Éthique de « la société de l’information »

par Franck Hurinville
Sous la direction de Jean-Louis Fullsack et Michel Mathien
Bruxelles, Bruylant, 2009, 264 p., 24 cm
Coll. Médias, Sociétés et Relations
ISBN : 978-2-8027-2681-4 : 40 €

Quelque chose bouge sur la planète internet, malgré les fractures entre « Nord » et « Sud », l’hégémonie des intérêts marchands, la course technologique effrénée. Début octobre 2009, sous la pression internationale, le département du commerce américain a abandonné son droit de veto sur les décisions de l’Icann  1 (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l’organisme de droit californien chargé de la gestion des noms de domaine sur internet (.com, .org, .net). Il s’agit là d’une première avancée, encore timide, vers l’internationalisation de l’internet, une problématique qu’un ouvrage théorique permet d’approfondir, parmi d’autres thématiques.

Menaces sur l’individu

Éthique de la « société de l’information » vise à remédier à une lacune : le Sommet mondial sur la société de l’information s’était limité à quelques rappels vagues en matière d’éthique appliquée à la collecte, au traitement et à la diffusion de l’information. Le plus petit dénominateur commun accepté par les États avait largement déçu les représentants de la société civile participant au Sommet. Car le sujet est hérissé de difficultés. Michel Mathien  2, titulaire de la chaire Unesco « pratiques journalistiques et médiatiques. Entre mondialisation et diversité culturelle », le souligne avec force : « La plupart des pays du monde, en Europe, en Afrique ou en Asie, portent encore le poids d’un passé, plus ou moins maîtrisé en raison des conflits traversés, mais qui s’inscrit aussi dans une culture liée à une langue spécifique et à des mœurs sociales loin d’être uniformes. La société de l’information peut-elle être une société anhistorique ? »

Aussi les textes rassemblés offrent-ils un riche panorama du rôle et de la place qui doivent être ménagés à l’éthique de l’information dans l’enseignement supérieur, la gestion des ressources humaines, la lutte contre la cybercriminalité, la protection des droits de l’homme, etc.

Sans illusion aucune, Patrick J. Brunet est formel : « Dans le domaine de l’information […], la personne humaine tend à devenir un “paquet” d’informations susceptible d’être exploité au mieux. La valeur de l’individu est alors soumise aux lois de la production et de la concurrence. » La menace n’est pas seulement économique : « L’usage du net ne met pas à l’abri des déformations volontaires de l’information que l’on retrouve de tout temps dans les collectivités humaines. La rumeur d’Orléans, étudiée il y a maintenant plusieurs décennies par les sociologues, reste un syndrome contemporain », observe Jean Mouchon à la faveur d’une étude sur les leçons à tirer de l’usage des TIC dans les dernières campagnes électorales en France. Mais les difficultés se nichent au cœur même des débats qui, dans les pays dits développés, ont droit de cité depuis longtemps : « Comment, par l’impératif de l’éthique, accompagner la démocratisation naissante ou promise des champs médiatiques du Sud sans que cette éthique ne soit contre-productive par rapport au processus si fragile de l’affranchissement de l’expression médiatique, longtemps étouffée ou domptée ! »

Progrès fragiles et menacés

Mais le ton n’est pas désespéré : revenant sur les apports du SMSI, Michel Mathien rappelle que « l’éthique comme préoccupation, voire comme problématique transverse à la plus grande partie des actions à promouvoir en vue de l’essor des TIC, est apparue comme une condition sine qua non pour donner un avenir constructif et bénéfique à tous dans la mise en œuvre quotidienne de la société de l’information ».

Le sujet est inépuisable : les questionnements autour de l’éthique de la société de l’information se renouvellent en fonction de périmètres que dessinent des réalités toujours mouvantes, légitimes certes, mais contradictoires : pratiques personnelles et régulations collectives, espace public et espace médiatique, société civile et pouvoirs étatiques…

Quelque chose bouge sur la planète internet mais les progrès sont fragiles et toujours menacés, comme en atteste la censure sur la Toile qui ne cesse de s’accentuer en Chine. La première « Déclaration des droits de l’homme sur internet  3 » vient d’être rendue publique : elle émane de quinze intellectuels chinois inquiets des limites imposées à la liberté d’information des internautes et des journalistes. À cet égard, on aurait apprécié que les auteurs réunis dans cet ouvrage s’attachent à cerner les impératifs d’une éthique de l’information communs aux professions de l’information que sont les journalistes mais aussi les bibliothécaires et les documentalistes. Comment traduire dans le quotidien de ces communautés professionnelles aux premières loges de la société de l’information les authentiques exigences d’une éthique partagée ? C’est la question majeure à laquelle cette publication ne répond que bien partiellement.