Les étudiants et la documentation électronique

Marie Després-Lonnet

Jean-François Courtecuisse

Les étudiants doivent acquérir, durant de leur cursus universitaire, des compétences disciplinaires, documentaires et techniques. Illustré de nombreux exemples, de graphiques et de tableaux, cet article présente les résultats d’une étude portant sur les pratiques et les stratégies des étudiants de l’université de Lille III, essentiellement en première année, en matière de documentation électronique.

Students are required to acquire, during their university course, subject competences, information skills and techniques. This article, illustrated by numerous examples using graphics and tables, presents the results of a study based on the practices and strategies principally of first year students at the Lille III university in acquiring electronic information literacy.

Während ihres Universitätsstudiums müssen Studenten wissenschaftliche und technische Fähigkeiten erwerben, ebenso wie Kenntnisse in der Informations-beschaffung. Anhand von vielen Beispielen, grafischen Darstellungen und Tafeln berichtet dieser Artikel über eine Studie, die sich mit den Praktiken und Suchstrategien von elektronischem Informationsmaterial befasst. Studenten der Universität Lille III, hauptsächlich aus dem ersten Studienjahr, wurden befragt.

Los estudiantes deben adquirir, durante su curso universitario, competencias disciplinarias, documentales y técnicas. Ilustrado de numerosos ejemplos, de gráficos y cuadros, este artículo presenta los resultados de un estudio que trata sobre las prácticas y las estrategias de los estudiantes de la universidad de Lille III, esencialmente en primer año, en materia de documentación electrónica.

Cet article présente les résultats d’une étude portant sur les pratiques des étudiants de l’université de Lille III en matière de documentation électronique, menée dans le cadre d’un projet de recherche sur les transformations du rapport au savoir à l’ère du numérique. Notre objectif était d’analyser les différents dispositifs techniques d’information et de communication utilisés et de les mettre en regard avec les pratiques observées. Il s’agissait donc de considérer les différents outils utilisés comme autant de propositions de médiation des savoirs et de montrer de quelle manière se construit leur usage au sein de la communauté étudiante, entre les intentions des concepteurs, portées par les fonctionnalités mises à disposition, et les pratiques observées, dans un cadre culturel, institutionnel et social déterminé.

L’expression documentation électronique est entendue ici à la fois en tant qu’objet et en tant que pratique. Elle englobe donc aussi bien ce qui a été pensé, organisé et fourni comme une documentation, que ce qui est utilisé comme source d’information par les étudiants, sans que les producteurs aient revendiqué cet objectif (sites commerciaux, sites personnels, blogs, annuaires…) ; c’est-à-dire l’ensemble des ressources dont l’accès passe par une médiation technique, qu’il s’agisse de la consultation du catalogue du SCD (service commun de la documentation) ou du Sudoc (Système universitaire de documentation), de la recherche d’articles dans un bouquet de périodiques électroniques, de l’interrogation de bases de données bibliographiques, ou encore de l’utilisation de moteurs de recherche sur Internet.

Nous avons rencontré les étudiants, leurs enseignants, ainsi que différents personnels du SCD dans différentes situations : cours de méthodologie documentaire, sessions de formation aux outils de recherche, recherche autonome à la bibliothèque centrale ou dans les bibliothèques d’UFR (unités de formation et de recherche), travaux de groupes pour la réalisation de dossiers. Au cours des entretiens avec les étudiants, notre attention s’est également portée sur leurs représentations des outils, des lieux, des « bonnes pratiques », des attentes des enseignants ou de la discipline. Cette approche est liée à une réflexion méthodologique sur la manière d’aborder l’analyse des usages, que nous menons depuis plusieurs années et dont on trouvera une présentation détaillée dans l’ouvrage collectif Lire, écrire, récrire : signes, objets et pratiques des médias informatisés [15].

Notre attention s’est plus particulièrement portée sur les étudiants inscrits dans deux filières représentatives des domaines de compétences de l’université de Lille III : histoire et sciences de l’éducation, mais certaines analyses sont plus globales. De même, bien que certaines observations complémentaires aient également été faites auprès d’étudiants de master ou de doctorat, nous nous sommes prioritairement intéressés aux primo-entrants, car cette étude trouve également sa raison d’être dans un projet de constitution d’une ERTE (Équipe de recherches technologiques en éducation) intitulée « Culture informationnelle et curriculum documentaire », dont l’objectif serait de réfléchir à la rationalisation des apprentissages documentaires de l’école à l’université. Les tableaux statistiques ont été réalisés à partir de données chiffrées extraites de l’ensemble des requêtes enregistrées au cours d’une journée type en décembre 2005 et janvier 2006.

Autonomie documentaire et autonomie disciplinaire

La transition entre le lycée et l’université constitue en effet un bouleversement pour les nouveaux étudiants. Ils quittent un environnement stable et réglé pour pénétrer dans un univers qui requiert une grande autonomie, que, dans leur majorité, ils ne possèdent pas [14]. Au-delà des nombreuses difficultés d’ordre pratique et organisationnel qu’il leur faudra surmonter, c’est principalement un nouveau rapport aux savoirs que chacun devra apprendre à construire. La réussite à l’université impose la mise en œuvre de nouvelles stratégies d’apprentissage. « L’étudiant doit acquérir des démarches fondamentales et complexes lui permettant de maîtriser, dans sa discipline, l’information qu’il doit identifier, rechercher, exploiter et à son tour produire. Cette éducation s’inscrit dans un ensemble de pratiques et de savoirs tels que lecture savante, démarche documentaire élaborée, écrit universitaire, repérage et analyse des concepts d’une discipline, condensation et traitement de l’information » [8].

Marcher dans les pas de l’enseignant

Le rapport à l’enseignant et à la discipline enseignée s’en trouve sensiblement modifié. L’université engage l’étudiant à initier une démarche réflexive sur le domaine scienti-fique dans lequel il s’engage. Le véritable étudiant serait, comme le notent Régine Boyer et Charles Coridian, « celui qui montre des dispositions à une forme de conversion à l’univers du savoir savant en s’engageant dans un rapport épistémique à ce dernier » [4]. Pour progresser dans ses études, il devra en effet, non seulement acquérir de nouvelles connaissances, mais également comprendre et connaître les fondements culturels et scientifiques des savoirs qui lui sont enseignés [6].

Le principal outil pédagogique au service de cet objectif d’ouverture disciplinaire est la bibliographie. Fournie par la majorité des enseignants et présente dans tous les guides des études distribués en début d’année à Lille III, cette liste reprend, pour chaque cours, les références des textes considérés comme essentiels. Ces références sont envisagées par les enseignants comme un premier balisage du domaine, nécessaire mais certainement pas suffisant. Chaque référence est l’indicateur d’une piste que l’étudiant pourra suivre, s’il veut aller au-delà de l’information fournie pendant les cours.

Les étudiants attachent une grande importance à cette liste. C’est un objet éminemment rassurant car c’est souvent le seul écrit de synthèse structuré, fourni pendant les cours magistraux. Ils y trouvent donc à la fois un support de cours validé par l’enseignant et une injonction claire à fournir un certain type de travail, alors qu’ils ressentent l’université comme un environnement instable, régi par un ensemble de codes et des règles qu’ils ont du mal à comprendre [7].

De fait, elle prend pour eux une très forte valeur prescriptive. Les conservateurs et bibliothécaires constatent ainsi que les emprunts d’ouvrages fluctuent de manière significative au gré des demandes des professeurs. Une enquête que nous avions menée en 2003 auprès d’étudiants de première année de l’UFR MSES (mathématiques, sciences économiques et sociales) montrait même que la majorité d’entre eux n’empruntait et ne lisait aucun autre livre que ceux qui faisaient partie de la bibliographie fournie par leurs enseignants.

Cette peur de sortir du sentier balisé se ressent dans leur manière d’interroger le catalogue du SCD. Leur objectif, lorsqu’ils se rendent à la bibliothèque munis de cette liste, est de vérifier la disponibilité du livre ou de la revue prescrite. Aucun de ceux que nous avons rencontrés alors qu’ils effectuaient ce type de recherches n’envisageait de chercher les références d’un autre ouvrage du même auteur, ni l’existence d’autres ouvrages traitant du même sujet. Pourtant le logiciel d’interrogation offre de nombreuses possibilités de navigation par hyperliens : nom de l’auteur, cote, sujet. Mais, lorsque nous avons proposé à certains d’explorer avec eux les pages connexes à celles sur lesquelles ils se trouvaient, en suivant le lien, ils ont presque unanimement reconnu leur incapacité à juger de la pertinence des informations affichées.

Les autres arguments avancés étaient celui du temps et celui des complications engendrées par cette démarche exploratoire. Un étudiant auquel nous suggérions de vérifier l’intérêt d’un livre qu’il avait repéré, mais qui ne figurait pas sur sa liste, a très bien résumé les raisons majoritairement avancées : « Oui, mais après il y a le problème des droits, je ne sais pas si j’ai rendu tous mes livres et puis je sais pas si c’est vraiment ce qu’il faut, et ça va prendre du temps pour rien… » Un autre « doit retourner en cours ». Certains n’ont « déjà pas le temps de lire les livres demandés ». Tous semblent pressés et se sentent incompétents, à la fois scientifiquement et techniquement. Ils ont notamment peur de se perdre dans les méandres du logiciel. L’affichage d’une page qu’ils ne connaissent pas déclenche des réactions surprenantes : départ précipité, peur panique d’avoir « perdu » les pages précédemment affichées ou admiration pour celui qui a osé s’aventurer dans ces vastes espaces inexplorés. Loin de leur ouvrir de nouveaux horizons, cette exploration leur semble à la fois dangereuse et inutile.

Compétence technique et compétence professionnelle

Ainsi, un étudiant, qui devait réaliser un dossier portant sur la correspondance des soldats français avec leurs familles pendant la Première Guerre mondiale, choisit de débuter ses recherches par les termes « grande guerre lettres ». Parmi les onze résultats qu’il obtient, il repère un ouvrage intitulé Paroles de poilus : lettres de la grande guerre, qui lui semble intéressant. Il demande l’affichage de la notice complète (cf. ill. 1) et constate que le livre n’est pas disponible. Il retourne à la liste, mais ne trouve pas d’autres livres correspondant à son sujet et décide donc d’abandonner. Nous lui demandons alors s’il sait qu’il est possible de trouver d’autres ouvrages du même auteur ou traitant du même sujet, en utilisant les liens hypertextes. Il connaît l’existence du lien sur le nom de l’auteur, mais l’usage et la signification de la rubrique sujets lui posent problème. Pourtant, la solution à son problème est affichée en toutes lettres en bas de l’écran : « Guerre mondiale (1914-1918) – récits personnels français », mais lorsqu’il clique sur ce lien et que la liste des sujets proches alphabétiquement s’affiche (cf. ill. 2), il se déclare totalement perdu, ne comprend pas à quoi correspondent les différentes entrées, pourquoi il y a des répétitions et ce que signifient les chiffres qui leur sont associés. Il quitte donc la bibliothèque bredouille alors que plus de quarante livres susceptibles de l’intéresser s’y trouvaient.

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Illustration 1. Notice affichée en réponse à la requête « grande guerre lettres »

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Illustration 2. Extrait de la liste alphabétique des sujets

Deux types de compétences lui font défaut à cette étape de sa recherche. Tout d’abord, celles des professionnels de l’information qui reconnaissent, dans cette liste, la structure du langage Rameau : d’abord la tête de vedette qui précise l’événement historique dont il est question dans l’ouvrage, suivie d’une subdivision indiquant le point de vue adopté. Le principe même de la notice et le recours à un langage contrôlé sont des pratiques avec lesquelles l’étudiant débutant n’est pas encore familier. La notice construit une représentation formelle et abstraite du livre qui peut dérouter le néophyte.

L’étudiant ne possède pas non plus toutes les compétences techniques qui lui permettraient de comprendre ce qu’est un index et de quelle manière la liste qu’il a sous les yeux est construite. La difficulté, de ce point de vue, est que cette liste replace la vedette-matière ayant servi à indexer un document précis dans une liste alphabétique générale, dont une partie pourrait éventuellement traiter d’une thématique totalement différente. Le fait que les sujets (1 et 2) et (3 et 4) soient rigoureusement identiques ne fait rien pour ajouter à la lisibilité et à la compréhension de cette liste. C’est donc à la fois sa technicité et sa spécialisation qui font obstacle à l’interprétation de cet affichage.

Notre propos n’est pas ici de faire un énième procès du langage Rameau et de sa complexité [11]. Sacrifier l’indexation « sujet » sur l’autel de l’indexation automatique ou s’en remettre uniquement aux auteurs pour la description de leurs œuvres serait certainement une fausse bonne solution au problème plus large du repérage des ressources électroniques (problème auquel le web sémantique n’apportera sans doute pas non plus de solution universelle).

Ce qui nous a semblé plus intéressant est que les étudiants, après avoir essuyé ce type d’échec, adoptent d’autres stratégies de recherche, mais reviennent quand même vers le catalogue. Celui-ci n’est alors plus pour eux uniquement un outil de recherche mais aussi un moyen de valider les informations récoltées ailleurs. Il leur permet de rassembler les bribes trouvées çà et là pour reconstituer un corpus cohérent. La pratique des étudiants plus chevronnés est éclairante de ce point de vue : ils alternent recherches en ligne et recherches dans le catalogue, dans une démarche itérative.

Une étudiante de master arrive, munie de son « panier » de livres rempli à la « cyber-librairie » du Scérén (Services culture, éditions, ressources pour l’Éducation nationale) sur le site du CNDP (Centre national de la documentation pédagogique). Elle a fait son marché en ligne, après une première visite infructueuse à la BU. Elle revient maintenant au catalogue dans l’espoir qu’une partie des livres qu’elle a sélectionnés sera disponible. Les sites marchands, tels qu’Amazon ou la Fnac deviennent également des fournisseurs privilégiés de bibliographie. Les notes de lecture et autres avis d’internautes sont de précieux éléments pour affiner la pré-sélection. Les conseils d’achat ou la liste des autres livres achetés par les internautes constituent des pistes que les étudiants n’hésitent pas à suivre.

Les nouveaux outils d’écriture personnelle et collaborative, de type « blog » ou « wiki » sont aussi rapidement devenus des ressources de choix. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engouement, notamment la simplicité de leur structure technique (textes peu formatés, liens internes et images) qui les rend faciles à analyser et à indexer par les moteurs de recherche. Mais c’est plus probablement la grande proximité du langage utilisé par les auteurs avec celui qu’utilisent les étudiants lors de leurs recherches qui pourrait expliquer leur succès.

Un étudiant qui réalisait un travail sur la déchristianisation en France avait choisi de taper « France » et « Dieu » dans Google. Il avait alors obtenu plusieurs millions de réponses, ce qui ne l’avait pas troublé outre mesure, car sur la première page de résultats figurait en bonne place une référence à un essai intitulé Vers une France sans Dieu ?, de Sylvaine Guinle-Lorinet (cf. ill. 3). La page correspondante était une page du « blog des livres » qui proposait un bref résumé du livre (cf. ill. 4), accompagné de plusieurs commentaires d’internautes anonymes * (cf. ill. 5). Ainsi, sans qu’il ait eu besoin de faire la moindre autre démarche, cet étudiant avait très rapidement réuni un grand nombre d’informations sur cet ouvrage, pu repérer un article du Monde diplomatique traitant du sujet et obtenu des précisions terminologiques intéressantes.

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Illustration 3. Description dans Google

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Illustration 4. Extrait de la présentation d'un livre dans le blog des livres

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Illustration 5. Commentaires d'internautes

L’interrogation du catalogue du SCD avait ensuite pour but de vérifier que le livre était disponible afin de pouvoir l’emprunter. Mais malgré plusieurs recherches sur le nom de l’auteur – et alors que plusieurs de ses livres étaient disponibles et lui étaient proposés en réponse à ses questions – il considérait qu’il n’avait obtenu aucune référence satisfaisante. Il a alors adopté la même stratégie que sur Internet et tapé la requête : « France Dieu ». La liste de résultats ne comportait que 130 références (alors que Google lui en proposait 4 260 000), elle lui a pourtant semblé beaucoup trop longue. De nombreux livres lui ont paru très éloignés de son sujet de recherche et il a fini par abandonner sans avoir trouvé un seul ouvrage. Pourtant le sujet de onze ouvrages présents dans le fonds était : « Christianisme – XXe siècle » et cinq au moins, d’après leur titre, traitaient de la déchristianisation.

Alors que, dans le cas précédent, l’étudiant avait adopté une démarche exploratoire, et tenté plusieurs types d’approches (par auteur, par différents mots clés…), celui-ci n’avait pour objectif que de vérifier la présence d’un livre repéré ailleurs. Les quelques compétences qu’il possédait et la compréhension très partielle qu’il avait du fonctionnement du catalogue lui paraissaient suffisantes pour mener son projet à bien. Il savait qu’il disposait par ailleurs d’un outil plus simple pour faire ses repérages. Il ne pensait donc pas qu’il lui était utile d’acquérir une meilleure compréhension des modes d’interrogation du catalogue, ni une démarche de recherche experte. Il avait une stratégie qu’il considérait comme efficace et qui était construite dans l’interaction entre une phase exploratoire sur Internet et une phase de confirmation à la bibliothèque.

C’est une stratégie très répandue parmi la population que nous avons rencontrée. Le cheminement à la fois intellectuel et matériel jusqu’à l’information paraît effectivement beaucoup plus simple et les étudiants sont beaucoup plus à l’aise avec la recherche en ligne que face à un logiciel documentaire. L’usage des moteurs de recherche leur est familier car ils les utilisent avec succès depuis longtemps et dans de très nombreuses autres situations. S’ils se sont tous formés sur le tas, ils échangent volontiers des trucs entre eux. Il est d’ailleurs symptomatique de cette pratique d’entraide que, chaque fois que nous avons demandé à l’un d’eux si nous pouvions l’interrompre, il ait spontanément proposé de nous aider.

Recherche en ligne et bases bibliographiques

Les conseils qui nous ont été donnés à cette occasion montrent que beaucoup considèrent que le catalogue en ligne fonctionne de la même manière que les moteurs de recherche.

Leur compréhension de l’ordre dans lequel s’affichent les résultats d’une requête sur le catalogue procède d’une transposition de ce qu’ils savent des critères de « pertinence » selon lesquels sont classées les ressources proposées à la suite d’une recherche en ligne. Habitués à recevoir des milliers de réponses à toutes leurs demandes, ils considèrent que, passée la première, voire la seconde page, les résultats n’ont plus d’intérêt. Lorsque l’on sait que, dans le catalogue du SCD, cette liste est classée par dates, on comprend combien ce type d’interprétation et d’exclusion peut manquer de pertinence dans une discipline d’érudition comme l’histoire.

En ce qui concerne la formulation des requêtes, la présence à l’écran d’une zone de saisie unique les incite sans doute aussi à faire un rapprochement entre les deux modes d’interrogation et leur manière de formuler leurs requêtes confirme cette hypothèse.

La recherche sur l’ensemble des champs reste de loin le mode d’interrogation le plus utilisé. Comme le montrent les statistiques établies à partir de l’ensemble des requêtes posées au cours d’une journée (cf. tableaux 1 et 2), peu de personnes utilisent effectivement les fonctionnalités avancées du logiciel, comme la recherche à partir de la liste alphabétique des différents index (seulement 10 % des requêtes) ou la recherche croisée sur plusieurs critères (moins de 5 % des requêtes).

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Tableau 1. Types de requêtes

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Tableau 2. Synthèse des types de requêtes

L’explication peut très certainement en être trouvée dans le fait que l’interrogation « multicritères » est celle qui offre la plus grande souplesse d’utilisation et qui donne le plus de chance d’obtenir une réponse pour un utilisateur qui n’est pas certain du champ dans lequel figure l’élément qu’il recherche. Cependant, le fait que ce soit le choix qui s’affiche par défaut lors de la connexion joue probablement aussi un rôle.

L’analyse de la formulation d’une grande partie des requêtes plaide en faveur de cette analyse. L’opérateur booléen « et », les guillemets ou le signe « + », qu’il est conseillé d’utiliser pour affiner une recherche dans -Google, sont très couramment employés, mais avec nettement moins de succès, pour la recherche dans le catalogue. Les utilisateurs n’hésitent pas à saisir des phrases entières : « Les étrangers à la cour de Philippe le Bon », « L’intégration des filles à l’école », « Les fortifications au Proche-Orient », « élèves en échec scolaire », « insertion des étrangers en France »… Ce type de requête a évidemment peu de chance d’aboutir à un résultat dans le catalogue du SCD. Mais, si l’on en juge par le nombre de reformulations (jusqu’à six essais successifs pour le premier exemple donné), une bonne partie des utilisateurs attribue son échec à un problème de syntaxe. De plus, comme nous l’ont confirmé les moniteurs présents sur place, les utilisateurs ne lisent que rarement ce qui est indiqué à côté de la zone de saisie, ce qui provoque de nombreuses erreurs.

D’une manière générale, plus de la moitié des requêtes n’a donné aucun résultat ou un nombre de résultats supérieur à 100 (cf. tableau 3). Une analyse plus fine montre que, sur l’ensemble des requêtes posées sur le champ « auteur » au cours d’une journée et qui n’ont donné aucun résultat (cf. tableau 4), 46 % venaient d’erreurs de manipulation, dont plus de la moitié (43) était due à une incompatibilité entre la requête tapée et le contenu attendu.

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Tableau 3. Nombre de réponses obtenues lors des requêtes

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Tableau 4. Répartition des types d'erreurs lors de requêtes sur le champ « auteur »

Le problème majeur reste pour beaucoup la difficulté à se représenter le corpus auquel ils sont confrontés [9]. C’est un constat qui peut être fait quelle que soit la ressource interrogée. L’analyse des requêtes montre souvent une inadéquation totale entre la question posée et les documents potentiellement accessibles. Qu’espère trouver, par exemple, cette étudiante qui cherche dans Google-images des photographies de « courants terrestres » ? Ou encore celui qui interroge une base bibliographique sur le critère « auteur = Jean-Sébastien Bach » ?

Cependant, le mode d’indexation des moteurs de recherche rend ces pratiques beaucoup moins pénalisantes. Il est en effet rare qu’une requête, quelle qu’elle soit, n’aboutisse pas à un résultat, fautes d’orthographe comprises, alors qu’au cours de notre journée type, plus de 42 % des requêtes sur le catalogue ont été infructueuses.

Se documenter via Internet : entre simplicité et utopie

Les étudiants sont donc pris entre deux logiques. D’une part, celle des bases bibliographiques, ressources sélectionnées, émanant de sources validées et bénéficiant d’une description précise et normée, mais dont l’accès est conditionné par la maîtrise de plusieurs niveaux de connaissances et de compétences à la fois techniques et professionnelles. D’autre part, celle d’Internet, qui leur donne un sentiment de liberté et de facilité, mais qui fournit une information dont il n’est pas toujours facile d’évaluer la pertinence.

Si le poids symbolique de l’institution [3] et la lourdeur des procédures administratives liées à l’emprunt des livres en bibliothèque ont toujours pesé fortement et freiné l’accès pour certains publics, l’arrivée d’Internet accentue, par contraste, le poids de ces contraintes. Un étudiant qui peut, depuis chez lui et quand il le veut, faire une recherche dans le langage qui lui est le plus familier et voir s’afficher sur son écran une réponse argumentée, ainsi que d’éventuelles pistes vers d’autres ressources, ne peut que se trouver dans une situation plus exigeante lorsqu’il interroge une ressource plus structurée, surtout s’il effectue cette recherche au sein même de la bibliothèque.

Deux représentations s’affrontent aujourd’hui, celle de l’usager [1] et celle de l’internaute. D’un côté, un rapport institutionnel et hiérarchique aux autres acteurs de l’université, des droits mais aussi des devoirs, des horaires à respecter, une inscription, une identité connue, plusieurs étapes jusqu’à l’arrivée au livre et dans le livre… De l’autre, la symbolique de l’exploration (« naute »), le sentiment de l’appartenance à une communauté de pairs qui échange des « trucs et astuces » grâce aux « FAQs », l’usage du « pseudo » qui gomme les identités, la possibilité de se connecter à n’importe quel moment et des milliers de ressources immédiatement disponibles.

Pourtant, malgré la baisse constante des inscriptions, plus de 17 000 étudiants (sur un total de 23 000 environ) sont inscrits au SCD et empruntent des livres. C’est donc bien qu’ils comprennent l’importance pour eux des ressources disponibles à la bibliothèque universitaire. Les démarches de validation de l’information que nous avons observées montrent qu’ils perçoivent également que les exigences formelles qui régissent le catalogue ont quelque chose à voir avec le type d’exigence que l’université a envers eux. Si d’aucuns se demandent, par exemple, comment référencer un article de Wikipédia dans une bibliographie, c’est bien que justement l’absence de mention de responsabilité leur pose problème. Même s’ils n’ont souvent qu’une connaissance très partielle des normes bibliographiques, ils savent également qu’ils doivent (et leurs enseignants leur demanderont de le faire) citer leurs sources et que la qualité et la pertinence de leur travail seront jugées à cette aune.

La bibliothèque est donc aussi pour eux à la fois une référence méthodologique et un lieu où le savoir est, d’une certaine manière, « labellisé ». Alors qu’ils ont souvent des difficultés à juger de la pertinence des sources disponibles en ligne, ils savent qu’ils disposent au SCD de ressources sélectionnées par des spécialistes et dont la responsabilité à la fois de l’éditeur et de l’auteur est assumée par les différents acteurs de la chaîne de l’imprimé. On peut bien sûr toujours argumenter que de nombreux écrits scientifiques comportent des erreurs et des fautes parfois grossières [10], mais le débat actuel qui fait rage autour de Wikipédia montre qu’il ne sera pas possible de faire l’économie d’une instance de régulation et de validation des savoirs mis « en ligne », quels qu’en soient les contributeurs.

Conclusion

Un étudiant qui s’engage dans un cursus universitaire aujourd’hui doit acquérir une triple compétence : disciplinaire, documentaire et technique, car la capacité à se documenter de manière autonome fait partie des savoirs dont la maîtrise est primordiale dans l’enseignement supérieur, et toute recherche documentaire passe maintenant par une médiation technique. Les étudiants doivent donc apprendre à mener des recherches en ligne tout en se formant dans le même temps. La maîtrise (ou à tout le moins une bonne compréhension) du langage documentaire utilisé à la bibliothèque ou la capacité à juger de la pertinence d’une ressource en ligne sont intimement liées à la connaissance du domaine scientifique dans lequel chacun est engagé. C’est pourquoi les compétences documentaire et informatique d’un étudiant débutant ne peuvent être dissociées de la compétence disciplinaire qu’il acquiert peu à peu.

Le rôle de la bibliothèque évolue [13] et si, peut-être un jour, on n’y trouve plus que des documents numériques, elle devra rester, pour les étudiants, un lieu à partir duquel il leur sera possible d’accéder à des ressources sélectionnées, mais aussi où ils pourront acquérir ces trois types de compétences. L’évolution des méthodes d’enseignement à l’université, qui passe d’une pédagogie « frontale » à une approche par projets [2] devrait conforter les BU dans ce rôle de conseil, plus que jamais nécessaire, alors que la masse de l’information potentiellement disponible augmente de manière exponentielle, sans que les responsabilités autrefois assumées tout à la fois par le bibliothécaire, le libraire, l’éditeur et l’auteur aient encore pleinement trouvé leur équivalent en ligne. L’effacement de ces responsabilités laisse les étudiants seuls face à celle, très lourde, de devoir juger par eux-mêmes de la pertinence d’informations dont, sous couvert d’une idéologie libertaire sûrement discutable, les fournisseurs ne sont bien souvent que des pseudos.

Aujourd’hui, accéder à l’autonomie documentaire ce n’est pas savoir utiliser un moteur de recherche pour afficher une page à l’écran, mais comprendre ce qui fait la valeur d’une information, d’une parole, d’un discours et comment l’évaluer, au-delà de son éventuelle cohérence ou justesse apparente. Au-delà des discours actuels de promotion d’une « société de l’information », il est de première importance de réfléchir aux compétences particulières que demande un usage raisonné de la documentation électronique et à la manière dont les étudiants, et plus largement tout citoyen, peuvent les acquérir.

Janvier 2006