La bibliothèque partenaire

Journées d’étude de l’ADBDP

Annie Le Saux

Avant que ne soit abordé le thème des journées d’étude de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt 1, qui se sont tenues à Amiens les 7, 8 et 9 novembre 2005, Didier Guilbaud, président de l’association, a dressé le bilan de l’année écoulée et rappelé les principales préoccupations de la profession : la disparition du Conseil supérieur des bibliothèques, la mise en place de la nouvelle décentralisation dans un contexte budgétaire difficile, la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information dont on parle beaucoup et la loi sur les bibliothèques dont, à l’inverse, on n’entend plus parler.

Thierry Grognet (Direction du livre et de la lecture), en parallèle à cet exposé, évoqua les principaux chantiers en cours de la DLL, dont la réforme du concours particulier départemental, qui vise à « mieux répondre aux besoins d’investissement des bibliothèques municipales et départementales de prêt confondues ». Cette réforme suscita bon nombre de questions, notamment sur les nouvelles constructions de BDP, sur le fonctionnement, sur les antennes… Thierry Grognet fit ensuite part de l’avancée de l’enquête nationale sur la fréquentation et l’usage des bibliothèques municipales, dont le prestataire, le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), vient d’achever l’analyse qualitative 2 et entame la phase quantitative.

Il fut à nouveau question de la Sofia (Christian Roblin) et du dispositif mis en place pour le recouvrement du droit de prêt : 8 000 bibliothèques environ ont été référencées 3, dont de petites bibliothèques qui n’ont pas forcément la logistique adéquate.

Partenariat, prestation, coopération ?

Le thème des journées – la bibliothèque partenaire – fut introduit par Philippe Brachet, maître de conférences en sciences politiques à l’université Paris X, sous l’angle du partenariat et des services publics. Face à un service public « qui se disloque inexorablement », confronté à « l’inflation des demandes, à la raréfaction des ressources et à l’ouverture des frontières », seul un partenariat fort, avec notamment un élément tiers entre l’État et les syndicats – des associations d’intérêt général par exemple – est susceptible d’aider à réaliser pleinement des objectifs s’adaptant aux évolutions et non pas figés dans un passé glorieux, mais révolu. Pour cela, il faudrait dépasser « la posture monarchique qui refuse le rôle des associations », dans laquelle les élus sont, selon Philippe Brachet, enfermés.

Définir le partenariat, ses objectifs, les conditions nécessaires à sa réalisation, ses spécificités par rapport à la prestation de services, à la coopération ou encore à la relation fonctionnelle ou hiérarchique n’est pas toujours facile et les intervenants, bibliothécaires, enseignants, sociologues ou élus, se sont successivement penchés sur les principes et les paradoxes de cette notion.

Les résultats de l’enquête lancée par l’ADBDP sur le partenariat ont fait émerger plusieurs catégories de partenaires que Didier Guilbaud a récapitulées et qui ont été illustrées d’exemples concrets dans quatre ateliers. Les partenaires institutionnels (les directions régionales des affaires culturelles viennent en premier, suivies des autres BDP et des bibliothèques publiques…) sont les plus cités ; les partenaires éducatifs (CDDP, inspection académique, établissements scolaires…) semblent peu présents ; les partenariats culturels et sociaux (musées, archives, prisons, hôpitaux…) s’avèrent ponctuels et peu formalisés ; parmi les partenaires associatifs et privés, les éditeurs et libraires font figure de partenaires « obligés ».

Peut-on, dans ce dernier cas, véritablement parler de partenariat ? Pour Élisabeth Vidalenc, chercheur en sociologie, et qui s’est intéressée au partenariat dans le travail social, « le partenariat n’est pas imposé : c’est une démarche volontaire ». Corinne Mérini (maître de conférences à l’Institut universitaire de formation des maîtres de Versailles), qui a étudié la nature et les limites des partenariats éducatifs, s’est appuyée sur la définition avancée par des chercheurs de l’Institut national de la recherche pédagogique : le partenariat, c’est « le minimum d’action commune négociée ». La définition qu’en donne Dominique Lahary (BDP du Val-d’Oise) est « l’association d’au moins deux organismes pour mener une ou plusieurs opération(s) commune(s) en vue d’objectifs communs ». Mais « reconnaître l’altérité » ne va pas de soi, et conflits, risques d’instrumentalisation de l’un par l’autre (« utilisation d’une entité par une autre pour un objectif qui lui est propre », Dominique Lahary), divergences de logique s’érigent souvent en obstacle et la différence, loin d’être dès lors considérée comme une richesse, devient, d’après le constat qu’en a fait Élisabeth Vidalenc, « une souffrance ».

Partenariat public et partenariat privé

Jack Maignan, directeur de la culture et des sports au conseil régional des Pays de la Loire, est parti du constat que l’argent public se fait de plus en plus rare et qu’il faut donc mutualiser ses forces et sortir du corporatisme : pour les BDP, par exemple, cette mutualisation devrait se manifester dans les dix à vingt ans qui viennent, par une fusion avec les BM (on a déjà l’exemple de la Drôme). Les bibliothèques universitaires, quant à elles, devraient s’ouvrir à l’extérieur, ne plus être « sanctuarisées ». À côté du partenariat institutionnel, il faudra, prédit Jack Maignan, compter sur le partenariat associatif, inventer un nouveau service public plus proche des citoyens, tenir compte de l’évolution des paysages (intercommunalité, région, Europe).

Témoignage d’un partenariat, axé non pas sur une logique géographique, mais sur les compétences de chaque établissement pour établir des projets et des actions en commun, la collaboration entre le département de l’Hérault et la communauté d’agglomération de Montpellier a été présentée par Jean-Michel Paris (directeur du département Culture du conseil général de l’Hérault). Ce partenariat, entériné par une convention entre les deux partenaires, s’est inscrit dès le départ dans une volonté de compenser les écarts rural/urbain et de rendre une certaine identité et une cohésion à un territoire devenu illisible.

À côté de la réalité française d’un partenariat essentiellement administratif, l’exemple de la Hollande a de quoi ouvrir des horizons. Une situation économique délicate a amené à y développer de nouveaux concepts, où le partenariat public/public s’élargit à un partenariat public/privé. Les bibliothécaires, qui ne sont pas des fonctionnaires, mais des « entrepreneurs culturels », sont, tout comme des chefs d’entreprise, comptables, auprès des municipalités avec lesquelles ils signent des contrats, de leurs deniers (salaires, entretien des bâtiments…). Pour équilibrer impérativement son budget sous peine de devoir licencier du personnel, la bibliothèque vend ses services : services informatiques, expertises, conseils… Mais surtout, depuis quelque temps, se développent de nouvelles structures que Henk Middelved, directeur d’OBD (Overijsselse Bibliotheek Dienst), et Gerard Kocx, directeur de la bibliothèque d’Enschede, ont détaillées : les Kulturhus 4. Ce concept, qui consiste à regrouper dans un même édifice toutes sortes d’établissements, publics et privés 5, afin de partager une certaine partie de leurs frais, s’est imposé après la suppression de plus en plus fréquente de nombreux services dans les petites communes rurales. L’idée de mutualiser les dépenses a ainsi permis d’éviter, entre autres, la fermeture de bibliothèques. Collaboration commerciale et collaboration culturelle s’entremêlent.

Une telle situation peut-elle s’envisager en France où contexte et mentalités diffèrent si radicalement ?

  1. (retour)↑  Les prochaines journées auront lieu du 6 au 8 novembre 2006 à Marseille.
  2. (retour)↑  Cette partie de l’enquête a été faite sur trois sites de taille différente : grande ville (Grenoble), ville moyenne (Villeparisis) et petite ville (Rosporden). Il a été regretté que soient exclues des études et statistiques toutes les petites bibliothèques rurales, ce qui fausse les résultats figurant dans les statistiques fournies par la DLL.
  3. (retour)↑  Y compris les bibliothèques pour tous et les bibliothèques associatives, qui doivent elles aussi se déclarer auprès de la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit).
  4. (retour)↑  http://www.kulturhus.nl
  5. (retour)↑  À Zwartewaterland, le Kulturhus regroupe une bibliothèque, une crèche, une station de radio, des logements pour personnes âgées et handicapées, une salle d’exposition et un café. Le bâtiment a un directeur général et chaque institution a son propre directeur.