Les facteurs de réussite des bibliothèques et médiathèques publiques

par Yves Desrichard
Conseil général du Val-d’Oise, mars 2012, 81 p.

Il est bien rare que le Bulletin des bibliothèques de France rende compte d’un rapport circonstanciel, proposé par une bibliothèque ou un groupe de bibliothèques, sur des études de terrain menées auprès des publics. Mais le rapport Les facteurs de réussite des bibliothèques et médiathèques publiques proposé par le conseil général du Val-d’Oise fera, ici, pièce à cette rareté  1. Car le travail présenté de manière claire mais détaillée vaut tout autant par sa méthode que par ses témoignages, par ses données chiffrées ou qualitatives que par ses conclusions.

Un volet quantitatif et un volet qualitatif

La méthode, comme toute enquête auprès des publics qui devrait se respecter, inclut tout à la fois un volet quantitatif et un volet qualitatif. Dans le premier cas, une campagne de comptage initiée dans 80 bibliothèques du département, sur une semaine, soit près de 40 000 entrées totalisées (qui permettent d’extrapoler à près de 2 millions les entrées réalisées sur une année !). Ensuite, 21 entretiens qualitatifs, dont il a déjà été rendu compte dans cette revue  2, et une « observation » de 6 établissements, passés au crible d’une série large de critères, complétée par un entretien avec le directeur des bibliothèques observées.

On le voit, pour un périmètre géographique bien délimité, l’enquête est ample et rigoureuse, qui a été menée par la bibliothèque départementale du Val-d’Oise (BDVO), qui a bénéficié du soutien du bien connu service « Études et recherche » de la Bibliothèque publique d’information et de l’Observatoire départemental, service des études du conseil général du Val-d’Oise.

On sait la propension quasi névrotique (aggravée s’il était possible par l’outil numérique) des bibliothécaires à accumuler les données chiffrées. Ce n’est donc pas là que se situe l’intérêt – et la réussite – de la présente enquête. Car, les données, il faut les exploiter : on l’assène à chaque formation spécialisée, dans nombre de publications dédiées. Mais ce n’est pas toujours le cas, en tout cas pas toujours d’une manière aussi convaincante qu’ici.

Car les initiateurs de l’enquête ont eu l’intelligence de compiler les données recueillies avec d’autres, des plus variées, comme, bien sûr la population, le nombre d’inscrits, le nombre de prêts, mais aussi des données sur les budgets de personnel, d’acquisition, le nombre de places assises, la surface, etc. Et, à partir de ces compilations et des graphes et autres figures obtenues, d’en dégager quelques vérités premières dont il serait bien étonnant qu’elles s’appliquent seulement au département du Val-d’Oise, si dynamique soit-il. Dire qu’il s’agit de bouleversantes révélations serait hypocrite. Mais c’est bien plus précieux que cela : il s’agit de confortations de discours (parfois considérés comme des postures) que les bibliothécaires portent auprès des élus depuis tant d’années déjà. Petit florilège.

Petit florilège

Les moyens sont un facteur incontournable de la réussite : ce sont les moyens qu’on met à sa disposition qui, numériquement, conditionnent l’usage de la bibliothèque, et notamment la quantité de l’offre. Autrement dit, une bibliothèque faiblement dotée dans une commune peuplée aura (proportionnellement bien sûr) bien moins de succès qu’une bibliothèque bien dotée dans une petite commune.

Dépenser moins coûte plus cher : si on considère, bien sûr, que la fréquentation d’un établissement, même gratuite, est un critère de sa « rentabilité », de son efficacité, alors les moyens déployés sont proportionnellement plus efficients, c’est-à-dire que, si les moyens sont importants, alors le coût par usager est plus faible que si les moyens sont strictement limités.

Plus encore, le rapport permet d’intéressantes perspectives, de par la méthode employée, sur un serpent de mer statistique très controversé dans le monde des bibliothèques depuis la publication du rapport du Crédoc  3, celui de la corrélation entre inscrits, prêts et fréquentants non-inscrits. Ces corrélations, cependant, auraient gagné à être plus fouillées.

Mais l’enquête, sur ces bases solides, aurait vite trouvé ses limites si elle n’avait pas aussi pris en compte, d’une manière forcément moins systématisée, les données qualitatives recueillies. À vrai dire, c’est cette exploitation dont l’intérêt excède très largement les limites du département, qui permet de renvoyer intelligemment à des préoccupations qui doivent être communes à tous les responsables d’établissement (quel que soit leur type). Nouveau florilège.

Nouveau florilège

Le lieu doit être attractif et, pour cela, sa « localisation n’est pas neutre » et son attractivité est d’autant plus grande que la ville et le quartier de la ville où la bibliothèque se situe sont eux-mêmes attractifs. La présence de commerces, mais aussi d’établissements scolaires, culturels ou sportifs, fait partie de ces critères – auxquels il faut ajouter bien sûr le critère du temps pour s’y rendre, qu’on peut cristalliser dans la maxime : si on ne va qu’à la bibliothèque, au-delà de 15 minutes, point de salut. À méditer !

Cette présence de la bibliothèque doit s’organiser, être rendue visible : signalétique dans le quartier, sur la bibliothèque, présence dans la vie locale, présence numérique, bref, faire connaître pour être connu.

Mais attirer le public n’est que la première part du succès : le faire rester et revenir est la seconde, ce qui suppose de le satisfaire… et tous les « moyens » sont bons : qualité de l’accueil (« un savant dosage de chaleur et d’autonomie »), aménagement des espaces, selon les besoins et les publics, sont des éléments fondamentaux. Comme quantitativement indiqué plus haut, pour les inscrits comme pour les fréquentants, l’offre documentaire est cruciale, ainsi résumée : « Nouveautés, adéquation, adaptation, évolution ! » Cette offre doit être mise en valeur, puisque « le prêt demeure l’activité principale », même si des usages multiples et complémentaires de l’équipement doivent être recherchés.

Les esprits chagrins (et qu’ils sont nombreux dans nos professions !) objecteront, ce qu’on soulignait en préambule, qu’il n’y a là rien de bien nouveau. Mais la lecture du rapport étaye de verbatims chaque considération, chaque hypothèse, chaque déduction, et dans un style dynamique et attrayant qui en rend la lecture beaucoup plus passionnante que celle de maint traité théorique (pour ne pas écrire dogmatique) qui prétend asséner les mêmes vérités, mais sans leur donner corps.

C’est là le principal mérite de l’étude : données chiffrées, verbatims, exemples, illustrations nombreuses, sont là pour « donner corps » aux propos. Et on ne peut que souhaiter que de telles études, s’appuyant sur cet exemple sinon pionnier du moins essentiel, voient le jour dans d’autres départements. Dans tous les départements ?