Ces livres qui font grandir les enfants

par Florence Bianchi

Joëlle Turin

Paris, Didier Jeunesse, 2008, 175 p., ill., 24 cm
Coll. Passeurs d’histoires
ISBN 978-2-2780-5880-8 : 22,50 €

Les livres « font grandir les enfants ». Sans détour, par des justifications théoriques, Joëlle Turin (directrice de l’Institut international Charles-Perrault) l’affirme en introduction, par une réponse à Anne Sylvestre et ses « rêves qui font grandir les enfants et les poussent en avant, mais pas trop pourtant  1 » : « Il n’y a pas que les rêves qui les font grandir, les livres aussi. Et certains plus que d’autres. » Et elle le montre, avec une simplicité, une évidence et une pertinence présentes dans chaque page, nourries de ses pratiques de terrain avec Acces (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations), dont l’ouvrage restitue les « précieuses observations ».

Celui-ci est structuré en cinq parties qui abordent « cinq domaines sans doute les plus évocateurs de la vie de l’enfant » : « Jeux d’enfants », « Fais-moi peur ! », « Les grandes questions », « Les autres et moi » et « Grandes joies et petites peines ». Chaque domaine est lui-même découpé en cinq ou six chapitres qui reprennent les situations auxquelles sont confrontés les tout-petits – peur de l’abandon, du noir, de la nuit, du loup et de l’ogre pour « Fais-moi peur ! » ; solitude, colère, jalousie, amour et amitié pour « Grandes joies et petites peines », etc. – et que la lecture de « certains » livres permettra de comprendre et d’apprivoiser. Oui, tout est dans le « certains ». Manifeste en creux contre les livres pétris d’« intentions pédagogiques explicites, de principes éducatifs affirmés et trop évidents, de propos lénifiants censés protéger le jeune lecteur de tout traumatisme », la sélection de Joëlle Turin est un bel hommage à ceux qui « ne sombrent pas dans une trop grande simplicité, enfreignent les normes du “joli” et du “reconnaissable” qui régissent trop souvent la production éditoriale ». « Les auteurs et illustrateurs dont les œuvres figurent ici ont en commun d’avoir su créer des univers très singuliers : chaque livre est unique parce que chacun résulte d’une expérience personnelle, celle d’un artiste qui laisse parler sa subjectivité. »

Chaque ouvrage est ainsi présenté en lien avec la situation en question, livre en main, avec une reproduction de l’image qui n’est plus « “servante” du texte » mais « a sa propre existence, permettant de tracer des chemins pour l’intelligence ».

La sélection propose bien sûr des ouvrages incontournables (Loulou  2 qui enseigne à son ami Tom « la peur, et surtout la peur du loup », Petit-Bleu et Petit-Jaune  3, dont « la fusion affectueuse au moment des retrouvailles donne naissance à une seule tache verte », plusieurs albums de Claude Ponti…) mais aussi – « peut-être », modestie oblige –, sans doute « les grands classiques de demain ».

Dès que possible, l’auteur met en avant l’humour, la connivence et les albums iconoclastes – comme Les trois loups  4, dans lequel le dernier des trois loups naufragés se trouve à la merci de centaines de cochons qui mangeraient bien du loup au goûter…

Si Joëlle Turin se garde de donner des indications d’âge, les ouvrages sélectionnés sont tous des albums destinés aux tout-petits, qui regardent les images alors qu’un adulte lit le texte, selon un « triangle magique » entre le livre, l’adulte et l’enfant. Comme elle le précise en conclusion, il s’agit donc plutôt de « lectures à deux », qui « anticipent sur l’idée d’une co-éducation ». « Celle-ci suppose de la part des aînés qu’ils valorisent et prennent en compte les étonnantes capacités créatives et la formidable activité de pensée des tout-petits. »

Mine de rien, en quelques brèves pages d’introduction et de conclusion et un corps entièrement consacré à la mise en lumière d’albums, Joëlle Turin nous a offert à la fois une sélection bibliographique irréprochable et d’une utilisation simple et agréable (accompagnée d’un index auteurs et d’une bibliographie sélective) pour professionnels et non-professionnels, un hommage argumenté à la créativité et la singularité et des pistes prometteuses en matière d’éducation…

  1. (retour)↑   Anne Sylvestre, « Berceuse pour rêver », citée p. 9.
  2. (retour)↑   Grégoire Solotareff, Loulou, L’École des loisirs, 1989.
  3. (retour)↑   Leo Lionni, Petit-Bleu et Petit-Jaune, L’École des loisirs, 1970.
  4. (retour)↑   Alex Cousseau et Philippe-Henri Turin, Les trois loups, L’École des loisirs, 2002.