Coopérer en région avec les bibliothèques

Vincent Doulain

Le séminaire sur le thème « Coopérer en région avec les bibliothèques », organisé par la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill) avec le concours du Service du livre et de la lecture (SLL), a réuni le 16 mars dernier, plus de 80 personnes à la Bibliothèque publique d’information.

Fréquentation des bibliothèques : où en sommes-nous ?

Avant de faire le point sur les domaines et pratiques de coopération avec les bibliothèques, le programme proposait une table ronde centrée sur un sujet délicat : la fréquentation des bibliothèques. Que disent les sociologues ? La fréquentation des bibliothèques municipales a majoritairement tendance à baisser, certes de façon peu uniforme.

Explications. Claude Poissenot, sociologue et chercheur au Centre de recherche sur les médiations de l’université de Metz, a commenté un tableau créé à partir des données issues de l’enquête du SLL 2009 et issues de 502 bibliothèques enregistrant les entrées. En l’espace de trois ans, pour 55 % des établissements, la tendance est à la baisse ; pour 14 % à la stabilité et pour 32 % à la hausse. Remarquons que la tendance à la baisse est accentuée dans les établissements des villes de plus de 50 000 habitants (respectivement 77 %, 5 %, 18 %).

Y a-t-il baisse des inscrits ? De la fréquentation ? Ou des deux ? Olivier Donnat, responsable de l’enquête Pratiques culturelles des Français, a rappelé la nécessité de prendre du recul par rapport aux chiffres. Issus de données déclaratives, ils doivent être regardés à l’intérieur d’un intervalle de confiance (+ ou – 2 %). Pour autant, entre 1997 et 2008, la tendance est à l’effritement, à la fois celui des inscrits et celui des usagers non inscrits.

Quelles sont les évolutions structurelles à l’œuvre ? L’augmentation des années 1980 était en partie due à la croissance de la population scolarisée, et à sa part féminine. Depuis le milieu des années 1990, cette croissance est stabilisée. Et les effets d’offre se sont « essoufflés » (supports, constructions).

Christophe Evans, chargé d’étude en sociologie au service Études et Recherche de la BPI, a montré que cette baisse de la fréquentation concernait aussi la BPI, sans pour autant réduire la longue file d’attente à laquelle tout usager de la BPI ne peut échapper ! Car l’intensité de l’usage, comprenez la durée de la visite, est passée en quelques années d’une moyenne de 2 heures à 3 heures 30 (4 heures le dimanche !) ; 27 % des usagers viennent travailler avec leur ordinateur et leurs documents personnels. Presque un usager sur trois !

Constats et réactions des responsables d’établissement

Delphine Quéreux-Sbaï, directrice de la bibliothèque municipale de Reims et Anne Chapuis-Dogbé, directrice de la bibliothèque municipale de Melun, constataient une baisse globale des prêts et de la fréquentation, mais une stabilité des inscrits (Melun) et une légère remontée des inscriptions depuis 2008 (Reims). Dans ces deux villes de taille différente, les petites bibliothèques de quartier enregistrent une augmentation de la fréquentation. Même constat dans la Somme, où Hervé Roberti, directeur de la bibliothèque départementale, soulignait l’importance – et l’avenir – de la bibliothèque comme lieu de proximité, de lien social.

Face à ses évolutions, les responsables présents ont actionné différents leviers. Certains liés aux services offerts, en développant une politique d’animation dynamique pour renforcer l’aspect loisir du déplacement en bibliothèque (Reims) ou des services d’assistance très personnalisée dans des domaines comme le travail, l’emploi, la formation, l’auto-formation (Melun), en positionnant la bibliothèque comme lieu de partenariat avec échange de compétences (260 partenariats à Melun en 2009). D’autres leviers sont liés aux modalités d’accès, à l’élargissement des horaires et des quotas de prêt, à l’ouverture dominicale (Reims, une fois par mois), à la généralisation des réservations et des retours « partout » (Reims).

Les intervenants ont souligné, encore et toujours, l’importance pour la fréquentation du « concret », de la signalétique d’accès aux facilités du parking, tous ces « détails » qui finalement n’en sont pas. Et rappelé que la communication locale, essentielle, profiterait pleinement de campagnes nationale et régionale.

En conclusion, Daniel Renoult, doyen de l’Inspection générale des bibliothèques, a insisté sur l’intérêt des études régionales pour compléter les Pratiques culturelles.

Coopérations régionales et nationales

La coopération pourrait-elle relever les défis posés par la fréquentation ? Pour l’instant, ce n’est pas son ambition. Mais des coopérations à l’échelle régionale, originales et stimulantes, étaient présentées. Qu’il s’agisse de coopération patrimoniale (Mémoire et actualité en Rhône-Alpes) 1, d’animations littéraires (« Écrivains d’Afrique : escales en Champagne-Ardenne ») 2, ou du Prix littéraire des lycéens et apprentis de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur  3, ces opérations visent un travail structurel, à dimension interprofessionnelle, et fondé sur des conventions pluriannuelles. La place de ces conventions et des financements associés, le rôle essentiel des structures régionales pour le livre (SRL) comme force de coordination et de dynamisme étaient rappelés par les rapporteurs des trois ateliers.

À l’échelle nationale, signalons la prochaine signature d’une convention cadre entre l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) et la Fill pour faciliter les partenariats autour du signalement des plans de conservation partagée des périodiques en région. Les représentants des associations professionnelles, ABF (Association des bibliothécaires de France), ADBU (Association des directeurs de bibliothèques universitaires), ADBGV (Association des directeurs de bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France), exprimaient tout l’intérêt qu’ils portent à la coopération.

Pour servir cette coopération, retenons les appels à l’expertise formulés par le conseiller livre du ministre Frédéric Mitterrand, Pierre Lungheretti, pour qui l’État a besoin des SRL, « lieux de synthèse pour des politiques convergentes », pour établir des « analyses adaptées à ces territoires différenciés » et pour approfondir leur rôle de relais avec les établissements publics nationaux, mais aussi par Geneviève Dalbin, trésorière de la Fill, qui a souhaité que le travail en région puisse s’engager dans la définition de schémas de services collectifs culturels.