Des coulisses à l'avant-scène

Yves Alix

Succès oblige, les bibliothèques françaises ont développé depuis au moins deux décennies des relations de plus en plus diversifiées avec des fournisseurs (au premier rang desquels les libraires), des prestataires, des partenaires présents à tous les stades de la vie d’un établissement, de la conception (programmateurs, architectes) à l’organisation (informaticiens, conseils en management) et à l’évaluation des services (sociologues, statisticiens). Les habitués des congrès le constatent en parcourant les salons : le marché est dynamique et innovant. Il serait pourtant naïf de croire que tout va toujours pour le mieux dans les relations entre les bibliothèques, donneuses d’ordres sans autonomie juridique pour la plupart, et des entreprises fragilisées par les particularités d’un marché certes porteur, mais étroit et singulièrement instable. Les ressources publiques sont limitées ; le code des marchés publics, censé libérer la concurrence, agit le plus souvent comme un corset et détruit des relations de confiance souvent anciennes entre fournisseurs et clients habitués les uns aux autres ; les mutations technologiques, dématérialisation et développement des ressources en ligne, compliquent chaque jour les choix politiques et renchérissent les coûts de la documentation. Enfin, l’esprit coopératif fait souvent défaut, la culture du partenariat entre difficilement dans les esprits. À cet égard, une comparaison avec quelques exemples étrangers ne laisse pas d’être édifiante.

Pour autant, peut-on encore penser nos relations avec nos prestataires dans les mêmes termes qu’avant ? Ce dossier, nous l’espérons, contribuera à faire le point et à éclairer la réflexion des uns et des autres. En complément, le coup d’œil sur les bibliothèques de Singapour que propose Aurélie Bosc servira de contrepoint, tant sur les rapports entre scène et coulisses (front et back office) que sur la nature et la qualité de la prestation offerte au client final, le public.

Penser le rapport à la connaissance, à la création, au livre, est pour chacun une nécessité que le travail quotidien et les obligations assumées du service au public empêchent trop souvent. Comme Booz, ayant « tout le jour travaillé dans son aire » et « de fatigue accablé », on « fait son lit à sa place ordinaire » La réflexion et l’exercice philosophique sont pourtant les moteurs de l’action et lui donnent son sens. Le BBF ne sort donc pas de son rôle en proposant à ses lecteurs, à partir de ce numéro, une série d’articles d’introduction à l’œuvre de philosophes et de chercheurs qui ont exploré le champ de l’information, de l’accès à la connaissance, du texte et du récit. Odile Riondet, qui s’était déjà livrée naguère à cet exercice avec Pierre Bourdieu *, inaugure la série avec Paul Ricœur, disparu en 2005. Suivront John Rawls, Jürgen Habermas, Emmanuel Levinas… Liste non close de ce « fil » philosophique dont chacun, souhaitons-le, saura faire sa pelote.