Quelle bibliothèque dans le musée ?
Sabine Naegelen
En intégrant bibliothèques et outils web 2.0 dès leur conception, les nouveaux espaces muséaux s’ou-vrent à d’autres perspectives en direction du public. Avec une offre sur place et en ligne, quels sont les enjeux pour les bibliothèques au sein de ces musées ? La journée organisée par le groupe Midi-Pyrénées de l’Association des bibliothèques de France le 17 novembre 2008, en partenariat avec le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, s’appuyait sur deux exemples concrets et récents pour tenter d’y répondre.
Une autre conception de la bibliothèque dans le musée ?
Le Muséum de Toulouse 1 a fermé pendant dix ans (1997-2007) pour restructuration. Selon Anne Ingremeau, responsable de son pôle documentaire, il était représentatif d’un musée scientifique « classique » et ses fonds documentaires, rassemblés spécifiquement autour des collections, étaient éparpillés dans le bâtiment et utilisés par les chercheurs en interne, avec un accès indirect. Le projet de redéfinition des missions et des collections du Muséum a permis de repenser l’offre et la structuration du bâtiment et a d’emblée donné une place aux bibliothèques.
Aujourd’hui, trois salles de lecture ouvertes au public offrant quarante places assises sont gérées par neuf agents. Le problème majeur de fonctionnement actuellement rencontré est cependant révélateur du statut des bibliothèques au sein du Muséum. Le public doit en effet – pour le moment – s’acquitter du droit d’entrée au musée pour accéder aux ressources documentaires, même si un palliatif temporaire a été conçu pour le public académique et universitaire.
Ainsi, elles demeurent soumises à une organisation qui ne leur permet pas d’être autonomes dans l’accueil du public. Doivent-elles être uniquement un outil d’accompagnement du public au moment des visites et au service du personnel en charge de la recherche et de la gestion des collections ou peuvent-elles acquérir un statut plus indépendant ?
Pour Odile Grandet, directrice adjointe du département Patrimoine et collections du musée du quai Branly 2 à Paris, la question se pose dans les mêmes termes malgré un contexte différent. Une bibliothèque de musée est-elle seulement une collection juxtaposée à une autre ? Créée en même temps que le musée qui l’abrite, la médiathèque du musée du quai Branly est le résultat de la fusion des fonds documentaires du musée de l’Homme et du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO). Les collections de la médiathèque, réparties en trois espaces distincts séparés physiquement et proposant des horaires d’ouverture différents 3, étaient conçues en priorité pour accompagner les collections et la vie du musée. Le bilan de fonctionnement deux ans après l’ouverture fait apparaître néanmoins un usage différent et relativement autonome des bibliothèques : l’accès gratuit amène un lectorat propre pour le salon de lecture, mais également pour la bibliothèque universitaire.
Par ailleurs, les outils web 2.0 utilisés par le musée apportent une valorisation différente des collections et permettent d’autonomiser la médiathèque à l’intérieur du musée. Le site web devient dès lors le quatrième lieu de diffusion des collections muséales et documentaires. Malgré ces évolutions notables, la définition du rôle de la bibliothèque au sein du musée demeure délicate ; celle-ci n’est pas au cœur des missions du musée, mais remplit sa fonction de service public de manière particulière et prend toute sa place dans le fonctionnement de l’ensemble.
Services en ligne et usages 2.0
L’après-midi de cette journée d’étude a permis ensuite d’évoquer plus précisément les services en ligne et les usages 2.0 pour penser la bibliothèque hors les murs du musée.
L’étude menée par Gaëlle Crenn 4 (Crem/Nancy-2), en partenariat avec Geneviève Vidal (LabSic/Paris-13), sur les usages du web 2.0 dans la sphère muséale en France, en Europe et dans l’aire anglo-saxonne montre que l’introduction de technologies web 2.0 permet la mise en avant de la promotion et de la diffusion de l’information (notamment les actualités) d’une institution, mais également l’appropriation de celle-ci par le public grâce à des possibilités comme la création d’une galerie personnelle, l’indexation, l’annotation, les commentaires, discussions ou échanges. Elle permet aussi la création de contenus, qui peut aller du simple avis sur une œuvre, une exposition ou une action du musée jusqu’à la création au sens propre du terme. De nouveaux enjeux institutionnels apparaissent autour de la définition et de la diffusion de l’auctorialité, de la légitimité et de l’autorité. Ces innovations dans les musées ont un intérêt évident pour les bibliothèques, qu’elles soient dans ou en dehors de ceux-ci.
Patrick Hernebring (médiathèque de Toulouse) a fait part du choix de Flickr pour l’accueil et la valorisation du fonds Eugène Trutat 5 (15 000 photographies des Pyrénées de 1880 à 1920, numérisées depuis 2000), à l’instar de la Bibliothèque du Congrès 6. L’intérêt de cet outil était sa fonctionnalité d’indexation partagée, afin d’obtenir des précisions ou des informations sur des annotations souvent très vagues d’Eugène Trutat sur ses clichés. Le projet, mené avec beaucoup de circonspection et conçu dans une démarche progressive, rencontre aujourd’hui un certain succès en termes de consultations et de mise en valeur du fonds, mais déçoit sur le plan intellectuel et documentaire (enrichissement approximatif qui ne répond pas à des attentes professionnelles en termes de catalogage et d’indexation, commentaires sans intérêt scientifique…).
Anne Blanquer-Maumont (responsable du département Information) et Samuel Bosson, (webmestre) ont clôturé la journée par une présentation des actions du Muséum de Toulouse en matière de web 2.0. La veille effectuée sur le web 2.0, sur les expériences menées, les outils et les besoins a montré l’intérêt d’une plateforme d’échange sur des sujets d’actualité pour établir des connexions entre disciplines et thématiques. Outil de promotion et d’information, le site web du Muséum doit servir à préparer et prolonger la visite, faire vivre le musée hors les murs et être un outil de personnalisation et de fidélisation. Quatre plateformes sont actuellement utilisées par le Muséum : Netvibes (veille sur les thématiques du Muséum), Del.icio.us (partage de favoris), Flickr (partage d’images) et Twitter (microblogging). La délégation de contenus est aujourd’hui effective sur certaines parties du site web du Muséum (et de ses bibliothèques), afin de sortir de la logique « vitrine » pour entrer dans une logique « relationnelle » avec le public.
Cette journée d’étude, par la présentation d’exemples concrets d’utilisation des outils web 2.0 dans les musées et les bibliothèques, aura permis de constater dans quelle mesure ces changements technologiques peuvent permettre de faire évoluer le rapport au public de ces institutions, de redéfinir leurs missions et de donner une place particulière aux bibliothèques de musées, qui sont ainsi individualisées tout en restant au cœur des établissements qui les abritent.