Histoire et civilisation du livre
revue internationale, no 1, 2005
ISSN 1661-4577
Abonnement (1 numéro par an) : 90 francs suisses (institution) ; 60 francs suisses (particulier)
Histoire et civilisation du livre : revue internationale est une nouvelle venue. Publiée par la librairie Droz à Genève, elle a pour rédacteur en chef Frédéric Barbier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE), le secrétariat étant assuré par Dominique Varry, professeur des universités à l’Enssib. Le comité scientifique comprend d’éminentes personnalités de l’histoire du livre et des bibliothèques (Roger Chartier, Claude Jolly, Henri-Jean Martin, Jean-Yves Mollier, Daniel Roche). Elle naît donc sous les meilleurs auspices et nous lui souhaitons longue vie.
Une « nouvelle » revue d’histoire du livre
Elle paraît fort à propos après la disparition de la Revue française d’histoire du livre, dont elle prend manifestement la suite. Fondée en 1931 par la Société des bibliophiles de Guyenne sous le titre de Bulletin de la Société des bibliophiles de Guyenne, cette publication devient Revue française d’histoire du livre en 1971. À partir de 2000, la revue est éditée et diffusée par la librairie Droz avec un comité de lecture et de rédaction dont la plupart des membres se retrouvent dans le comité scientifique ou dans le comité de rédaction de la nouvelle revue. Bien fournie (391 pages pour sa première livraison), Histoire et civilisation du livre occupera donc une place de choix dans la production éditoriale consacrée à l’histoire du livre.
Ce premier numéro comporte deux parties. La première s’intitule « Production et usages de l’écrit juridique en France du Moyen Âge à nos jours ». Elle est éditée sous la direction de Jean-Dominique Mellot avec la collaboration de Marie-Hélène Tesnière et nous pouvons d’emblée affirmer qu’elle rend indispensable l’acquisition de ce volume par toutes les bibliothèques juridiques. Ce dossier est suivi d’une rubrique « Livres, travaux et rencontres », publiée sous la direction de Claire Lesage qui se compose d’articles et comptes rendus divers. Précisons que l’ensemble est abondamment illustré, bien qu’en noir et blanc. C’est à l’histoire du livre de droit que nous consacrerons la suite de cette présentation car, à l’exception de quelques articles dans le tome 1 (A-D) du Dictionnaire encyclopédique du livre, paru au Cercle de la librairie en 2002, il n’existe rien sur le sujet. Cette série d’études vient combler avantageusement une lacune, sur laquelle plusieurs des auteurs avancent quelques explications.
L’évolution du livre juridique du XIIe siècle…
Dans son avant-propos, Jean-Dominique Mellot (conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France et chargé de conférences à l’EPHE) évoque un certain nombre de traits qui caractérisent l’histoire du livre de droit. Il rappelle notamment l’origine et le rôle de l’écrit juridique, qui est de fixer des règles et des positions au sein de la société : il a « d’abord valeur conservatoire » mais aussi « proclamatoire et solennelle », d’où son aspect austère. De plus, il doit rendre compréhensible de manière rapide et univoque ce qui est complexe. Ainsi, le rapport entre le fond et la forme, contenu et contenant, est très marqué et source d’innovation pour l’édition juridique, comme le montrent plusieurs des contributions suivantes. Ici plus qu’ailleurs peut-être, le livre et l’emploi qui en est fait – c’est-à-dire livre et lecteur – sont liés, d’où l’idée d’insérer à la fin du dossier un volet consacré aux bibliothèques, lieu par excellence de leur rencontre, afin d’étudier les pratiques de lecture du livre de droit.
Anne Lefèbvre-Teillard, professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas, retrace l’évolution du livre juridique manuscrit à partir du XIIe siècle qui voit, dans le contexte de renaissance intellectuelle de l’époque, l’étude et l’essor des droits savants (droit romain, droit canon) stimuler la vie juridique (activité normative, pratique judiciaire). Elle choisit de s’intéresser aux livres apparus dans le cadre universitaire. Elle explique comment les méthodes et les techniques d’enseignement (comme la glose) donnent naissance à des textes spécifiques. Progressivement, nous voyons apparaître les premières innovations, avec l’introduction des différentes gloses successives autour du texte et la nécessité d’en identifier leur auteur. Elle évoque aussi l’apparition de la pecia au XIIIe siècle, technique de reproduction des manuscrits qui a permis de répondre aux besoins de diffusion du livre universitaire jusqu’au développement de la dictée et, surtout, jusqu’à l’apparition de l’imprimerie. Quelques reproductions enluminées avec gloses et marques de pecia (malheureusement en noir et blanc) illustrent son propos. Souhaitons qu’elle-même, ou l’un de ses élèves, revienne un jour sur les deux autres sources principales du livre juridique médiéval, la Réforme grégorienne et le développement de la pratique judiciaire.
Avec ses 69 pages de texte et 34 d’illustrations commentées, l’article d’Yves-Bernard Brissaud, ancien maître de conférences à l’université de Poitiers, représente à lui seul la moitié du dossier. Il fait un point aussi complet que possible sur le livre juridique en France sous l’Ancien Régime et justifie à lui seul l’acquisition de ce numéro. Après une réflexion liminaire sur l’économie de l’édition juridique, il s’interroge sur les raisons du désintérêt pour l’histoire du livre de droit. Il serait vain d’énumérer les thèmes développés ensuite par l’auteur, tant l’étendue des aspects abordés est vaste. Signalons juste qu’il conclut par 17 pages consacrées à l’illustration dans le livre de droit.
… à l’ère électronique
Jean-Yves Mollier, professeur à l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, complète ce panorama par une étude sur les principaux éditeurs juridiques français depuis la fin de la période moderne jusqu’à l’apparition de l’édition électronique. Bernard Barbiche, professeur émérite à l’École nationale des chartes, referme ce dossier par une postface qui trace un parallèle entre l’histoire du livre juridique et l’histoire de la codification, chacune à sa manière aboutissant à l’unification du droit.
Le texte de Bernard Barbiche est précédé de deux communications centrées non plus sur le livre mais sur le lecteur et les bibliothèques. L’idée d’un lien, récurrent dans tout le dossier, entre le livre de droit dans son aspect matériel et l’utilisation qui en est faite, justifiait de porter un regard sur les bibliothèques juridiques. Disons-le d’emblée, par-delà les qualités – réelles – de ces contributions, le but ne semble pas atteint. Il serait intéressant de consacrer un jour un dossier spécial aux principales bibliothèques juridiques françaises, notamment aux fonds anciens souvent riches des bibliothèques municipales et universitaires en province et aux bibliothèques institutionnelles parisiennes, sans oublier la bibliothèque Cujas.
Ces réserves étant faites, Pascale -Issartel nous présente une très bonne étude de comportement des lecteurs du département Droit, économie, politique à la BnF. Pierre Casselle, dans une contribution un peu courte, rappelle l’histoire toujours passionnante de la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris qu’il dirige. Quelques reproductions témoignent de la richesse de ses collections.