Le sommet mondial sur la société de l’information et après ? Perspectives sur la cité globale

par Franck Hurinville
Bruxelles, Bruylant, 2007, 439 p., 24 cm
Coll. Médias, sociétés et relations internationales
ISBN 978-2-8027-2475-9 : 55 €

« Le machin qu’on appelle l’ONU », s’exclamait le général de Gaulle, « un machin de plus », a-t-on la tentation de reprendre devant l’ouvrage consacré au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) par Michel Mathien et plus d’une vingtaine de contributeurs qui furent autant d’intervenants lors d’un colloque tenu en mai 2006 à Strasbourg. Le colloque s’intitulait « Le Sommet mondial sur la société de l’information et après ? Analyses et perspectives sur l’avenir de la cité globale ». Le volume qui nous livre ces communications reprend l’intitulé, mais les mots « analyses » et « avenir » ont mystérieusement disparu lors du passage chez l’imprimeur. Caprice de l’éditeur, Bruylant, adepte du style lapidaire cher à nos classiques ? Souci d’aller à l’essentiel dans un volume de plus de 400 pages ? Il n’en reste pas moins que cet ouvrage pluridisciplinaire livre précisément des analyses passionnantes d’un avenir que les prophètes du choc des civilisations ne sont pas les seuls à essayer de deviner. Le pire n’est jamais sûr.

Le Sommet mondial s’est tenu en deux phases, à Genève en 2003, puis à Tunis en 2005 à l’initiative de l’ONU et sous la tutelle de l’Union internationale des télécommunications  1. Une autre fée devait très vite se pencher sur le berceau du tout nouveau Sommet : l’Unesco sut équilibrer l’approche technique de l’ingénieur, typique de son homologue, par la préoccupation de la liberté d’expression et des droits de l’homme. L’introduction du directeur de publication ne se contente pas de rappeler comment la lutte contre la fracture numérique, principal enjeu du Sommet à l’origine, ne fut pas laissée aux seuls experts de la technique. Elle dégage avec pédagogie ce qui fait l’unité des points de vue d’une équipe pléthorique, tant cet ouvrage nous instruit autant sur le Sommet lui-même que sur la manière dont des chercheurs sont capables de le penser. Son mot d’ordre est net : ni dupe, ni naïf ! La vision généreuse d’une cité globale ne doit pas ignorer les intérêts bien réels du secteur privé. Les transferts de biens culturels peuvent-ils s’accommoder de la pensée libérale des acteurs économiques si présents lors du Sommet ? Le discours positiviste sur les technologies de l’information et de la communication, remèdes à l’échec des systèmes scolaires, est-il crédible ? Qui s’interroge vraiment sur l’autonomie de l’individu dans un contexte d’opulence communicationnelle ? Quelle forme politique donner à cette cité globale quand la distance est si faible, y compris dans les démocraties, entre la société de l’information et son double, la société de la surveillance ? Enfin, qui pourrait croire les débats du SMSI exempts des abus de mots, des abus de force d’une communauté internationale faite d’États concurrents ?

Zoom avant, zoom arrière

Le Sommet fut-il à la hauteur de cette exigence de lucidité ? C’est à cette question que répond la première partie de l’ouvrage. De sa généalogie, à travers le rappel de l’action de l’Unesco en matière d’information, à son écologie (ainsi des relations entre les grandes agences de l’ONU et la société civile très présente au Sommet  2), cette partie atteint son but. Elle va même plus loin en faisant un zoom avant sur le bilan de la rencontre de Tunis et l’étude de cas des États africains face au Sommet. Un zoom arrière confronte ensuite le SMSI à l’héritage des expositions universelles et analyse le silence assourdissant des médias à son égard. Juste une remarque : une analyse poussée du Forum sur la gouvernance d’internet  3, créé à la suite du Sommet, aurait utilement complété ce panorama.

Une lecture interrompue à ce point comblerait déjà le lecteur. Mais les chapitres suivants vont plus loin et abordent, dans la deuxième partie, des « problématiques laissées en suspens », comme les rythmes de diffusion des technologies, les risques liés aux outils numériques imposés à des cultures qui n’en maîtrisent pas les bases conceptuelles, la recherche d’un tiers-secteur entre capitalisme d’État et libéralisme privé et enfin l’avenir de l’Afrique subsaharienne. Le parti pris de perspicacité ne se dément plus. Les contributions finales sur la concurrence des différents modèles de régulation d’internet, les contradictions internes des positions des États, les limites du recours aux représentants autoproclamés de la société civile sont de nature à satisfaire le plus exigeant des critiques.

L’un des seuls reproches qu’on puisse faire à ce livre rare est de ne pas souligner assez que le SMSI est un processus ouvert bien au-delà de 2005 : en effet, un mécanisme de mise en œuvre des grandes orientations qu’il a adoptées a été mis en place. Il doit déboucher sur un bilan d’ensemble en 2015. Tout reste donc à faire.