Ces livres qui font grandir les enfants

par Hélène Ouali-Séon

Joëlle Turin

Paris, Didier Jeunesse, 2012, 223 p., ill., 24 cm
Collection « Passeurs d’histoires »
Nouvelle édition augmentée
ISBN 978-2-278-05927-0 : 22,90 €

Dans les salles jeunesse de nos bibliothèques, les albums abondent et, en plage de service public, il peut nous arriver, lorsque l’on nous demande LE livre pour évoquer la mort, l’histoire qui fait rêver, celle qui fait grandir... de ne pas immédiatement faire surgir de notre mémoire LE titre qui correspondra à cette demande. Dans n’importe quel ordre et en associant plusieurs méthodes, nous plongeons alors directement dans les bacs, nous parcourons le catalogue ou nous utilisons des sites sélectionnés dans nos marque-pages à l’instar de Ricochet  1.

Au-delà de ces outils, nous ne saurions toutefois nous passer d’un livre écrit avec beaucoup de profondeur et de justesse par Joëlle Turin, spécialiste de la littérature jeunesse, conférencière, formatrice et critique pour la Revue des livres pour enfants, Parole ou le site Ricochet cité plus haut. Cette nouvelle version de Ces livres qui font grandir les enfants, qui succède à une première édition  2 de 2008, est enrichie d’un chapitre supplémentaire, « Quelle(s) imagination(s) ! », et actualisée avec des albums récents. On s’y repère aisément grâce à un sommaire très détaillé et l’on peut ainsi y picorer à sa guise. Mais une lecture in extenso nous convaincra définitivement de la richesse de la production littéraire à destination de la jeunesse. Avec quelque quatre-vingt-dix auteurs et cent vingt albums, nous embarquons pour un tour du monde des meilleures publications, pour le plus grand plaisir des enfants et des adultes qui les accompagnent, parents, éducateurs, médiateurs… bref, tous ces passeurs qui les aident à grandir en leur racontant des histoires. Six grandes thématiques jalonnent l’ouvrage : le jeu, la peur, les grandes questions, les relations avec les autres, les sentiments et l’imaginaire. Les albums sont finement analysés et décrits, et Joëlle Turin établit toujours le lien entre le texte et les illustrations. En couleur, elles sont d’ailleurs nombreuses à rythmer les pages de cet ouvrage.

Le jeu, la peur, les autres… et l’imaginaire !

L’album, par ses textes et illustrations s’enrichissant mutuellement, est le support idéal pour un moment d’échange complice. Car auteurs et illustrateurs considèrent leurs jeunes lecteurs avec le plus grand sérieux et font appel à leur intelligence, même lorsqu’il est question de jouer.

Dans le premier chapitre de l’ouvrage, Joëlle Turin évoque justement quelques albums en lien avec le jeu. Fondamental chez l’enfant, il lui permet de grandir, de se construire, de se dépasser, de s’ouvrir au monde et aux autres en regardant autour de lui.

Pour mieux apprivoiser les frayeurs enfantines, rien de tel que la lecture d’une histoire qui fait peur avec l’un des albums cités dans le second chapitre. La mise à distance est rendue possible pour l’enfant : il est le héros, alors même qu’il est bien installé avec celui qui lui raconte l’histoire. Ces albums prennent le relais des contes traditionnels pour envisager la séparation, le moment du coucher ou la peur du noir. Certains auteurs, à l’instar de Kitty Crowther  3, s’inspirent pour créer leurs ouvrages de leurs anciennes peurs enfantines et de leurs lectures d’alors.

Parmi les grandes questions du troisième chapitre figure la venue au monde, envisagée de façon poétique par les albums présentés ; l’appel à l’imaginaire permettra ensuite une approche plus scientifique. Pour aborder la mort avec un enfant, Joëlle Turin rappelle au préalable qu’un album est une œuvre, pas un remède contre la souffrance. L’accompagnement des proches reste incontournable. Mais les auteurs-illustrateurs, avec leurs mots et leurs dessins, accompagnent l’enfant pour qu’il trouve en lui-même la voie vers l’apaisement. La prise de distance est facilitée par la représentation d’animaux anthropomorphes.

À l’enfance, toutes les questions, même philosophiques, sont légitimes. Le sens de la vie, au-delà de l’imaginaire et de la rêverie, conduit à s’interroger et affirmer : « Vivre sans moi, je ne peux pas 4. »

Le chapitre suivant, « Les autres et moi », montre combien, par les albums qui l’illustrent, l’édition actuelle d’albums jeunesse transmet des valeurs éducatives contemporaines, fondées sur l’amour, la confiance et le respect. Plutôt qu’un ton moralisateur, la créativité et la fantaisie sont les réponses des auteurs-illustrateurs aux bêtises mises en scène dans leurs albums, adoptant le point de vue de l’enfant.

Les grandes joies et petites peines du cinquième chapitre égrènent les sentiments de solitude, de colère, de jalousie, d’amour et d’amitié partagés par tous les enfants.

Enfin, le dernier et nouveau chapitre est légitimé par les travaux de deux universitaires américains, Paul Harris et Alison Gornik, qui mettent en avant l’imaginaire comme moteur de développement chez les enfants. Cela vient conforter toutes les actions de médiation menées autour du livre à destination de la petite enfance, en bibliothèque notamment. De fait, l’imaginaire aide l’enfant à se construire, et c’est par son corps et tous ses sens qu’il appréhende le monde environnant.

L’ouvrage Ces livres qui font grandir les enfants met en lumière l’immense valeur du travail accompli par les auteurs-illustrateurs d’albums jeunesse. À travers la diversité de leurs points de vue, ils explorent tous les champs de la curiosité enfantine. Bien entendu, chaque artiste ne parle que pour lui-même, mais la multitude de leurs voix forme un corpus, une œuvre collective dans laquelle nous puisons à l’envi, pour que chaque enfant fasse une rencontre avec un livre. Cette rencontre, joliment intitulée par Joëlle Turin le « triangle magique », unit le livre, l’enfant et l’adulte autour d’une histoire qui rendra l’enfant plus riche et plus fort d’avoir confronté sa vie à celle de ses héros.