Et si les bibliothécaires lisaient tout ce qu'elles/ils écrivent ?
Après avoir défini le corpus et les fonctions supposées de l’édition professionnelle en lien avec le contexte professionnel des bibliothèques, cet article propose une typologie des principales publications en série (types d’informations publiées, caractéristiques) et des éditions de monographies (éditeurs et collections, documents professionnels édités par des bibliothèques…). Il tente enfin (encadré) de cerner les usages et les usagers de cette littérature professionnelle à partir d’un échantillon d’établissements de Nancy et Metz.
The article begins by defining the corpus and intended role of specialist publishing in the context of professional librarianship. It proposes classifications of the major serial publications by types of information published and characteristics, single-author works by publisher and collection, and specialist works published by libraries. It concludes by attempting to identify the readership of this specialist literature and their habits, based on a sample of libraries in Nancy and Metz.
Im Anschluss an eine Definition des Korpus und der vermutlichen Aufgaben der Fachveröffentlichungen im Zusammenhang mit dem beruflichen Kontext der Bibliotheken, schlägt dieser Artikel eine Typologie der wichtigsten Fortsetzungsreihen (Arten der veröffentlichten Informationen, Merkmale) und Buchausgaben (Verlage und Reihen, Fachdokument von Bibliotheken herausgegeben…) vor. Er versucht schließlich ausgehend von einer Stichprobe von Einrichtungen in Nancy und Metz (Informationskasten), die Nutzung und Nutzer dieser Fachliteratur zu erfassen.
Después de haber definido el cuerpo y las funciones supuestas de la edición profesional en enlace con el contexto profesional, este artículo propone una tipología de las principales publicaciones en serie (tipos de informaciones publicadas, características) y de las ediciones de monografías (editores y colecciones, documentos profesionales editados por bibliotecas...). Este intenta finalmente (recuadro) cercar los usos y los usuarios de esta literatura profesional a partir de una muestra de establecimientos de Nancy y Metz.
Le terme de littérature professionnelle sera compris comme l’ensemble des écrits pédagogiques, techniques et théoriques diffusés en direction d’une profession, pour ses besoins de formation, d’apprentissage, d’acquisition des connaissances, pour leur actualisation et la promotion d’un univers professionnel.
Professionnels et chercheurs y voient souvent le miroir d’un métier dans ses aspects techniques, scientifiques, culturels, politiques, idéologiques.
Porter un regard sur ces écrits en 2009, c’est examiner les supports actuels : papier et numérique (en ligne), les catégories de documents : publications en séries (ressources continues) et monographies (ressources finies) et, pour ces dernières, un éventail allant du livre à la thèse en passant par les rapports, actes de congrès, colloques, journées d’étude, types d’écrits relevant du concept de « littérature grise », forgé dans les années 1970.
Pour décrire la situation actuelle, notre point de départ rétrospectif et symbolique pourrait être 1974, avec la création, au Cercle de la librairie, d’une collection sans nom au départ, puis intitulée, en 1978, « Bibliothèques » et qui, jusqu’à ce jour, constitue la plus importante collection de manuels et d’ouvrages de réflexion pour les bibliothèques et la documentation en France.
Si la production de monographies a connu un développement très important, en revanche les périodiques (revues, magazines…), tant en nombre de titres qu’en tirage rapporté au public potentiel concerné, ne connaissent au mieux qu’une stagnation.
La migration du support papier vers une mise en ligne est-elle un continuum ou un signe de rupture ? Quels sont les apports des listes de discussion, des blogs, des forums, de l’abondance de ressources disponibles en ligne, souvent gratuites, avec -quelles conséquences sur la production papier ? Autant de multiples aspects et questions auxquels nous tenterons de répondre autour de quatre axes : le corpus des publications et le contexte professionnel, les fonctions supposées, un essai de typologie des informations traitées, des types de documents (revues, livres, rapports, documents professionnels et techniques), enfin, les usages, à partir de constats effectués empiriquement auprès d’un échantillon d’établissements nancéiens et lorrains.
Le corpus de la littérature professionnelle
La littérature professionnelle semble familière et, pourtant, elle n’a fait que trop rarement et irrégulièrement l’objet d’une synthèse : un inventaire exhaustif retient cinq références 1 depuis plus de vingt-cinq ans, uniquement pour les revues professionnelles, dont deux proposant une synthèse en 1992.
Un périmètre à préciser
Si l’on reste dans une approche classique, on pourrait retenir comme « cœur du métier » :
- Les revues et livres traitant de bibliothéconomie. Mais peut-on encore facilement énumérer les différents chapitres de cette discipline ? L’évolution du contenu du Métier de bibliothécaire jusqu’à sa 12e édition en 2007 est, en elle-même, une étude à part entière !
- Les documents s’intéressant (encore) aux techniques documentaires (catalogage, indexation, classement, recherche documentaire). On reste ici sur les fondamentaux du métier.
- Le patrimoine écrit et graphique et l’histoire des bibliothèques débordent le seul public des bibliothécaires pour s’adresser aussi à l’amateur de livres ; de nombreuses publications en témoignent.
- Les spécialisations soucieuses d’avoir leurs propres tribunes : seuls les livres pour la jeunesse constituent encore un véritable champ, bien nourri de nombreuses revues actives, voire militantes ; discothécaires et vidéothécaires sont pris dans la tourmente des changements d’usages de ces supports – la disparition en 2003 d’Écouter voir en est le symbole précurseur.
Pour ne pas alourdir cet article, nous retiendrons – c’est un choix certainement discutable – les trois champs, suffisamment vastes, de la bibliothéconomie (organisation, acquisitions, gestion des fonds, des personnels, relations avec les usagers, les autorités de tutelle et l’environnement politique, social, économique, culturel), des techniques documentaires y compris la documentation et les techniques de l’information et de l’archivage numérique et, enfin, du patrimoine écrit dans et hors les bibliothèques.
Les nombreux instruments (revues, guides, livres) traitant par exemple de la littérature jeunesse ne seront pas retenus, non plus que les revues d’analyses, de sélection et de critiques de livres, instruments utilisés pour les acquisitions.
Données contextuelles
Bibliothèques et personnels
L’offre est en relation étroite avec des facteurs spécifiques au milieu professionnel : la population potentielle visée (nombre et niveau), le nombre d’établissements pouvant être abonnés (facteur peut-être essentiel), les budgets d’acquisition, les questionnements d’une profession et les besoins de formation (candidats, établissements, diplômes), l’intérêt des chercheurs pour des objets de recherche (sociologie des publics, histoire du livre, de l’édition, organisation, technologies…), enfin, les outils nouveaux de publication permettant de s’affranchir de contraintes (support de diffusion, coûts, rapidité, mise à jour).
Quelques chiffres indispensables pour la période 1980-2007 2, éclairent l’aspect quantitatif des usagers potentiels de la littérature professionnelle (voir tableau).
En outre, on peut estimer que 3 000 personnes – ligne basse – suivent les différents cursus de formation (bibliothèques et documentation).
À partir d’entretiens avec éditeurs et bibliothécaires 3, il ressort que le nombre de sites géographiques de bibliothèques, pour une même structure administrative, génère souvent plusieurs abonnements pour un même titre ; en revanche, la taille et les effectifs d’un même service n’ont pas d’incidence sur des abonnements supplémentaires à un même titre.
Un autre chiffre serait souhaitable, mais complexe à reconstituer : celui des dépenses d’acquisitions et d’abonnements, ventilées par domaines et notamment pour la littérature professionnelle. On admettra – hors polémique – que le budget et le pouvoir d’achat des bibliothèques, en 2009, sont infiniment supérieurs à ce qu’ils pouvaient être en 1980-1981. Dans les entretiens que nous avons pu avoir avec des responsables de bibliothèques, la question du coût n’a été qu’exceptionnellement évoquée (sauf celui du prix de l’abonnement à Livres Hebdo) et la décision d’acquisition/abonnement est souvent justifiée par la notion d’utilité, en particulier dans les bibliothèques de taille moyenne.
Des cours et manuels pour une professionnalisation des personnels
La croissance continue du nombre des candidats au CAFB – 1 200 à 1 500 environ au début des années 1980 –, des candidats aux différents concours de l’État (bibliothécaire adjoint, conservateur), la montée en puissance des IUT filières Métiers du livre et Documentation, créés dès 1967, enfin les perspectives de recrutement ouvertes par le rapport Pingaud/Barreau, ajoutées au besoin de former « un personnel en place souffrant d’un déficit de qualification », (rapport Vandevoorde, juin 1981), sont des facteurs connus. Jusqu’à la fin des années 1980, ce sont essentiellement des écrits à finalité pédagogique, tournés vers les fondamentaux qui dominent : catalogage – il fallait aussi maîtriser les nouvelles normes du milieu des années 1970 –, indexation (Dewey et matière), bibliographie et bibliothéconomie.
Dans ce contexte, les périodiques jouent un rôle complémentaire, pour des mises au point et mises à jour, des présentations de nouveaux établissements et services et commencent à accueillir des réflexions sur un paysage documentaire en cours de changement et sur le nouvel outil informatique au service des bibliothèques, déjà annoncé par le Bulletin de la Dica 4 (Division de la coopération et de l’automatisation).
Les fonctions supposées de l’édition professionnelle
Le tryptique formation/réflexion/recherche paraît le fondement de l’acte d’édition, que l’on peut lire dans les préfaces, avant-propos des ouvrages, choix éditoriaux et discours du milieu professionnel.
Avec le temps, d’autres fonctions non dites, aussi essentielles, apparaissent :
- La fonction de mémoire d’une profession, soulignée aussi bien par Jacqueline Gascuel que par Michel Merland et Martine Poulain parlant de « témoin de l’histoire des bibliothèques depuis l’après-guerre 5 ». C’est aussi l’analyse des Discours sur la lecture d’Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard 6, qui, dans le chapitre consacré aux bibliothécaires, réutilisent abondamment la littérature professionnelle de 1880 à 2000.
Les revues, mais aussi les manuels, sont le reflet de l’identité d’une profession dans ses savoirs techniques, ses discours sur le métier, la culture, la place du livre et des bibliothèques dans la société ; à cet égard, l’étude du Bulletin d’informations de l’ABF, la plus ancienne revue encore existante (depuis 1907), nous paraîtrait urgente pour quiconque souhaiterait reconstruire le corpus des savoirs et des espérances du métier, et des travaux récents réalisés à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) apportent des éclairages essentiels sur le BBF 7.
De la mémoire collective à celle des individus, le lien pourrait paraître normal. Curieusement, la presse professionnelle reste parcimonieuse, sauf pour celles et ceux qui ont eu des responsabilités importantes. À quand un dictionnaire des bibliothécaires ? Doit-on dépendre de Livres Hebdo qui, presque chaque semaine, nous offre quelques portraits de « gens » à l’occasion de mutations, décès ? Bibliothèque(s) rend compte quatre fois l’an de trajectoires et de vies à l’occasion de mutation, de départ en retraite ou de décès.
- La constitution des savoirs et leur transmission. Apprendre les savoirs, se former aux techniques, mettre à jour les connaissances, s’informer, réfléchir aux évolutions et anticiper sont les angles de l’édition professionnelle : livres et revues se complètent harmonieusement, partageant quelquefois les mêmes auteurs et spécialistes ; à côté des manuels et guides pratiques présents chez plusieurs éditeurs : collections « Bibliothèques », « Médiathèmes » (ABF), « Boîte à outils » (Enssib), « L’Essentiel sur » (ADBS), « Guides pratiques » (Archimag), les ouvrages et articles de réflexion et prospective sont une seconde série de publications ; Julien Cain, créateur du BBF, attendait que cette revue « témoigne de l’esprit de rénovation qui anime les bibliothèques ». Pour Martine Poulain, directrice de la collection « Bibliothèques » depuis 1992, « tout ouvrage associe la formation et la réflexion afin de répondre aux préoccupations des professionnels, mais aussi les accompagner dans les changements (technologie, nouveaux savoirs, concepts et enjeux) ».
- Accueillir la recherche. La fonction de support à la recherche est tout aussi présente, mais – est-ce par excès de modestie de la profession ? – elle est rarement revendiquée en tant que telle, sauf pour les revues s’inscrivant dans le champ de l’histoire du livre ; aujourd’hui, nombre de conservateurs, voire de bibliothécaires sont titulaires d’une thèse de doctorat et auteurs de travaux de recherche ; les canaux de publication se répartissent autour de plusieurs pôles : une collection et une revue chez Droz 8, les travaux édités par la Bibliothèque nationale de France (articles de la revue, catalogues, publications scientifiques), par la Bibliothèque publique d’information (service Études et recherche), trois revues d’histoire du livre et, heureusement, des ressources numériques en ligne (Enssib, École nationale des chartes, Institut d’histoire du livre).
Ces travaux sont-ils toujours reconnus par la profession et par l’université et la recherche, détentrices du label « recherche » ? L’examen rapide des publications montre néanmoins que les bibliothécaires conservent encore leur excellence dans l’histoire du livre et des bibliothèques, la bibliographie et que leurs travaux, reconnus dans leur statut – au moins pour les conservateurs –, ont toujours fait partie, naturellement, de leur activité.
- Une fonction cachée ? Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses fonctions pour l’ensemble du réseau de la formation, la presse et l’édition professionnelles sont les principales ressources de recrutement d’intervenants et aident au choix des thématiques de formation. À ce titre, les dossiers du BBF ont toujours été, en priorité, une source d’inspiration pour la mise en œuvre du Catalogue annuel des formations de Médial.
De quelques typologies des périodiques
Plutôt que de présenter chacun des titres, nous avons opté pour une analyse, tous titres confondus, des types d’information régulièrement publiés par les périodiques et de leurs caractéristiques ; seuls les titres édités en France seront évoqués ici, même si des bibliothécaires lisent ou parcourent Argus (Québec), Documentation et bibliothèques (Québec), Cahiers de la documentation), Le livre et l’estampe et Lectures (Belgique), pour ne citer que ces principales revues francophones.
Nature des types d’information
Les périodiques ont la forme mais aussi du fond ! Les articles sont la base de tout périodique : de longueur variable selon les revues, de 4 à 10 pages dans le BBF, de 2 à 4 pages dans Documentaliste et dans Bibliothèque(s), de 1 à 3 pages dans Archimag. Le nombre d’articles dépend des choix éditoriaux : aujourd’hui la tendance (réclamée par les lecteurs et les comités de rédaction) est de multiplier les points de vue dans des articles plus courts, ainsi 10 à 12 articles dans chaque numéro du BBF, dont le comité éditorial conseille un raccourcissement des articles !
Autre évolution significative : la présence accrue d’illustrations, comme dans Bibliothèque(s), une mise en page modernisée, afin de tendre vers une formule magazine – cas d’Archimag et de Bibliothèque(s) –, gommant le côté austère de la revue (reproche souvent fait au BBF), une nouvelle maquette dynamique, aérée, pour Documentaliste, rendant plus agréable la lecture d’articles d’un niveau recherche.
Contenus
À côté des articles, la plupart des revues ont développé des brèves, informations courtes, plus nombreuses, rendant compte d’événements, de manifestations diverses et d’événements personnels, sauf, dans ce dernier cas, le BBF ; le traitement de l’événementiel est en rapport avec la périodicité qui, au-delà de deux à trois mois, ne permet que des rappels.
Les comptes rendus, analyses, critiques et signalements de la littérature professionnelle sont depuis toujours et traditionnellement largement présents dans toutes les revues avec des traitements différents : comptes rendus plus longs de livres le plus souvent sélectionnés, argumentés dans le BBF, Documentaliste et surtout dans les revues de patrimoine et d’histoire du livre : serait-ce dû à la nature des écrits commentés ou aux auteurs de ces analyses ? À remarquer que ces lecteurs critiques – est-ce un « métier » ? – se rassemblent dans une fratrie étroite et peu renouvelée ! Les sommaires des revues françaises et étrangères ont, pendant de longues années, figuré dans le Bulletin d’informations de l’ABF (années 70/80), puis le relais fut pris par le BBF, et par Documentaliste ; les derniers numéros consultés de ces revues n’affichent plus aucun signalement, mais le BBF analyse toujours les derniers numéros d’une demi-douzaine d’entre elles.
Les éditoriaux sont aujourd’hui la règle ; ce genre en soi, initié par Martine Darrobers dès 1984 pour le BBF, sorte d’introduction et de synthèse du contenu du numéro, est lié à la mise en avant du rôle du rédacteur en chef et du contenu thématique du numéro.
En revanche, certains types d’information sont minorés, voire absents, selon les périodiques : en particulier les informations administratives et techniques, une des raisons d’être du BBF, de 1956 à 1982. Le relais n’ayant pas été pris efficacement par l’administration ni par d’autres structures, ces informations doivent être glanées dans les bulletins syndicaux, sur les sites de certaines associations (ADBDP, ADBGV), les forums et les blogs. Les informations techniques prennent plutôt place dans des périodiques spécialisés comme ceux de l’Abes – le BIM (Bulletin d’information mensuel) et Arabesques – et sur le site de la BnF (onglet « Professionnels »).
Un espace de débat ?
Prises de position, billets d’humeur, courrier des lecteurs, critiques et débats ne trouvent aujourd’hui qu’exceptionnellement leur place dans les revues professionnelles. Y aurait-il des cas de censure ou d’autocensure ? Nos interlocuteurs évoquent plutôt des textes mal écrits ou n’entrant pas dans la thématique proposée. Un exemple assez récent tendrait à illustrer le pour et le contre : Anne--Marie Bertrand, alors rédactrice en chef du BBF, ouvrant un débat public sur « Mais à quoi servent vraiment les bibliothèques municipales ? », a accepté un texte qualifié de « décoiffant » de Bruno David, « Le manège enchanté des bibliothécaires », assorti d’un avertissement inhabituel dans cette revue 9 ; il s’est ensuivi une joyeuse diatribe dans les numéros suivants, à partir d’un texte provocateur, d’une lecture souvent fastidieuse, voire hermétique pour un non-initié !
Pourtant, deux titres ont illustré la fonction tribunitienne : l’un connu pour son impertinence, son ironie, son humour caustique quelquefois, -Interlignes, revue animée par Anne-Marie Bertrand 10, tribune des bibliothèques municipales et espace de protestation de mars 1987 à novembre 1992 11, s’inscrivant dans une « filiation indéniable » de Médiathèques publiques. Cette dernière revue, dirigée par Michel Bouvy 12, à l’origine, organe de la section des bibliothèques publiques de l’ABF, publiée d’abord sous le titre Lecture et bibliothèques, est devenue en 1977 Médiathèques publiques, qui opposa les « modernistes, prônant dès 1968 un réseau structuré et national de bibliothèques publiques [aux] conservateurs et intégristes de l’ABF », selon Michel Bouvy. Cette revue fut « le porte-parole de la médiathèque de secteur à partir de 1977 contre les tenants du communalisme du groupe ABF Île-de-France » (Jacqueline Gascuel), puis « a sombré dans des ressassements aigres et chagrins » (Anne-Marie Bertrand).
La question de la pérennité des revues reposant sur des initiatives de groupes, sans soutien ni reconnaissance institutionnels, est posée dans ces exemples de revues nécessaires mais fragiles à faire vivre en parallèle à une activité professionnelle. Ces deux titres, pendant vingt-cinq ans, ont néanmoins apporté une bouffée d’oxygène entre les deux revues légitimes considérées comme institutionnelles : le Bulletin d’informations de l’ABF et le Bulletin des bibliothèques de France.
Si les prises de position, les débats, ont migré aujourd’hui vers d’autres supports (blogs, forums, de rares livres personnels), leur visibilité, leur impact nous paraissent paradoxalement plus fragiles et éphémères, ne laissant souvent aucune trace écrite en raison du support choisi.
Enfin, la publicité, qui est aussi une information, reste peu présente, sauf dans les revues éditées par le secteur privé et par les revues de bibliophilie et d’art du livre ; quand elle existe dans les revues de bibliothéconomie, elle est en accord avec le contenu éditorial : publicité pour des éditeurs, matériels pour bibliothèques, etc.
Caractéristiques des périodiques
Concurrence ou complémentarité dans les thématiques ?
Chaque titre se différencie sans que l’on puisse déceler une quelconque concurrence ; Bibliothèque(s)et BBF s’inscrivent dans la sphère des généralistes sans pour autant s’adresser de la même voix aux lecteurs, avec les mêmes objectifs tout en visant un public commun ; plus proche des gens pour Bibliothèque(s) – miroir de la profession –, le BBF se voulant la référence pour les savoirs et sujets traités. Traitant des technologies de l’information et de la documentation, l’opposition de style entre Archimag (articles courts, formule magazine) et Documentaliste (articles de recherche, plus longs et fouillés) est manifeste : ce dernier titre proposant un regard sur la profession et ses savoirs.
Les titres de chacune des publications conservent pour certains un parfum du passé : bulletin (du bibliophile), magazine… (déjà plus moderne), revue (de la BnF) correspondent à l’origine à la définition de chaque type de publications en série telle qu’elle est donnée dans le Vocabulaire de la documentation édité par l’Afnor (1987) et repris depuis par l’ADBS (2004). Le Bulletin des bibliothèques de France est emblématique, puisqu’à l’origine (1956), il est l’organe d’information (et de promotion) de la Direction des bibliothèques de France à l’intention de ses membres (personnels des bibliothèques). C’est tout le mérite de l’Enssib, responsable depuis 1991, de lui avoir conservé son titre d’origine et de lui donner une forte marque par les trois lettres BBF, alors que la fonction de bulletin n’existe plus.
À l’opposé, le Bulletin d’informations de l’ABF, en changeant complètement sa maquette et en partie son contenu, avec un nouveau titre fort, Bibliothèque(s), surtitré revue de l’ABF, renvoyait à l’histoire la fonction de lien entre les membres d’une profession évoquée par le terme de « Bulletin 13 »…
Documentaliste – Sciences de l’information, pour sa part, ne retient que le logo ADBS sur la couverture depuis la nouvelle maquette de mai 2008.
Ces évolutions traduisent la volonté de s’adresser au-delà d’une profession aux contours définis par une association, ou par un statut, afin d’élargir les propos aux enjeux et problématiques d’un secteur d’activité et non plus d’un groupement professionnel. D’une manière générale, le titre et le sous-titre de chaque périodique sont explicites pour définir son contenu.
Que retenir du panorama des revues ?
La majorité des revues a moins de 40 ans ; deux exceptions : Biblio-thèque(s), créée en 1907, est la doyenne ; le BBF a fêté en 2006 son cinquantenaire.
La quasi-totalité est éditée par des organismes publics ou des associations, sauf Livres Hebdo, Archimag, Art et métiers du livre, le Magazine du bibliophile, le Bulletin du bibliophile.
Au total, chaque mois ou tous les deux mois, l’ensemble des numéros représente (peut représenter) pour la même personne entre 300 et 400 pages de lecture, la palme de la production de textes revenant au BBF avec 700 pages par an.
La périodicité est censée accompagner le champ des connaissances en mutation, les capacités de lecture et d’écriture des auteurs/lecteurs – souvent les mêmes. Mis à part Livres Hebdo – 44 numéros par an –, les périodicités s’étagent du mois – Archimag – au trimestre – (Documentaliste, Bibliothèque(s). Les revues patrimoniales présentent un écart plus important, de mensuel (Magazine du bibliophile) à annuel (Revue française d’histoire du livre).
Paradoxalement, alors que le nombre d’agents, toutes bibliothèques et services de documentation confondus, a été multiplié par trois ces trente dernières années et que la quantité d’événements, d’informations et de manifestations est exponentielle, la périodicité des titres les plus importants a été revue à la baisse à la faveur de remise à plat du projet éditorial : citons le BBF qui passe de 12 numéros mensuels (théoriques et publiés souvent avec retard dans les années 70/80) à 6 numéros ponctuels aujourd’hui ; Documentaliste passe de 6 numéros à 4 par an en 2008 ; Bibliothèque(s) ne parvient pas à augmenter ses 5 numéros par an, malgré le souhait exprimé par Gérard Briand dans l’édito du no 1 de mars 2002.
Toutes les revues ont un comité éditorial, organe d’expertise, de conseil et de validation de la ligne éditoriale ; l’équipe permanente est le plus souvent réduite à quelques personnes ; on note une évolution vers une professionnalisation des rédactions, avec un rédacteur en chef (ou rédactrice) issu(e) du journalisme professionnel ; à cet égard, le BBF fait (encore) figure d’exception avec des hommes et femmes du sérail aux commandes.
Le contenu et l’organisation des articles
La plupart des fascicules paraissent sous forme thématique, dès 1984 pour le BBF, à partir de 2002 pour Bibliothèque(s), mais le Bulletin d’informations de l’ABF répartissait déjà, avant 2002, ses articles sur quatre numéros dédiés à la BN, aux BU, aux BP et à son congrès, et, à partir de 2008, pour Documentaliste. Une place (d’un tiers à un quart) est laissée à des sujets d’actualité n’entrant pas dans la thématique.
L’iconographie fait une entrée spectaculaire, malgré les problèmes du droit de l’image soulignés par les responsables. Les maquettes sont aujourd’hui réalisées par des prestataires extérieurs (graphistes, imprimeurs), de même que les mises en page sauf au BBF.
Généralistes contre spécialistes ?
Les choix éditoriaux aboutissent à une répartition entre généralistes – les moins nombreux – (Bibliothèque(s), BBF, pages bibliothèques de Livres Hebdo et spécialistes dans un domaine : documentation et technologies liées à l’information (Documentaliste, Archimag), types d’établissements : bibliothèques universitaires (Arabesques et BIM – Bulletin d’information mensuel de l’Abes), CDI des collèges et lycées (Inter CDI), beaux livres et documents (Art et métiers du livre et Magazine du bibliophile, Nouvelles de l’estampe), histoire du patrimoine écrit, graphique, sonore (Revue de la BnF), histoire du livre (Histoire et civilisation du livre, Bulletin du bibliophile, Revue française d’histoire du livre).
Les auteurs sont, en très grosse majorité, sollicités dans les différents milieux professionnels en raison de leur compétence, expertise, notoriété, capacité à écrire : « Quand les gens ont la plume facile, on s’adresse à eux… Il y a des ténors, des gens qui ont des idées » (Philippe Levreaud).
La réécriture des articles est fréquente pour calibrer et assurer une cohérence : la plupart des revues imposent un protocole de rédaction aux auteurs ; l’ensemble des revues déclare que la recherche d’auteurs ne pose pas problème, à comparer avec les appels récurrents de Michel Bouvy dans les années 1970 pour trouver des articles pour Lecture et bibliothèques ! Les études sur les auteurs sont malheureusement rares : en 1999 14, quatre publications avaient été dépouillées, Histoire des bibliothèques françaises, Histoire de l’édition française, BBF (de 1989 à 1998), Bulletin d’informations de l’ABF (de 1989 à 1994) et la collection « Bibliothèques ». Il en ressortait que l’École des chartes, la BnF, les BM classées, l’administration centrale étaient parmi les principaux pourvoyeurs de contributions ; les rédacteurs de cette étude constataient qu’un petit groupe de conservateurs pratique intensivement « l’activité d’écriture comme complément nécessaire des activités professionnelles […] pour formaliser et conceptualiser leur expérience » et ajoutaient que « chez ces conservateurs, l’écriture est suffisamment régulière pour apparaître comme partie intégrante du métier ».
Quid de la rémunération des auteurs ?
Pour les contributions à des ouvrages collectifs ou à auteur unique, un contrat d’édition classique prévoit une rémunération : 8 à 10 % du prix public HT selon les éditeurs de livres.
Pour les revues, aucune rémunération n’est prévue – sauf des tirés à part ou les exemplaires d’auteur… Néanmoins, certaines revues rémunèrent des collaborations extérieures de pigistes (Livres Hebdo, Archimag), de coordonnateurs de dossiers (Documentaliste) ou de numéros spéciaux (Nouvelles de l’estampe) ; les tarifs, qui n’ont pas été fournis, paraissent très divers selon la notoriété de l’auteur ou de la revue, mais relativement modestes.
L’ensemble des éditeurs de revues estime que les professionnels écrivant ne font que prolonger (dans ou hors leur temps de travail) une activité pour laquelle ils sont rémunérés et, en conséquence, ne reçoivent aucune rémunération, la notoriété obtenue par la publication faisant fonction de gratification ! Des retombées peuvent exister avec des cours, stages et conférences.
Niveau d’écriture : science contre vulgarisation ?
Conséquence du niveau élevé du recrutement des catégories A des personnels de bibliothèques et de documentation – catégorie au sein de laquelle se situe le vivier naturel et majoritaire des auteurs –, mais aussi de la plus grande complexité des sujets nouveaux abordés ou de nouvelles approches pour d’anciens sujets, le niveau d’écriture est tiré vers le haut, avec le risque de se couper d’une partie de la profession : BBF, Documentaliste, les revues d’histoire du livre ou du patrimoine écrit s’adressent de fait à une frange élitiste de la profession, d’autant que ces revues s’insèrent dans le réseau des périodiques scientifiques 15 (signalement dans la base Pascal de l’Inist et dans Lisa), réclamant un niveau scientifique dans l’écriture des articles.
Bibliothèque(s) a fait un autre choix en « faisant parler la profession, en ouvrant la revue à des réalités humaines et plus personnelles » (Philippe Levreaud).
Le nombre d’abonnés et les usages témoignés dans le focus confirment la difficulté à trouver un juste équilibre entre une profession hétérogène dans ses aptitudes et ses attentes, le projet de s’adresser à tous d’une même voix et la garantie d’une qualité d’écriture et de réflexion.
- Toutes les revues ont des index annuels ; quelques-unes, trop rares, ont bénéficié d’un inventaire rétrospectif sous forme d’index ou tables cumulés (BBF, Bibliothèque(s) et Documentaliste) 16.
- Les chiffres de tirage et d’abonnés communiqués par les responsables de revues montrent des écarts importants liés au mode de diffusion et au choix économique (gratuit/payant), aux publics visés, aux domaines couverts ; la périodicité ne semble pas avoir d’incidence particulière ; le mode de diffusion du support papier est en règle générale l’abonnement ; seul de notre panel, Art et métiers du livre est diffusé aussi en kiosque par les Messageries lyonnaises de presse ; l’audience qui n’est vérifiée par aucun des organismes habilités ou reconnus (Audience presse, OJD), l’est par le nombre d’abonnés 17 (voir tableau « Panorama des revues professionnelles »).
La tendance générale pour les périodiques payants est une baisse régulière (Documentaliste, au mieux une stabilisation après plusieurs années en recul (BBF, Bibliothèque(s), Revue de la BnF), seul Archimag atteste une croissance depuis deux ans, après une campagne de communication. Nos revues relèvent pour la plupart de la situation difficile qui affecte les revues de sciences humaines et sociales qu’avait analysée Sophie Barluet en 2004 18.
L’audience des revues à l’étranger est un critère de notoriété et une reconnaissance de la qualité des articles : le Bulletin du bibliophile a 50 % d’abonnés étrangers (400 exemplaires), ce qui explique la présence d’articles en anglais, le BBF, 25 % (360 exemplaires), la Revue de la BnF, 30 % (90 exemplaires). Quelques titres élargissent leur public au-delà du cercle des bibliothèques : Arts et métiers du livre, Nouvelles de l’estampe, par exemple, vers les amateurs, graveurs et galeristes, le Magazine du bibliophile et, bien sûr, Livres Hebdo.
- Le support de diffusion est d’abord le papier, sauf pour le BIM dont tous les numéros, depuis mai 1998, sont diffusés sous forme de chroniques et archivés sur le site de l’Abes.
L’archivage, la mise en ligne et la diffusion numérique sont les enjeux actuels, dont le choix obéit à plusieurs facteurs : nature du contenu, publics visés, coût, visibilité dans l’éventail de l’offre ; le modèle gratuit/payant est aussi discuté.
Le BBF créant, dès 1995 19, une version électronique de la revue, a brièvement expérimenté le modèle payant (du no 1 de 2002 au no 6 de 2003), pour adopter la solution actuelle : édition papier payante et gratuité de l’intégralité de la collection en ligne, depuis le no 1 de 1956 jusqu’au dernier numéro paru. La numérisation a commencé en 1999 avec l’aide de la BnF au titre de Pôle associé (Enssib) ; pour le BBF, financé sur fonds publics, le choix est de diffuser sans restriction les recherches et informations concernant les bibliothèques à l’ensemble de la profession en France et à l’étranger, à l’instar du mouvement des archives ouvertes et de nombreuses publications scientifiques.
Documentaliste opte pour un système mixte : en ligne sur le site de l’ADBS depuis 1997 mais réservé aux adhérents, puis sur le portail Cairn depuis janvier 2009 ; les archives numérisées depuis 1980 sont libres -d’accès jusqu’en 2007, la barrière mobile étant de deux ans.
Bibliothèque(s) a commencé la numérisation de ses numéros à partir de 1980, avec le concours de l’Enssib. L’accès à ces numéros est prévu en juin 2009 à partir du site de l’ABF, de celui de l’Enssib (ressources numériques) et depuis Gallica 2, avec une barrière mobile de deux ans.
D’autres titres en revanche ne s’imaginent pas en ligne, sauf pour les index ou les sommaires : ainsi en est-il des Nouvelles de l’estampe, de la Revue de la BnF, d’Art et métiers du livre, (sommaires depuis 2001), Archimag, (sommaires depuis décembre 1996) ou de titres axés sur la recherche en histoire du livre : questions de culture, de public concerné, de moyens techniques ?
Ces interrogations sur un basculement vers le support électronique commencent à se poser pour les livres et les catalogues, selon des critères semblables.
Panorama des éditions de monographies
S’inscrivant en complément de l’édition des périodiques professionnels, l’édition d’ouvrages a toujours noué une relation privilégiée avec la formation et la recherche. Pour quels besoins ?
Pour la formation initiale, diplômante le plus souvent, à laquelle s’agrègent les candidats aux concours externes, le manuel, l’ouvrage de synthèse et de bonne vulgarisation sont, hier comme aujourd’hui, les documents préférés et les plus utilisés.
Dans le cadre de la formation continue destinée aux personnels en poste, les candidats aux concours internes recourent le plus souvent aux articles et ouvrages spécialisés dans des thématiques spécifiques aux bibliothèques.
Enfin, les personnels en charge de responsabilité et les chercheurs orientés vers l’univers des bibliothèques sont plutôt consommateurs d’articles, de contributions à des ouvrages collectifs, de rapports et documents de recherche.
En 2009, quels sont les acteurs (éditeurs et auteurs) et quels sont les supports pour l’édition d’ouvrages, manuels, rapports, concernant les domaines d’activité des bibliothèques et de la documentation aujourd’hui réunis par les technologies et les contenus de l’information ? Quatre groupes ayant des structures et des objectifs souvent très différents seront distingués.
Trois éditeurs principaux
Un premier groupe actif, par le nombre de titres au catalogue, les nouveautés publiées chaque année et leur audience dans la profession, est constitué par trois principaux éditeurs :
Le Cercle de la librairie avec la collection « Bibliothèques » (136 titres parus), la série « Le métier de… » et les grands ouvrages de référence – Histoire des bibliothèques françaises (1989-1992), Histoire de l’édition française (1981 à 1986), Dictionnaire encyclopédique du livre (deux volumes parus sur trois, 2002–), Histoire de la librairie (2008) – a toujours occupé une place essentielle dans l’édition professionnelle depuis les années 1930 ; ainsi, parmi quelques titres anciens, mentionnons L’univers des livres d’Albert Flocon (1960), la fameuse thèse de Jean Hassenforder, Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle (1850-1914) (1967) et Le livre et le conscrit de Robert Escarpit et Nicole Robine (1966).
L’activité édition est aujourd’hui pilotée par Pascal Fouché ; les titres sont très présents dans nombre de bibliothèques ; les tirages de départ sont de 3 000 exemplaires avec un bon retour sur investissement pour des titres correspondant aux sujets « dans l’air du temps » dans la collection « Bibliothèques », où la part de nouvelles éditions augmente plus que celles des nouveautés, en raison du nombre de sujets déjà traités. Les grands ouvrages de référence sont néanmoins de vente lente, l’Histoire des bibliothèques françaises n’est pas encore épuisé au bout de vingt ans 20 !
Le métier de bibliothécaire reste incontestablement le titre emblématique, 12e éd. mise à jour en 2007. Six à huit titres sont publiés chaque année dans la collection « Bibliothèques » (réédition et nouveautés) ; la durée de gestation d’un titre est de douze à dix-huit mois ; en cours, des ouvrages sur les disciplines en bibliothèque : L’histoire (2009) et, à court terme, Les périodiques électroniques.
Pour quel choix éditorial ? « Aider la profession à exercer son métier […] en proposant des livres de formation où se mêle la réflexion, pour être au devant des préoccupations dans les nouveaux chantiers. Les ouvrages de recherche n’entrent pas dans la ligne éditoriale et sont laissés à la BPI ou à l’Enssib » (Martine Poulain directrice de la collection « Bibliothèques »). Ceux-ci, de fait, occupent cet espace peu ou pas « rentable » financièrement ; la politique éditoriale du Cercle n’envisage pas un basculement vers l’édition en ligne, restant fondamentalement sur le support papier ; certains manuels et ouvrages pratiques (Bibliographie, Revues et magazines, etc.) mériteraient pourtant une mise à jour régulière.
- Les Presses de l’Enssib, fondées en 1993, lointain successeur des Presses de l’ENSB créées en 1976, avec un premier titre Les bibliothèques publiques en France (1977) d’Henri Comte, longtemps incontournable, sont relancées dès 2008 par Anne-Marie Bertrand, directrice de l’Enssib « autour de deux axes forts : l’un plus théorique, le second pratique ». Son activité s’inscrit dans le prolongement des missions de l’École, formation et recherche, et une volonté de diffuser largement les travaux en empruntant un circuit de distribution analogue à celui de presses d’université. 2009 sera la première année de mise en place du nouveau pôle éditorial (ouvrages et BBF).
Les collections sont restructurées autour de deux ensembles :
– « Papiers » : recherches plus théoriques (un titre publié en décembre 2008 : Quel modèle de bibliothèques ?).
– « La Boîte à outils », dont le 17e numéro, Favoriser la réussite des étudiants, est paru en avril 2009, a été créée en 1995 par Bertrand Calenge au temps de l’Institut de formation des bibliothécaires. Cette collection est bien connue de la profession pour son côté « manuel » et des stagiaires de la formation continue comme complément aux stages.
Depuis 1993, 49 titres ont été publiés, dont certains sont épuisés (22 titres d’après le catalogue en ligne). Les tirages sont ceux de l’édition de recherche : 1 000 exemplaires pour la « Boîte à outils », 500 à 800 exemplaires pour les ouvrages de recherche ; les titres restent néanmoins des ventes lentes relevant de l’économie du livre de recherche.
- L’ADBS apparaît comme le troisième acteur de ce groupe. Dès janvier 1964, avec un numéro spécial sur la Situation et traitement des documentalistes en France, inaugurant, par un thème éminemment corporatiste, la revue Documentaliste, l’ADBS développe, parallèlement à la revue, une activité d’édition destinée aux documentalistes et bibliothécaires spécialisés ; associant formation et édition, l’ADBS 21 apparaît complémentaire des deux éditeurs précédents, les bibliothécaires apportant souvent leurs contributions à la revue et aux éditions.
Après les « Cahiers de l’ADBS » (5 titres de 1975 à 1976), c’est la collection « Recherche en sciences de l’information », créée en 1988, puis scindée en deux séries en 1989 : « Études et techniques » (33 titres) et « Recherches et documents » (62 titres), qui va positionner l’ADBS comme éditeur spécialisé jouissant d’une forte notoriété et expertise ; documentalistes, bibliothécaires spécialisés ou non, chercheurs et universitaires, consultants et experts sont les auteurs.
En 2009, l’édition d’ouvrages repose sur deux collections : « Sciences et techniques de l’information » (23 titres depuis 2003), ouvrages de synthèse et de théorie, actes de colloques de l’Inria ; « L’Essentiel sur… » (12 titres depuis 2005) où, en 60 pages, des spécialistes font le point sur des questions techniques et évolutions récentes ; en somme le pendant de la « Boîte à outils » des Presses de l’Enssib.
Les tirages oscillent entre 300 exemplaires pour les livres de recherche et 2 000 exemplaires pour les guides pratiques et dossiers, 1 000 exemplaires pour « L’Essentiel sur… ». L’impression numérique permet des retirages par tranche de 200 et d’éviter de gonfler des stocks en ajustant le tirage à la diffusion espérée ; de jolis succès comme Net recherche, 3e édition en mars 2009 avec un tirage de 2 000 exemplaires et 4 000 exemplaires vendus pour les deux éditions précédentes ; la qualité de cet instrument justifie cette réussite parmi une pléthore de titres concurrents, souvent commerciaux, sur ce sujet.
Les publications éditées par l’ADBS – et ce n’est pas le moindre aspect – sont reconnues dans les dossiers scientifiques des chercheurs et universitaires, ce qui, en conséquence, nourrit le vivier des auteurs.
Littérature professionnelle des années 1980
De quoi disposait, pour sa formation, un candidat au CAFB et au concours de bibliothécaire adjoint aux alentours des années 1980 ?
Les matières fondamentales avaient chacune un ou plusieurs manuels et cours d’une durée de vie de cinq à dix ans selon le thème :
- Le métier de bibliothécaire, dont le titre fut trouvé par Marcelle Beaudiquez, est devenu le manuel de base pour nombre d’étudiants ; ce manuel, mis à jour à chaque nouvelle édition, rédigée par une équipe collective, trouvait son origine dans le Cours élémentaire de formation professionnelle, édité et diffusé par la Section des bibliothèques publiques de l’ABF depuis la 1re édition de 1967 ; ce Cours, destiné au cours du diplôme ABF, « ne peut être considéré comme un manuel de préparation au CAFB [mais] il rendra sans doute de grands services aux candidats à cet examen » (Jacqueline Gascuel, préface à l’édition de 1979).
- S’inscrivant dans le même champ de la bibliothéconomie générale, le Précis de bibliothéconomie de Brigitte Richter, édité par la bibliothèque universitaire du Mans, issu du Cours de bibliothéconomie (1re édition 1976), dispensé aux candidats au CAFB et aux concours du Centre du Mans ; il sera publié en 1982 par K.G. Saur, alors leader européen des ouvrages de références, des catalogues de bibliothèques et bibliographies ; la cinquième et dernière édition de 1991, revue par Noë Richter avec la rigueur qu’on lui connaît, figure toujours au catalogue de Saur en avril 2009 !
- Une collection « Bibliothèques et organismes documentaires » est créée en 1981 chez Saur par Jacques Breton, alors responsable du Centre de Paris de l’ENSB, avec l’ambition de concurrencer la collection « Bibliothèques » du Cercle de la librairie, créée en 1978 et dirigée par Jacqueline Gascuel, responsable du Centre de Massy, autre antenne parisienne de l’ENSB. Cette dernière, installée à Villeurbanne depuis 1974, n’avait pas encore reconstitué un réseau influent sur Paris pour se positionner sur ce créneau éditorial. Les ambitions de Saur vont s’interrompre vers 1985 ; néanmoins trois titres à la couverture bleue, La pratique du catalogage (1981), Précis de bibliothéconomie (1982), Guide de bibliographie générale (1983), vont s’imposer durablement (presque dix ans) avant que le Cercle de la librairie ne réinvestisse sur ces fondamentaux à la fin des années 1980.
- Le candidat des années 1980 disposait encore d’autres ressources éditées par l’Enssib et certains centres régionaux (Bordeaux, Toulouse) ; l’examen de cette liste de « Publications professionnelles en bibliothéconomie * » montre à l’évidence que les besoins élémentaires nécessaires au CAFB et aux concours étaient couverts.
- On ajoutera à ce panorama les premiers titres édités au Cercle de la librairie par Jacqueline Gascuel : Les périodiques (1re éd., 1978), Ouvrages de référence pour les bibliothèques publiques (premier titre de la collection « Bibliothèques », 1978, réédition d’un titre paru en 1974), Abrégé de la classification Dewey par Annie Béthery (1re éd., 1982) qui reste à ce jour le best-seller absolu de la collection et du Cercle de la librairie : 100 000 exemplaires vendus dans les six éditions successives.
- Au tournant des années 1990, de nouvelles générations de formateurs et d’auteurs prennent le relais : en 1992, Martine Poulain succède à J. Gascuel comme directrice de la collection « Bibliothèques », accélère et diversifie les publications vers des problématiques nouvelles jusqu’alors peu ou mal explorées comme Les politiques d’acquisition (1994), Le désherbage (1994), Accueillir, orienter (1995), L’évaluation (1994), ou des thèmes chargés d’histoire mais à revisiter : La conservation (1995), Le patrimoine (1997), jusqu’au Manuel du patrimoine en bibliothèque (2007).
M.D. et M.C.
- (retour)↑ Cf. « Publications professionnelles en bibliothéconomie » [liste commentée par Jacques Breton, alors responsable du Centre de Paris de l’ENSB], BBF, 1981, no 3, p. 153-157.
Bibliothèques éditrices
Un second groupe est constitué par des bibliothèques éditant des documents professionnels.
Plusieurs études 22 ont récemment mis en valeur la fonction éditoriale des bibliothèques. Nous ne citerons ici que la BnF et la BPI, au regard de leurs missions nationales en direction de l’ensemble des professionnels des bibliothèques. Les documents concernés, techniques le plus souvent, sont aujourd’hui uniquement en ligne, téléchargeables, d’où aussi leur nombre !
La BnF met en ligne sur son site 23 une liste impressionnante de documents – pas toujours connue de l’ensemble de la profession –, classés en plusieurs catégories :
- Entretiens de la BnF : grand-messe annuelle de deux jours sur une des missions de la BnF, avec la totalité des interventions en ligne ;
- Journées des pôles associés, archivées depuis 1997 ;
- d’autres journées thématiques comme celles sur Rameau ;
- les pages spécifiques Rameau, avec le Guide d’indexation, 6e édition de 2004, en ligne depuis mai 2009, des documents pédagogiques : « cours », exercices, travaux pratiques ;
- les normes ISBD commentées – mais la publication Afnor n’est évidemment pas disponible en ligne ! –, ainsi que le manuel Unimarc, traduction française en ligne (éd. 2007) ;
- des documents à télécharger, nombreux, sur les problèmes de conservation comme « l’entretien du cuir », « le dépoussiérage », « la reproduction des documents patrimoniaux », etc. ou sur les questions des formats bibliographiques.
Si nous insistons sur l’apport de la BnF, c’est en regard de la méconnaissance quasi totale de ces ressources disponibles en ligne par les professionnels que Médial accueille lors de stages de formation continue.
Citons enfin une ressource mal connue, combien précieuse, quand le besoin apparaît : les riches et innombrables bibliographies sur des sujets d’actualité, éditées et archivées par chacun des départements de la BnF avec des liens vers des sites internet ; qui connaît les 14 bibliographies sur l’histoire du livre, la presse, l’histoire des bibliothèques, Henri-Jean Martin, etc. 24 ?
L’édition de livres et catalogues par la BnF 25 « obéit, d’une part, à une mission de service public (production d’ouvrages de référence et d’instruments de recherche) et, d’autre part, à une mission de valorisation des collections à destination d’un large public » (BnF, rapport d’activité du Département éditorial, 2007). Si le catalogue L’Enfer de la Bibliothèque nationale a été un immense succès – trois tirages pour 16 250 exemplaires dont 8 500 vendus fin décembre 2008 –, les volumes de la Bipfpig, Bibliographie de la presse française politique et d’information générale, sur la presse par département ne connaissent pas le même engouement : tirage de 400 exemplaires, pour des ventes de 100 à 200. Ces deux exemples, aux antipodes, montrent la richesse et la diversité des publications papier aujourd’hui, situation complètement différente du bilan que pouvait dresser Thérèse Kleindienst. Un tournant récent (2009) est pris avec la réédition en édition numérique de titres épuisés (Colloque Kojève, en ligne et gratuit), la vente par Numilog de titres épuisés mais encore « rentables » (8 titres actuellement) et la mise en ligne du premier catalogue raisonné : Les monnaies du Brésil.
Le projet d’archiver et diffuser sur Cairn la Revue de la BnF s’inscrit à l’horizon fin 2009.
- La BPI, créée en 1976, avec un service d’Études et recherche et ses activités (colloques, rencontres), s’inscrit naturellement dans le paysage éditorial au service de l’ensemble des bibliothèques ; un service d’édition est créé en 1987 sous l’impulsion de Michel Melot, alors directeur ; le catalogue d’environ 130 titres 26 s’organise autour de cinq collections papier et une collection en ligne « Paroles en réseau » (15 titres depuis 2000). Les bibliothécaires peuvent connaître, en rapport avec leurs activités, plus particulièrement « En actes » (25 titres, colloques, journées professionnelles, tirage de 700 à 900 exemplaires depuis 1995), « Pratiques » (10 titres entre 1995 et 2004) et, depuis 1980, les publications du service Études et recherche (40 titres, tirage de 1 000 exemplaires) dans le domaine de la sociologie des publics et des usages, avec un succès récent : Bruno Maresca, Les bibliothèques municipales en France après le tournant internet, tirage 1 500 exemplaires.
Ressources cachées
Un troisième groupe est constitué de ressources cachées, moins connues, riches et inédites, prises dans la Toile.
En premier lieu, les ressources numériques mises en ligne par l’Enssib traduisent la politique documentaire présentée dans son rapport d’activité 2007 27. À côté des produits documentaires, textes relativement courts et synthétiques (fiches pratiques, dossiers documentaires), la bibliothèque numérique couvre tous les champs pour lesquels un bibliothécaire exprimerait un besoin documentaire. Que trouve-t-on ? Tout ou presque, par exemple, en avril 2009 : « Études et enquêtes » (92 documents), « Rapports institutionnels » (155, dont ceux de l’Inspection générale des bibliothèques). « Travaux d’étudiants » (686 avec un label – les palmes de l’Enssib – pour signaler les meilleurs) et cet article à paraître s’ajoutant aux 12 624 occurrences actuelles du BBF ! La bibliothèque numérique de l’Enssib s’inscrit dans la volonté (politique) de rassembler et de diffuser gratuitement l’ensemble des ressources disponibles à finalité professionnelle ; une initiative récente permet de retrouver des articles de recherche sur le portail HAL-Enssib du CNRS.
D’autres acteurs que nous citons seulement, renvoyant à leurs sites internet respectifs, apportent des ressources essentielles : IGB (tous les rapports annuels et thématiques, jurys de concours), CNL et DEPS (Ministère de la Culture) pour des dossiers touchant à l’économie du livre, à la sociologie de la culture, FILL (Fédération interrégionale du livre et de la lecture), qui a pris la suite de la FFCB en mars 2006 (économie du livre en région, lecture publique, patrimoine écrit et graphique, vie littéraire et publics) et poursuit des publications papier (actes, colloques, plus de 100 titres), dont une série célèbre, devenue mémoire de l’écrit : « (Re)Découvertes 28 », illustrant la richesse patrimoniale des bibliothèques françaises.
Des associations comme l’ABF, l’ADBDP (Association des directeurs des bibliothèques départementales de prêt), et l’ADBGV (Association des directeurs de bibliothèques des grandes villes) entretiennent dans leurs domaines, une « bibliothèque » de ressources (Actes des congrès pour l’ABF, journées d’études et statistiques pour l’ADBDP, statistiques pour l’ADBGV).
Peut-on aussi citer Wikipédia qui, à travers son portail « Sciences de l’information », modéré par quelques éminents collègues investis, experts et vigilants, apporte – encore trop souvent de manière inégale – d’innombrables articles sur les bibliothèques, les technologies de l’information (bon article sur les blogs de bibliothécaires, maigre sur les revues professionnelles !), des biographies de bibliothécaires d’hier et d’aujourd’hui…
Enfin, à côté de l’Enssib, quelques centres de formation proposent des cours en ligne, pas toujours suffisamment reconnus : ceux de Médiadix sont bien connus des candidats pour leur qualité ; d’autres proposent des fiches de synthèses et bibliographies (Médialille). Tous ont sur leur site internet un onglet « Documents en ligne », avec des actes de colloques, journées d’études (Médial).
Marché de niche
Un quatrième groupe est constitué d’un « marché de niche » et d’opportunité, éparpillé entre de nombreux éditeurs privés et associatifs ayant des logiques éditoriales très diverses, allant de l’offre commerciale classique – manuels pour préparation aux concours – à la nécessité de publier une recherche sans but lucratif espéré ni « reconnaissance légitimée ».
On isolera – c’est un choix de l’auteur – parce qu’ils constituent la meilleure introduction à ce que sont les bibliothèques dans la société et la culture : Les bibliothèques 29 par Anne-Marie Bertrand, et La recherche documentaire 30 par Martine Darrobers et Nicole Le Pottier.
Destinés à un « grand public cultivé », une Histoire du livre par Bruno Blasselle (Gallimard, collection « Découvertes », tirage : 20 000 exemplaires) ; Les bibliothèques par Denis Pallier (« Que sais-je », no 944, 11e éd, 2006) ; à la Dispute – éditeur plutôt ancré à gauche de l’échiquier politique – le désormais classique Où va le livre ?, 3e éd, 2007, œuvre collective sous la direction de Jean-Yves Mollier.
Enfin les éditions Vuibert, avec la collection « Concours de la fonction publique » (plus de 130 titres) couvrant cinq concours de bibliothèques 31, dont les auteurs issus du milieu professionnel côtoient des rédacteurs aguerris à ce type d’ouvrage !
Le Serda, entreprise privée fondée en 1985, qui se positionne en outsider par rapport à l’ADBS, édite, outre le magazine Archimag créé en 1986, des études techniques (très chères : de 400 à 1 200 € HT) et, depuis 1991, une série de « Guides pratiques », où l’on retrouve des thématiques chères aux bibliothécaires : Publications et ressources numériques, La bibliothèque à l’heure du web 2.0. Ces publications visent un niveau de bonne vulgarisation (49 pages pour 45 € ! pour un tirage de 6 000 exemplaires).
En marge, pour un marché étroit, Hermès-Lavoisier, avec des publications pointues en sciences de l’information et réseaux documentaires ; une presse d’université (Bordeaux) éditant les travaux de recherche de l’IUT Métiers du livre dans le domaine de l’édition ; l’autre grand pôle sur les Métiers de l’édition est Paris 13 – Villetaneuse dont les travaux sur Les métiers de l’édition prennent place au Cercle de la librairie.
Placer ici l’ABF comme acteur pourrait paraître provocateur, mais cette association, en confiant au Cercle de la librairie son produit phare Le métier de bibliothécaire, ne conservait plus que des actes de congrès ou les numéros thématiques du Bulletin d’informations de l’ABF encore disponibles à la vente, ou des répertoires (Bibliothèques spécialisées, Annuaires).
C’est en 2001, que la collection « Médiathèmes » est créée, reprenant en partie certains documents pédagogiques publiés antérieurement ; 10 titres sont publiés à ce jour (tirage de 800 à 1 500 exemplaires), dont certains sont épuisés (Cataloguer : mode d’emploi, 2002 avec trois éditions successives) ; ils visent prioritairement le public du diplôme de l’ABF ou d’un premier niveau de recrutement ; ainsi le Mémento du bibliothécaire (1re éd, 2006, tirage 1 500 exemplaires et retiré à 400) a pris la place laissée vacante par l’évolution « vers le haut » du Métier de bibliothécaire. Le dernier titre paru (10e), Outils web 2.0 en bibliothèque, 2008, s’adresse à un large public de professionnels, alors que ce sujet est travaillé par nombre d’éditeurs (dont l’ADBS et le Cercle de la librairie).
Quelles interrogations sur le présent et l’avenir de l’édition professionnelle ?
La complémentarité et la richesse de l’offre, le renouvellement et l’enrichissement des sujets traités par des acteurs issus d’horizons différents sont un signe de vitalité, mais en même temps d’éparpillement : papier/en ligne ; périodiques/livres et, parmi ces derniers, de multiples formes ; vulgarisation et initiation/recherche et érudition ; thématiques anciennes revisitées/nouveaux objets et nouveaux territoires ; savoirs constitués/savoirs en construction.
Pour une population potentielle restreinte et aujourd’hui en faible croissance, dont seule une partie participe en tant qu’auteur et lecteur, n’y a-t-il pas surabondance dans un contexte de changement des habitudes documentaires ? Pourquoi les bibliothécaires échapperaient-ils à la stagnation des pratiques documentaires si souvent constatée chez leurs usagers ? Des « lectures de chef » nous a-t-on dit ! Les indicateurs de tirage, de diffusion et d’usages recueillis tendraient à confirmer cette interrogation.
Comment articuler le corpus des savoirs, certains difficiles d’accès, le niveau d’écriture en découlant et s’adresser théoriquement à un public nécessairement hétérogène dans sa formation, ses savoirs et ses attentes ?
Le modèle de bibliothèque est remis en question : par analogie, cette production d’écrits à finalité professionnelle s’inscrit-elle toujours avec la même nécessité et urgence que dans les années 1970-1980, période de construction des savoirs et de besoins en formation où, en documentation, on opposerait le « bruit » et le « silence » ? Ne serions-nous pas dans le « bruit » ? Comment réintégrer dans le corpus des revues papier ou en ligne tout ce qui se dit dans les forums et blogs ?
Face à la multitude d’informations, n’aurait-on pas besoin, dans les périodiques, de faire le point plus souvent comme ce fut le cas avec le dossier « Les Bibliothèques en France (1981-1991) 32 », ou encore avec le succès d’Où va le livre ?.
La place occupée par cette littérature dans les bibliothèques paraît convenable pour certains écrits (livres) ; n’y aurait-il pas néanmoins une prise de conscience par l’ensemble des bibliothèques et de leurs responsables, en France, de la nécessité de soutenir le pan de l’édition le plus fragile : les revues ; s’abonner ne serait pas un acte professionnel militant s’inscrivant dans le développement durable de la littérature professionnelle ?
Usages et usagers : focus sur Nancy-Metz
Comment l’offre abondante, décrite ici, est-elle vécue par la profession qui, en définitive, en est le « client » principal ?
Quelques bibliothèques de taille et missions différentes ont été interrogées : deux grandes BM de villes de plus de 100 000 habitants : Metz, Nancy (100 agents), BM moyennes : Vandœuvre (30 000 habitants, 24 agents) ; Laxou (18 000 habitants, 14 agents), Ludres (7 200 habitants, 7 agents), la BDP de Meurthe-et-Moselle (28 agents), le SCD Nancy-2 avec trois sections Droit, Lettres, IUT (60 agents) et, enfin, la bibliothèque de Médial qui se trouve dans une situation particulière, ayant récupéré les fonds professionnels de la BU de Nancy et faisant, en partie, fonction de centre de ressources professionnelles pour le SCD de Nancy.
Les périodiques
Parmi les périodiques, Livres Hebdo est plébiscité dans toutes les bibliothèques pour l’ensemble de ses informations, livres nouvellement parus, dossiers, actualités, offres d’emploi ; la BM de Metz, les sections BU Lettres et Droit, IUT et la BDP 54 mettent Livres Hebdo en libre accès pour leurs publics respectifs ; le site de Livres Hebdo est également souvent consulté ; une bibliothèque (Laxou) songe à interrompre l’abonnement jugé trop coûteux.
Les revues généralistes de bibliothéconomie ont des statuts particuliers selon les établissements. Le BBF est perçu comme une revue de recherche et, selon la taille de la bibliothèque, l’abonnement n’est pas prioritaire. Il n’est pas représenté dans les bibliothèques de villes de moins de 20 000 habitants. L’accès à tous les numéros du BBF en ligne permet de combler la disparité entre petites et grandes bibliothèques.
Le lectorat de Bibliothèque(s) est plus large, avec un réel souci de toucher toutes les catégories. Le contenu, qui donne la parole à tous les types de bibliothèques et où toutes les catégories d’agents peuvent se retrouver dans des articles moins austères et au plus près de leurs préoccupations, paraît plébiscité ; l’international présent dans des numéros thématiques et les spécificités du métier (jeunesse par exemple) ajoutent un intérêt supplémentaire. Souvent, dans les petites bibliothèques, l’abonnement est cédé par l’agent qui est adhérent, avec le risque, s’il y a départ, que l’abonnement cesse !
Documentaliste est une revue perçue comme très technique, à mettre en correspondance avec le BBF et, de ce fait, n’est présent que dans les grandes bibliothèques. En revanche, Inter CDI, peut-être en raison des pages consacrées à la littérature de jeunesse, est largement présent.
Les deux grandes BM (Metz et Nancy) ont, en outre, une dimension patrimoniale, que les abonnements de la bibliothèque municipale de Nancy illustrent bien : Revue de la BnF, Revue française d’histoire du livre, Nouvelles de l’estampe, Histoire et civilisation du livre, Art et métiers du livre. La Gazette des archives (nos cousins) n’est présente qu’à la bibliothèque de l’IUT de Nancy (bizarrerie des politiques documentaires !).
Reste-t-il du temps et de la place pour les livres ?
Un panel d’éditeurs bien identifiés – Cercle de la librairie, Presses de l’Enssib, ABF, BnF, BPI – a été examiné. En fonction de la taille de la bibliothèque et de ses choix, les achats vont du sélectif à la quasi-exhaustivité ; deux bibliothèques font exception : la BM de Nancy achète toute la production du Cercle de la librairie en deux exemplaires (un en libre accès et le second dans le bureau du directeur…), la production complète des Presses de l’Enssib, de la BnF (catalogues d’exposition et livres d’études), de la BPI (Études et recherche), de l’ABF (« Médiathèmes » avec répartition entre les deux sites), ainsi que les publications concernant les concours, publiés chez Vuibert et à la Documentation française.
Pour la BM de Metz, les volumes de la collection « Bibliothèques » sont achetés en trois exemplaires (Bibliothèque professionnelle, libre accès et exemplaire de conservation). Les ouvrages de la BnF sont répartis dans la bibliothèque selon les thématiques. La collection « Boîte à outils » n’est pas systématiquement achetée, non plus que les « Médiathèmes ». On trouve en accès libre tout ce qui est de l’ordre de l’histoire du livre, des bibliothèques et de l’édition.
La plupart des autres bibliothèques n’ont pas de budget spécifique pour un fonds professionnel : la bibliothèque de Ludres développe par exemple un fonds professionnel selon les besoins de documentation des agents, ce qui représente la moitié de la production du Cercle de la librairie et de l’Enssib. La BDP 54 dessert un public varié : agents, dépositaires, bénévoles et offre en quantité (environ 25 exemplaires) une vingtaine de titres de la collection « Bibliothèques » déposés dans les bibliothèques-relais. Un projet de construction vise à rassembler dans une salle le fonds professionnel et le fonds de références et périodiques.
Ces exemples permettent de mesurer l’ambivalence de cette littérature professionnelle destinée en priorité aux personnels, mais aussi à tout amateur et curieux désirant s’informer d’où des choix (cornéliens !) pour le classement et l’accès.
La bibliothèque de Médial opère un choix dans les catalogues et publications scientifiques de la BnF, mais acquiert systématiquement la totalité des titres édités par l’Enssib, la BPI, l’ABF, le Cercle de la librairie.
Et les usagers ?
Pour la bibliothèque de l’IUT, quelques chiffres éloquents : le Métier de bibliothécaire est sorti au maximum six fois depuis 2007 ; Bibliothèques, d’Anne-Marie Bertrand, est sorti six et huit fois depuis 2007 pour chacune des deux éditions.
À Médial, les emprunteurs sont : 17 étudiants sur une promotion de 80 (2008-2009) en Métiers du livre et 3 en licence pro ; 11 préparent des concours ; 5 personnels des bibliothèques ; 5 enseignants de l’IUT empruntant de 1 à 15 livres par an ; un enseignant-chercheur assidu juge sévèrement le ton académique du BBF et le manque d’espace critique dans les revues imprimées. 40 emprunteurs pour 170 prêts sur une année. Érosion (inéluctable ?) ressentie par toute la profession…
M.D. et M.C.