Ouvert le soir, la nuit, le dimanche ?
Annie Brigant
La dernière journée d’étude Médiadix de l’année 2007 était consacrée, le 14 décembre, à l’élargissement des horaires d’ouverture des bibliothèques. Une question donnant lieu régulièrement, à la faveur de l’annonce d’expériences pionnières, à discussions et controverses. Est-ce parce qu’une grande partie de l’auditoire, actuellement en phase de projet ou de bilan, était d’ores et déjà acquise à l’intérêt d’une telle évolution, ou que la qualité des interventions et la diversité des éclairages apportés donnaient matière à discussions étayées, les pétitions de principe et débats stériles que l’on pouvait redouter ont été évités au profit d’échanges nourris, à la fois sur les questions de « boutique » et sur les impacts du changement.
Ouverture et attentes
La première partie de la journée a permis de faire partager l’expérience de deux établissements ayant une tradition d’ouverture étendue : la Bibliothèque publique d’information et la bibliothèque Sainte-Geneviève. Une tradition pluricentenaire dans le cas de la bibliothèque Sainte-Geneviève, comme l’ont rappelé Pascale Mukerjee et Véronique de Kok : elle affichait dès 1837 une ouverture en continu de 9 h à 22 h. Aujourd’hui, malgré les 72 heures d’ouverture hebdomadaire du fonds général et les 750 places assises, les files d’attente sont fréquentes. Le fonctionnement en flux tendu de cet établissement suppose non seulement une organisation très rigoureuse des plannings de service public mais aussi la préservation d’un certain nombre de conditions : légitimité des responsables du planning, réactivité sans faille par rapport aux absences, bonnes relations avec le service du personnel de la tutelle, attention constante aux conditions matérielles de travail, récupération horaire et bonification (selon les catégories de personnel) intéressante sur les horaires du soir, priorité absolue du service public par rapport au travail interne.
Avec le samedi, c’est le mardi, jour de fermeture de la BPI, qui est le jour de plus forte fréquentation de la bibliothèque Sainte-Geneviève. La réciproque se vérifie bien entendu, comme le rappelle Françoise Gaudet, la BPI faisant figure, à côté de la médiathèque de la Cité des sciences et du haut-de-jardin de la BnF, de rare espace documentaire ouvert le dimanche dans la capitale. Cette situation de pénurie trouve une traduction directe dans les statistiques de la BPI concernant le dimanche – durée d’attente plus longue (1 h 14 en moyenne !), temps de séjour plus important et nombre de visites plus faible (par voie de conséquence), composition du public plus fortement estudiantine – mais aussi dans la parole des usagers recueillie dans les focus groups, d’où ressort une image quelque peu écornée de la bibliothèque : une bibliothèque très ouverte, certes (ouverte très largement, à tous les publics, proposant des collections en libre accès dans des espaces décloisonnés), mais une bibliothèque où l’on ne peut pas entrer. Concernant l’ouverture du soir, un sondage effectué chaque année à l’occasion de la Nuit blanche montre que le public est très largement favorable à une extension de l’ouverture au-delà de 22 h, à l’instar des bibliothèques universitaires américaines très fréquemment citées.
Le témoignage de Christophe Pé-rales, directeur du SCD de l’université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines a montré que ce souci est partagé par les bibliothèques universitaires, même si le problème ne se pose pas dans les mêmes termes dans les bibliothèques de centre ville et sur les campus excentrés. La bibliothèque de Saint-Quentin-en-Yvelines a vu ses horaires étendus (51 heures sur 6 jours) à la faveur d’une rénovation, avec un impact variable selon les jours. Face à une nouvelle demande d’élargissement des horaires de la présidence de l’université, une enquête de public a permis de confirmer l’hypothèse selon laquelle les besoins d’ouverture supplémentaire sont limités. La bibliothèque souhaiterait toutefois expérimenter une ouverture tardive avec des moniteurs étudiants. Selon Christophe Pérales, rejoignant en ceci Françoise Gaudet, un niveau de service faible est en effet acceptable sur certaines plages, à condition d’offrir par ailleurs un service approfondi : la question des horaires d’ouverture doit être inscrite dans une réflexion sur une politique globale des services.
Étendre les horaires d’ouverture des BM
La seconde partie de la journée était consacrée aux bibliothèques municipales. Ophélie Ramonatxo a déroulé les étapes de mise en œuvre des nouveaux horaires élargis de la bibliothèque municipale de Drancy (41 h sur 6 jours, dont le dimanche), depuis la conception du projet (un « non-projet » qui s’est précisé peu à peu, à l’approche de l’ouverture de la médiathèque Georges-Brassens en avril 2007) jusqu’aux suites envisagées, en passant par la négociation avec le personnel, l’intervention de la mairie et la mise au point du dispositif. Le premier bilan est très positif : même s’il est difficile de faire la part de l’effet nouvel équipement et de l’effet changement des horaires, on constate que le nombre d’inscrits est passé de 11,5 % à 16 % de la population. Le dimanche après-midi concurrence un samedi complet et, s’il donne lieu à un certain report d’activité depuis les autres jours, représente 10 % d’activité en plus.
Comme à Drancy, c’est à l’occasion de l’ouverture d’un nouvel équipement que de nouveaux horaires étendus comprenant l’ouverture du dimanche ont pu être mis en place à Issy-les-Moulineaux. Jean-François Jacques, ancien directeur de la bibliothèque municipale, a rappelé que l’élargissement des horaires, objet d’une forte volonté municipale, figurait dans le programme de la nouvelle bibliothèque. Cette volonté municipale s’accompagnait d’une vision ferme de la proportion service public/travail interne, avec pour objectif de passer de 30 à 60 % du temps de travail au service public. Afin d’atteindre ces objectifs avec le maximum de moyens humains, une méthode de calcul a été mise au point permettant d’obtenir une garantie de permanence de la force de travail (remplacement systématique des absences longues), une forte compensation financière pour le dimanche (la compensation en temps de travail étant trop complexe à mettre en œuvre) et le recrutement d’un nombre suffisant de vacataires, dont la présence est absolument nécessaire au delà de 40 heures d’ouverture, mais dont il a été décidé que le nombre ne devait pas dépasser au service public celui des titulaires. L’ouverture dominicale a été plébiscitée par le public. Le dimanche s’est révélé un jour plus estudiantin et familial, mais aussi plus calme, bien qu’il s’agisse pendant une partie de l’année du jour de prêt le plus important. Autre bénéfice, une meilleure reconnaissance réciproque des bibliothécaires et des élus.
À Paris, où Jean-François Jacques est actuellement responsable opérationnel au sein du bureau des bibliothèques, le besoin se pose dans des termes très différents, et s’exprime du côté des élus sous la forme de demandes contradictoires : harmoniser les horaires mais aussi les adapter au rythme de chaque quartier, tout en fonctionnant à budget constant. L’ouverture dominicale fait également l’objet d’une vive opposition de la plupart des syndicats. La décision a été prise de se limiter aux nouvelles grandes bibliothèques, la médiathèque Marguerite-Yourcenar (15e arrondissement), avec une amplitude prévue de 42 heures sur 6 jours, puis la bibliothèque du cinéma François-Truffaut (les Halles) et la bibliothèque Marguerite-Duras (20e arrondissement). Les réticences quant au recrutement de vacataires ont conduit à constituer l’équipe de la nouvelle bibliothèque sur la base du volontariat par rapport au travail dominical et à recruter des contractuels en CDD.
Les horaires d’ouverture, a enfin noté Jean-François Jacques, font rarement l’objet de la part du grand public de demandes explicites, y compris à Issy-les-Moulineaux, dont les rues étaient désertes le dimanche.
En guise de conclusion, Christophe Pavlidès a rappelé que la question des horaires d’ouverture n’est pas dissociable, d’une part, de la question de l’architecture des bibliothèques (comment concevoir des bâtiments économes en personnel) et, d’autre part, de la question urbaine (l’adaptation du fonctionnement de la bibliothèque à l’environnement dans lequel elle est insérée).