La formation tout au long de la vie
Quels rôles pour les bibliothèques à l’heure du multimédia ?
Sylvie Chevillotte
La Bibliothèque publique d’information (Bpi) était le lieu idéal pour réfléchir à cette thématique, ancienne pour les bibliothèques publiques, mais qui prend un sens nouveau à l’heure du multimédia et de la société de l’information. La Bpi a, ainsi que l’a rappelé Martine Blanc-Montmayeur (conseiller pour le livre à la direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur), toujours été pionnière sur ce sujet. De 1977, avec la création d’un espace d’apprentissage des langues, à aujourd’hui, en passant par les années 1990, période d’intense réflexion autour de sa réouverture.
Comme Gérald Grunberg (directeur de la Bpi) l’a formulé en introduction, il faut conjuguer la tradition des bibliothèques françaises de transmission des savoirs avec une notion plus anglo-saxonne de bibliothèque-centre de ressources permettant à l’usager de développer son autonomie. Thierry Grognet (Direction du livre et de la lecture) a ensuite posé la question de l’accueil des usagers, du rôle social et de médiation que peuvent et doivent jouer les bibliothèques. Il s’est interrogé, tout comme G. Grunberg, sur la question du rôle économique des bibliothèques : doivent-elles, peuvent-elles devenir des prestataires de services en formation ? Cette question n’a pas vraiment reçu de réponse.
Les mots clés de la journée ont été ceux de médiation, espaces, accueil, autoformation, autodidaxie, réseaux, solitaire, développement personnel, autonomie, apprentissage, savoir, enseignement, français langue étrangère, bureautique, langues… Le colloque a su aborder, de manière équilibrée, différentes facettes du sujet : réflexion, présentation d’expériences, modèle étranger, enquêtes, histoires. Il a a priori permis à des auditeurs néophytes d’identifier les grands thèmes du débat, même si, parfois, ce débat n’a pu se développer autant qu’il aurait été souhaitable pour respecter des contraintes de temps.
L’autoformation, une notion plurielle
Philippe Carré, professeur à Paris X, a remarquablement synthétisé la notion d’autoformation, en la replaçant dans un schéma limpide 1. Il a tout d’abord commenté une enquête menée par la Bpi qui posait cette simple question : « Qu’est-ce pour vous que l’autoformation ? ». Il s’est fait ensuite l’écho des réponses qui regroupent différents types d’autoformation répondant à différents besoins :
- Pourquoi ? Pour se développer, évoluer.
- Quelles sont les qualités nécessaires ? Autonomie, initiative, curiosité, créativité, intelligence, intérêt.
- Autodidaxie. L’on imagine souvent l’autodidacte sans maître et solitaire. Il fuit l’école, mais s’appuie sur un ou des médiateurs, et travaille en réseau informe l2.
- Où ? L’enquête de la Bpi cite souvent les bibliothèques, mais elle était réalisée à proximité de la Bpi, ce qui peut fausser les réponses.
- Quelles ressources ? Livres, médias, Internet, didacticiels, stages… Elles sont variées et ne s’excluent pas l’une l’autre.
Pour Philippe Carré, l’autoformation est une notion encore ambiguë malgré plusieurs colloques internationaux sur ce sujet 3. Elle est cependant fédératrice et utile et amène à s’interroger sur différents types d’approches. L’approche « intégrale », ou l’autodidaxie, privilégie l’apprentissage hors des systèmes éducatifs. L’approche existentielle insiste sur la construction : apprendre à être, tandis que l’approche sociale concerne l’apprentissage dans et par le groupe. Pour l’approche éducative, l’autoformation propose un apprentissage personnalisé dans des dispositifs ouverts, de type ateliers pédagogiques personnalisés. Enfin, P. Carré conclut par la vision cognitive qui est la sienne : « Apprendre à apprendre »…
Quelle médiation pour quels publics ?
Après cet exposé, l’auditoire était appelé à un voyage dans le temps. Par Pascale Blandin, du Carrefour numérique de la Cité des sciences et de l’industrie, qui s’interrogeait sur le parcours d’un autodidacte du XVIe siècle à nos jours, à travers diverses figures.
Malgré le temps, les évolutions, une constante demeure : tous les autodidactes rencontrent une médiation. Hier le médiateur pouvait être un collègue, un mécène, un enseignant qui repérait des capacités, aujourd’hui où l’outil informatique doit être maîtrisé, il faut offrir des ateliers pour aider les usagers dans leur acquisition de l’autonomie. Pour G. Grunberg, l’intermédiation se situe plus désormais au niveau de la conception des produits que de l’orientation vers le « bon » livre pour la « bonne » personne, comme cela a longtemps été la règle.
Agnès Camus, qui présentait l’enquête menée par la Bpi sur l’espace multimédia, a insisté sur le fait que la médiation doit être un service rendu en aval, pour permettre l’accès du public : elle passe par la classification, la signalétique, l’ergonomie des catalogues et des sites web, les bureaux d’information. Et en amont, Anne Jay, en présentant le service Autoformation de la Bpi 4, a souligné le fait que l’offre éditoriale – au sens large – n’était pas adaptée aux besoins des bibliothèques.
Justement, quels sont ces besoins ? Les différentes enquêtes 5 et présentations d’expériences 6 établissent un palmarès assez concordant : le français langue étrangère arrive en tête, puis, parfois, dans des ordres différents, la bureautique, la dactylographie et des formations « pratiques » du type code de la route. Autre point, le fait que les espaces proposés peuvent induire tel ou tel type de services d’autoformation.
Quel rôle pour la bibliothèque ?
Il restait une question à aborder : celle du rôle de la bibliothèque et des bibliothécaires dans cette formation. Deux modèles différents – mais pas nécessairement antagonistes – ont été présentés. Tout d’abord, celui de la bibliothèque centre de savoir (knowledge center), un lieu d’apprentissage tout au long de la vie. C’est ainsi que Brian Gambles, son directeur, définit la bibliothèque de Birmingham. 44 % de la population a moins de 30 ans, avec un taux de chômage très élevé chez ces jeunes, et environ 20 % des adultes sont des analphabètes fonctionnels. La formation est l’activité centrale de cette bibliothèque et les bibliothécaires sont donc avant tout des formateurs.
À l’inverse, la présentation en duo de l’association entre la médiathèque de Lommes et les ateliers de pédagogie personnalisée (APP) a mis l’accent sur une autre possibilité : l’accueil par la bibliothèque d’organismes de formation extérieurs. Il y a un réel partage des compétences et des rôles. La bibliothèque de Lommes adapte ses collections aux besoins de ce public pour qui il s’agit souvent d’une première fréquentation. L’APP dispose d’un espace adapté. Les APP doivent être articulés à des réseaux de lutte contre l’illettrisme 7.
C’est bien là la limite ou les limites de l’autoformation en bibliothèque qui ont été soulevées lors des débats. À qui s’adresse-t-on ? Nécessité d’être « performant », de s’adapter sans cesse, angoisse de ne pas y parvenir : le parcours d’autoformation, aujourd’hui, loin d’être librement consenti, est souvent un passage obligé lorsque l’exclusion sociale ou intellectuelle n’empêche pas d’y accéder.
La publication des actes du colloque est prévue au printemps 2006.