La bibliothèque en mouvement

Évolution du bâtiment François-Mitterrand, 1995–2014

Jacqueline Sanson

Le projet qui a abouti à la création de la BnF a connu, dans sa mise en œuvre puis son déploiement depuis vingt ans de nombreuses étapes, qu’il s’agisse des espaces réservés aux activités internes ou des espaces publics. Retour sur les évolutions, adaptations, travaux toujours en cours et nécessaires au réajustement d’une architecture au service des collections, de son public et du personnel qui la fait vivre et fonctionner…

The French National Library has undergone a number of changes in the twenty years since it was first inaugurated, both in the areas open to readers and in those reserved for the library staff. The article looks at the developments, changes, and alterations still in progress to keep the architecture in tune with the changing needs of the collections, readers and staff.

Construit grâce à la volonté présidentielle mais sur un fond durable de polémique, le bâtiment voulu par François Mitterrand, pour une « bibliothèque d’un genre entièrement nouveau », fut réalisé en un temps record. Le projet de Dominique Perrault, choisi à l’été 1989, sur la base d’une esquisse de programme, commença à se concrétiser avec la pose de la première pierre en mars 1992 devant un immense trou assez rapidement consolidé par une épaisse paroi moulée, puis à prendre forme avec la construction accélérée du socle et des quatre tours. Le bâtiment presque terminé – mais encore entièrement vide – a pu être inauguré par le président François Mitterrand juste avant la fin de son mandat le 30 mars 1995.

Le présent article n’a pas pour objet de revenir sur les polémiques du projet naissant ni sur l’évolution du programme scientifique initial qui a notamment fait passer un projet de bibliothèque d’à peine 3 millions de livres à une bibliothèque nationale comportant environ 15 millions de documents : livres, périodiques, documents audiovisuels et autres microformes, ainsi que des documents numériques. Il s’agit d’aborder les grandes étapes qui ont marqué l’évolution du bâtiment depuis sa livraison en mars 1995 jusqu’à cette fin d’année 2014, soit près de vingt années plus tard.

Nous nous proposons d’examiner en premier lieu l’évolution des espaces réservés aux activités internes, les tours et le socle, puis dans un second temps les espaces ouverts au public.

Quelques chiffres en rappel

• Surfaces utiles du bâtiment : 160 000 m² (dont 57 360 m² de magasins et 55 220 m² d’espaces publics)

• Haut-de-jardin : 26 540 m²

• Rez-de-jardin : 26 680 m²

    Les espaces réservés aux activités internes

    L’on connaît bien maintenant l’affectation des hautes tours d’une vingtaine d’étages, symbole du bâtiment de Dominique Perrault. Les tours étaient destinées, outre deux étages techniques, à des bureaux (six puis les sept premiers étages) et à des magasins de collections (les onze suivants, en réalité dix pour l’une des tours dotée d’un belvédère). La distinction entre les deux destinations est nettement visible de l’extérieur : des volets de bois fixes pour les étages supérieurs afin de protéger les collections et des volets pivotants pour les bureaux. On sait bien que l’on a dû renoncer à la transparence des tours, envisagée dans un premier temps, au profit de cette enveloppe de panneaux (volets et cloisons de plâtre) dont l’esthétique était discutée mais dont la présence était indispensable pour assurer avec efficacité la préservation des collections patrimoniales.

    Si la double destination des tours était prévue dès l’origine, l’affectation initiale de la partie consacrée aux bureaux a été modifiée dès la première année de la BnF. Le plan d’implantation qui était présenté envisageait la répartition des seules équipes bibliothéconomiques dans les tours situées à l’ouest tandis que les équipes administratives, techniques et autres restaient regroupées à l’est, ce qui donnait très clairement deux catégories distinctes de personnel, d’un côté, ceux du métier des bibliothèques, de l’autre, tout le reste. Par ailleurs, il était acté depuis déjà quelques années et confirmé à l’occasion de la mise en place du nouvel établissement BnF que les collections d’imprimés et de périodiques seraient réparties en quatre départements autour des thématiques suivantes : philosophie, histoire, sciences de l’homme et de la société / sciences politiques, juridiques et économiques / sciences et techniques / littérature et arts, et seraient installées dans chaque tour et, dans le socle, au droit de chaque tour.

    Il a paru naturel de répartir les équipes bibliothéconomiques au plus près de leurs collections. Il fut donc décidé de renoncer aux regroupements envisagés précédemment. Chaque département thématique s’est installé dans le ou les deux ou trois premiers étages des tours. Les autres services bibliothéconomiques se sont partagé les étages supérieurs. À titre d’exemple, la tour des Lois regroupait, outre le département des sciences juridiques – devenu droit, économie, politique – la majeure partie des services administratifs et culturels, la tour des Lettres à l’opposé abritait, en sus des quatre étages de bibliothécaires (littérature, recherche et coordination bibliographiques, réserve…), les équipes du bâtiment et la base vie des pompiers. Ce choix ne fut jamais regretté, il a facilité le travail interne des départements et le décloisonnement des équipes, une nécessité absolue dans cet immense bâtiment.

    Les bureaux des tours, occupés progressivement par le personnel de l’établissement à partir de l’été 1995, ont été d’emblée jugés confortables et appréciés par les nouveaux arrivants parce qu’ils offraient aux équipes de l’EPBF, installées depuis déjà quelques années à Ivry, un ancrage définitif à Paris, et aux équipes de bibliothécaires, de techniciens et d’administratifs venant de Richelieu et de Versailles de véritables et spacieux bureaux alors que certains d’entre eux n’en bénéficiaient pas auparavant, en particulier dans le quadrilatère Richelieu où la place était comptée. Les équipes de la BnF jusque-là dispersées, se regroupaient petit à petit et apprenaient à travailler ensemble dans un bâtiment en cours d’achèvement. Le repérage dans l’immense bâtiment dont la signalétique était succincte nécessitait des efforts et de la solidarité des uns et des autres. Les bureaux des tours, atout appréciable, étaient pourvus de larges fenêtres donnant d’une aile à l’autre sur des aspects différents de la capitale, avec vue sur la Seine, le quartier de Bercy et son parc ou, côté rive gauche, sur des immeubles en construction. Globalement, moyennant quelques déplacements de cloisons et des ajustements de climatisation, l’installation en tour était satisfaisante. Le personnel était enfin regroupé par services, parfois appelés à des déménagements intermédiaires avant de trouver leur emplacement définitif ou regardé comme tel. Au fil des changements d’organigramme et de l’évolution des tâches, on pouvait modifier la répartition des bureaux, en général dans le cadre d’un plan global, recensement et étude des besoins, plan d’attribution des espaces, comme ce fut le cas en 2012.

    En tour, chaque étage, à partir du huitième, comporte deux magasins, un assez vaste de 500 m² et un plus petit de 350 m². Entre les deux magasins, se trouvent, selon les tours, un bureau et un local réservé au transport automatique des documents qui dessert les deux magasins. Il est important de rappeler que le moyen de communication choisi était le système Télédoc, utilisé au ministère des Finances. Composé d’un réseau de rails d’une longueur de 8 kilomètres, le transport automatique des documents, ou TAD, parcourt la bibliothèque de bas en haut des tours et à travers le socle et dessert 150 stations. Prévu principalement pour le transport des documents, ce réseau sert également à l’acheminement du courrier au moyen de 350 nacelles équipées de soufflets pouvant contenir jusqu’à cinq documents et maintenues dans la même position. Là aussi, ce réseau nécessita un long temps de rodage et fonctionne bien désormais au prix d’une maintenance renforcée.

    Les bureaux prévus pour les magasiniers en tour, du 8e au 18e étage, traités comme des magasins, sont situés dans la zone des volets de bois fixes, donc dépourvus de fenêtres. Il fut facile, à la demande des intéressés, de démonter les panneaux de bois afin de laisser filtrer la lumière dans ces espaces qui étaient avant tout des espaces de travail. L’organisation du travail en tour prévoyait, très en amont, quasiment un magasinier par niveau. On ajusta, et les magasins de tours furent rattachés, en fonction de l’importance des collections, à une ou deux stations TAD. La plus grande difficulté qui résulta de cette répartition des collections entre socle et tours s’avérait être l’isolement ressenti par les magasiniers coupés des bibliothécaires, réunis dans le bloc des premiers étages de chaque tour. Cette difficulté s’est sans doute aplanie avec le temps et avec l’évolution des modes d’organisation du travail.

    Le socle est organisé en quatre niveaux de magasins équipés de rayonnages ou mobiles, soit 60 % de la capacité totale de stockage. Les magasins sont desservis par un noyau technique central ou station TAD et, entre ce noyau et la salle de lecture, une arrière-banque de salle qui sert à la gestion de la communication, arrivée et départ des documents, et leur rangement dans des casiers numérotés.

    Les magasins avaient été préparés de longue date pour recevoir les collections transférées selon un plan d’implantation minutieux qui tenait compte de la fréquence des communications observée à Richelieu, les livres les plus récents à proximité des salles. Les magasins du socle étaient équipés de rayonnages fixes au niveau des salles et de rayonnages électriques ou compactus dans les niveaux supérieurs. Les rayonnages nécessitèrent des révisions et des compléments, par exemple l’installation de joues. Les compactus ont rapidement montré des signes de faiblesse. Il fallut les revoir de manière systématique et les adapter à un usage intensif. La remise à niveau commença dès la réouverture de la bibliothèque, magasin après magasin. Mais les plus gros travaux  1 ont porté sur les espaces de travail, situés à proximité des magasins, arrière-banques et noyaux techniques ou stations TAD. L’urgence portait donc sur les arrière-banques de salle. Elles concentraient les critiques, trop exiguës, malcommodes, mal éclairées, mal équipées, mal chauffées, bruyantes… Elles furent revues selon une procédure bien établie : recueil de besoins des utilisateurs, propositions des équipes techniques, examen des réponses, mise en commun, présentation en CHS, réalisation. Les cloisons ont été déplacées, l’espace agrandi, les chicanes supprimées, l’éclairage modifié, les postes de travail réorganisés. Les conditions de travail étaient améliorées, du moins dans le secteur des arrière-banques de salle, fin 2000. II restait encore à poursuivre les travaux dans les noyaux centraux, ou stations TAD, qui présentaient la particularité d’avoir été conçus sur le même modèle avec des variantes. Ces espaces ont été revus selon la même méthode – mise au point de prototypes, avis des utilisateurs, passage en CHS –, soit de nombreuses réunions avec tous les acteurs intéressés, les représentants du personnel, le médecin et le concours d’un ergonome. Dans les noyaux, selon les stations, pas de problème de place mais l’impérative nécessité de protéger les personnels des rails de circulation du TAD, des courants d’air, de les doter de plans de travail de bonne hauteur et d’une profondeur suffisante pour préparer les nacelles ou les décharger, de modifier l’éclairage. Ces travaux techniques, plus lourds qu’il y paraissait – incluant également les aspects de climatisation et d’acoustique –, s’échelonnèrent en deux phases, la première de 2001 à 2003 pour les 8 stations déclarées prioritaires parce que les plus sollicitées, et la seconde de 2003 à 2007 pour les 15 autres.

    Les travaux entrepris permirent d’améliorer les conditions de travail, mais un incident de nacelle survenu en 2009 montra qu’il ne fallait pas relâcher l’effort et qu’il fallait poursuivre les travaux de sécurisation systématique. Ces travaux ont apporté des améliorations significatives mais ces espaces, essentiels pour le fonctionnement du Rez-de-jardin, demandent encore et continueront de demander à l’avenir une vigilance particulière.

    Si les 180 magasins du bâtiment n’ont pas fait l’objet de gros travaux, ceux qui étaient spécifiques ont posé problème. Par exemple les magasins de grande hauteur, initialement prévus pour des robots, et finalement équipés de carrousels, n’ont pas donné satisfaction. La Réserve des livres rares, qui n’apparaissait pas dans le programme initial, fut installée sur le bandeau sud entre deux départements. Elle dispose d’une salle de lecture et de magasins sur quatre niveaux. L’un d’eux, destiné à la grande Réserve, où sont conservés les livres les plus précieux, est doté d’un mobilier spécifique. Il a paru indispensable de renforcer la sécurité de la grande Réserve, les travaux ont abouti en 2013.

    Les évolutions nécessaires ne concernaient pas que les espaces attenant aux magasins. Les espaces de travail situés sur les longs bandeaux de l’autre côté des salles de lecture abritaient différents services sur deux niveaux : au sud, les équipes d’accueil, de billetterie, le service médical et les services techniques et, au nord, directement reliés à la rue intérieure, les services d’entrée de documents, dépôt légal et acquisitions, les services de conservation, des ateliers et le courrier. C’est principalement dans le bandeau nord que les plus importantes modifications sont intervenues : changement d’implantation des services qui reçoivent quotidiennement des flux de documents et modification des espaces de travail conçus pour être de vastes ateliers de conservation – il est vrai surdimensionnés –, et transformés progressivement en fonction des besoins des nouveaux utilisateurs. Une nouvelle campagne de travaux fut lancée ces dernières années dans les espaces de conservation afin d’y regrouper les équipes venues de Richelieu en raison des travaux du quadrilatère et pour loger des équipes chargées des expositions, de la restauration et de la numérisation des collections.

    La bibliothèque entreprit également des travaux de mise en conformité de certains de ses équipements comme le restaurant du personnel. Destiné à servir environ 1 000 repas par jour, le vaste restaurant, ouvert dès 1995 à l’ouest de la bibliothèque, fut fermé pendant dix mois, ce qui contraignit l’établissement à créer un restaurant provisoire sur ses emprises en bord d’esplanade. Le restaurant rénové ouvrit ses portes au personnel au début du mois de mai 2012. Outre la mise aux normes, une nouvelle disposition des mobiliers a rendu le restaurant plus convivial.

    Les espaces publics

    Ces modifications d’implantation successives attestent de la relative flexibilité de certains espaces, en particulier en tour et au niveau du Haut-de-jardin en fonction des évolutions.

    Le bâtiment François-Mitterrand est ouvert au public. Il abrite deux bibliothèques en une, de vastes espaces publics principalement déployés sur deux niveaux : le Haut-de-jardin, composé de deux grands halls et deux longs déambulatoires qui desservent des salles de lecture, des salles d’exposition, deux auditoriums et des services, et le Rez-de-jardin, réservé à la recherche.

    La bibliothèque de recherche ou Rez-de-jardin offre 14 salles de lecture organisées de la manière suivante : 11 salles pour les collections imprimées – 3 pour le département philosophie, histoire, sciences de l’homme ; 2 pour le département droit, économie, politique ; 2 pour celui des sciences et techniques et 4 pour le département littérature et art – auxquelles s’ajoutent 3 autres salles : celles de la recherche bibliographique, de la Réserve des livres rares ainsi que la salle partagée dès l’origine entre l’audiovisuel et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) puis avec le CNC (Centre national du cinéma). La bibliothèque de recherche s’appuie sur les acquis et l’expérience de la Bibliothèque nationale avec sa légendaire salle des imprimés ouverte en 1868, dite salle de travail ou salle Labrouste, et la salle des périodiques ou salle Ovale qui ont accueilli des générations de chercheurs. Une adaptation des lieux a été opérée afin de permettre l’accès à une offre augmentée, collection en libre accès développée et des modes de travail nouveaux liés aux nouvelles technologies. Les vastes salles de Dominique Perrault, très réussies, « très belles même selon un avis partagé », avec leur hauteur de plafond de près de 14 mètres, rappellent la hauteur des coupoles d’Henri Labrouste, tout comme la présence de la nature, avec le jardin, en écho aux arbres peints par Desgoffes sur les cimaises de la salle Labrouste, l’ensemble étant agrémenté d’un mobilier élégant spécifiquement dessiné par l’architecte.

    L’ouverture en octobre 1998 fut chaotique, on le sait : le système informatique pas encore au point, l’arrivée d’un personnel nombreux et nouveau sur le site à la veille de l’ouverture, des lecteurs désorientés… Le rodage fut beaucoup plus long qu’on ne l’imaginait et qu’on le souhaitait. Mais passé le choc de l’ouverture et grâce aux efforts conjugués de toutes les équipes, le fonctionnement du Rez-de-jardin s’améliora, la bibliothèque révisa ses ambitions (fermeture le lundi, limitation du nombre de documents communiqués le jour même). Pendant un peu plus de deux années, le Rez-de-jardin fonctionna du mardi au samedi. La communication des documents le jour même fut progressivement rétablie. Depuis la réouverture le lundi au tout début de l’année 2001, la bibliothèque offre à ses lecteurs des horaires confortables. Les lecteurs, au bout de quelques mois, se sont familiarisés avec les nouveaux lieux, les nouveaux modes de consultation, du moins ceux qui faisaient l’effort de venir avec une relative assiduité. Ils se sont progressivement approprié le Rez-de-jardin et les évolutions qui furent proposées année après année, les ont satisfaits comme l’attestent les enquêtes de publics. La nostalgie de Richelieu n’a certes pas disparu pour tous mais beaucoup d’entre eux ont fait de ces espaces nouveaux leur bibliothèque. On y vient travailler, lire, se recueillir comme dans un cloître. Et le nombre des nouveaux venus à la recherche a considérablement augmenté au fil des années. Le parcours du lecteur est devenu plus fluide, la pratique des réservations s’est simplifiée. Le lecteur jongle avec ce qui lui est proposé : offre en ligne démultipliée en quelques années et services sur place.

    Si la bibliothèque de recherche a trouvé relativement vite son rythme de croisière, passé les débuts difficiles, il n’en fut pas de même pour la bibliothèque du Haut-de-jardin pour laquelle on observe l’effet inverse. Le Haut-de-jardin participait de l’effort de démocratisation annoncé et fortement voulu : bibliothèque ouverte à tous à partir de 18 ans à l’ouverture fin 1996, puis à partir de 16 ans, l’année suivante. Conçu pour être le pendant de la bibliothèque de recherche, le Haut-de-jardin, composé de dix salles, également organisées par grandes disciplines sur le modèle déjà évoqué, offrait 1 690 places, différents services et une importante collection de livres, revues et journaux en libre accès. Les débuts, deux ans avant ceux du Rez-de-Jardin, s’étaient passés sans difficulté. De nouveaux espaces de lecture étaient ouverts à l’est de Paris. Le quartier, un peu excentré, insuffisamment desservi et en chantier, n’était pas si encourageant, mais progressivement les alentours se sont améliorés. Les lecteurs sont venus. Le samedi et le dimanche connaissaient des pics de fréquentation élevés et des files d’attente. Mais, après des premières années de fréquentation satisfaisantes, le public, essentiellement composé d’étudiants, commença à stagner puis à diminuer année après année. Cette constatation amena les responsables de la bibliothèque à réfléchir à des évolutions. Les premières réflexions ont concerné les collections. La décision de donner accès aux lecteurs dès 16 ans, alors qu’initialement le choix avait été fait d’une bibliothèque ouverte à partir de 18 ans, n’avait pas eu d’incidence immédiate sur la politique documentaire. Il fallut envisager diverses mesures, dont la prise en compte de cette tranche d’âge 16-18 ans. Mais les premières mesures portant par exemple sur les collections et l’offre de gratuité en été n’étaient pas d’une portée suffisante pour endiguer la baisse constatée.

    Dans la seconde partie des années 2000, il a semblé important d’envisager des évolutions plus significatives du Haut-de-jardin  2 dans sa globalité et pas seulement vu sous l’angle des collections en salles de lecture. Elles devaient concerner tous les espaces, les modes d’accès, les services proposés en salle de lecture comme à l’extérieur des salles, l’accueil du public, les types de visite, l’offre culturelle… La question du public même était posée. Le niveau d’un public élevé visé dès le début (second cycle) avait-il un sens plus de dix années après sa conception ? Devait-on alors revoir complètement le projet initial du Haut-de-jardin ? La réflexion a bénéficié de l’engagement de nombreux agents de la bibliothèque (tant les équipes des collections que celles de l’accueil, tant les équipes techniques que celles du bâtiment…) et de collègues hors BnF.

    Il n’est pas utile de revenir en détail sur toutes les étapes de la longue réflexion : lancement en octobre 2007, mise en commun, rapport final en 2008, présentation aux responsables, aux utilisateurs, aux instances concernées – conseil scientifique, comité technique et CHSCT –, appel à un programmiste en 2009, examen et discussion de la programmation, choix du maître d’œuvre en 2011, étude et réalisation des travaux ces deux dernières années.

    Nous nous proposons d’étudier les espaces du Haut-de-jardin par ensembles : l’entrée, les halls, les salles de lecture, les salles d’exposition, les vestiaires, la librairie, le café.

    L’entrée de la bibliothèque est très certainement la partie des espaces publics la plus contestée du bâtiment. Il importe de rappeler que le projet initial de Dominique Perrault comportait une entrée magistrale donnant sur la Seine et que c’est la direction de l’établissement public constructeur qui a pris très tôt la décision d’y renoncer et a souhaité la remplacer par deux entrées à l’est et à l’ouest du bâtiment. L’architecte programma deux rampes d’accès équipées de tapis roulants. On accédait ainsi à la bibliothèque en contournant les tours de l’un ou l’autre côté, l’est prenant le pas sur l’ouest à partir d’octobre 1998 avec la mise en service de la ligne 14 du métro. En 2006, l’ouverture de la passerelle Simone-de-Beauvoir, reliant la rive gauche de la Seine à la rive droite et la bibliothèque au parc de Bercy, a renforcé l’accès à la bibliothèque, en particulier pour les promeneurs. Mais cet avantage supplémentaire s’est avéré insuffisant pour les usagers qui arrivaient principalement de l’avenue de France.

    Alors qu’il était président, Jean-Noël Jeanneney avait lancé en 2005 une réflexion sur un projet de nouvelle entrée. Trois projets avaient été retenus et analysés, ceux de Paul Chemetov, de François Scali, et celui de Dominique Perrault lui-même, qui revenait ainsi sur son propre projet. Ces projets ambitieux, donc très coûteux, n’ont pu voir le jour, faute de crédits pour les entreprendre mais aussi en raison de l’incertitude où se trouvait à ce moment-là l’avenir du quadrilatère Richelieu. La question de l’accès n’était donc pas réglée et les lecteurs, tout comme les promeneurs, les visiteurs d’exposition ou du bâtiment, ou bien encore les spectateurs des conférences, entraient à la bibliothèque au moyen d’un travelator dont le tapis roulant des débuts, trop souvent en panne, avait finalement été remplacé à l’est par un revêtement fixe qui rendait l’accès long et malcommode et dont les utilisateurs se plaignaient à juste titre.

    L’idée de faciliter l’accès à la bibliothèque, installée dans un quartier à présent développé, s’est également imposée à Bruno Racine qui a fait le constat de l’inutilisation d’espaces importants, situés à l’est du bâtiment, destinés dès l’origine à un usage commercial. En effet, des restaurants pour le public, pendants du restaurant du personnel à l’ouest, y étaient initialement prévus. La BnF a souhaité lier les deux, par la création d’une nouvelle entrée et la valorisation d’une réserve foncière de plus de 1 000 mètres. Après un appel à candidatures, l’offre de la société MK2 Visions proposant la création de quatre salles de cinéma sous l’esplanade et l’ouverture d’une nouvelle entrée a été retenue. Les travaux commencés au début de 2013, après la dépose du travelator, ont duré toute l’année. La nouvelle entrée, surmontée d’un imposant portique dessiné par Dominique Perrault et mise en service le 29 novembre 2013, dessert au moyen de deux ascenseurs et d’un escalier qui descend le hall lumineux avec une vue sur le jardin. C’est un parti pris radicalement différent du projet initial. Le public accède d’un côté à la bibliothèque, de l’autre aux cinémas. Les ascenseurs, après des débuts difficiles, sont rapides et pratiques tandis que l’escalier, jugé trop raide par les usagers (il s’agit d’un escalier existant à peine modifié), devra sans doute subir des améliorations. L’entrée de la bibliothèque est désormais bien visible et facilement accessible.

    Dans le nouveau hall est, qui garde ses belles proportions, l’effet du jardin est immédiat et le changement de matériau aussi, le métal s’est substitué au bois et la moquette rouge fait le lien. Face à l’entrée, la banque d’accueil métallique est fortement visible, de même les caisses. De l’autre côté de l’allée Julien-Cain, le service d’accréditation est installé de manière très visible dans un espace ouvert auparavant occupé par la librairie. On a inversé les deux. La librairie se retrouve à l’entrée de l’allée, un espace spécifique plus adapté à son usage. La nouvelle organisation procède de l’idée d’une simplification du parcours du lecteur ou du visiteur et de l’ordre logique des étapes qu’il doit franchir pour accéder à l’un ou l’autre de ces espaces. Cette nouvelle disposition des banques, nettement visibles dès l’entrée, est mieux adaptée à l’accueil du public, elle nécessite toutefois des ajustements pour le personnel qui travaille en milieu ouvert. De même pour le service d’accréditation.

    Les salles de lecture ont été revues sous différents angles. Les collections et les services étaient au cœur des premières réflexions : la mise en adéquation des collections avec le public fortement rajeuni, l’augmentation de la part de livres et de périodiques en français, la fraîcheur des collections. Tous ces points furent abondamment discutés. Certains ne voulaient pas renoncer à l’idée de départ, celle d’un projet conçu au tout début des années 1990, visant le niveau second cycle universitaire avec une part substantielle d’ouvrages étrangers en dépit du peu d’intérêt du public. La direction de la bibliothèque réaffirma le principe fondamental de l’encyclopédisme des collections et confirma la proposition de création de centres de ressources et la part importante des livres en français. La question de la gratuité des salles de lecture du Haut-de-jardin ressurgit dans ce débat. La décision d’offrir aux lecteurs une plage de gratuité fut prise, et depuis septembre 2009, on peut à partir de 17 heures accéder aux salles de lecture gratuitement.

    Quant aux espaces eux-mêmes, la longue réflexion fit virtuellement bouger sinon toutes les salles du moins nombre d’entre elles. Mais finalement, l’implantation des salles se limita à deux grands changements. L’arrivée de « La Joie par les livres », envisagée à différentes reprises mais jamais concrétisée, fut décidée fin 2006, et effective en 2008. En 2009, les équipes furent installées au cœur du département Littérature et art qu’elles rejoignirent, et une salle de lecture fut attribuée au nouveau Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ), la salle jusque-là réservée à la recherche bibliographique), tandis que les collections de cette dernière allaient partager la salle E avec la documentation sur le livre. Un second changement de salle eut lieu. Le département Audiovisuel s’installa en salle A, salle de la presse, et céda la vaste salle B au département Droit, économie, politique au profit d’une grande salle de la presse et des médias. L’aménagement intérieur des salles de lecture fut revu. Les salles du Haut-de-jardin offraient au public des banques d’information en bois fort imposantes, sur le modèle du Rez-de-jardin. On décida de les modifier afin de rapprocher personnels et usagers. Des espaces plus conviviaux furent installés. Le métal a remplacé le bois, le bureau a remplacé la banque ; on y trouve aussi une « marguerite » pour l’audiovisuel, des vitrines pour les collections patrimoniales, des présentoirs pour les nouveautés et plus de fauteuils. Dans la même veine, on a créé des espaces spécifiques pour les centres de ressources (développement durable, Europe, société en débat) et, quand c’est possible, des salles de groupe, très appréciées par les lecteurs (la moitié du public ne vient pas seul)...

    La BnF, à l’exemple d’autres grandes bibliothèques de par le monde, tenait à offrir des espaces plus conviviaux à ses lecteurs. Dès le début de l’année 2013, des stations de travail ont été dispersées dans les salles (pendant les travaux) et surtout à leurs abords auxquels elles sont destinées. La lecture commence avant même d’être entré en salle de lecture, c’est tout l’espace qui devient bibliothèque.

    Les travaux des salles et des autres espaces ont commencé quelques mois après ceux de l’entrée et devaient s’échelonner jusqu’à la fin de l’année 2014. Les réaménagements des salles ont été réalisés, deux par deux, selon un rythme soutenu et furent terminés comme prévu fin avril 2014. Les travaux ont nécessité des fermetures partielles de courte durée. Outre l’entrée, les services d’accueil et d’orientation, la librairie, les salles de lecture, d’autres travaux ont été réalisés. Deux espaces pédagogiques afin de développer la médiation, les ateliers pour les scolaires, l’un à l’ouest, à l’emplacement de l’Abécédaire, espace de présentation des collections, l’autre à l’est. Le vestiaire situé à l’ouest a été équipé de casiers directement accessibles. Et le Café des Globes, autre aménagement attendu, vient d’ouvrir au début du mois de décembre 2014, vaste café déjà très fréquenté par les usagers. Le café de l’est, prévu pour être un espace d’initiation, est maintenu avec des distributeurs de manière à conserver un point de restauration de ce côté.

    L’énumération de ces modifications que connaît le Haut-de-jardin ne serait pas complète sans que soient mentionnées des interventions décidées avant les gros travaux. La création d’une Galerie des donateurs en 2010, à la place du service de la reproduction, permet d’organiser rapidement et simplement des expositions pour remercier les généreux donateurs de la BnF. C’est une réussite. L’expérience du Labo, espace consacré aux nouvelles technologies, créé en 2010, fut de courte durée. La bibliothèque a dû y renoncer afin de restituer au public un espace salon très prisé des usagers. Il est trop tôt pour dresser un premier bilan.

    Cette longue liste de travaux d’aménagement n’est certes pas exhaustive. Elle donne une idée, bien que la question du budget ne soit pas abordée ici, des investissements considérables qui ont été rendus nécessaires. Les travaux sont de nature différente. Il y a ceux qui doivent être faits en urgence pour sécuriser le bâtiment et éviter les incidents comme ceux que la bibliothèque a connus début 2014 : sécurité des personnes, consolidation ou remplacement de tel ou tel dispositif (canalisations d’eau, climatisation…). Et il y a les travaux qui sont réalisés en fonction de l’évolution des pratiques. On ne rappellera jamais assez que le projet de grande bibliothèque a été conçu à la fin des années 1980 et au début des années 1990, que le développement considérable ces quinze dernières années des techniques en général, du numérique en particulier, a bouleversé nos vies, que le bâtiment a été livré il y a près de vingt ans, que les usages ont changé. La bibliothèque a dû évoluer pour répondre à l’attente de ses usagers. Beaucoup reste à faire : le déploiement du wifi, des stations de lecture, des salles de groupe et de formation, des nocturnes…

    Le bâtiment montre qu’il a pu permettre des évolutions, il ne cessera de le faire. Dominique Perrault se félicite d’avoir réalisé un bâtiment flexible et, d’une certaine façon, c’est vrai. Les circulations restent contraignantes mais les espaces sont assez modulables. Le succès des journées portes ouvertes le premier week-end de décembre montre à quel point le public s’enthousiasme pour « la grande maison des savoirs » que doit continuer d’être la bibliothèque. Une bibliothèque qui n’est sans doute plus « d’un genre entièrement nouveau » mais qui doit demeurer une bibliothèque « largement ouverte à tous ».

    1. (retour)↑  Se reporter aux articles et ouvrages qui ont dénoncé les défauts de la BnF à ses débuts, notamment : Jean-Marc Mandosio, L’effondrement de la très grande Bibliothèque nationale de France : ses causes, ses conséquences, Éd. de l’Encyclopédie des nuisances, 1999, Après l’effondrement : notes sur l’utopie néotechnologique, Éd. de l’Encyclopédie des nuisances, 2000, et François Stasse, La véritable histoire de la grande bibliothèque, Seuil, coll. « L’épreuve des faits », 2002.
    2. (retour)↑  Voir l’article du Bulletin des bibliothèques de France, 2013, n° 6 : Denis Bruckmann, Isabelle Mangou, Cheng Peï et Cécile Portier, « Enjeux d’espaces, enjeux de publics. L’exemple de la BnF ». En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2013-06-0038-006