducation, éducation qui doit être dispensée en accompagnement des programmes disciplinaires au gré des enseignements. De fait, dans chaque programme disciplinaire 7

on trouve des références à l’EMI et l’ensemble des compétences à développer sont recensées dans le socle commun, et plus particulièrement l’annexe 3 8 qui fixe 27 compétences attendues pour le cycle 4 9 (de la 5e à la 3e). Ces 27 compétences s’articulent autour de trois axes (une connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle ; un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion ; une maîtrise progressive de sa démarche d’information et de documentation) et se répartissent en quatre parties : utiliser les médias et les informations de manière autonome ; exploiter l’information de manière raisonnée ; utiliser les médias de manière responsable ; produire, communiquer, partager des informations.

Encadré 1. Compétences EMI référencées dans le S3C (socle commun de connaissances, de compétences et de culture)

Le Bulletin officiel de l’éducation nationale (BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015 – annexe 3 du Programme d’enseignement du cycle des approfondissements-cycle 4) établit une liste de 27 compétences identifiées dans les processus d’apprentissages mis en œuvre dans l’éducation aux médias et à l’information. Ces compétences s’articulent autour de la recherche, l’exploitation, la production, la communication et le partage des informations.

Utiliser les médias et les informations de manière autonome

• Utiliser des dictionnaires et encyclopédies sur tous supports.

• Utiliser des documents de vulgarisation scientifique.

• Exploiter le centre de ressources comme outil de recherche de l’information.

• Avoir connaissance du fonds en langue étrangère ou régionale disponible au CDI et utiliser les ouvrages régulièrement.

• Se familiariser avec les différents modes d’expression des médias en utilisant leurs canaux de diffusion.

• Utiliser les genres et les outils d’information à disposition adaptés à ses recherches.

• Découvrir comment l’information est indexée et hiérarchisée, comprendre les principaux termes techniques associés.

• Exploiter les modes d’organisation de l’information dans un corpus documentaire (clés du livre documentaire, rubriquage d’un périodique, arborescence d’un site).

• Classer ses propres documents sur sa tablette, son espace personnel, au collège ou chez soi sur des applications mobiles ou dans le « nuage ». Organiser des portefeuilles thématiques.

• Acquérir une méthode de recherche exploratoire d’informations et de leur exploitation par l’utilisation avancée des moteurs de recherche.

• Adopter progressivement une démarche raisonnée dans la recherche d’informations.

Exploiter l’information de manière raisonnée

• Distinguer les sources d’information, s’interroger sur la validité et la fiabilité d’une information, son degré de pertinence.

• S’entraîner à distinguer une information scientifique vulgarisée d’une information pseudo-scientifique grâce à des indices textuels ou paratextuels et à la validation de la source.

• Apprendre à distinguer subjectivité et objectivité dans l’étude d’un objet médiatique.

• Découvrir des représentations du monde véhiculées par les médias.

• S’interroger sur l’influence des médias sur la consommation et la vie démocratique.

Utiliser les médias de manière responsable

• Comprendre ce que sont l’identité et la trace numériques.

• Se familiariser avec les notions d’espace privé et d’espace public.

• Pouvoir se référer aux règles de base du droit d’expression et de publication, en particulier sur les réseaux.

• Se questionner sur les enjeux démocratiques liés à la production participative d’informations et à l’information journalistique.

• S’initier à la déontologie des journalistes.

Produire, communiquer, partager des informations

• Utiliser les plates-formes collaboratives numériques pour coopérer avec les autres.

• Participer à une production coopérative multimédia en prenant en compte les destinataires.

• S’engager dans un projet de création et de publication sur papier ou en ligne utile à une communauté d’utilisateurs, dans ou hors de l’établissement, qui respecte droit et éthique de l’information.

• Développer des pratiques culturelles à partir d’outils de production numérique.

• Distinguer la citation du plagiat.

• Distinguer la simple collecte d’informations de la structuration des connaissances.

Sources :

Programmes d’enseignement parus au Bulletin officiel de l’éducation nationale (BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015). Annexe 3 du Programme d’enseignement du cycle des approfondissements (cycle 4) : https://www.education.gouv.fr/bo/15/Special11/MENE1526483A.htm?cid_bo=94717

Orientations pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI) du ministère de l’Éducation nationale – Cycles 2 et 3 : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Mediatheque/09/8/RA16_C2C3_EMI_887098.pdf


Ce texte, en fixant les objectifs d’apprentissage, doit permettre à l’enseignant de collège d’associer les compétences attendues en EMI à celles de sa discipline lors de la conception de ses enseignements. Pour le premier degré, et plus particulièrement les cycles 2 et 3 (du CP à la 6e), le Conseil supérieur des programmes a publié en janvier 2018 un texte d’orientation 10

qui organise l’EMI en quatre grands domaines et propose des pistes de mise en œuvre. En dehors de ces deux textes, nulle autre indication générale, et aucune pour le lycée, renvoyant de fait les enseignants aux indications contenues dans les programmes disciplinaires. L’EMI n’est donc pas une éducation clairement identifiée pour les lycéens à l’instar de ce qui se fait dans l’enseignement agricole pour lequel l’EMI a une place définie dans le cadre, notamment, de l’éducation socioculturelle ou de modules pluridisciplinaires.

Depuis la rentrée 2019, un nouvel enseignement vient combler quelque peu cette lacune, celui des sciences numériques et technologiques 11

(SNT), enseignement obligatoire en classe de 2nde à hauteur d’1 heure 30 par semaine qui doit permettre d’« aider à mieux comprendre les enjeux scientifiques et sociétaux de la science informatique et de ses applications, à adopter un usage réfléchi et raisonné des technologies numériques dans la vie quotidienne et à se préparer aux mutations présentes et à venir de tous les métiers ». Cet enseignement, qui peut être pris en charge par l’ensemble des disciplines, a vocation à multiplier les occasions de mise en activité des élèves, sous des formes variées (exposés, travaux en groupe, mini-projets, productions individuelles ou collectives, etc.).

Enfin, un dernier cadre est propice à l’EMI, depuis la rentrée 2019, celui du cadre de référence des compétences numériques 12

(CRCN), qui s’inspire du cadre européen (DIGCOMP) 13, et qui s’applique de l’école primaire à l’université. Ce cadre de référence définit seize compétences numériques attendues dans cinq domaines d’activité (information et données ; communication et collaboration ; création de contenus ; protection et sécurité ; environnement numérique) et propose huit niveaux de maîtrise progressive de ces compétences. Ce référentiel donne lieu à une certification des compétences numériques en fin de cycle 4 au collège et au cycle terminal du lycée, l’ensemble du dispositif (évaluations et certifications) se substituant au B2i, brevet informatique et internet, qui était en vigueur depuis 2005.

Si ces nouveaux cadres d’enseignement, la SNT et le CRCN, sont de belles opportunités pour éduquer aux médias et à l’information, ils n’en définissent pas pour autant les périmètres de mises en œuvre, limités, dans ces cadres, à la sphère du numérique et à des entrées techniques plutôt que critiques ou documentaires. Le dépassement de cette approche est possible par les entrées disciplinaires et surtout par la participation des professeurs documentalistes à ces enseignements. Enseignant spécialiste de la question des médias et de l’information depuis l’instauration du CAPES de documentation en 1989, expert qui « maîtrise les connaissances et les compétences propres à l’éducation aux médias et à l’information », depuis le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation 14

de juillet 2013, le professeur documentaliste est désormais « maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias » depuis la nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes 15 de 2017. Que ce soit en séance en autonomie (c’est-à-dire seul en responsabilité devant les élèves, dans le cadre de « l’initiation CDI » prévue en 6e par exemple) ou en collaboration avec d’autres enseignants, le professeur documentaliste axe ses enseignements autour des compétences info-documentaires 16. Même s’il ne dispose pas de programme, ni de référentiel officiel pour cela, il tente de donner une cohérence aux initiatives personnelles et souvent ponctuelles de ses collègues en impulsant et coordonnant des séquences pédagogiques en EMI dans l’établissement.

Mise en œuvre de l’EMI dans les enseignements

Il est difficile d’avoir une vision globale de la mise en œuvre de cette éducation dans les établissements scolaires des 1er et 2nd degrés, faute de recensement mais aussi de consensus général sur ce qu’est l’EMI et ce qui pourrait être identifié comme une séance pédagogique en EMI. Internet regorge de propositions de séances, principalement publiées par les professeurs documentalistes. Ces séances ont souvent une démarche inductive et utilisent la pédagogie de projet en partant des pratiques et des connaissances des élèves. Cette pédagogie se concentre sur des démarches exigeant de l’apprenant qu’il entreprenne un processus introspectif, créatif et collaboratif orienté notamment autour de l’analyse et de la déconstruction de « textes » médiatiques et de leurs productions [Landry et Basque, 2015 : 51]. Pour certains auteurs, il s’agit de mettre en place une pédagogie de l’interrogation qui repose sur un processus de questionnement chez l’élève afin de lui faire prendre conscience des valeurs, des choix, des habitudes et des attitudes qui encadrent sa consommation et sa production médiatique [Letellier et Landry, 2016 : 11]. Parfois, ces séances s’organisent en programme, sur un niveau (exemple pour les 6e ou pour l’ensemble d’un cycle 17

– exemple pour le collège 18) s’appuyant, pour ce faire, sur les différents curriculums élaborés par les professionnels (exemples avec le curriculum de l’APDEN 19, la matrice EMI de l’académie de Toulouse 20, les quatre notions essentielles de l’info-documentation 21), ou encore s’organisant autour d’un projet pédagogique, comme une classe média 22 ou un média scolaire 23. Si les initiatives sont aussi riches qu’inventives, il n’en reste pas moins qu’elles sont souvent individuelles et ponctuelles, au gré des possibilités pédagogiques et des intérêts des enseignants des disciplines autres que la documentation. Ces initiatives constituent une praxis pédagogique qui fait intervenir de multiples méthodologies, dont la cohabitation est plus facile à proclamer qu’à transposer sur le terrain [Saemmer, Tréhondart, 2019 : 2]. L’EMI peut aussi trouver sa place dans des actions éducatives, actions qui favorisent les initiatives collectives ou individuelles au sein de projets pluridisciplinaires. Il peut s’agir de dispositifs, de prix ou de concours, de journées ou de semaines dédiées, comme la Semaine de la presse à l’école (devenue, pour l'édition 2020, Semaine de la presse à la maison 24), le concours contre le harcèlement scolaire 25. Un opérateur majeur intervient dans la mise en place de ces actions éducatives et pédagogiques, le CLEMI 26 (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information). Service du réseau Canopé et opérateur du ministère de l’Éducation nationale, ce centre a pour mission de former les enseignants des 1er et 2nd degrés par le biais d’un réseau de coordonnateurs académiques. Pour ce faire, il propose un certain nombre de ressources, d’évènements et de formations.

En complément des ressources élaborées par le CLEMI, le ministère de l’Éducation nationale promeut nombre de ressources sur des plateformes éducatives comme Lumni 27

, ou des sites dédiés comme Educnum 28, ou encore publiées en partenariat avec des opérateurs privés (comme la société Tralalère pour les ressources de « Vinz et Lou » 29). Cette offre importante est complétée par celle d’autres entités comme des bibliothèques (exemple avec la Bpi 30), des associations œuvrant dans le domaine de l’enseignement et/ou de l’éducation aux médias (Ligue de l’enseignement 31, Fréquence écoles 32, Jets d’encre 33, projet e-média des CEMEA 34, ACRIMED 35, Les petits débrouillards 36), des journalistes (Rue 89 37, TV5 Monde 38, Arte 39, France 5 40), des instituts de recherche (dont l’IFé 41, et Les jeunes et le numérique : comprendre pour accompagner 42 de l’Inspé de Bordeaux), des délégations académiques au numérique éducatif (DANE, des services rectoraux dédiés à l’accompagnement des usages pédagogiques du numérique), ou encore des enseignants eux-mêmes (parcours EMI.re 43). Enfin, l’EMI est une thématique internationale mise en œuvre différemment selon les pays (inscription plus ou moins forte dans les programmes scolaires) mais dont les acteurs publient de nombreuses ressources ou comptes rendus d’expériences transposables en France. C’est le cas pour le Québec 44, le Canada 45, la Belgique 46, ou encore la Suisse 47. Réservoir sans cesse actualisé, ces ressources inspirent les enseignements et accompagnent les modalités de mise en œuvre pédagogique de l’EMI. Pour autant, elles sont révélatrices des « modes et tendances » en lien avec l’actualité des médias, la thématique de l’identité numérique étant aujourd’hui supplantée par celle des big data et des infox.

Nombre de ces ressources sont à destination des élèves les plus jeunes. Les thématiques de l’EMI n’étant pas différentes dans les 1er et 2nd degrés, seul leur niveau de complexité diffère. Pour autant, il y a des divergences dans les mises en œuvre selon les degrés, principalement parce qu’il n’y a pas de professeur documentaliste dans les écoles primaires. Une analyse des scénarios pédagogiques publiés dans les bases de données comme Edubases ou Edumoov nous donne des indications sur la mise en œuvre de cet enseignement (travail de recherche en cours). Majoritairement à destination des élèves du cycle 3 (CM1 et CM2) et très peu associés aux disciplines, ces scénarios pédagogiques sont largement orientés vers l’analyse critique des médias conformément aux textes officiels [Corroy et Froissard, 2018 : 187] et aussi aux orientations du CLEMI (brochure pour le 1er degré 48

). La séance type en EMI se concentre sur la notion de citoyenneté numérique et associe EMC (enseignement moral et civique) et EMI pour des séances sur le harcèlement ou les bons usages de l’internet. L’approche par compétences info-documentaires est totalement absente de ces séances et celle concernant la recherche d’information reste avant tout technique (comment utiliser un moteur de recherche par exemple), procédurale plutôt que critique.

L'interprétation de l’EMI dans les enseignements découle des recommandations officielles et de l’accompagnement qui est proposé aux enseignants, à travers, entre autres, la mise à disposition de ressources et la publication de scénarios pédagogiques. Cette mise en œuvre diffère selon les établissements et les individus et reste encore trop dépendante des appétences des enseignants pour cette éducation (même si la majeure partie semble convaincue de son intérêt) et des opportunités locales. C’était le constat dressé en 2007 par Catherine Becchetti-Bizot 49

, constat renouvelé dans le rapport de 2019, du Conseil économique, social et environnemental (CESE) 50. Ce rapport aborde la question de l’EMI pour l’ensemble des publics mais fait un certain nombre de recommandations pour le monde de l’éducation dont celle de dresser un bilan de cette éducation pour le collège et le lycée et de prendre en compte davantage cette problématique dans la formation initiale et continue des enseignants, chefs d’établissements, bibliothécaires et personnels du secteur socioculturel.

L’EMI dans la formation des enseignants

La formation des enseignants à l’université dans les masters MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) s’organise autour du référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation (Bulletin officiel du 25 juillet 2013 51

). Ce référentiel définit les objectifs et la culture commune à tous les professionnels du professorat et de l’éducation des 1er et 2nd degrés. « Les compétences s’acquièrent et s’approfondissent au cours d’un processus continu débutant en formation initiale et se poursuivant tout au long de la carrière par l’expérience professionnelle accumulée et par l’apport de la formation continue. » 52 Dans ce texte de référence il n’y a pas de mention explicite à l’EMI, sauf pour les professeurs documentalistes, mais il est attendu des enseignants qu’ils « intègrent les éléments de la culture numérique nécessaires à l’exercice de son [leur] métier » et qu’ils « participent à l’éducation des élèves à un usage responsable d’internet ».

Chaque université est libre d’organiser ses maquettes de formation mais il y a cependant une trame commune et tous les masters contiennent une unité d’enseignement (UE) de culture numérique d’un volume variable de 10 à 20 heures. Cette UE a pour objectif la formation « aux usages pédagogiques du numérique ». C’est dans cette UE qu’est généralement abordée la question de l’EMI, ce qui n’est pas sans poser problème : la dimension sociale du numérique et des pratiques qui fondent le cœur de l’EMI s’effaçant au profit d’une entrée technique, centrée sur la familiarisation avec les ressources et les outils numériques [Tréhondart, 2019 : 208]. Cette approche technique est d’autant plus prégnante que cette UE sert aussi de cadre pour permettre aux étudiants et/ou stagiaires de valider le C2i2e 53

(Certificat informatique et internet niveau 2 – Enseignant) qui, s’il n’est plus indispensable à la titularisation depuis 2014, fait toujours l’objet d’un accompagnement dans la formation. Dans le C2i2e, pas de référence non plus explicite à l’EMI, mais des compétences à acquérir par les enseignants ou à enseigner aux élèves directement en lien avec la culture numérique, comme celles liées à la recherche d’information.

Pour ce qui concerne la formation continue, l’EMI n’est guère plus visible dans les offres de formation, et se limite souvent à des dispositifs à destination des professeurs documentalistes et aux actions de formation proposées par le CLEMI. À cet opérateur s’en ajoutent d’autres, comme le CANOPE ou les DANE, chacun proposant ponctuellement des formations ou des animations sans forcément de cohérence globale, carence que le CLEMI, suite aux préconisations du CESE, a tenté de combler en publiant un référentiel de compétences des enseignants et formateurs en EMI 54

.

Pour Nolwenn Tréhondart, si l’EMI est quasi absente des maquettes de formation initiale, cela est en grande partie dû au caractère transversal de cet enseignement [Tréhondart, 2019 : 206]. Ce manque de visibilité peut aussi être mis en lien avec l’absence de vision commune de l’EMI et la confusion entre culture numérique et EMI, confusion qui donne à celle-ci une coloration technique et non humaniste. Par cette approche, l’EMI se dissout dans le CRCN (Cadre de référence des compétences numériques) alors que cette éducation pourrait être associée à l’éducation à la santé, aux arts, à la citoyenneté. Certains enseignements à l’université vont dans ce sens, par exemple le projet Scola Média (université d’Aix-Marseille) qui aborde la question de la citoyenneté numérique autour de la diffusion de vidéos pédagogiques [Gebeil, 2019] ou encore le dispositif « Bien être et réussite des élèves » (master MEEF PE – métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation – de l’université de Lorraine) basé sur la didactique curriculaire pour éduquer à une citoyenneté avec une posture réflexive et critique [Pierre, 2019].

Cette approche par la citoyenneté numérique rejoint celle préconisée par l’Unesco 55

et sa proposition de programme de formation des enseignants à l’EMI qui s’organise autour de trois grands domaines :

  • la connaissance et la compréhension des médias et de l’information dans la perspective du débat démocratique et de la participation sociale ;
  • l’évaluation des textes médiatiques et des sources d’information ;
  • la production et l’utilisation des médias et de l’information.

Penser une formation des enseignants qui intègre ces trois dimensions demande nécessairement de prendre en compte les travaux de recherche qui enrichissent sans cesse les connaissances sur les environnements médiatiques et leurs usages. Car l’EMI est à la fois une pratique professionnelle et un champ de recherche. Cette éducation « emprunte aux sciences de l’information et de la communication les outils conceptuels et théoriques qu’elle déploie, notamment dans ses perspectives critiques mais elle s’inspire également de la sociologie et des sciences politiques et fait des emprunts fréquents aux sciences cognitives, à la psychologie, et aux sciences de l’éducation qui lui offrent ses corpus théoriques et des méthodes centrées sur le développement des capacités autonomes des apprenants » [Landry et Basque, 2015]. Comme dans les pratiques professionnelles, la recherche en EMI est pluridisciplinaire. C’est aussi un champ de recherche qui entretient des relations étroites et prolixes avec les acteurs de terrain, les champs des pratiques et de la recherche coexistant et s’alimentant de manière structurelle [Féroc, Dumez, Loicq et Seurrat, 2019 : 33].

Les chercheurs en EMI ne sont pas prescripteurs des contenus de l’EMI ni de son enseignement. Pour autant les résultats de leurs recherches permettent d’imaginer ceux-ci et de concevoir un nouveau paradigme qui dépasserait l’approche technique et critique des médias actuellement dominante. Par exemple, Sophie Jehel et Alexandra Saemmer proposent de « redessiner les contours de l’éducation aux médias en contexte numérique » en élaborant « une grille d’interprétation du numérique articulant trois approches : l’économie politique des médias, la sociologie des usages et de la réception, la sémiotique sociale des interfaces » [Jehel et Saemmer, 2017 : 56]. Cette proposition pensée pour les élèves peut être mise en œuvre dans la formation des enseignants. C’est l’expérience menée par Alexandra Saemmer et Nolwenn Tréhondart dans le dispositif de formation à destination des professeurs documentalistes qu’elles ont élaboré sur l’appréhension des réseaux sociaux par la sémiologie sociale [Saemmer et Tréhondart, 2019].

Par ailleurs, les travaux sur les pratiques numériques juvéniles sont un apport majeur dans la formation à l’EMI. Ils permettent de dépasser les représentations des enseignants, d’appréhender celles des élèves et de construire des dispositifs d’enseignement qui prennent en compte ces pratiques et partent de celles-ci pour construire des compétences. Par exemple, les travaux d’Anne Cordier sur les pratiques informationnelles des adolescents déconstruisent le mythe du « digital natif » 56

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Le concept de « digital native » a été inventé par Marc Prensky en 2001 pour qualifier la génération qui « parlait le langage numérique des ordinateurs, des jeux vidéo et de l’Internet », c’est-à-dire les utilisateurs des outils numériques qui sont nés et ont grandi avec les outils numériques. On parle aussi de génération Y ou des enfants du millénaire (millennials en anglais).

mais aussi celui du « digital naïf », mythe selon lequel le manque de compétences des élèves s’accompagne aussi d’une grande naïveté face aux univers numériques, à leur mode de fonctionnement économique et à leurs enjeux [Cordier, 2015 ; Cordier, 2019]. Les travaux sur les pratiques juvéniles des techno-médias permettent d’appréhender les enjeux des usages et ainsi de construire des séances qui ne seraient plus prescriptives de bons usages mais accompagnatrices des expériences qu’ils font sur internet en prenant en compte, entre autres, le poids des structures sociales dans ces usages [Boubée et Martin, 2019 : 14]. Enfin, ces travaux, doivent être couplés avec ceux en sciences de l’éducation et en sciences cognitives pour affiner les dispositifs d’apprentissages. Fort de ces apports, la formation en EMI pourra prétendre viser la transformation des pratiques sociales et la scolarisation des pratiques existantes [Fabre, 2014 : 3].

L’originalité de l’éducation aux médias réside ainsi tout à la fois dans la synthèse théorique qu’elle effectue et la pédagogie qu’elle emploie afin de s’adresser à un public composé prioritairement d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes [Martens cité in Landry, 2017 : 12]. « Il s’agit d’un champ fondamentalement normatif, dont les finalités sont orientées par des projets éducatifs qui intègrent des valeurs et des objectifs sociaux et politiques. L’éducation aux médias s’aborde donc en tant que praxis, c’est-à-dire en tant que pratique transformative opérant un dialogue constant entre la pratique et la théorie, entre la réflexion et l’action » [Kellner et Share cités in Landry 2017 : 12]. Cette praxis doit aussi s’appuyer sur les pratiques des enseignants, par la prise en compte de leurs sphères de références et de représentations des univers médiatiques, par le développement de leur « être au monde informationnel » [Serres, 2012 : 10].

Si les contenus de l’EMI et les modalités de mise en œuvre de cette éducation sont loin d’être clairement identifiés par tous les acteurs de l’éducation, il en va de même pour la formation à l’EMI. Beaucoup reste à faire. Pour autant, la nécessité d’éduquer aux médias et à l’information et de former à cette éducation est désormais reconnue par les acteurs du monde éducatif et, dans ce contexte, la mise en place de dispositifs de formation est plus aisée.

Former les acteurs de l’EMI

Le projet de diplôme universitaire (DU) formant les professionnels à l’EMI est porté par trois membres de l’équipe numérique de l’Inspé de Lyon pour qui enseigner l’EMI est une priorité depuis de nombreuses années 57

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Valentine Favel-Kapoian, enseignante, laboratoire ELICO (responsable pédagogique du DU), Fanny Lignon, MCF SIC, laboratoire Thalim (responsable administrative du DU), Isabelle Tourron, enseignante. Le projet de DU EMI a été voté au CFVU de l’université Lyon-1 en décembre 2019. Inscription au répertoire spécifique en cours. Ouverture prévue à la rentrée 2020.

. Si le projet était en gestation de longue date, c’est bien la prise de conscience récente des enjeux de cette éducation de la part des autres collègues de la formation initiale et continue, des responsables universitaires et des partenaires, qui permet aujourd’hui sa mise en œuvre. Par ailleurs, ce projet répond à un besoin. En effet, l’offre de formation certifiante en EMI est actuellement très pauvre puisqu’il n’existe qu’un seul master 2 MEEF EMI dispensé à distance par l’université de Toulouse, master ouvert aux enseignants et aux CPE (conseillers principaux d’éducation) 58. Notre projet visant un public plus large que celui des enseignants, nous avons opté pour un DU. Celui-ci, accessible à bac + 2, est proposé à toute personne des secteurs éducatifs (enseignants des 1er et 2nd degrés, CPE, membres de la vie scolaire, personnels d’encadrement et de direction), culturels ou sociaux qui travaille avec des adolescents et souhaite élaborer des dispositifs d’accompagnement et/ou de formation en EMI.

Ce choix d’un public large favorisera la confrontation des objectifs, des expériences et des pratiques pour le plus grand bénéfice des partenariats qui se nouent de plus en plus dans les territoires. En effet, l’EMI ne peut être le pré carré d’une profession, et ses contenus sont sans cesse redéfinis par les expériences des acteurs qui la vivent.

Cette vision de la formation est incarnée par le comité de perfectionnement sur lequel s’appuie ce diplôme, qui regroupe des personnes aux profils divers (un enseignant-chercheur, un enseignant-formateur, trois personnels d’encadrement, un conservateur de bibliothèque, une coordinatrice du CLEMI, un médiateur numérique et une éducatrice spécialisée), et aussi par son organisation, pensée de façon à favoriser les échanges et les rencontres avec des professionnels. En effet, si le DU se structure en quatre blocs, il se construit aussi autour de trois journées, dites « séminaires », ouvertes à d’autres publics et qui proposeront des conférences de spécialistes et des tables rondes entre professionnels. L’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) est partenaire de ce DU et plus spécifiquement sur ces journées séminaires. Par ailleurs, pour l’évaluation du bloc 4 « construire les dispositifs d’accompagnement éducatif en fonction des contextes », les étudiants devront élaborer un projet d’EMI dans leur contexte professionnel et seront, pour cela, tutorés par des pairs en activité. Par ailleurs, cette mise en projet s’inscrit dans une pédagogie de l’action (learning by doing) qui doit interroger les pratiques habituelles et faire émerger de nouvelles réponses.

Ce DU s’adresse à des personnes en activité qui voudraient optimiser leurs pratiques professionnelles et mettre en place des dispositifs de formation à l’intention de leurs collègues afin d’impulser une dynamique d’équipe autour de l’EMI dans leur secteur d’activité. Pour favoriser cette mise en œuvre, le DU apportera les connaissances nécessaires à l’analyse des pratiques professionnelles, des pratiques numériques juvéniles et de la société de l’information afin de dépasser la triade translittératique « savoir, savoir-faire et savoir-être » 59

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La translittératie peut être définie comme « l’habileté à lire, écrire et interagir par le biais d’une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication, de l’iconographie à l’oralité en passant par l’écriture manuscrite, l’édition, la télé, la radio et le cinéma, jusqu’aux réseaux sociaux ». Source : https://www.enssib.fr/le-dictionnaire/translitteratie.

en lui associant le savoir-devenir 60
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« Le savoir-devenir ajoute au précédent [savoir-être] une perspective dynamique et temporelle : la manière dont la personne se met en projet en tentant d'infléchir le cours des choses, en cherchant du sens dans son futur. » (Bricoult G., Lebrun M., Smidts D., Comment construire un dispositif de formation ?, Bruxelles, De Boeck Université, 2007, p. 52.)

[Lebrun, 2011 : 27]. Acquérir des savoir-devenir, c’est adopter un regard bienveillant sur les pratiques des jeunes, développer l’esprit critique face aux univers numériques et médiatiques, accepter que tout soit en perpétuelle construction. Il s’agit d’apprendre à penser le mouvant afin de proposer une EMI qui prenne en compte l’incertitude et permette l’avènement d’une citoyenneté renouvelée.

Encadré 2. DU de l'Inspé de Lyon : un diplôme universitaire axé sur l’EMI

Comment éduquer et accompagner les adolescents dans l’univers médiatique contemporain pour les aider à grandir ?

Objectifs du diplôme

• Comprendre l’environnement médiatique contemporain.

• Accompagner les usages juvéniles du numérique en faisant preuve d’ouverture et d’esprit critique.

• Maîtriser les environnements multimédias interactifs.Construire un accompagnement éducatif adapté à son environnement institutionnel.

• Prendre en compte les résultats de la recherche.

• Acquérir une posture de formateur occasionnel.

Organisé en quatre blocs d’une vingtaine d’heures chacun (pour un total de formation de 114 heures), ce DU est dispensé sous forme hybride avec 50 % des enseignements à distance (classes virtuelles, activités en ligne, ressources en ligne). En présentiel, ce DU alterne cours magistraux, travaux dirigés et accompagnement tutoré par les pairs.

Présentation de la maquette du DU sur le site de l’Inspé de Lyon :

https://inspe.univ-lyon1.fr/formation/offre-de-formation/du-education-aux-medias-et-a-l-information-1049119.kjsp

Plaquette du DU : https://inspe.univ-lyon1.fr/medias/fichier/du-emi_1590494731048-pdf?ID_FICHE=346346


Former autrement et d’autres publics : exemple d’un retour d’expérience sur un dispositif de formation

Éduquer aux médias et à l’information dans le cadre des sciences médico-sociales

Les étudiants inscrits en master MEEF 2nd degré BGB-BSE-STMS (Biochimie génie biologique ; Biotechnologique santé environnement ; Sciences et techniques médico-sociales) se destinent à enseigner en lycée professionnel et technique. Dans le cadre de leur deuxième année de master à l’Inspé de Lyon, ces étudiants ou stagiaires (s’ils ont réussi le concours) suivent un module de formation de 33 heures au numérique éducatif, dont 12 heures en culture numérique. Axé autour de la thématique « Développer l’esprit critique face à l’information », cet enseignement poursuit un triple objectif : comprendre les fonctionnements et les enjeux des environnements médiatiques actuels ; imaginer des mises en œuvre pédagogiques dans le cadre de la discipline ; découvrir des outils numériques pédagogiques. Il s’organise en trois travaux dirigés de 4 heures : appréhender l’offre informationnelle actuelle ; découvrir les enjeux de l’univers médiatique ; esprit critique et démarche scientifique. Au-delà des intitulés, c’est bien l’EMI qui est abordée dans ces enseignements, puisqu’ils permettent aux étudiants et stagiaires d’acquérir des savoirs sur les univers médiatiques, d’interroger leurs propres pratiques et représentations, mais aussi de concevoir des apprentissages pour leurs futurs élèves.

Cette année, nous avons décidé de renforcer l’enseignement en EMI en ajoutant à ce programme un cours magistral de 4 heures sur les pratiques numériques juvéniles et un module projet de 30 heures (de décembre à février) sur le thème « Petite enfance, santé et écrans : accompagnement à la parentalité ». Ces étudiants pourront être amenés, lorsqu’ils auront obtenu leur CAPET 61

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CAPET – Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique.

ou CAPL 62
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CAPL – Certificat d’aptitude au professorat de lycée professionnel.

, à enseigner les sciences médico-sociales dans le cadre du CAP AEPE 63
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AEPE – Accompagnement éducatif petit enfance, qui forme, entre autres, les ASEM (agents spécialisés des écoles maternelles). On parle aussi de ATSEM, agent territorial spécialisé des écoles maternelles.

et du bac pro ASSP 64
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ASSP – Accompagnement soins et services à la personne, qui prépare à différentes professions dont auxiliaire puéricultrice

, deux diplômes qui forment aux métiers liés à la petite enfance. Éduquer les jeunes publics aux médias et à l’information est un enjeu majeur, et qui pourtant ne produit pas beaucoup de ressources, ni de scénario, ni ne fait l’objet de beaucoup de recherches. C’est pourquoi nous avons décidé de présenter le résultat final aux autres étudiants et aux professionnels lors de la « Semaine des maternelles ».

Petite enfance, santé et écrans : accompagnement à la parentalité

Le module projet portant sur « Petite enfance, santé et écrans : accompagnement à la parentalité » a été pris en charge par une équipe de quatre enseignantes : deux enseignantes de l’Inspé et deux enseignantes en établissement scolaire 65

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Valentine Favel-Kapoian, formatrice à l’Inspé de Lyon, équipe numérique éducatif ; Nabila Hadj-Hamad, professeure en STMS (sciences et techniques médico-sociales) au lycée polyvalent Jacques-Brel de Vénissieux ; Najia Medkhas, professeure en STMS au lycée professionnel Danielle-Casanova à Givors ; Louisa Rebih, formatrice à l’Inspé, STMS, doctorante au labo HESPER, recherche en cours sur « la littératie en santé et les inégalités sociales de santé ».

. L’objectif de ce module était de favoriser la professionnalisation des étudiants stagiaires en travaillant de façon collective (entre pairs et avec d’autres professionnels), en utilisant la méthodologie de projet 66, par ailleurs dispensée en STMS, et en concevant un dispositif de sensibilisation aux usages des écrans par les jeunes enfants. Autre contrainte, ce dispositif à destination des familles devait prendre en compte la parole des enfants et permettre la coéducation 67
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Travail conjoint de tous les adultes (parents et professionnels) pour permettre l’éducation de l’enfant.

.

Ce module s’est organisé en quatre étapes :

  • préparation et diagnostic : enjeux de la thématique et définition des objectifs de l’outil de sensibilisation ;
  • élaboration du projet et création de l’outil de sensibilisation ;
  • étape de test in situ en crèche et maternelle ;
  • étape d’évaluation et de valorisation du projet durant la semaine de la maternelle.

La première partie du module (12 heures) avait pour objectif d’amener les étudiants à cerner les enjeux de la thématique, de façon à leur permettre de construire une activité avec de jeunes enfants qui prenne en compte les rapports complexes liés aux pratiques [Pierrot, Tilleul, Entraygues et Landry, 2019 : 85]. Pour cela, nous avons utilisé la méthodologie de la cartographie des controverses : « L’objectif de la cartographie des controverses est de décrire les parties prenantes d’une controverse, leurs positions, intérêts, arguments, les relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres, et les arènes dans lesquelles elles s’expriment » [Nicolas, 2019 : 4]. Cette méthodologie élaborée par le Medialab de Sciences Po  68

(dirigé par Bruno Latour et cofondé avec Tommaso Venturini) est déployée dans le secondaire dans le programme FORCCAST 69. Orélie Desfriches-Doria en propose une adaptation originale 70 plus sociologique et qualitative, davantage centrée sur les arguments. Notre approche de cette méthodologie a été assez basique, puisque nous avons « confronté les étudiants à la diversité des points de vue, tout en accompagnant l’analyse des controverses de l’application des principes de la théorie de l’Acteur-Réseau, tout en l’équipant des outils méthodologiques » (cartes mentales) [Défriches-Doria, Dessinges et Ihadjadène, 2018 : 8]. Au terme de ce travail, les étudiants stagiaires se sont entendus pour élaborer un outil de sensibilisation qui dépasse les approches anxiogènes largement dominantes dans ce débat médiatique et qui propose un accompagnement fondé sur la question des usages (temps, lieu, objectifs) et les ressentis, plutôt que celle des interdits et des effets néfastes. Pour cela, ils ont conçu un outil diagnostic qui permet d’appréhender les usages et de servir de support de discussion entre les enfants et les parents.

Durant la deuxième partie du module projet, l’outil diagnostic a été réalisé et un protocole d’usage a été défini. Au final, deux outils ont été produits, sensiblement identiques, l’un à destination des enfants de la crèche (pour les moins de 36 mois) et l’autre de ceux de l’école maternelle (grande section). Ils se présentent tous les deux sous la forme d’une frise figurant les temps d’une journée (avant l’école, trajets, repas, coucher, etc.) et sur laquelle les enfants doivent placer des vignettes « activités écrans » (télévision, téléphone portable, ordinateur, tablette) en fonction de leurs usages et des « vignettes émotions » (joie, tristesse, peur et colère) en fonction de leur ressenti pour chaque usage et temporalité. Ces outils de diagnostic ont été conçus pour faire émerger la parole des enfants et non pour répertorier les usages ou réaliser une enquête scientifique.

La troisième partie correspondait au temps de test in situ. La frise a été remplie par les enfants encadrés par les adultes présents (étudiants stagiaires, auxiliaires puéricultrices pour la crèche, ATSEM et enseignants pour l’école). Parallèlement à l’outil de diagnostic, les étudiants stagiaires avaient produit des documents de présentation du projet, rédigé un questionnaire à destination des parents et réalisé des affiches de sensibilisation. Les résultats de l’enquête et de l’activité avec les enfants ont été présentés lors d’un café-parents à l’école maternelle et d’une exposition à la crèche. Enfin, l’ensemble du projet a fait l’objet d’une production écrite et a été présenté, sous forme d’atelier, en s’appuyant sur les visuels produits, lors de la semaine de la maternelle à l’Inspé de Lyon (12 février 2020).

Bilan du dispositif de formation

D’après Roland Viau, pour qu’une activité pédagogique puisse susciter et maintenir la motivation des étudiants, il faut qu’elle respecte dix conditions majeures : « être signifiante aux yeux de l’étudiant, être diversifiée et s’intégrer aux autres activités, représenter un défi pour l’étudiant, être authentique, exiger un engagement cognitif de la part de l’étudiant, responsabiliser l’étudiant en lui permettant de faire des choix, permettre à l’étudiant d’interagir et de collaborer avec les autres, avoir un caractère interdisciplinaire, comporter des consignes claires, se dérouler pendant une période de temps suffisante » [Viau, 2006]. L’ensemble du module projet regroupait ces dix conditions, ce qui explique sans doute la motivation des étudiants stagiaires durant celui-ci. Pour autant, la motivation ne garantit pas l’efficacité, c’est-à-dire l’intégration de l’EMI dans leur développement professionnel. Cependant, une enquête que nous avons réalisée après-coup auprès des étudiants stagiaires révèle un fort degré d’utilité, ce qui peut présager d’un réinvestissement probable des acquis dans leur future profession [Viau, 2006 : 5].

De notre point de vue, ce dispositif de formation est pertinent puisqu’il a permis la professionnalisation des étudiants stagiaires par l’acquisition de compétences en EMI. En effet, durant ce module, ils ont acquis des connaissances (sur les usages des écrans par les enfants), des savoir-faire (construire un outil de diagnostic pertinent et des documents de communication efficaces) et des savoir-être (développer son esprit critique et adopter une attitude responsable face à des publics). Pour autant, si ce module projet permet de répondre aux attentes institutionnelles en termes d’EMI (dont le travail en pluridisciplinarité et la sensibilisation des élèves à un usage raisonné du numérique), il est insuffisant à bien des égards, par exemple pour permettre le développement de compétences informationnelles. Comme Norman Landry, nous nous interrogeons sur la capacité de ces pratiques pédagogiques à développer des savoirs et des compétences ciblés [Landry, 2017 : 11]. La question des limites d’un dispositif en EMI se pose avec les élèves mais aussi avec les étudiants et, à défaut d’un curriculum de formation obligatoire, les objectifs des dispositifs ne peuvent que rester modestes.

Conclusion

La formation à l’EMI doit s’imposer les mêmes contenus et modalités pédagogiques que ce vers quoi elle tend avec les élèves : « Compétences et pratiques sont intimement liées : les compétences s’exercent et s’apprécient dans le cadre de pratiques qui les mobilisent et les développent simultanément » [Pierrot, Tilleul, Entraygues et Landry, 2019 : 84]. Autrement dit, c’est en forgeant que l’on devient forgeron… Pour cela, il est indispensable de partir de ce que les enseignants sont, de ce qu’ils font, de prendre en compte leurs représentations [Lehman et Pascau, 2015 : 10] et de faire de même avec les élèves. Partir des pratiques et des représentations des enseignants et futurs enseignants, apporter des savoirs sur les univers médiatiques et leurs enjeux, élaborer des dispositifs de formation qui favorisent la professionnalisation et permettent d’imaginer des situations pédagogiques d’apprentissages pour les élèves, tels pourraient être les ingrédients d’une formation à l’EMI pertinente. Par ailleurs, les dispositifs de formation doivent prendre en compte les pratiques éducatives (formelles et informelles, issues du cadre scolaire, familial, social, etc.) ; le domaine de la recherche (fondamentalement pluridisciplinaire) et le champ des politiques publiques [Feroc-Dumez, Loicq et Seurrat, 2019 : 32].

La formation des enseignants est en réforme, même si la crise sanitaire du coronavirus a mis ce chantier entre parenthèses. De nouvelles modalités de concours sont en cours d’élaboration. Il se murmure que la recherche d’information sera présente dans une épreuve d’admission… Les maquettes de formation vont être repensées en termes de compétences et les liens entre les structures intervenant dans la formation des enseignants redéfinis. Gageons que ces réformes pourront donner à l’EMI les cadres qu’elle mérite pour atteindre ses objectifs.

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