L’éducation aux médias et à l’information

Un enjeu de politique culturelle et citoyenne

Laurine Arnould

Jean-Christophe Théobalt

Le BBF s’entretient avec Laurine Arnould et Jean-Christophe Théobalt, chargés de mission au ministère de la Culture et de la Communication, sur les enjeux de l’éducation aux médias et de la médiation numérique.

BBF : Le paysage informationnel se trouve reconfiguré par le numérique, avec un impact profond sur les modes de production, de circulation et d’accréditation de l’information. La compréhension des phénomènes informationnels et le décryptage de nos environnements médiatiques constituent aujourd’hui un enjeu sociétal majeur pour garantir l’autonomie et l’émancipation des citoyens. Comment et pourquoi le ministère de la Culture s’est-il emparé de ces questions ? Comment en est-on arrivé à parler d’éducation aux médias et à l’information (EMI) ?

Laurine Arnould et Jean-Christophe Théobalt : Dès les années 1980, la notion d’éducation aux médias apparaît et elle est consacrée en 1982 lors d’un symposium international organisé par l’Unesco sur les liens entre l’éducation et le monde des médias et de la communication. Résultat de cette rencontre des acteurs de 19 pays différents, la Déclaration de Grünwald 1

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Déclaration de Grünwald sur l’éducation aux médias, 22 janvier 1982 : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/DeclGrunwald.pdf

parle alors surtout d’« éducation aux médias » et appelle les autorités compétentes à organiser et à accompagner le développement d’actions auprès de différents publics. L’idée qu’il ne s’agit pas d’une discipline uniquement pensée pour le jeune public est d’ores et déjà présente et c’est une constante quand on parle d’EMI, même si, bien sûr, les enfants et les adolescents font l’objet d’une attention toute particulière dans les actions qui sont montées. Dans la foulée est créé, en 1983, le Centre de liaison pour les moyens d’information (futur CLEMI) 2
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Le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) est un service du Réseau Canopé chargé de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans l’ensemble du système éducatif français : https://www.clemi.fr/

, acteur historique de l’EMI en France.

Ce sont les pratiques et les usages des individus, et notamment leur relation aux écrans, qui font évoluer les discours sur l’EMI et renforcent l’importance de la discipline aux yeux des acteurs et des pouvoirs publics. L’augmentation des usages de la télévision dans les années 1980 a contribué à l’émergence de cette notion d’EMI. Les prémices d’internet au début des années 1990 et son arrivée massive dans l’univers domestique dans les années 2000 sont venues exacerber certains phénomènes médiatiques et encourager le développement d’actions d’EMI pour donner des repères dans un univers informationnel de plus en plus dense et complexe. Au milieu des années 2000, le colloque organisé à Alexandrie 3

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Proclamation d'Alexandrie sur la maîtrise de l'information et l'apprentissage tout au long de la vie, 6-9 novembre 2005 : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/1913-proclamation-d-alexandrie-sur-la-maitrise-de-l-information-et-l-apprentissage-tout-au-long-de-la-vie.pdf

par l’Unesco sur la maîtrise de l’information donne lieu à une proclamation qui rappelle que « la maîtrise de l'information et l'apprentissage tout au long de la vie sont les phares de la société de l'information » et qu’il est essentiel que les États s’engagent dans ce domaine.

C’est en 2012 que le terme d’EMI prend de l’ampleur en France, sous l’influence de l’Unesco qui parle désormais de « Media and Information Literacy » (MIL) dans sa proposition de programme de formation pour les enseignants. Le terme est traduit en français par « éducation aux médias et à l’information », actant le rapprochement et la fusion de deux domaines jusqu’alors pensés distinctement : l’éducation aux médias (media literacy) et l'éducation à l'information (information literacy). Ce rapprochement des deux notions est apparu de plus en plus évident au regard des enjeux du web et de l’interconnexion entre production et modes de diffusion de l’information. L’année suivante, en 2013, la France inscrit l’EMI dans le code de l’éducation en tant qu’enseignement transversal, consacrant ainsi le travail mené par de nombreux enseignants dans leurs classes et encourageant de nouvelles initiatives en milieu scolaire.

Pour tous les acteurs de l’EMI et pour les pouvoirs publics, les attentats de Charlie Hebdo en 2015 et les réactions à la suite du drame ont été le signe d’une urgence à agir pour rétablir la relation entre les médias et les citoyens, et défendre des valeurs républicaines comme la liberté d’expression. Ils ont poussé à développer de nouvelles méthodes, de nouveaux dispositifs d’accompagnement, de nouvelles formations afin de toucher davantage de publics. Les réponses, tant du côté de l’Éducation nationale que du ministère de la Culture, se sont ainsi renforcées et structurées pour accompagner les acteurs de terrain. L’ensemble des polémiques liées aux élections présidentielles américaines de 2016 et la mise en lumière du phénomène des fake news n’a fait que renforcer cet objectif collectif de lutte contre la désinformation pour garantir la vitalité de nos systèmes démocratiques. C’est bien au milieu des années 2010 que le paradigme a évolué : d’une discipline importante, l’EMI est devenue un enjeu essentiel et urgent pour nos sociétés et nos modèles politiques.

La notion d’EMI est donc apparue progressivement et a bénéficié d’évènements et de déclarations rappelant régulièrement son importance et son rôle dans des sociétés de plus en plus confrontées à la complexification et à la massification des modes d’information. Si l’appareil discursif a permis à la discipline de s’affirmer et aux décideurs de l’inscrire dans des programmes d’accompagnement des professionnels, le terme d’EMI n’a pas tout de suite fait et ne fait toujours pas pleinement l’unanimité parmi ses propres acteurs. En effet, au-delà de son aspect vertical, le mot « éducation » reste encore, pour certains acteurs, trop connoté « Éducation nationale » pour être associé aux actions menées sur le terrain. Lors d’une table ronde organisée par le ministère de la Culture au Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil en 2016, les intervenants soulignaient ainsi que le terme était loin d’être utilisé pour décrire les actions menées en bibliothèque, quand bien même elles s’en emparaient de plus en plus. Aujourd’hui, le terme est davantage utilisé, sous l’influence de la mise en place de programmes d’accompagnement et de formation des acteurs, ayant renforcé la présence de l’EMI dans le discours administratif, professionnel et politique.

Si l’EMI se rapproche d’autres problématiques liées au numérique, comme l’inclusion numérique, il s’agit bien d’une matière à part entière même si elle partage des enjeux autour de la question des usages et des compétences numériques et informationnelles. Les objectifs de l’EMI et de l’inclusion numérique diffèrent : là où l’inclusion a pour but de permettre à chacun d’acquérir des compétences et des connaissances nécessaires pour être à l’aise dans l’univers numérique, l’EMI ambitionne de développer une compréhension et des usages autonomes et éclairés dans un environnement informationnel dense et protéiforme. Il s’agit de développer un esprit critique, une capacité d’analyse et une lecture distanciée des contenus médiatiques grâce à une connaissance de l’univers des médias et des phénomènes informationnels. L’EMI regroupe différentes approches qui se font toutes écho et constituent l’essence de la discipline : le décryptage de l’information, la compréhension du paysage des médias, la connaissance de la fabrique de l’information et des phénomènes informationnels, l’analyse de l’image, le travail sur la citoyenneté, les stéréotypes et les biais cognitifs ou encore la maîtrise de l’environnement web et des enjeux qui y sont liés comme la question des données.

BBF : Faut-il voir l’EMI comme une préoccupation nouvelle suscitée par l’actualité ou ne faisait-on pas déjà de l’EMI à travers d’autres dispositifs ?

Laurine Arnould et Jean-Christophe Théobalt : Effectivement, on faisait de l’EMI bien longtemps avant que le terme n’apparaisse. C’est particulièrement le cas en bibliothèque, où on fait de l’EMI sans le savoir, comme Monsieur Jourdain. S’il était difficile en 2016 de repérer les actions menées par les bibliothèques, parce qu’elles étaient moins nombreuses et que le terme n’était pas encore largement utilisé, ce n’est plus le cas aujourd’hui. De nombreux établissements ont développé une programmation et des actions spécifiques ces dernières années. Le nombre d’actions identifiées semble ainsi augmenter depuis 2015-2016, mais cela ne veut pas dire qu’on ne faisait pas d’EMI auparavant en bibliothèque notamment au travers d’actions d’EAC, de médiation numérique ou encore au sein de la programmation culturelle.

On observe désormais que le terme s’est généralisé et qu’il est de plus en plus utilisé par des acteurs qui ne s’y référaient pas avant. Nous y voyons ici plusieurs éléments d’explication. Dans un premier temps, les discours institutionnel, politique et journalistique se sont emparés du terme et ont contribué à sa médiatisation, notamment depuis les attentats de 2015. En parallèle de ce discours, des dispositifs d’accompagnement des acteurs ont été mis en place par les pouvoirs publics, notamment les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture mais aussi par d’autres institutions comme le ministère de la Justice, et ont contribué à populariser le terme d’EMI auprès d’acteurs de plus en plus nombreux.

Nous le voyons au ministère, il est plus facile de repérer les actions menées grâce aux différents dispositifs d’accompagnement que nous avons pu mettre en place.

En lien avec la généralisation du terme d’EMI, ce qui semble avoir changé également c’est le regard qui est porté sur la discipline. Nous l’avons vu, depuis 2016, l’urgence à agir est prégnante dans les discours entourant l’EMI et les acteurs, qu’ils soient journalistes, enseignants, médiateurs ou bibliothécaires, en ont parfaitement conscience. Cet impératif et les enjeux sociétaux autour de l’EMI sont des moteurs pour la mise en place de nouvelles actions et la mobilisation de nouveaux acteurs. Un certain nombre d’entre eux peuvent justement s’appuyer sur des compétences déjà acquises dans d’autres domaines. L’EMI et la formation à la recherche documentaire font par exemple appel aux mêmes méthodologies d’analyse des sources et de l’information. De la même manière, si l’EMI se distingue de l’éducation à l’image, les logiques de décryptage des éléments visuels restent les mêmes. Il ne s’agit donc pas d’une matière nouvelle à découvrir mais bien d’un champ dans lequel remobiliser des compétences et ressources.

Si l’EMI n’est pas une préoccupation nouvelle, il n’en reste pas moins que les enjeux associés et les objets d’analyse évoluent rapidement. L’univers numérique et médiatique est en recomposition permanente et l’émergence de phénomènes informationnels nouveaux nécessite une forte adaptabilité chez les acteurs de l’EMI. La formation et la veille professionnelle sont donc au cœur des problématiques de l’EMI pour que les acteurs puissent être à même d’intervenir auprès de leurs publics. La complexité du monde de l’information et des médias et la multiplicité des approches (fabrique de l’information, lutte contre les fake news et le complotisme, décryptage…) sont susceptibles d’intimider des acteurs pourtant armés et identifiés comme pouvant intervenir, d’autant plus si cela ne constitue pas leur cœur de métier. Il faut noter que ces problématiques rejoignent aussi des questions d’usages des outils numériques et des réseaux sociaux avec lesquels certains acteurs ne sont pas forcément à l’aise, tant sur un plan professionnel que personnel d’ailleurs. L’EMI vient également bousculer les modes d’animation et d’intervention auprès des publics : là où la verticalité peut fonctionner dans certains domaines, l’EMI appelle plus d’horizontalité et un changement de posture pour pouvoir échanger avec les publics et répondre à d’éventuelles défiances envers les médias. La complexité des problématiques liées à l’EMI appelle donc à sortir de la posture du sachant et à aller vers des pédagogies plus participatives pour inclure les publics dans une réflexion collective. Ces changements de paradigme confrontent les acteurs identifiés pour intervenir à des enjeux qui dépassent la simple question des moyens financiers et humains. Les journalistes par exemple, bien qu’en première ligne pour fabriquer et diffuser l’information, ne sont pas forcément formés à intervenir directement auprès des publics. C’est également le cas des bibliothécaires, professionnels de l’information reconnus, mais qui n’ont pas toujours les moyens de proposer des actions d’EMI.

Afin de surmonter ces freins au développement d’actions d’EMI et à la mobilisation des acteurs, il apparaît indispensable de miser sur la formation et le développement de partenariats. C’est ce que le ministère de la Culture encourage dans les différents dispositifs qu’il met en place.

BBF : Quels sont les acteurs identifiés et les actions déployées par le ministère de la Culture pour accompagner la mise en œuvre de l’EMI sur le territoire ?

Laurine Arnould et Jean-Christophe Théobalt : Si des acteurs de l’EMI existent dès les années 1980, on observe que de plus en plus de structures interviennent sur le territoire. Le CLEMI joue bien sûr un rôle historique en matière d’émergence et de structuration de l’EMI en France. Il intervient principalement auprès des enseignants et assure une mission nationale pour le ministère de l’Éducation nationale, mais de nombreux acteurs jouent un rôle en parallèle. Les associations d’éducation populaire et les associations des professionnels de l’information se sont également emparées de la question de l’EMI, au même titre qu’un certain nombre d’entre elles sont intervenues très vite dans le domaine de l’EAC.

Le ministère de la Culture accompagne ces structures par le biais de subventions au titre de l’EMI depuis 2015 et a pu renforcer son soutien à compter de 2018 dans le cadre de son plan EMI. Les bibliothèques sont identifiées comme des actrices essentielles de l’EMI depuis le milieu des années 2010 et le plan EMI du ministère de la Culture a permis de venir compléter des dispositifs auxquels elles émargeaient déjà.

Mis en place en 2018, le plan EMI du ministère de la Culture est venu renforcer le soutien aux acteurs de terrain et des dispositifs comme les résidences de journalistes (voir encadré ci-dessous). Il a pour objectif d’accompagner les publics, et notamment les jeunes, dans le bon usage des médias et le décryptage de l’information. Doté d’une enveloppe annuelle de 3 millions d’euros depuis 2018, il a permis de développer un certain nombre d’actions au niveau national et en région par le biais des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Il s’articule autour de trois objectifs principaux : le développement de l’EMI en bibliothèque, le renforcement du soutien aux acteurs de l’EMI et la mobilisation des acteurs des médias. Il était important que le plan puisse s’adresser à l’ensemble des acteurs identifiés de l’EMI et il a ainsi été pensé en transversalité au sein du ministère de la Culture, associant le Service de la coordination des politiques culturelles et de l’innovation (SCPCI) du Secrétariat général et les services des médias, du livre et de la lecture au sein de la Direction générale des médias et des industries culturelles.

Des résidences de journalistes

À partir de 2016, le ministère de la Culture a mis en œuvre un programme de résidences de journalistes visant à élargir les démarches de résidence soutenues jusqu’à présent dans les domaines artistiques et culturels, vers le champ des médias et de l’éducation à l’information. Ces résidences constituent une nouvelle modalité d'intervention dans le cadre de la montée en puissance des actions du ministère dans le domaine de l’EMI depuis 2015.

Ces résidences ont pour vocation d’accompagner le développement et la structuration de médias de proximité et de mettre en œuvre des actions d’éducation aux médias et à l’information à destination de publics diversifiés. Elles se déroulent principalement, mais pas exclusivement, dans des territoires prioritaires (politique de la ville et milieu rural).

Elles sont menées par un journaliste seul ou une équipe/un collectif de journalistes, peuvent concerner tous types de médias et s’appuient sur la grande diversité des structures d’accueil ou partenariales (culturelles, socioculturelles, éducatives), dont notamment des bibliothèques.

Ce programme est géré de manière déconcentrée : la sélection et le financement des projets de résidences sont assurés par les DRAC qui soutiennent chaque année une centaine de résidences de journalistes sur l'ensemble du territoire national.

https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Developpement-culturel/Le-developpement-culturel-en-France/Education-aux-medias/Programme-de-Residences-de-journalistes


Depuis 2019, le soutien aux acteurs de l’EMI passe par un appel à projets national et par la déconcentration de crédits dans les DRAC pour soutenir des projets régionaux et locaux. Renouvelé en 2020, l’appel à projets national vise à susciter de nouveaux projets autour de l’EMI, qu’il s’agisse du développement d’outils et plateformes ou encore de la formation des professionnels. En 2020, l’accent est également mis sur la problématique de l’évaluation et des méthodologies d’évaluation des projets et des actions d’EMI. En 2019, 50 projets sur 91 déposés ont ainsi pu être soutenus dans ce cadre. En parallèle, le ministère de la Culture poursuit son soutien aux acteurs de l’EMI hors appel à projets, de la même manière que le font les DRAC en région pour les projets locaux.

Une partie des crédits du plan EMI a été mobilisée pour soutenir le développement d’actions en bibliothèque autour de deux axes : la formation des professionnels et l’expérimentation de services civiques EMI en bibliothèque. Le ministère de la Culture, par le biais des DRAC, a ainsi renforcé son soutien aux Centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB) afin de développer des stages de formation spécifiques et travaille actuellement avec l’Enssib autour de cette question.

L’expérimentation de services civiques EMI en 2018-2019 a concerné une quinzaine de territoires dans six régions différentes. Ce dispositif s’est appuyé sur les associations Unis-Cité et AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville) pour le recrutement et la coordination des volontaires en services civiques, et sur les bibliothèques départementales, et municipales ou intercommunales, et leur réseau pour accueillir et encadrer les volontaires. Plus de 200 volontaires dans 85 bibliothèques ont ainsi été mobilisés sur plusieurs mois pour élaborer des actions d’EMI avec les équipes. Le bilan de cette expérimentation est dans l’ensemble positif avec de nombreuses actions menées auprès d’un public principalement jeune (60 % des bénéficiaires des actions ont entre 7 et 15 ans). Les retours des professionnels et des volontaires mettent en avant une réelle dynamique qui a permis d’engager des actions d’EMI là où il n’y en avait pas avant. Même si l’encadrement des volontaires demande du temps, les bibliothèques participantes ont salué l’initiative et un certain nombre d’entre elles ont renouvelé l’expérience pour une deuxième année. Afin de travailler au plus près des territoires, le choix a été fait de déconcentrer le dispositif à partir de 2019-2020 et le pilotage se fait au niveau des DRAC. D’un dispositif entièrement financé par le ministère, il évolue désormais vers un principe de cofinancement par les collectivités afin de rejoindre l’esprit d’autres dispositifs proposés par le ministère de la Culture.

En parallèle de ces nouvelles mesures, les bibliothèques peuvent également se tourner vers des dispositifs du ministère de la Culture, comme les contrats territoire-lecture (ou contrats départementaux) ou les Bibliothèques numériques de référence, pour être accompagnées dans le développement d’actions d’EMI.

Les établissements nationaux se sont également engagés dans le domaine. La BnF a ainsi organisé, le 20 mars 2019, avec l’INA et le CLEMI, une journée d’étude sur « les démocraties à l’épreuve de l’intox » 4

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En ligne sur YouTube : https://youtu.be/ozs11d4f6q4

. Elle a également produit un certain nombre de contenus sur l’EMI et notamment une exposition d’affiches sur les fausses nouvelles disponible en ligne 5
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Les fausses nouvelles. Une exposition élaborée par le service de l’éducation artistique et culturelle de la BnF et le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) : http://expositions.bnf.fr/presse/pedago/07.htm

. Dans le cadre de sa mission de coopération nationale, la Bpi (Bibliothèque publique d’information) a aussi proposé des rendez-vous pour mobiliser les acteurs de l’EMI en bibliothèque en alternant les journées d’études (2018) et les séminaires plus restreints (2019). La rubrique EMI du site Bpi pro regroupe des ressources sur l’EMI (retours d’expérience de bibliothèques, compte rendu) et la Bpi vient de publier début 2020 un Guide pratique sur l’EMI en bibliothèque de lecture publique 6.

Le ministère de la Culture organise également un rendez-vous régulier autour de l’EMI : les Rencontres culture numérique 7

permettent ainsi de réunir les différents acteurs de l’EMI et de mettre en avant sa dimension interministérielle et intersectorielle.

BBF : Dans ce contexte et sur le terrain de l'EMI, quel rôle clé pour les bibliothèques et quelles compétences pour les professionnels ?

Laurine Arnould et Jean-Christophe Théobalt : Les bibliothèques occupent une place particulière au sein des acteurs de l’EMI. Si nous avons beaucoup parlé des bibliothèques de lecture publique, il ne faut pas oublier que les bibliothèques universitaires sont également très mobilisées pour lutter contre les phénomènes de désinformation, particulièrement dangereux dans le monde universitaire et scientifique.

Qu’il s’agisse de la lecture publique ou du monde universitaire, le premier atout des bibliothèques pour intervenir en matière d’EMI ce sont bien sûr les compétences des agents qui y travaillent. La recherche documentaire fait appel à des réflexes et compétences essentielles à l’EMI et constitue le cœur du métier de bibliothécaire. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas parce qu’on est un expert et un professionnel de l’information qu’il est facile d’animer un atelier d’EMI et il est indispensable que ce qui constitue l’ADN du métier de bibliothécaire puisse être renforcé par une formation spécifique à l’EMI.

Le deuxième atout des bibliothèques pour proposer des actions d’EMI, c’est leur place dans la cité. Établissements culturels jouant aussi un rôle éducatif et social très important, elles sont fréquentées par des publics nombreux et intergénérationnels. Elles peuvent aussi être le lieu du lien social et du débat, faisant ainsi écho aux enjeux de citoyenneté présents dans l’EMI. Le lien avec les publics et les acteurs du territoire est au centre des actions de la bibliothèque, habituée à mener des projets de terrain avec différents partenaires. Cette tradition partenariale est précieuse pour monter des actions d’EMI et inviter d’autres professionnels, comme les journalistes, à intervenir. Les interventions dans et avec le milieu scolaire sont également des leviers pour développer l’EMI.

En 2018, le ministère de la Culture avait bien sûr une pleine conscience de ces nombreux atouts et du fait qu’un certain nombre d’initiatives étaient déjà menées en bibliothèque. Nous faisions néanmoins le constat que pour développer davantage l’EMI en bibliothèque, il était nécessaire de proposer des outils et des formations aux professionnels et c’est ce que nous essayons de faire depuis.

Lors du séminaire sur l’EMI organisé par la Bpi en novembre 2019, un des ateliers portait sur la question de la formation des bibliothécaires. L’objectif était de mettre en avant les besoins et attentes identifiés en matière de formation à l’EMI. Le premier besoin identifié était celui de la réassurance : les agents ont besoin d’être rassurés sur leur capacité à s’investir et à être des acteurs de l’EMI. Il s’agit de rappeler quels sont les savoirs et connaissances que l’on possède déjà et qui vont pouvoir être remobilisés. Il faut aussi pouvoir faire le lien entre l’EMI et les missions des bibliothécaires afin de légitimer le rôle qu’ils peuvent jouer dans ce domaine : une mise en contexte générale permet de rappeler les enjeux de l’EMI et la place des bibliothèques au sein de cet environnement. Il s’agit donc bien de réassurer pour légitimer les personnes à former : oui, en tant que bibliothécaires, nous avons un rôle à jouer et nous avons les savoirs pour le faire. Dans ce cadre, il est utile de montrer qu’un certain nombre d’actions mises en place en bibliothèque se réclament déjà de l’EMI ou peuvent être déclinées pour faire de l’EMI. Cela concerne beaucoup de sujets et d’approches différentes, il est essentiel dans la formation des professionnels des bibliothèques de pouvoir définir clairement le champ de l’EMI tant dans sa dimension théorique que pratique. Les besoins portent aussi sur la question des postures vis-à-vis des publics : en matière d’EMI, il est utile de pouvoir glisser du rôle de prescripteur à celui d’accompagnateur. Ces différents constats et pistes partagés lors du séminaire ont vocation à servir de base pour les formations à venir et ont été diffusés sur le site Bpi pro 8

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En conclusion, il faut donc rappeler qu’un certain nombre de compétences sont déjà présentes chez les professionnels des bibliothèques pour en faire des acteurs clés de l’EMI qui participent pleinement de la diversification des missions des bibliothèques aujourd’hui. L’évolution des formations et le travail sur les postures sont des éléments clés pour permettre de monter des actions d’EMI. Les bibliothèques peuvent également s’appuyer sur des partenariats avec des acteurs extérieurs, tant pour la formation, pour l’animation d’ateliers que pour le développement d’outils. Ce sont ces synergies que le ministère de la Culture souhaite encourager au travers des différents dispositifs qu’il propose aux acteurs de l’EMI.