Le rôle social des bibliothèques dans la ville aujourd'hui

Maïka Fourgeaud

Le 1er avril 2010, l’IUT Michel de Montaigne de l’université Bordeaux 3 tenait son 17e colloque annuel intitulé « Profession bibliothécaire », sur le thème du rôle social des bibliothèques dans la ville d’aujourd’hui. Le colloque se tenait à la Maison des savoirs partagés, dans la ville de Floirac, située sur la rive droite de la Garonne, face à Bordeaux. La ville de Floirac (16 000 habitants) est l’une des cent villes les plus pauvres de France ; elle possède néanmoins deux médiathèques !

En partant de la stagnation et même du recul des inscrits et des usagers des bibliothèques publiques depuis plus d’une dizaine d’années (statistiques du ministère de la Culture et enquête 2008), Jean-Pierre Vosgin, sociologue et directeur des métiers du livre de l’IUT Montaigne de Bordeaux, s’est d’abord livré à une recherche dans la presse professionnelle pour voir si les bibliothèques étaient concernées par le thème de leur rôle social. Il a ainsi découvert un certain nombre de missions sociales en développement depuis quelques années, et surtout depuis 2009. Il a alors dirigé une enquête qualitative par entretiens semi-directifs auprès d’une cinquantaine de professionnels des bibliothèques publiques.

Une vingtaine de missions sociales ont pu ainsi être mises en exergue. Certaines sont relativement anciennes : alphabétisation, lutte contre l’illettrisme, ateliers d’écriture, partenariat avec les écoles, actions en faveur des publics empêchés, etc. D’autres sont plus récentes : actions pour la conquête de nouveaux publics, nouvelles formes d’accueil, nouveaux espaces aménagés pour mettre les publics au centre des bibliothèques, offre de nouveaux services dans la révolution numérique, accompagnement pour la recherche d’emploi, insertion professionnelle et sociale, soutien à la formation, bibliothèque forum intégrée à la politique de la ville avec extension des horaires d’ouverture, gratuité et liberté dans la bibliothèque. Bref, une bibliothèque utile socialement…

Ces missions sociales, induites par de nouveaux publics et dans un contexte de crise économique, devront être mises en œuvre à une grande échelle, aux dires du sociologue bordelais. C’est à cette condition que les bibliothèques publiques des villes pourront attirer de nouveaux publics, revenant ainsi à une de leurs missions fondamentales : participer à la réduction des inégalités d’accès au savoir, à la lecture, à l’information, à la formation et aux loisirs. Un tel choix doit amener nécessairement à un nouveau modèle de bibliothèque, à de nouvelles compétences pour les professionnels, et peut-être à un nouveau métier auquel il faudra former différemment.

Le rôle social des bibliothèques aujourd’hui

Après avoir rappelé le rôle joué depuis toujours par les bibliothèques dans la démocratisation de l’accès au savoir, en insistant en particulier sur leur implication dans la formation des adultes au côté des mouvements d’éducation populaire au XIXe siècle et sur l’évolution du modèle de bibliothèque publique au cours des années soixante (du primat accordé à la conservation des documents à la communication des collections au plus grand nombre), Fabrice Chambon est revenu sur ses travaux à l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques). Ceux-ci portent sur les terrains d’action et les stratégies d’alliance pertinentes pour inscrire les bibliothèques dans une perspective de réduction des inégalités d’accès au savoir.

En matière de formation initiale, et plus encore dans le domaine de la formation tout au long de la vie, les bibliothèques publiques, si elles développent des initiatives localement, ne sont pas suffisamment intégrées dans les politiques de la ville et les programmes éducatifs et de formation impulsés par les pouvoirs publics. Leur participation semble pourtant constituer une des pistes pour favoriser la connaissance réciproque des bibliothèques et des acteurs de ces politiques, afin de mutualiser les moyens et de coordonner les initiatives.

Alors que le modèle de bibliothèque publique est en discussion dans la profession, et que les écarts de pratiques culturelles entre milieux sociaux se creusent, la présence des bibliothèques au cœur des politiques sociales et de formation, aux côtés notamment de l’éducation populaire, représente un axe pertinent d’évolution du modèle dans une perspective claire d’accès de tous à la culture en général, et à la lecture en particulier.

Le modèle des Idea Stores ?

Le troisième temps de cette matinée était réservé à la présentation de l’étude réalisée par Pascale Villate, maître de conférences en anglais à l’IUT Michel de Montaigne, sur les Idea Stores. Pascale Villate a rappelé le contexte historique et culturel dans lequel ce nouveau modèle de bibliothèques a émergé, après une importante baisse de fréquentation des bibliothèques traditionnelles anglaises. Elle détailla ensuite le réseau des Idea Stores avant de s’arrêter plus longuement sur le plus grand de ces établissements, situé à Whitechapel, dans l’est de Londres. Sa présentation mit parfaitement en évidence les objectifs – intégration et auto-formation – poursuivis par cet établissement, ainsi que la multiplicité et la diversité des dispositifs mis en place pour y parvenir : architecture des lieux, offre de services, choix des collections, programmes d’animation, séquences de formation, partenariats, etc. Les statistiques de fréquentation et les usages constatés laissent à penser que les objectifs culturels et sociaux fixés sont en passe d’être atteints.

L’action socioculturelle dans les bibliothèques de Floirac

L’après-midi fut consacrée à la place des bibliothèques de Floirac dans la politique de la ville et dans l’action culturelle locale, dans un quartier en pleine rénovation urbaine. Ainsi, Annie Bouquet, responsable de la médiathèque M.270, développa l’émergence du projet culturel de la Maison des savoirs partagés M.270. Aleth Mansotte, responsable de la médiathèque Roland Barthes, insista sur l’importance des partenariats au service de l’action culturelle, et enfin Yamna Abdelkader apporta le témoignage des ateliers d’écriture qu’elle anime à Floirac avec les publics de proximité.

Après la traditionnelle séance des questions-réponses avec les participants, animée par Héléne Rio, chargée de mission lecture publique, culture et justice à l’agence Écla  * du conseil régional d’Aquitaine, il revenait à Sylvie Minvielle, conseillère en charge des politiques transversales et du mécénat à la Drac (direction régionale des affaires culturelles) Aquitaine, la délicate tâche de faire la synthèse de la journée, ce qu’elle fit avec brio.

Ce colloque était vraiment réussi, avec la participation de plus de 250 personnes (étudiants, professionnels des bibliothèques, élus, responsables d’association et de services sociaux…) dans la magnifique salle de spectacles d’une Maison qui porte bien son nom.

  1. (retour)↑  Écla – comme écrit, cinéma, livre et audiovisuel – est la nouvelle agence régionale née de la fusion de l’Arpel (Agence régionale pour l’écrit et le livre) et d’AIC (Aquitaine image cinéma).