Le rôle social des bibliothèques dans la ville
Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2011, 270 p., 21,5 cm
Coll. Lecteurs-Bibliothèques-Usages nouveaux
ISBN 978-2-86781-727-4 : 22 €
Depuis 1994, la filière de formation aux métiers des bibliothèques-médiathèques de l’IUT Michel de Montaigne (université de Bordeaux 3) organise un colloque annuel intitulé « Profession bibliothécaire ». Après plusieurs années consacrées aux problématiques numériques, le colloque s’est intéressé le 1er avril 2010, de manière tout à fait sérieuse, au rôle social des bibliothèques dans la ville 1. Il s’est déroulé à Floirac, ville de la banlieue bordelaise qui accueille, au cœur d’un quartier sensible, la M270, Maison des savoirs partagés. Dans ce lieu aux activités culturelles et sociales, cohabitent une médiathèque (labellisée Ruches), un espace multimédia, une résidence d’artistes, ainsi que des salles pour divers ateliers. Le présent ouvrage associe communications et travaux de recherche menés à cette occasion.
Rôle social, missions sociales des bibliothèques... de quoi parle-t-on ?
Jean-Pierre Vosgin, sociologue et responsable du département information-communication de l’IUT, nous livre les résultats d’une étude, menée avec des étudiants, qui permet de définir le plus exactement possible les missions sociales des bibliothèques. Ils se sont appuyés sur les articles publiés dans la presse professionnelle ainsi que sur des entretiens avec des bibliothécaires travaillant en milieu urbain ; lecture intéressante, en guise d’introduction, tant le rôle social des bibliothèques semble difficile à circonscrire.
On sort pourtant de ce très long article (plus de 100 pages sur les 270 que compte l’ouvrage) un peu perdu par la juxtaposition non hiérarchisée des 21 missions, d’essences bien différentes : la gratuité (un principe), l’autoformation (un moyen), l’insertion professionnelle (un objectif), etc. L’enquête mentionne l’article du Monde 2 paru le 6 juin 2009 intitulé « La médiathèque, un refuge dans la crise ». Cela souligne, en creux, le peu de place occupée par les bibliothèques publiques françaises dans la vie quotidienne, sociale et économique, du citoyen. En effet, mis à part cet article, et un autre publié dans Ouest France 2, la presse « généraliste » ne s’est pas intéressée au rôle des bibliothèques en temps de crise économique, contrairement aux médias américains.
L’article suivant constitue une lecture complémentaire intéressante. Fabrice Chambon, auteur d’un mémoire d’étude 3 sur la question, dresse une histoire précise et synthétique de la fonction sociale des bibliothèques publiques, en partant de l’influence majeure de l’éducation populaire au milieu du XIXe siècle pour arriver aux contrats ville-lecture. Il souligne – à juste titre – les difficultés rencontrées par les bibliothèques dans le montage de projets partenariaux avec les structures sociales.
On regrettera d’ailleurs que l’ouvrage, de manière générale, n’aborde pas plus les raisons expliquant la faible implication sociale (ou tout du moins l’absence de reconnaissance dans ce champ-là) des bibliothèques au sein de la cité. Fabrice Chambon lance quelques pistes intéressantes : absence de cadre national précis (les partenariats réussis s’avèrent finalement être le fruit d’une initiative locale marquée par une bonne entente entre responsables), actions des bibliothèques parfois perçues comme concurrentielles, méconnaissance mutuelle des missions, etc.
Des rives de la Tamise aux bords de la Garonne
La deuxième partie est consacrée à des exemples – réussis – de bibliothèques développant une action volontariste dans le domaine social. Après un détour – bien connu aujourd’hui 4 – dans l’arrondissement londonien de Tower Hamlets sous la forme d’un compte rendu de visite d’Idea stores, par Pascale Villatte, mettant en exergue la stratégie globale de cohésion sociale au sein de la communauté, on entre dans le cœur du colloque : le rôle des bibliothèques publiques dans la politique de la ville de Floirac, commune qui bénéficie du contrat urbain de cohésion sociale. Si on peut regretter que le colloque ne se soit pas ouvert à d’autres bibliothèques françaises actives dans ce domaine, le choix de se focaliser sur une ville en particulier permet de confronter plusieurs points de vue, en l’occurrence ceux d’une élue de la commune, du directeur du service de la politique de la ville, et de responsables de bibliothèques. Tous insistent sur l’importance de la démarche de projet qui a présidé à l’ouverture de la Maison des savoirs partagés, et plus particulièrement sur la phase de concertation avec la population du quartier ainsi que sur la recherche de partenariats locaux. Les lecteurs de l’ouvrage pourront ainsi noter quelques partenaires atypiques : Centre d’information du droit des femmes et de la famille, commerçants, Francas, CCAS, etc. La directrice de la lecture publique conclut son article par un réaliste « [le partenariat] est chronophage… et indispensable à la fois 5 ». Les actes de cette journée professionnelle comblent un réel manque dans la littérature professionnelle : si les débats sur le rôle social des bibliothèques ont lieu, il en existe peu de traces écrites. Il reste à poursuivre ce travail, en étudiant plus profondément les raisons de ce retard français au regard des bibliothèques anglo-saxonnes. Une suite pourrait être donnée à l’ouvrage : le rôle social des bibliothèques rurales. En effet, à l’instar de la désormais célèbre médiathèque Yves Coppens de Signy-l’Abbaye dans les Ardennes, de nombreuses bibliothèques de petites communes jouent un rôle éminemment social en tant que relais d’administrations éloignées.