Du bon usage du BBF
Rapport sur l'enquête auprès des abonnés
Martine Darrobers
Une enquête a été menée auprès des abonnés français au BBF en septembre 1983. L'analyse des 841 réponses fait apparaître que les lecteurs du BBF ne consultent guère d'autres périodiques que Livres Hebdo. Les rubriques qui intéressent le plus sont les articles et les informations; la réforme du BBF les développera.
In September 1983, an inquiry was held among the French subscribers to the Bulletin des Bibliothèques de France. From the analysis of the 841 answers, it emerges that Livres hebdo is about the only periodical which is consulted by the readers of the Bulletin. The public is most interested in articles and informations : these will be developed along with the improvement of the Bulletin.
Ce numéro représente la dernière parution du Bulletin des bibliothèques de France dans sa version traditionnelle. A partir du numéro 3, les éléments bibliographiques seront remaniés : la bibliographie signalétique sera remplacée par la publication de sommaires de revues étrangères dans le domaine des bibliothèques et de la documentation. Les notices analytiques feront progressivement place à des comptes rendus plus engagés et détaillés.
Plus que d'une transformation radicale, il s'agit de l'aboutissement d'un processus entamé depuis une année et sanctionné par l'enquête menée auprès des lecteurs à l'automne 83. Cette réforme a porté sur plusieurs points : augmentation du nombre des articles; publication plus fréquente de dossiers thématiques. La fonction du Bulletin est d'être un instrument de réflexions et d'échanges : pour favoriser l'ouverture de la revue, un comité scientifique large et représentatif des différents aspects de la lecture et de l'information a été mis en place. L'ensemble des articles, informations et bibliographie s'orientera autour de cette vocation : faire du BBF une plate-forme de rencontres pour des groupes professionnels trop souvent parallèles et cloisonnés.
L'échange signifie bien entendu le débat, entre les auteurs, entre les lecteurs, entre la revue et son public.
Un périodique à part entière ou entièrement à part ?
Orienter une réforme du Bulletin des bibliothèques de France, tel était l'objectif assigné à l'enquête diffusée auprès des abonnés français. Plusieurs d'entre eux, à cette occasion, ont rappelé qu'il ne s'agissait pas d'un objectif nouveau et que la question était à l'ordre du jour depuis des années sans avoir véritablement abouti. Pourquoi donc alors une enquête ?
D'abord, pour mieux connaître l'impact de la revue : quel rôle joue le BBF auprès de son public, qui sont ses lecteurs et comment l'utilisent-ils ? Une réponse précise à ces questions apparaissait un préalable indispensable pour définir une orientation nouvelle et démêler l'écheveau des relations complexes entre la revue et son public. Parler de relations est une antiphrase : le BBF, de fait, se caractérise par l'absence de toute relation avec ses abonnés. Sans doute, ce vide objectif ne signifie ni désintérêt, ni méconnaissance; il n'est pas non plus une originalité du BBF.
Un peu d'histoire
Le BBF, c'est d'abord une référence à une institution : créé en 1956, il était l'organe de la Direction des bibliothèques de France. Dans sa présentation du premier numéro, Julien Cain inscrivait la revue dans un triple champ: d'abord des « articles de synthèse établis par le Service technique de la Direction ou à sa demande, traitant des problèmes de bibliothéconomie, bibliographie..., documentologie, histoire et technique du livre ainsi que les autres formes de diffusion de la pensée »; en second lieu des informations de caractère officiel demandant une diffusion rapide; en troisième lieu une contribution à l'établissement de bibliographies signalétiques internationales dans le domaine intéressant les bibliothèques et la documentation.
Le public visé était d'abord celui des bibliothécaires mais aussi les documentalistes et « tous ceux qui, en France et à l'étranger s'intéressent à ces divers problèmes »; cette définition extensive correspondait à la structure de professions faiblement constituées et peu différenciées.
Faute d'informations précises, l'impact du BBF au cours de ses premières années ne peut être vraiment appréhendé. Il semble néanmoins avoir été des plus positifs : toute une génération de futurs responsables y a collaboré sans oublier des personnalités extérieures liées à la recherche et à la documentation.
Un certain essoufflement de la revue se manifestait cependant à la fin des années 60 : cette décennie a en effet correspondu au renforcement de la professionnalisation dans tous les secteurs : nouvelles filières de formation, création d'organismes pilotes chargés de promouvoir d'autres formes de gestion. Dans ce contexte, une revue de l'administration centrale ne pouvait manifester le militantisme de revues ciblées sur des publics spécialisés : Documentaliste publié par l'ADBS (Association française des documentalistes et des bibliothécaires spécialisés), puis Lecture et bibliothèques (édité par la section Lecture publique de l'A B F) occupent rapidement les créneaux de la documentation et de la lecture publique. Parallèlement, le renforcement des tâches de gestion administrative incombant aux services centraux reléguait l'animation de la revue au second plan.
L'éclatement de la Direction des bibliothèques, en 1975, marquait le début d'une crise ouverte, rédactionnelle et administrative : la vocation d'organisme commun aux deux nouvelles administrations a été maintenue mais, dans les faits, la coupure est presque totale tandis que la gestion financière, traditionnellement assurée par la Bibliothèque nationale était reprise par l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires à partir de 1980.
A canard « enchaîné », public captif
Le fichier des abonnés présente deux caractéristiques contrastées : une diffusion relativement faible en France, un poids important des abonnements à l'étranger. Le public français est essentiellement composé des bibliothèques « sous tutelle » : bibliothèques d'université et de grands établissements, municipales, centrales de prêt, auxquelles s'ajoutent un certain nombre de centres de documentation ou bibliothèques spécialisées. Le taux de diffusion, élevé pour les bibliothèques universitaires où de nombreuses sections sont abonnées, est beaucoup plus faible dans le secteur de la lecture publique : une vingtaine de BCP ne sont pas abonnées et les abonnements en plusieurs exemplaires, dans le cas d'annexes, sont tout à fait exceptionnels. Cette situation se retrouve également dans les bibliothèques municipales et à la BPI où le nombre d'exemplaires souscrits n'a aucune relation avec les effectifs des personnels et leur répartition géographique.
A l'étranger, la distribution du BBF apparaît très fragmentée selon les pays, avec cependant un impact certain dans la zone francophone (Belgique, Suisse, Maghreb) relayé par le canal des services culturels. Le public du BBF semble donc pour l'essentiel un public captif, institutionnellement et organiquement. Corollaire : l'abonnement au BBF est en lui même une fin et signifie d'abord l'allégeance à une institution dont le BBF est l'organe. Son utilisation comme instrument d'information, de formation ou de réflexion est seconde, sélective et limitée: d'abord le fait des responsables d'établissement, ce n'est qu'ensuite qu'elle concerne, et selon des modalités extrêmement variables, les personnels scientifiques ou techniques, pratiquement jamais les lecteurs et les autres bibliothèques. La quasi absence de cote dans les mentions de localisation du BBF dans le catalogue collectif national des publications en série suggère que celui-ci n'a pas, dans la plupart des bibliothèques, le statut d'un périodique à part entière, concerné par les réseaux de catalogage ou de prêt-inter.
Au bilan neuf
Avec la création de la DBMIST en 1982 une réforme de fond était entreprise; celle-ci se traduisait d'abord par l'affectation d'un emploi consacré à l'animation de la revue et à l'établissement d'un rapport diagnostique. Ses conclusions, adoptées par un groupe de travail regroupant les administrations concernées, débouchaient dès 1983 sur une réforme rédactionnelle (réduction de la périodicité, augmentation du nombre des articles) et technique : un comité scientifique, responsable de l'orientation de la revue a été mis en place au printemps 1983. Regroupant des utilisateurs de tous horizons, il a pour mission d'assurer « l'ouverture » du BBF à l'ensemble des aspects de l'information, documentation, lecture, édition, bibliothéconomie. Sa première décision a été le lancement d'une enquête permettant d'associer les utilisateurs de la revue à cette refonte.
Le questionnaire 1 qui a été mis au point avait un double objectif: connaître les lecteurs, d'où des variables d'identification socio-démographiques (âge, sexe, niveau d'étude, formation, origine); connaître l'utilisation des différentes rubriques de la revue et les attentes. Compte tenu de la complexité de la formule éditoriale du BBF, le questionnaire était inévitablement lourd. L'ensemble des tableaux sont regroupés dans l'annexe 1.
L'idée directrice a été d'interviewer l'ensemble des utilisateurs du BBF, même les plus occasionnels : pour cela, chaque abonné français a reçu plusieurs questionnaires accompagnés d'une lettre du directeur de la DBMIST demandant de les faire circuler dans les établissements. Deux difficultés sont apparues : la première, inévitable, était que les « lecteurs non abonnés » étaient écartés ipso facto. Il s'est avéré que ce réseau d'échanges et d'emprunts était très limité : une distribution de masse a été organisée à l'intention des centres de formation qui, de par leur fonction, jouent plus ou moins un rôle de carrefour entre professionnels. Leurs réponses font apparaître que le biais introduit est négligeable. La deuxième, plus regrettable, est liée au mode de fonctionnement des établissements : dans certains cas, les questionnaires n'ont pas été mis en circulation. Dans d'autres, on semble être tombé dans l'excès contraire : tous les membres du personnel ont dû remplir un formulaire d'où un certain nombre de « devoirs de vacances », où ne figurent des réponses que pour la première partie (identification).
Bibliothèques et Cie
6 000 questionnaires ont ainsi été diffusés au cours du mois de septembre 83; des rappels téléphoniques ont été effectués en novembre. Le taux de réponse global est de 15 % avec de fortes variations selon le type d'établissement : de 33 % pour les bibliothèques universitaires à 8 % pour les bibliothèques municipales. Une fois déduits les « questionnaires-devoirs de vacances » et les réponses inexploitables, l'ensemble traité porte sur 841 questionnaires. Globalement le taux de réponse à l'enquête est élevé, ce qui traduit en tout état de cause un intérêt certain à l'égard du BBF. Cet intérêt qui varie considérablement d'une catégorie d'établissements à l'autre est significatif de leur hétérogénéité.
L'immense majorité des réponses provient bien évidemment des milieux des bibliothèques et de la documentation. Quelques traits à noter : les bibliothèques spécialisées, en nombre réduit, représentent un segment hétérogène dans tous les sens du terme. D'abord, dans sa composition : bibliothèques d'institutions (archives, administrations diverses) figurent auprès de centres de documentation de toutes sortes; les personnels, par leurs profils, leur recrutement, y sont des plus divers. Ensuite, par son rapport au BBF : l'intérêt manifesté, intervenant en dehors de tout contexte administratif, relie directement l'utilisation de la revue à des pratiques et des préoccupations divergentes de celles des autres lecteurs. Le secteur-formation se situe à la limite des sphères documentation et bibliothèques : recrutant dans les deux milieux, il est également lié au groupe « divers »; celui-ci, insignifiant statistiquement, rassemble les personnes intéressées à différents titres aux bibliothèques, à la documentation, au livre, aux sciences de l'information, à la lecture (sociologues, chargés d'étude, ingénieurs...).
La cible centrale, celle des bibliothèques, n'est pas non plus homogène : la lecture publique constitue le groupe quantitativement le plus important, mais il s'agit d'abord du réseau d'Etat, et particulièrement des BCP, où le taux de réponse atteint 16 %. La BPI et les bibliothèques municipales pèsent d'un poids important dans les réponses, mais l'impact de l'enquête y a été réduit. Cet impact est d'autant plus faible pour les bibliothèques municipales qu'il y a surreprésentation des bibliothèques classées et de leur personnel d'Etat. On observe donc une situation plutôt contradictoire : l'ensemble de la lecture publique se plaint d'être à l'écart du BBF, mais c'est le secteur le plus marginal, celui des BCP 2, qui manifeste le plus d'intérêt. Celles-ci se reconnaîtraient mal dans Livres hebdo qui joue le rôle d'un bulletin d'information pour les bibliothèques publiques, mais principalement axé sur les bibliothèques municipales. Deuxième explication qui n'en exclut pas d'autres : le BBF joue une tout autre fonction que celle de l'information dans un secteur en pleine transformation. La première hypothèse peut également être invoquée pour la Bibliothèque nationale et les bibliothèques universitaires, qui ne sont représentées que de manière assez marginale dans les colonnes de Livres hebdo. Pour les BU, enfin, a certainement joué le réflexe d'obédience administrative déjà signalé. A l'opposé du réseau des bibliothèques spécialisées, les réseaux privés de la lecture publique, bibliothèques de CE ou d'hôpitaux, ne se sont, sauf exception, pas sentis concernés. Il en est de même pour les réseaux d'autres institutions, telles que bibliothèques de CDI; quelques CRDP ont toutefois participé à l'enquête.
De cette déformation de la carte des abonnés, on peut conclure à une image de marque déséquilibrée : bulletin des bibliothèques de France, le BBF ne l'est que très partiellement et les réponses à l'enquête semblent renvoyer à deux attitudes bien distinctes :
- le personnel d'Etat directement rattaché à la DBMIST ou à la DLL (Direction du livre et de la lecture) manifeste un intérêt de principe, à la limite indépendant du contenu de la revue, intérêt ne voulant signifier ni satisfaction, ni utilisation;
- les personnels des communes ou du secteur privé, a fortiori les non praticiens paraissent se définir d'abord par rapport au contenu du BBF.
Portrait-robot
Lecteur est un terme abusif : l'enquête était explicitement destinée aux utilisateurs, même très occasionnels, et ne parlait que de consultation. Il serait donc plus exact de parler des abonnés intéressés par une évolution du BBF que de lecteurs ou de lectorat, qui n'est employé que pour la commodité de l'expression.
Le lectorat du BBF se situe en majorité dans la tranche 35 ans/44 ans : celle qui correspond à l'intégration sociale et professionnelle maximale. Un deuxième groupe (environ un tiers de l'effectif) se situe au dessous de la barrière des 35 ans. Cette strate correspond en partie à des personnels féminins de recrutement communal aux différents emplois de bibliothécaire, bibliothécaire adjoint et employé 3. Partant, l'âge moyen des lecteurs du BBF progresse à mesure qu'on passe de la lecture publique à la Bibliothèque nationale, aux bibliothèques universitaires et enfin aux bibliothèques spécialisées. Les formations « bibliothèques » proprement dites reproduisent ce schéma : les formations moyennes (CAFB, DBD) touchant un public sensiblement plus jeune que les formations supérieures (DSB, DTB, archiviste-paléographe). Il n'en est pas de même pour les formations documentaires (DUT, licence, diplômes INTD ou en sciences de l'information) : c'est dans la tranche < 35 ans que leur impact est maximal. Enfin, c'est dans la tranche 45-60 ans que se situe la majorité des personnels sans formation. C'est ce dernier facteur qui semble expliquer la structure d'âge des bibliothèques spécialisées; celles-ci regroupent un personnel hétérogène provenant de trois horizons : pour partie un personnel d'Etat (dans le cas des administrations extérieures à l'Education et à la Culture), pour partie un personnel formé sur le tas, et pour partie des documentalistes qui s'opposent aux deux autres catégories sous le rapport de l'âge et des intérêts.
On s'en doute, les lecteurs du BBF sont des lectrices (pratiquement les 3/4 de l'effectif). Toutefois, la répartition par sexes de ce lectorat varie selon les statuts et les affectations. La pyramide des emplois du secteur public montre que c'est dans les catégories « magasiniers » et « emplois supérieurs » (conservateurs d'Etat, bibliothécaires municipaux) qu'existe une surreprésentation masculine, tandis que les administrations centrales, et à moindre degré la lecture publique 4, apparaissent investies de « lecteurs » du BBF. Si la BN et les bibliothèques universitaires se situent dans la moyenne, les secteurs de la formation et des bibliothèques spécialisées sont spécifiquement féminins.
De manière générale, le lecteur du BBF a un niveau d'études élevé: c'est de l'enseignement supérieur long que provient la majorité relative des lecteurs. Les secteurs les plus diplômés sont les secteurs féminins de la formation (75 %), de la Bibliothèque nationale et des bibliothèques spécialisées. Au delà de la sous-qualification relative des effectifs féminins, surdiplômés par rapport aux emplois occupés, on peut noter le faible nombre de « non universitaires » (niveau bac et au dessous) : moins de 10 % sauf en lecture publique où ces catégories atteignent 20 %. Il s'agit là de personnels techniques, bibliothécaires-adjoints recrutés au niveau bac ou par promotion interne, moins fréquemment de magasiniers ou employés. Une deuxième hypothèse est à avancer : dans des établissements de taille plus réduite, où la répartition hiérarchique des tâches est moins poussée, la diffusion de la littérature professionnelle est plus large.
Dernière caractéristique peu surprenante : le BBF est d'abord l'organe des personnels d'Etat (64 %) et, parmi ces derniers, du personnel scientifique (39,5 %). Le personnel communal représente un ensemble beaucoup plus réduit (22 %). Comme pour le personnel d'Etat, très forte surreprésentation du personnel scientifique sans atteindre toutefois la majorité absolue. La part des personnels non statutaires est d'environ 10 %.
A formation intensive, lecture nonchalante
A quel niveau se situe l'intérêt pour le BBF ? Plusieurs questions permettaient de cerner son intégration aux pratiques d'information (lecture, participation à des congrès) et de formation continue. Seule une nouvelle enquête permettrait d'analyser le phénomène en profondeur. Tel qu'on peut le saisir, on ne peut caractériser le contexte « information-formation » que par les termes de faible développement, voire de carence générale.
Les deux derniers moyens (congrès et stages) restent globalement assez peu répandus, 50 % de la population seulement avaient participé à une journée d'étude et la proportion se ramène à 30 % pour les stages 5. Ceux-ci, au demeurant, sont distribués de façon sélective : les bibliothèques universitaires, et, dans ces établissements eux-mêmes, les conservateurs et les agents contractuels, apparaissent en position privilégiée. Par ailleurs, le personnel de service général ayant répondu à l'enquête paraît avoir suivi au moins un stage, ce qui dénote une relation, dans cette catégorie, entre l'intérêt pour le BBF et la formation continue.
Les bibliothèques spécialisées montrent tous les symptômes de l'hypersélectivité; c'est dans ce groupe que l'on trouve à la fois la proportion la plus élevée de non stagiaires, la proportion la moins élevée de stagiaires occasionnels et le pourcentage de cumuls de stages le plus fort.
La lecture professionnelle (question 8) présente un point commun avec la lecture de loisir : elle est étroitement liée à la possession de titres universitaires. En revanche, la répartition par sexe s'en différencie; les hommes sont sur-représentés parmi les gros lecteurs (plus d'une heure par semaine), mais on les retrouve aussi en force à l'autre extrême, chez les non-lecteurs. Autre divergence avec la lecture-loisir, l'assiduité de la lecture professionnelle croît avec l'âge.
Globalement, la lecture professionnelle semble très limitée (la question écartait la lecture d'actualité et de bibliographies) : plus de 40 % de la population enquêtée ne lisent jamais ou rarement. La répartition par établissements fait ressortir une dichotomie entre les bibliothèques spécialisées « grosses lectrices » et les autres bibliothèques lectrices occasionnelles. Palliatif à l'absence relative de formation continue ? Il faut se souvenir que la base des réponses, dans ce secteur, est constituée par l'intérêt porté à une revue professionnelle.
La lecture professionnelle apparaît dans une position contradictoire vis-à-vis des autres pratiques de formation permanente : reliée directement à l'intégration professionnelle (plus on participe à des journées d'études, plus on lit), elle est quasiment déconnectée de la formation continue. Plus exactement, le cumul des stages n'appelle pas de lecture professionnelle suivie; il y a là de quoi s'interroger sur les fonctions et les rapports entre stages et revues à finalité professionnelle, sur leur adéquation respective aux intérêts des publics et leur utilisation. L'explication la plus facile - les stages sont vécus de manière contingente - ne rend pas compte de façon satisfaisante de cette situation: c'est parmi les stagiaires occasionnels que se recrutent les plus forts lecteurs. Autre hypothèse : une grande partie des stages sont des formations à la recherche documentaire informatisée - qui ne trouvent qu'occasionnellement de prolongement direct dans la littérature professionnelle - et ne sont pas encore reliées à la pratique professionnelle.
Au pays des aveugles
Si on en croit les rythmes de consultation, le BBF serait un best-seller ! Plusieurs faits tempèrent ces indications et, d'abord, la répétition d'un phénomène bien connu : à partir du moment où des lecteurs sont interrogés par « leur » journal, les réponses sont dans une certaine mesure infléchies dans un sens positif, le lecteur manifestant ainsi inconsciemment et indirectement sa reconnaissance. Ce phénomène apparaît très clairement dans les réponses appelant une évaluation générale.
Une majorité absolue des réponses à la question 10 (54 %) déclarent consulter régulièrement la revue, 5 % seulement s'affichant comme non-lecteurs. Le rapprochement avec la question 8 Combien de temps consacrez-vous en moyenne à la lecture professionnelle ? fait cependant apparaître des distorsions : la proportion de consultants réguliers du BBF représente un ensemble presque aussi important que celui des lecteurs moyens et forts (56%). Consultation n'est pas lecture et seul le rythme de consultation était pris en compte. Toutefois, les lectures professionnelles - Livres hebdo excepté - sont réduites ; enfin ce n'est que parmi les consultants réguliers du BBF qu'on observe une liaison avec les lectures professionnelles moyennes ou importantes. Réintroduire un minimum de cohérence entre ces différentes indications signifie que le BBF est certainement consulté, c'est-à-dire ouvert, feuilleté, parcouru. Sa lecture par contre relèverait le plus souvent de l'occasionnel, voire de l'exception : autrement dit, l'intérêt manifesté se double souvent d'insatisfaction.
Enfin, de nombreux lecteurs insistent sur ce point : le BBF ne serait pas lu car il ne circule pas. Les réponses à la question 27 Localisation du BBF apportent une confirmation; certes, ni les conditions matérielles, ni l'organisation du travail ne sont prises en compte: toutefois, il apparaît symptomatique que la moitié des établissements seulement organisent une accessibilité véritable (items 3, 4, 5).
Ce chiffre semble être d'ailleurs un maximum : plusieurs répondants se sont indignés de voir évoquée la possibilité que nul ne connaisse exactement le point de chute du BBF. Pourtant, plusieurs questionnaires qui avaient fait l'objet d'envois groupés donnent pour un même établissement des localisations différentes... Que 30 % des établissements organisent le stockage du BBF dans la « sphère » administrative (bureau du responsable ou secrétariat) est sans doute révélateur d'un mode d'utilisation particulier; toutefois, l'accessibilité du BBF, organisée dans la moitié des établissements, n'empêche pas un impact des plus sélectifs. Sans doute ne faut-il pas mésestimer les contraintes matérielles et les pesanteurs sociologiques, mais l'absence de circulation du BBF paraît être un effet autant qu'une cause.
Un peu, beaucoup...
La consultation régulière du BBF reprend, en les grossissant, certaines des caractéristiques de la lecture professionnelle. Toutes deux sont liées à l'âge, mais, pour le BBF, la proportion de consultants réguliers passe de 44 % pour les moins de 35 ans à 73 % au dessus de 60 ans. Pourtant, les échantillons les plus importants (jusqu'à 45 ans) sont en proportion les moins assidus. Le BBF, l'organe d'une génération ? En tout cas, l'organe des responsables d'établissements, comme en témoigne la surreprésentation des populations masculines et ayant une formation supérieure de bibliothécaire ou documentaliste.
Il est piquant, à l'encontre, de noter que le BBF n'est guère l'organe des administrations centrales, fortes lectrices par ailleurs; c'est parmi elles qu'on observe, de loin, le plus faible taux de consultants actifs. Certes, les administrations sont émettrices d'une bonne part des informations qu'on trouve dans le BBF (statistiques, circulaires, etc.) mais d'une part seulement. Il est permis d'y voir un symbole...
De manière générale, la fréquence de consultation du BBF s'accroît dans l'ordre : administrations - bibliothèque nationale -lecture publique - bibliothèques universitaires - bibliothèques spécialisées - formation. Les consultants réguliers ont une forte intégration professionnelle et ont suivi dans l'année plusieurs stages de formation continue.
Le profil des non-lecteurs est l'image inversée de celui des consultants : un personnel jeune (moins de 35 ans), travaillant d'abord en lecture publique ou à la Bibliothèque nationale, participant peu ou pas du tout aux journées d'étude. Le personnel magasinier (promotion interne) qui suit, comme on l'a signalé, la littérature professionnelle paraît par contre très déconnecté du BBF.
On trouve tout au BBF
Le BBF est une revue complexe, juxtaposant articles, chroniques, informations, bibliographies signalétique et analytique. La chronique rend compte de l'actualité professionnelle : les informations ont un caractère plus administratif; les deux bibliographies sont orientées à la fois sur les sciences de l'information et sur les ouvrages spécialisés.
Malgré cette diversité de l'offre, les intérêts (question 11) apparaissent homogènes; deux rubriques sont plébiscitées : les articles et la chronique-informations (80 % et 77 % des citations prioritaires). Les bibliographies (24 % pour l'analytique, 10 % pour la signalétique) apparaissent secondaires, avec un intérêt plus marqué des bibliothèques spécialisées (41 % pour l'analytique, 31 % pour la signalétique) précisé par le recoupement avec les formations : ce sont les formations moyennes en documentation qui utilisent prioritairement cette rubrique ; à un moindre degré, la Bibliothèque nationale paraît s'intéresser aux analyses (35 %).
Cette distribution des intérêts prioritaires n'apparaît guère liée à la fréquence de consultation; à noter cependant que les non lecteurs ou lecteurs exceptionnels ont tendance à s'intéresser davantage aux articles. Si on élimine les non-réponses (par définition plus importantes pour ces deux échantillons), le taux de consultation prioritaire des articles croît de 28 % au fur et à mesure que décroît le rythme de consultation. Les articles paraissent donc constituer le fondement même de l'image du BBF, pour l'ensemble de sa clientèle, active ou potentielle, et c'est leur analyse qui peut le mieux rendre compte des attentes et intérêts du public. Les réponses au reste font apparaître que nombre des appréciations portées sur les articles renvoyaient à une évaluation globale de la revue : cette rubrique sera analysée en dernier lieu.
Les autres rubriques qu'on peut appeler rubriques d'accompagnement occupent une part importante de la surface rédactionnelle. Leurs rôles, leurs orientations sont divers : chroniques, informations, bibliographies donnent au BBF vocation à être conjointement bulletin de liaison, bulletin administratif, guide d'acquisitions. Analyser leur fonctionnement et leur impact a paru un préalable indispensable avant de tenter une clarification d'ensemble sur les rapports entre le BBF et son public. Diverses questions ont donc été posées tant sur l'utilisation de ces différentes rubriques que sur leur évaluation.
Informations : rubrique à brac
La partie chronique-informations, suscite un large intérêt. La question 15, portant directement sur la satisfaction tempère largement cette indication: le taux de non-réponses est des plus élevés (26 %, soit 5 fois plus que le taux observé pour les autres questions). Si on cumule ce pourcentage avec celui des mécontents ou des sans opinion, on arrive à plus de 60 %. Il convient donc de parler d'insatisfaction à propos de cette rubrique. Celle-ci au demeurant est des plus complexes et l'enquête l'a saisie en pleine évolution : autrement dit, la photographie de cette rubrique rend compte à la fois de ses aspects passés et présents.
A l'origine, cette rubrique comportait deux volets : les informations proprement dites, informations administratives (circulaires, mutations), informations techniques (annonces ou comptes rendus de congrès), formation professionnelle (essentiellement rapports de jurys ou résultats d'examens), honorifiques (décorations, notices nécrologiques). La chronique, organisée par grands types de bibliothèques, était une émanation directe de celles-ci, publiant, pratiquement sans retouche ni coupure, communiqués de presse, notes d'information et prières d'insérer: expositions, inaugurations et publications faisaient ainsi l'objet de courtes notices.
Deux remarques sur le fonctionnement de cette rubrique; d'abord, son caractère d'auto-reproduction : l'expression est libre mais l'absence de rewriting et le moule imposé - il s'agit dans tous les cas de commémorations -appellent trop souvent, soit une simple énumération à plat, soit une expression pompeuse (« une foule nombreuse... honorée de la présence de... ») reprise de communiqués locaux. D'autre part, la fonction informative, compte tenu des délais de publication, n'est pas réellement remplie ; elle est déviée vers un usage honorifique : un affichage dans la chronique semble avoir souvent signifié de fait, la transformation d'un essai réussi en accessit de bonne conduite. En conséquence, bilans, réflexions critiques, remise en cause ne pouvaient être qu'exceptionnels. Par ailleurs, la présence dans Livres hebdo des rubriques « échos » ou « chronique » - sans parler des petites annonces pour les emplois vacants - vidait de son intérêt cette rubrique sous sa formule traditionnelle.
Les modifications opérées dès le début 83 tenaient compte de cette situation en supprimant le terme, trop connoté, et le mode de fonctionnement. La refonte en une seule rubrique des chroniques et informations était liée à une réforme... de forme : l'ensemble des informations était découpé en sous-rubriques (Le Point sur, Formation, En direct) de manière à assurer un écrémage rapide des informations. La sous-rubrique En direct, qui en était à ses premiers pas au moment de l'enquête (2 numéros sortis), s'est voulue comme une autre manière de reprendre la chronique : publier des comptes rendus de congrès, mais aussi parler de l'innovation bibliothéconomique (ex. le service de renseignement par téléphone de la section sciences de la BIU de Lyon); de même « Le Point sur » faisait... un point rapide sur une question professionnelle (le CCN, les URFIST). Il va sans dire que cette orientation très progressive ne pouvait être perçue au moment de l'enquête que de manière incomplète et floue; il va également de soi que le mode de fonctionnement du BBF conduit à privilégier le « secteur DBMIST », soit les bibliothèques d'étude et de recherche 6.
Rubr'hit-parade
Afin de dégager les intérêts dominants, les lecteurs étaient invités à faire un tri prioritaire parmi les principales informations véhiculées : formation professionnelle, textes et décrets séparés de la gestion des personnels (mutations), annonces diverses (emplois vacants) et mentions honorifiques (décorations, hommages divers). Les résultats font apparaître deux attitudes vis-à-vis de cette rubrique : l'une, la plus répandue, pratique et administrative, renvoyant à la vocation première des informations : l'autre, plus technique et plus « secondaire ».
La gestion des personnels, publiée il est vrai avec des décalages très importants, apparaît très en retrait dans l'échelle des intérêts (10 %); quant à la rubrique connexe « notices nécrologiques », elle n'est appréciée que dans 0,87 % des cas... La vocation affichée de « trait d'union entre personnels » apparaît donc sans fondement réel. Pour la rubrique « Textes et décrets », qui arrive largement en tête des choix (22 % des réponses), la distribution par origine montre un intérêt maximal dans les secteurs de l'administration centrale et, plus surprenant, de la lecture publique. Formation, Bibliothèque nationale et surtout bibliothèques spécialisées apparaissent très en retrait. La même opposition se retrouve, inversée, pour la rubrique « Informations techniques, congrès » qui enregistre ses scores les plus bas parmi la lecture publique et les bibliothèques universitaires. La rubrique « Le Point sur » semble avoir une image floue, à la fois technique et administrative : les bibliothèques spécialisées se distinguent de la Bibliothèque nationale et de la formation, rejoignant la lecture publique peu concernée par des questions du ressort DBMIST. Enfin, la formation professionnelle a un statut nettement utilitaire, intéressant la clientèle lecture publique et les effectifs concernés, qu'il s'agisse de promotion interne ou du CAFB (magasiniers et bibliothécaires adjoints) : résultats prévisibles, le CAFB (rapports de jurys ou publication de résultats) étant traditionnellement le morceau de choix de cette rubrique.
Il faut revenir sur le score des textes officiels qui donne matière à interrogations tout particulièrement pour la lecture publique. Il s'agit en effet de l'information la plus diffusée par voie de circulaires et qui est souvent publiée (Journal officiel, bulletins officiels de l'Education nationale et de la Culture). Certes, tout n'est pas publié et une circulaire n'arrive jamais qu'en un seul exemplaire; les journaux officiels ne sont pas systématiquement achetés ou dépouillés et il est plus facile de se reporter au BBF en cas de besoin. Ces explications sont sans doute valables : elles paraissent malgré tout insuffisantes et on peut proposer d'autres hypothèses.
En premier lieu, une réaction d'insatisfaction d'ensemble déjà notée 7 qui conduirait à « se raccrocher » aux éléments solides dont l'intérêt reste indiscutable. Au surplus, même sous une forme déviée et partielle, il s'agit là d'informations concernant, de près ou de loin, l'ensemble des bibliothèques : les évolutions en cours, qu'il s'agisse de décentralisation ou de loi sur l'enseignement supérieur, ne peuvent que leur donner un regain d'intérêt. De par son caractère « oecuménique » la rubrique « Textes et décrets » symboliserait, dans une certaine mesure, l'unité institutionnelle proclamée dans le titre du BBF, fournissant un corpus règlementaire commun aux bibliothèques. Cette hypothèse permettrait de rendre compte des scores de la lecture publique et tout particulièrement des bibliothécaires municipaux : sans doute ceux-ci sont-ils plus souvent responsables d'établissement mais ils sont aussi les plus éloignés (secteur privé mis à part) de la sphère administrative émettant les informations publiées dans le BBF.
Bibliographie : de la lune à la terre
Les deux bibliographies, signalétique et analytique, ont un cadre d'organisation et un index communs. Leur origine est cependant différente; jusqu'en 1981, la bibliographie signalétique était une production Bibliothèque nationale. Sous le nom de « Bulletin de documentation bibliographique », elle signalait articles et ouvrages de bibliothéconomie ainsi que diverses publications scientifiques reconnues comme telles si elles comportaient une bibliographie de 10 pages (minimum). La Bibliothèque nationale ayant arrêté cette participation, cette rubrique a été prise en charge par la rédaction du BBF et, sous bénéfice d'inventaire, infléchie depuis 1983 vers la bibliothéconomie et les sciences de l'information. L'analyse des réponses fait apparaître un impact très limité : 47 % de non utilisateurs absolus, 12 % seulement d'utilisateurs réguliers. Ceux-ci se recrutent d'abord parmi les bibliothèques scientifiques et, bien évidemment, le secteur formation.
L'utilisation, diverse selon les différents types d'établissements, n'offre guère de surprises : les bibliothèques spécialisées achètent des ouvrages... spécialisés tandis que la lecture publique s'intéresse à la bibliothéconomie. Les « usagers » de la Bibliothèque nationale, au demeurant peu nombreux, manifestent un intérêt culturel. L'utilisation de cette bibliographie, très fortement liée à l'âge paraît être dans l'ensemble un phénomène de générations.
Les mêmes observations pourraient être reformulées, avec plus de nuances, pour la bibliographie analytique. Celle-ci fonctionne cependant de manière toute différente : elle repose sur des services de presse attribués à des analystes moyennant l'établissement d'un compte rendu. Cette bibliographie a également été remaniée dès le début 1983: réduction en volume et en champ (recentrage progressif vers les sciences de l'information) d'une part, demande de comptes rendus plus que d'analyses d'autre part.
Le public intéressé présente des caractéristiques proches de celui de la partie signalétique, mais plus atténuées. La part des non-utilisateurs est cette fois de 37 %, celle des utilisateurs réguliers de 19 %. Ceux-ci proviennent aussi de la formation et des bibliothèques spécialisées, dans une moindre part de la Bibliothèque nationale; il faut dire que celle-ci participe assez largement à son élaboration en fournissant bon nombre d'analystes et de titres... Comme la signalétique, l'utilisation de cette bibliographie paraît fortement liée à l'âge 8 et, dans une moindre mesure, au statut : un quart des conservateurs d'Etat s'y intéressent alors que les catégories B (pourtant normalement associées aux acquisitions) et C semblent la rejeter.
Louons maintenant les grands hommes
En fait, la fonction première de cette rubrique, semble être tout autre: fonctionnant en cercle étroit, statutairement et géographiquement, la bibliographie serait dérivée et jouerait peu ou prou le rôle d'un bulletin de liaison. « Connaître les opinions des collègues sur des sujets austères » indique une des réponses, exprimant bien le peu d'importance des ouvrages recensés. Des déviations en ce sens s'observent ainsi aisément : certaines analyses détaillent plus longuement les mérites de l'auteur que ceux du livre. Là aussi, s'exerce un effet de reproduction et d'encensement. Assurer une bibliographie sur la base du bénévolat - services de presse d'un côté, comptes rendus de l'autre - est un pari difficile. Par ailleurs, signer une analyse dans le BBF n'étant gratifiant que dans un cercle relativement étroit, la seule compensation est matérielle (le livre analysé est donné en cadeau), d'où, dans certains cas, des déviations voire des abus.
Etablis à l'idée de chacun, les book reviews ont toujours oscillé entre deux pôles opposés: la notice analytique et le compte rendu proprement dit. Deux dominantes dans le choix des livres analysés : la part des ouvrages en langues étrangères, indépendamment de leur contenu; l'importance de l'histoire du livre et de la bibliophilie (de grandes séries de catalogues ou répertoires sont suivies tome par tome). Le fonctionnement explique ces deux aspects : d'abord le caractère international de l'édition spécialisée en sciences de l'information, en bibliothéconomie ou en d'autres domaines (de plus, les éditeurs étrangers sont a priori plus intéressés par des services de presse au BBF que les éditeurs français qui disposent de bien d'autres canaux); ensuite la participation de la Bibliothèque nationale.
L'analyse des réponses à la question 22 (question ouverte) montre bien l'ambiguité de cette rubrique : les appréciations, positives ou négatives, s'appuient sur des images totalement éclatées. Grosso modo se dégagent deux usages : ceux qui y voient une bibliographie analytique proprement dite parlent de son cadre, de son champ, de sa définition. Si elle fonctionne comme un guide d'acquisitions spécialisées, chacun réclame une meilleure couverture de sa spécialité. Les critiques corollaires portent sur les délais, les critères de choix, l'insuffisance du nombre d'ouvrages. Les adversaires observent que cette formule fait double emploi avec d'autres canaux plus rapides ou plus élaborés 9. Dans le cas d'une utilisation bibliothéconomiques, on déplore l'absence d'articles étrangers. Analyses plus courtes, plus nombreuses, plus homogènes, plus actuelles.
L'autre optique est celle des comptes rendus où les remarques portent sur les titres particuliers.
L'utilisation « culturelle et bibliothéconomique » bien sûr est répandue : « le compte rendu dispense de lire le document lui-même ». Ce type d'appréciation est souvent lié à une mise en cause de la pertinence des analyses (pas assez critiques, trop vagues, trop sommaires, etc.). Lorsque l'utilisation est pratique (achat d'ouvrages de bibliothéconomie), les critiques portent sur la prépondérance de la littérature étrangère, le secteur français, déjà fort limité, restant malgré tout sous-représenté.
Les comptes rendus d'ouvrages spécialisés sont très discutés : mise en cause des critères de sélection principalement. L'utilisation culturelle inspire des appréciations relativement neutres du genre « je suis intéressé par les critiques d'ouvrages de ma spécialité », ou « ça m'évite de dépouiller les revues spécialisées » (argument retourné par les adversaires de la rubrique), tandis que les acheteurs réclament davantage de comptes rendus dans leurs domaines. Les adversaires mettent en cause son utilité : « rubrique lue sans doute, mais utilisée ? »
Il n'était pas besoin d'une enquête pour saisir le caractère hybride de cette bibliographie. Une enquête permet par contre de mieux analyser les besoins des établissements et l'impact de la littérature professionnelle. On peut noter les demandes d'information vers une littérature spécialisée : il est difficile d'en déduire immédiatement l'insuffisance des canaux existants (bibliographies, revues, banques de données...); dans des établissements documentaires spécialisés les consommations bibliographiques et documentaires ont en effet un caractère cumulatif. Au reste, cette attitude n'est le fait que d'un groupe très minoritaire; on peut cependant noter que les listes d'acquisition des CADIST semblent appelées à jouer un rôle important. D'autres réponses sont révélatrices d'un statut, ou plutôt d'une absence de statut, de la littérature professionnelle : « la bibliothéconomie n'est vraiment pas primordiale dans une bibliothèque universitaire »; ces remarques ne renvoient pas seulement à des considérations budgétaires...
Dernier élément du BBF : les index annuels, articles et informations d'une part, bibliographies de l'autre. Leur utilité est largement obérée par les délais de publication (deux ans), avec toutefois un intérêt plus marqué pour les articles. La leçon de l'enquête a déjà été tirée : les index des bibliographies sont désormais supprimés, celui des articles est inséré dans le premier numéro de l'année suivante.
Comment faire l'article
Les articles faisaient l'objet des questions 12 à 14. En fait, comme on l'a déjà vu, ils représentent le fondement même de l'image du BBF et les autres rubriques sont perçues comme des éléments d'accompagnement. Dès 1982, la politique éditoriale a été modifiée : présentation de dossiers thématiques allant jusqu'à la réalisation de numéros spéciaux (patrimoine et conservation en décembre 1982; histoire de la lecture et des bibliothèques en mars-avril 1983).
Ce remaniement a suscité un intérêt certain : ces articles figurent souvent au palmarès de la question 12. Toutefois, leur fréquence de citation paraît aussi relever d'une plus-value donnée à la proximité chronologique (il s'agissait des numéros les plus récents au moment de l'enquête) et d'une approbation de la formule. Il y a en effet divergence évidente entre ces appréciations et les résultats de la question 13 : les thèmes dominants de ces articles correspondaient aux items C (histoire du livre et des bibliothèques) et H (conservation). Or, ces deux items apparaissent largement rejetés : les taux d'intérêt enregistrés sont parmi les plus faibles 10 (36 % et 26 %). Plusieurs éléments peuvent rendre compte de cette contradiction : outre la formule et la date, la qualité et l'orientation de certains d'entre eux ont pu jouer. Il ne s'agissait pas de la démarche classique « Histoire du livre » intrinsèquement liée à la bibliophilie et largement représentée dans la bibliographie analytique 11, mais, dans plusieurs cas, les articles les plus cités ouvraient vers d'autres préoccupations: les différents publics de la lecture ou l'origine d'un type de bibliothèque.
Autre explication qui n'a que les apparences d'une lapalissade : les articles qui intéressent sont... des articles, conçus et présentés comme tels, ce qui n'est pas le cas de tous les « articles » publiés. Au premier rang de ceux-ci se situent les statistiques dont le rôle est autre : elles semblent rejetées, n'intéressant vraiment que 11 % des lecteurs. Enfin, les « non-articles » - initialement des rapports ou des comptes rendus de missions à caractère monographique - font un score faible : 26 %. Sur ce dernier point aussi, apparaît une contradiction : beaucoup de lecteurs souhaitent une ouverture sur l'étranger, à condition que cet étranger ne soit pas uniquement l'univers des bourses Fulbright 12, mais demandent une information thématique, des dossiers, des bilans.
Des goûts et des couleurs
Si on examine les réactions positives, se détache très largement en tête l'item F (nouvelles technologies), plébiscité par 72 % des lecteurs ; une telle unanimité témoigne d'une prise de conscience largement répandue et coïncide aussi avec le palmarès des articles. Sous réserve d'une analyse plus poussée, cet intérêt semble toutefois assez largement... désintéressé : le recoupement avec les autres items ne fait apparaître d'interférence réelle qu'avec l'IST (item B). Les autres domaines d'application des nouvelles technologies sont perçus de manière diverse par les différents types de bibliothèque : les bibliothèques universitaires concernées sont surtout sensibilisées à la coopération et aux techniques de gestion; les bibliothèques spécialisées à la seule gestion. Quant à la lecture publique, son intérêt pour les nouvelles technologies se relie le plus souvent à une approche « sociologie-public » (items D et K) coïncidant avec celle des articles publiés dans ce domaine.
Globalement l'analyse des intérêts fait apparaître deux pôles principaux :
- prépondérance des demandes liées à une définition large et ouverte du métier : demandes sur l'édition, la sociologie de la lecture-animation, les nouvelles technologies, les rapports avec le public, dans une moindre mesure l'information scientifique et technique et de, manière limitée, l'histoire du livre, de la lecture et des bibliothèques. A noter que ces items sont ceux qui accrochent le plus les non-utilisateurs ou utilisateurs exceptionnels du BBF : dans cette catégorie se détache également une demande importante sur l'item J, réflexion sur les métiers.
- retrait et cloisonnement des thèmes liés à la « vie quotidienne »; les intérêts reproduisent les clivages entre établissements : ainsi seules les bibliothèques spécialisées s'intéressent aux monographies d'établissements et à la gestion, la lecture publique aux constructions. Statistiques, conservation, coopération, très minoritaires, ont un statut ambigu : liées à la fois à la vie pratique et à une définition « politique », elle regroupent les personnels scientifiques et magasiniers.
Un thème « horizontal » apparaît enfin plébiscité : il s'agit de la formation, de définition large et floue. L'intérêt manifesté par les catégories B et C semble le rattacher en priorité à des préoccupations « promotion interne » et, dans une certaine mesure, à l'activité des centres de formation. CAFB. Néanmoins, sa fréquence permet de l'afficher comme préoccupation permanente de professions en cours de redéfinition.
Conclusion en forme d'ouverture
Quoi
Un premier point : la cohérence globale des demandes avec les positions exprimées sur les différentes rubriques. La rubrique « articles » découpée en « études » (18 %), « tribune (11,5%) et « reportage » (17,4%) regroupe 47 % des voeux. Ensuite, une demande très forte apparaît sur les textes officiels (12,4%) qui, de fait, sont en troisième position, dépassant la « tribune ».
Ce classement est pratiquement identique pour toutes les catégories d'établissements. A noter que les rubriques « études » et « reportages » ne sont pas exclusives dans l'esprit des lecteurs », c'est parmi les demandeurs d'articles (formation, administrations, bibliothèques spécialisées) qu'on trouve les taux de demande les plus importants pour des reportages. Les bibliothèques proprement dites semblent avoir une utilisation plus pratique et diversifiée, la demande y est forte pour les textes officiels; des aspects administratifs spécifiques, formation et résultats des CAP, suscitent un certain intérêt mais leurs scores maximaux se situent autour de 8 %. Dernier élément technique, les comptes rendus d'ouvrages professionnels intéressent les secteurs formation et administration centrale (11 %), beaucoup moins les autres bibliothèques (5 à 6 %). Les autres bibliographies (signalétique ou ouvrages de référence) intéressent 5 % des lecteurs. Enfin, le carnet, renvoyant aux célébrations honorifiques intéresse six lecteurs...
Cohérence n'est pas uniformité : on a déjà vu à plusieurs reprises se dissocier les établissements. A la lecture « scientifique » des uns, principalement bibliothèques spécialisées, administrations et formation - s'opposait la démarche plus utilitaire de la lecture publique. Les bibliothèques universitaires ont été assez peu mentionnées dans ces oppositions : elles se retrouvent très souvent au score moyen général, partagées entre l'utilisation pratique et la lecture « désintéressée ».
Deux notes concordantes émanant de tous - ou presque tous : un seul questionnaire s'affirme en désaccord - désofficialiser la revue. C'est auprès des administrations centrales que cette demande a le plus d'échos... Ensuite modifier la présentation matérielle jugée terne et ennuyeuse : du graphisme, des dessins, des photos, des titres, une couverture sont demandés et redemandés.
Deux demandes prioritaires se dégagent :
- l'information tous azimuts : administrative, pratique, technique. Les délais de parution sont jugés insupportables, le rythme de parution insuffisant; beaucoup demandent le retour au rythme mensuel, quelques-uns souhaitent même une parution hedbomadaire. Suivre l'actualité professionnelle, rendre compte des expériences en cours sont les thèmes dominants exprimés par la lecture publique, à un moindre degré par les bibliothèques universitaires. On a déjà signalé l'impact de Livres hebdo : son succès entraînerait une demande cumulative. Faut-il un « Bibliothèques hebdo » ? En tout cas, la voie semble ouverte pour des pendants français d'American libraries ou Library journal.
- l'autre demande est plus diffuse : elle provient de l'ensemble des secteurs et assigne au BBF un rôle d'instrument de formation professionnelle et/ou organe de réflexion. Cette demande privilégie l'organisation de débats et tribunes, les articles de fonds. L'ouverture vers l'étranger est également souhaitée, ouverture aussi vers l'innovation, vers des interventions extérieures de non-professionnels.
Comment
Quelques remarques préalables : donner la primauté au rédactionnel n'est, il faut le rappeler, pas totalement compatible avec l'information. « Publier » davantage d'articles signifie, en fait, « éditer » : négociations avec les auteurs, définition d'un axe, mise en forme, rewriting partiel, préparation minutieuse d'une copie, abondante cotation. Toutes les tâches d'édition s'inscrivent dans une durée. Juxtaposer aux articles des rubriques tournées sur l'actualité courante, telles l'ancienne chronique ou les bibliographies, n'est plus une formule viable.
L'exigence d'informations plus nombreuses appelle au surplus un effort de définition : l'actualité courante est couverte par Livres hebdo, même si certains secteurs, comme on l'a déjà signalé, y restent marginaux. La force de la demande d'information est au reste d'autant plus grande que les établissements sont isolés et fragmentés : un organe d'information dans le secteur le plus demandeur, celui de la lecture publique, serait au moins autant un instrument d'échanges, de liaison et de reconnaissance que d'actualité. Dans l'immédiat des bulletins régionaux devraient pouvoir trouver facilement leur place. Ce type de publication devrait en particulier intégrer l'aspect « petit futé des bibliothèques de France » demandé par certains lecteurs : qui fait quoi ? où est quoi ? comment se débrouiller dans sa vie quotidienne ? Eventuellement, encore qu'il s'agisse d'un élément peu porteur, des textes honorifiques. Autre instrument d'information administrative n'intéressant que le réseau d'Etat : une lettre d'information administrative (mutations, textes) lancée par la DBMIST.
Un troisième type d'information peut être pris en charge par le BBF : il s'agit d'une « information au second degré », non plus l'actualité au jour le jour mais plutôt un « fil conducteur » : bilans techniques d'expérience, comptes rendus, plus critiques qu'informatifs, de congrès ou journées d'études, présentation commentée de textes importants.
Cette vocation rejoint la deuxième demande : faire du BBF un lieu d'échanges et de réflexion. Cette notion paraît centrale et implique deux axes d'action, l'ouverture, la qualité.
Cela consiste d'abord à accentuer les orientations actuelles : davantage d'articles et de dossiers thématiques. Confrontation des idées et diversité des points de vue et des intervenants qui doivent provenir de tous horizons; c'est dans cette perspective que se comprend le rôle du comité scientifique, qui doit être une plaque tournante. Cela signifie enfin l'ouverture de rubriques nouvelles : « tribune libre » pour l'expression d'idées ou programmes, questions et débats.
Deuxième élément : la qualité. Le mode d'approche semble être la solution aux contradictions relevées dans l'analyse des demandes. L'intérêt d'un article, il faut le souligner, ne se définit pas uniquement par référence à un thème. Editer des articles de niveau plus homogène, cela signifie de la part de la rédaction une politique plus dynamique, plus sélective et une accentuation du travail éditorial. Cela signifie aussi l'intervention de comités de rédaction spécialisés : constitués sur des projets précis, ils guideront la mise au point des dossiers thématiques.
En corollaire, l'homogénéisation et l'allègement des bibliographies sont indispensables. La première des hypothèses de travail - des notices analytiques « tous azimuts » - ne peut être retenue (double emploi avec les autres instruments de travail existant sur papier ou écran, infrastructure technique nécessaire). Dans sa formule actuelle, la bibliographie signalétique paraît avec un retard considérable et est lourde à gérer. Une mise à niveau impliquerait un investissement important, hors des moyens actuels; on peut cependant étudier une reconversion vers la publication d'un bulletin de sommaires de quelques revues étrangères. Quant à l'analytique, elle appelle une refonte complète : en premier lieu, accentuation du recentrage et de l'allègement amorcés; ensuite mise en place d'une politique de sélection plus rigoureuse; pour cela il est nécessaire de restructurer le réseau d'analystes (le comité scientifique aura un rôle à jouer) et de mettre en place un véritable collectif de spécialistes. Enfin, les ouvrages sélectionnés devront faire l'objet de comptes rendus véritables : critique et discussion et non plus simple mise en forme de la table des matières.
La réforme du BBF, telle qu'elle a été voulue par son comité scientifique s'inscrit dans une continuité : titre et page de couverture sont pour le moment maintenus... à ce titre. Ce maintien ne signifie pas une évolution figée aussitôt qu'amorcée; la transformation d'une revue est liée à l'usage qu'en feront ses lecteurs. Ceux-ci sont donc invités à se prononcer tant sur la forme que sur le fond de leur revue.