Les publics étudiants à la Bibliothèque nationale de France
Les résultats d’une enquête de public menée en avril 2005 donnent un éclairage sur la composition du public estudiantin à la Bibliothèque nationale de France. La présence des étudiants a des conséquences pour l’établissement en termes de rythme de fréquentation, d’usage des collections et de politique des publics. Plusieurs mesures ont été mises en œuvre pour favoriser la diversification du public.
The results of a user survey carried out in April 2005 gives an indication of the make up of the student public at the French National Library. The presence of students has consequences for the establishment in terms of rhythms of frequentation, of use of collections and of policies for different users. Several measures have been set in place to encourage the diversification of users.
Eine im April 2005 durchgeführte Studie untersucht den Anteil von Studenten als Benutzer der französischen Nationalbibliothek. Die Anwesenheit von Studenten hat für die Einrichtung gewisse Folgen, vor allem im Zusammenhang mit der Besucherfrequenz, Nutzung der Sammlungen und Steuerung des Zugangs. Mehrere Maßnahmen wurden getroffen um der Vielfalt der Benutzer gerecht zu werden.
Los resultados de una encuesta sobre el público llevada a cabo en abril del 2005 nos daban una luz sobre la composición del público estudiantil en la Biblioteca nacional de Francia. La presencia de los estudiantes tienen consecuencias para el establecimiento en términos de ritmo de frecuentación, de uso de las colecciones y de política de los públicos. Varias medidas han sido ejecutadas para favorecer la diversificación del público.
Cet article vise à contribuer au débat sur l’importance de la fréquentation étudiante dans les bibliothèques qui ne relèvent pas de l’Université en prenant l’exemple de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et plus particulièrement des salles de lecture de sa bibliothèque dite « d’étude », située au niveau haut-de-jardin. Dans un premier temps, un éclairage sur la composition du public étudiant à la BnF à travers les résultats de la dernière enquête de public menée en avril 2005 sera donné. Dans une deuxième partie, quelques conséquences de ce phénomène pour la BnF en termes de fréquentation, d’usages et de politique des publics seront soulignées, avant d’aborder quelques questions touchant au développement des publics à la BnF.
En préambule, il me semble utile de rappeler que la fréquentation étudiante dans les bibliothèques publiques a connu une croissance importante au cours des vingt ou trente dernières années, comme en témoignent les résultats de l’enquête nationale sur les bibliothèques municipales et leurs publics 1, qui montrent une forte progression de la part des étudiants parmi les inscrits en bibliothèque, de 2 % en 1979 à 18 % en 1997. Cette tendance, à relier à la forte augmentation du nombre d’étudiants sur cette période, constatée sur l’ensemble du territoire, se trouve amplifiée dans le contexte de l’Île-de-France qui souffre d’un déficit de places dans ses bibliothèques universitaires, tout du moins avant les futures ouvertures des bibliothèques prévues dans le cadre du plan Université du troisième millénaire (U3M).
Dans ce paysage parisien, le cas de la Bibliothèque nationale de France est certainement particulier en raison de l’histoire de l’institution, de son offre documentaire et de ses modalités d’accès. Sans pouvoir présenter ici dans le détail toutes ses particularités 2, rappelons simplement que la BnF, sur son site François-Mitterrand, se compose de deux espaces de lecture, à la fois distincts et complémentaires :
- la bibliothèque de recherche du rez-de-jardin donnant accès, sur accréditation, au fonds patrimonial des documents imprimés et à une collection de 350 000 ouvrages et 4 700 titres de périodiques en libre accès ;
- la bibliothèque d’étude du haut-de-jardin, ouverte en décembre 1996 et accessible sans accréditation à partir de 16 ans. Les étudiants bénéficient d’un tarif réduit sur la carte annuelle 3. Cet espace offre près de 1 650 places réparties en dix salles de lecture thématiques (sciences, littérature, droit, sciences humaines et sociales, presse, audiovisuel, information bibliographique…). Le haut-de-jardin compte aujourd’hui 300 000 ouvrages environ en libre accès, et près de 170 postes de consultation de ressources électroniques (bases de données, périodiques électroniques, etc.), dont 130 donnant accès à Internet.
Les deux espaces ont été conçus dans un souci de complémentarité, les fonds documentaires en libre accès, encyclopédiques et utilisant les supports imprimés, audiovisuels ou électroniques, ayant été acquis à l’origine pour satisfaire des besoins documentaires de niveau second cycle en haut-de-jardin et de niveau troisième cycle pour le rez-de-jardin. Le haut-de-jardin a aussi été décrit comme un espace d’initiation à la bibliothèque de recherche, remplissant une sorte de fonction propédeutique, notamment pour les étudiants.
Je parlerai donc ici essentiellement du haut-de-jardin qui présente les caractéristiques les plus comparables avec d’autres grands établissements documentaires accessibles sans accréditation, comme la Bibliothèque publique d’information (Bpi) ou la bibliothèque Sainte-Geneviève, et pour lequel la question des publics étudiants revêt une importance particulière.
Il s’agit en effet de comprendre dans quelle mesure la bibliothèque du haut-de-jardin, appelée aussi « bibliothèque d’étude », ce qui n’est peut-être pas sans incidence sur son image, répond au souhait exprimé par ses fondateurs d’une bibliothèque destinée à accueillir un « large public », selon l’expression habituellement employée, en jouant habilement de l’ambiguïté entre son sens quantitatif (faire venir un plus grand nombre de personnes) et qualitatif (diversifier, voire démocratiser, ce qui n’est pas la même chose, les catégories de publics). Ainsi, le lecteur curieux, quelles que soient ses origines et ses intentions, pourrait-il venir y chercher matière à sa réflexion. Ce projet très ambitieux, voire utopique diront certains, n’a été réalisé que très partiellement, comme le montrent les résultats des enquêtes sur les publics menées depuis l’ouverture du haut-de-jardin au mois de décembre 1996.
Une présence étudiante dominante
En effet, toutes les enquêtes de public 4 réalisées depuis la première année complète d’ouverture du site François-Mitterrand en 1997 ont montré la croissance de la part des étudiants parmi les lecteurs du haut-de-jardin : celle-ci est passée de 70 % en juin 1997 à environ 80 % de 1999 à 2005 (cf. graphique 1). En y ajoutant les lycéens 5, la part des publics en situation de scolarité s’élève à près de 85 % dans toutes les enquêtes menées depuis 1999. La Bibliothèque publique d’information n’est pas non plus épargnée par ce phénomène puisqu’elle compte, en période scolaire, environ 70 % d’étudiants selon une enquête menée en novembre 2003.
Parmi les étudiants du haut-de-jardin, on constate un relatif équilibre entre le premier et le second cycle universitaire, le troisième cycle étant logiquement moins représenté compte tenu de l’attraction exercée par le rez-de-jardin à ce niveau d’études (cf. graphique 2). Les autres catégories socioprofessionnelles sont beaucoup plus faiblement représentées, mais on retrouve parmi celles-ci essentiellement des professions dites « intellectuelles supérieures », selon la nomenclature de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Parmi ceux-ci, des enseignants et chercheurs qui, pour certains, sont aussi accrédités pour la bibliothèque de recherche et viennent en haut-de-jardin pour diverses raisons : compléter leur recherche (les fonds en libre accès ne se recoupent pas entre les deux niveaux), consulter les catalogues ou tout simplement bénéficier de leur droit d’accès annuel à la bibliothèque d’étude, lorsqu’ils ont épuisé les 15 entrées de leur titre d’accès à la bibliothèque de recherche, pour ceux qui n’ont pas de carte annuelle pour cette dernière.
À titre de comparaison, la répartition des catégories socioprofessionnelles au sein des lecteurs du rez-de-jardin est plus équilibrée, même si les étudiants représentent 60 % des publics selon la dernière enquête d’avril 2005. Les étudiants en thèse y sont presque aussi nombreux que les chercheurs et enseignants universitaires (respectivement 26 % et 28 % des lecteurs).
En haut-de-jardin, la moitié des lecteurs étudiants résident à Paris et un tiers dans les départements de la petite couronne, les départements et arrondissements les plus proches du site François--Mitterrand étant plus représentés que les autres (17 % pour le Val-de-Marne et 14 % pour le seul 13e arrondissement).
Près des trois quarts des étudiants qui fréquentent le haut-de-jardin sont inscrits à l’université (cf. graphique 3), mais la part des classes préparatoires et des grandes écoles est loin d’être négligeable (19 % des étudiants pour ces deux catégories). Parmi les élèves des classes préparatoires, on trouve d’abord des littéraires (40 % de ces élèves sont en khâgne ou hypokhâgne), suivis de près par les scientifiques (35 % d’inscrits en maths sup et maths spé). Les classes préparatoires aux écoles de commerce sont un peu moins présentes (25 %), mais elles obtiennent la première place parmi l’ensemble des grandes écoles pour les élèves qui y ont été admis (40 % des élèves des grandes écoles fréquentant le haut-de-jardin sont en école de commerce, contre 28 % pour les écoles d’ingénieurs et 32 % pour les autres types d’école). Les filières plus techniques comme les BTS (brevet de technicien supérieur) ou les IUT (instituts universitaires de techno-logie) sont cependant beaucoup moins représentées que leur part réelle dans la population étudiante d’Île-de-France.
Au sein des étudiants inscrits à l’université, on observe (cf. graphique 4) un certain équilibre entre les grands ensembles constitués par les sciences et la médecine (28 % en 2005), et celui, quantitativement le plus important, rassemblant les étudiants en droit, économie et administration économique et sociale (AES) qui regroupe 33 % des étudiants (dont 15 % pour le droit et 18 % pour l’économie et AES). La proximité du site Tolbiac de l’université Paris I qui accueille les premiers cycles des disciplines juridiques et économiques peut probablement expliquer ce résultat. Les étudiants en lettres, art et philosophie comptent pour 22 % des étudiants à l’université, alors que l’ensemble réunissant l’histoire et les autres sciences humaines s’est nettement érodé, en raison de la diminution des historiens, qui sont passés de 18 % en 2002 à 8 % des lecteurs étudiants inscrits à l’université en 2005.
On remarque également un autre phénomène de basculement entre 2002 et 2005 du côté des scientifiques, avec la hausse des étudiants en médecine et pharmacie et la baisse des étudiants des autres disciplines scientifiques. Ces variations sont très difficiles à interpréter, il faudrait pour cela tenir compte d’éventuelles modifications dans la répartition des effectifs de chaque discipline parmi les étudiants parisiens et franciliens, mais aussi de l’évolution de l’offre des bibliothèques universitaires qui couvrent ces disciplines.
Si l’on observe une parité globale entre les étudiants des deux sexes au sein des lecteurs du haut-de-jardin, les étudiantes sont un peu plus nombreuses parmi les inscrits à l’université (54 % contre 46 % d’hommes). La répartition des étudiants de sexe masculin et féminin selon les différentes disciplines révèle des écarts importants qui renvoient aux constats habituels sur la répartition des étudiants et des étudiantes dans les différentes filières d’études, les hommes restant plus attirés par les filières scientifiques et les femmes par les domaines plus littéraires (cf. graphique 5). On remarque cependant une exception notable du côté des étudiants en médecine et en pharmacie où les femmes sont plus nombreuses à venir à la BnF.
Le graphique 6 sur l’origine sociale des lecteurs étudiants du haut-de-jardin laisse supposer une surreprésentation des étudiants issus d’une famille où le chef de ménage exerce une fonction de cadre, ce qui est le cas de 44 % des étudiants du haut-de-jardin. Les résultats du recensement effectué par l’Insee en 1999 indiquent en effet qu’environ un tiers des ménages parisiens et 20 % de ceux sur l’ensemble de l’Île-de-France appartiennent à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures.
Une comparaison avec les étudiants de la Bpi 6 indique que ces derniers sont proportionnellement moins nombreux à être issus de cette catégorie, la part des étudiants de la Bpi dont les parents sont des « CSP+ » est d’environ dix points inférieure à celle observée en haut-de-jardin à la BnF. Cet écart peut s’expliquer par l’accès payant du haut-de-jardin et l’image plus « élitiste » généralement attribuée à la BnF par les publics interrogés à la Bpi. Mais la prudence reste de mise quant à l’interprétation de ces chiffres, en attendant une analyse plus approfondie qui inclurait une comparaison avec des données plus précises sur les origines sociales des étudiants en Île-de-France.
Les répercussions de la présence étudiante
L’ampleur de la présence étudiante en haut-de-jardin exerce ses effets dans plusieurs domaines : rythme de la fréquentation, usages des collections et attentes vis-à-vis de la BnF. Elle constitue ainsi d’une certaine manière le paramètre majeur de la vie de la bibliothèque d’étude, ce qui n’est pas, bien sûr, sans interroger la réflexion sur ses publics potentiels.
Le calendrier universitaire
La première répercussion de la présence étudiante s’observe dans le rythme global de la fréquentation des salles de lecture du haut-de-jardin qui varie très fortement au gré de la vie universitaire.
Le graphique 7, qui représente l’évolution de la moyenne des entrées par jour, met en évidence la périodicité de cette fréquentation qui connaît de fortes variations saisonnières : activité relativement forte au dernier trimestre et au premier semestre de chaque année, avec des pics correspondant aux périodes de préparation d’examens, recul rapide en juin et reprise progressive à partir du mois d’août. L’écart entre le creux du mois de juillet et le pic du mois de janvier va ainsi du simple au double, passant d’environ 1 500 à 3 000 lecteurs par jour. Les périodes de faible fréquentation, notamment en été, se situent donc en dessous de la capacité d’accueil de la bibliothèque d’étude qui est, rappelons-le, de 1 650 places, ce qui justifie aussi certains efforts pour optimiser la fréquentation tout au long de l’année.
On pourra noter également une baisse de la fréquentation en 2005 par rapport aux années précédentes. Sous réserve des statistiques du mois de décembre, le recul de la moyenne annuelle est de l’ordre de – 8 % en 2005 par rapport à 2004, la meilleure année pour le haut-de-jardin restant 1999 avec près de 2 600 lecteurs en moyenne par jour, lorsque la Bpi et le Centre Georges Pompidou étaient en cours de rénovation…
Si tous les lecteurs étudiants fréquentent au moins une autre bibliothèque que celle du haut-de-jardin de la BnF, la Bpi reste la première d’entre elles, intéressant la moitié des lecteurs de la BnF, devant l’ensemble des bibliothèques universitaires, fréquentées par un lecteur du haut-de-jardin sur trois, et la bibliothèque Sainte-Geneviève (15 %). Cette forte fréquentation parallèle entre le haut-de-jardin et la Bpi témoigne certainement de la complémentarité de leurs collections, mais aussi de la capacité, rapide, de réaction des étudiants pour passer de l’une à l’autre en fonction des jours d’ouverture (le mardi, jour de fermeture de la Bpi, est la journée de plus forte fréquentation en haut-de-jardin) ou d’événements exceptionnels (mouvements sociaux et autres). L’érosion de la fréquentation en 2005, visible en fait dès la rentrée universitaire de l’automne 2004, soulève également des interrogations quant à une éventuelle modification des pratiques de recherche documentaire de la part des étudiants qui sont, tout comme l’ensemble des Français, de plus en plus nombreux à utiliser les ressources en ligne sur la Toile, mais d’autres explications, comme l’amélioration de l’offre des bibliothèques universitaires en Île-de-France, ne doivent pas être écartées pour autant.
Lecteurs « utilisateurs » et « séjourneurs »
L’autre conséquence observée concerne les pratiques de consultation dans les salles de lecture qui font apparaître un clivage entre, d’un côté, des lecteurs que l’on pourrait appeler des « utilisateurs », qui consultent les ressources documentaires de la BnF, et ceux que nous avons appelés des « séjourneurs », qui sont avant tout à la recherche d’une place de travail sans trop s’intéresser aux collections qui les entourent.
La part respective de ces deux catégories a pu varier assez fortement dans les enquêtes menées à la BnF. Si les variations de ces dernières sont parfois imputables aux différentes périodes pendant lesquelles se sont déroulées les enquêtes (par exemple, la part plus grande de lecteurs « utilisateurs » en novembre 1997 peut être due à la rentrée universitaire et à l’importance des recherches bibliographiques à ce moment de l’année), la progression sensible de la part des lecteurs « séjourneurs » entre les enquêtes d’avril 2000 et 2002 (de 40 % à 53 % des lecteurs) a été jugée plus préoccupante du point de vue de l’utilisation des collections. Elle s’explique en grande partie par la progression des lecteurs lycéens et étudiants du premier cycle qui sont plus nombreux à développer un comportement de séjourneur. Ce type d’usage se rencontre également différemment selon les disciplines, les lecteurs inscrits dans les filières droit–économie–AES ayant tendance à utiliser davantage les collections que les autres.
En avril 2005, la part des séjourneurs se situait un peu en dessous des 40 %, soit un recul de près de 10 points par rapport à 2002. Toutefois, venir en haut-de-jardin « pour travailler au calme avec ses propres documents » reste le premier motif de fréquentation, nettement devant la consultation des documents de la BnF ou les recherches bibliographiques (cf. graphique 8). La durée du séjour à la BnF a d’ailleurs tendance à augmenter légèrement, gagnant près d’un quart d’heure entre 2002 et 2005 pour avoisiner les quatre heures en moyenne 7.
Dans cette logique, il n’est pas étonnant de constater qu’à peine un lecteur sur deux déclare avoir consulté un document imprimé en libre accès et que seulement un sur cinq a déclaré avoir fait des recherches bibliographiques (cf. graphique 9). La consultation d’Internet en salle de lecture est en revanche relativement répandue (un lecteur sur quatre), mais des études qualitatives (entretiens et observations) ont montré que celle-ci avait en général peu à voir avec de la recherche documentaire proprement dite et qu’elle relevait davantage de la consultation de petites annonces, d’échanges par messagerie ou en direct (chat) et d’une kyrielle d’autres motivations d’ordre pratique ou personnel plus ou moins avouables…
D’un autre côté, les ressources électroniques de type cédéroms, bases de données et périodiques en ligne ne sont consultées que par une minorité qui n’a guère augmenté entre 2002 et 2005. Si les étudiants parisiens, comme l’a montré l’enquête de 2003 sur les bibliothèques universitaires dans l’académie de Paris 8, sont relativement peu nombreux à surfer sur Internet dans leur BU, le haut-de-jardin semble bien constituer, pour une partie d’entre eux, un lieu privilégié pour cela. Le nombre de postes de consultation, leurs conditions d’accès relativement libres et le cadre « moderne » du haut-de-jardin expliquent certainement cet intérêt, le coût de la carte annuelle et du titre à la journée pouvant être, au final, assez vite amorti…
Des attentes liées à la position étudiante ?
Les attentes des lecteurs étudiants à l’égard du haut-de-jardin ou plus généralement de la BnF se rapportent davantage aux conditions de travail et aux services « périphériques » à -l’offre documentaire qu’à cette dernière en particulier. Bien que 95 % des étudiants se disent satisfaits de la BnF (dont 30 % « très satisfaits »), des remarques en nombre non négligeable ont été formulées lors de la dernière enquête, rejoignant très largement celles des enquêtes précédentes.
Le manque de places à certaines périodes de l’année et le rapport qualité/prix de la cafétéria, cités chacun par un lecteur sur trois, sont les points les plus critiqués. Seule une minorité semble motivée au point d’émettre des remarques touchant à la politique documentaire : 9 % ont exprimé le souhait d’avoir davantage d’ouvrages et 14 % ont fait part de suggestions relatives à la politique documentaire ou à l’organisation des collections en haut-de-jardin. Parmi celles-ci, on trouvera le désir de pouvoir se déplacer avec les documents d’une salle à l’autre, d’avoir davantage de manuels scolaires, de faciliter l’accès au rez-de-jardin, ou bien encore de pouvoir emprunter les documents…
Sans vouloir verser dans la caricature, tout se passerait donc comme si les collections constituaient, aux yeux des lecteurs et notamment des étudiants, dans le meilleur des cas, un acquis indiscutable avec lequel on s’accommode sans chercher à le remettre en question, voire, à l’autre extrémité, un simple décor propice à la révision des examens. On pourrait aller jusqu’à se demander, à la vue des résultats des enquêtes à la BnF, si le cadre architectural ne joue pas un rôle plus déterminant dans le choix de venir en haut-de-jardin que ses collections, tant la qualité des conditions de travail et du calme propice à la concentration est plébiscitée par ses lecteurs.
Dans le même ordre d’idée, il est assez fascinant d’observer avec quelle patience et avec quelle discipline les étudiants sont capables d’attendre à l’entrée de la bibliothèque et des salles de lecture les jours de forte saturation 9, certains n’hésitant pas à travailler, sur leurs documents bien entendu, en s’asseyant dans la file d’attente ou en utilisant tous les fauteuils et espaces disponibles dans les halls ou les couloirs du niveau haut-de-jardin. Comme si l’entrée même dans l’enceinte de la bibliothèque constituait déjà un cadre propice, faute de mieux, à la concentration et à la motivation qui leur sont nécessaires pour travailler.
Des enquêtes qualitatives, au moyen d’entretiens approfondis, ont néanmoins attesté de l’existence de lecteurs, que l’on pourrait qualifier d’experts de par leur utilisation savante, fréquente et approfondie des outils de recherche documentaire. Mais ceux-ci se révèlent relativement peu nombreux, la plupart des lecteurs qui consultent les collections le faisant d’une manière relativement restreinte, avec une moyenne de deux documents consultés par jour pour un lecteur « utilisateur », la moyenne globale étant de 1,2 pour l’ensemble des lecteurs du haut-de-jardin 10, et un faible recours aux catalogues (pour seulement 20 % des lecteurs comme vu précédemment) ou aux conseils des bibliothécaires (seulement 11 % des lecteurs ayant effectué une recherche le jour de l’enquête se sont adressés aux personnels présents en salle de lecture).
Quelles perspectives pour le haut-de-jardin ?
Certes, le haut-de-jardin constitue sans doute un cas particulier dans le paysage documentaire français et francilien, mais il semble exacerber, de par la très forte présence étudiante parmi les lecteurs, les phénomènes constatés ailleurs du fait de la massification de la fréquentation étudiante dans les bibliothèques. Il faut aussi le souligner avec force : il n’est pas du tout illégitime pour la BnF de compter parmi ses lecteurs une part importante de publics étudiants ou en situation scolaire et il n’est bien sûr nullement question pour la BnF de vouloir réduire ce nombre pour une quelconque raison.
Mais la situation de quasi-monopole des étudiants en haut-de-jardin n’a pas manqué d’interroger l’établissement sur sa politique des publics, au regard du modèle d’ouverture à tous les publics qui est le sien de par son statut et ses missions nationales. Les salles de lecture connaissant des périodes régulières de saturation en raison de l’importante fréquentation étudiante à certaines périodes, notamment pendant les week-ends précédant les sessions d’examen, il est également possible de s’interroger sur un effet d’éviction des autres publics en raison de la saturation et aussi de la perception « déformée » qu’ils pourraient avoir de la bibliothèque d’étude en considérant que celle-ci s’adresse en priorité à des publics jeunes et étudiants.
Des actions pour diversifier les publics
La prégnance du lectorat étudiant s’étant confirmée dès le début des années 2000, la BnF a entrepris, à partir de 2002, la mise en œuvre d’un plan d’action pour favoriser une diversification des publics de la bibliothèque d’étude, en améliorant les conditions d’accueil et la signalétique, en élargissant et en actualisant l’offre documentaire, ainsi que par des présentations de collections renouvelées régulièrement sur des thèmes d’actualité.
Parmi les mesures mises en œuvre, une des plus significatives a été celle d’offrir depuis 2003 une période de gratuité d’accès au haut-de-jardin pendant les week-ends de la mi-juin à la mi-août, à une période où la fréquentation est la plus basse. Des enquêtes sur les publics bénéficiaires de la gratuité d’accès (en moyenne un peu plus de 400 personnes par jour, soit environ 6 500 sur les huit week-ends de gratuité en 2005) ont été réalisées en 2003, 2004 et 2005 et ont montré à chaque fois l’impact positif de cette mesure pour diversifier les publics, la moitié environ des répondants étant des actifs ayant un emploi. Les intentions de retour à la BnF, déclarées dans les réponses à ces enquêtes, se sont avérées elles aussi très positives, avec 85 % des personnes interrogées en 2005 qui ont manifesté leur envie de revenir dans les salles de lecture, la gratuité n’étant d’ailleurs pas un critère déterminant pour les deux tiers d’entre eux.
Dans la même perspective de faire davantage connaître ses collections à un plus large public, la BnF participe également depuis plusieurs années aux journées du patrimoine et elle a ouvert les portes du haut-de-jardin, gratuitement, pour la première fois en nocturne, jusqu’à minuit, à l’occasion de la Nuit blanche, le samedi 1er octobre 2005. Le succès de cette première participation en a surpris plus d’un : environ 2 500 entrées ont été comptabilisées sur la soirée et les 300 questionnaires recueillis auprès des publics montrent que 62 % d’entre eux venaient pour la première fois à la BnF et que la part des publics non étudiants y était encore plus importante (73 %), avec, qui plus est, une très forte satisfaction de leur découverte de la BnF. La fidélisation de ces nouveaux publics reste bien évidemment à vérifier, notamment à travers les ventes de titres d’accès à tarif plein ou de la nouvelle carte de 15 entrées mise en service au 1er octobre 2005, justement pour répondre aux besoins plus occasionnels des publics non étudiants.
Prévenir une baisse de fréquentation
En 2005, la BnF a également intensifié son action pour diversifier ses publics grâce à la nomination d’un coordinateur de la diversification des publics au sein de la direction des collections, qui a multiplié les contacts avec le monde associatif, en particulier dans l’environnement de proximité du site François-Mitterrand. La BnF est aussi engagée dans le travail du ministère de la Culture et de la Communication en direction des personnes handicapées, des publics relevant du « champ social » (bénéficiaires des minima sociaux), des victimes de l’illettrisme, etc. L’enjeu est d’importance : outre la meilleure adéquation entre la composition de ses publics et sa vocation nationale, la BnF se doit de prévenir une éventuelle aggravation de la baisse de fréquentation des salles de lecture du haut-de-jardin si les étudiants devaient, à l’avenir, être de plus en plus attirés par les nouvelles bibliothèques universitaires prévues dans le cadre du plan U3M. Ce plan prévoit, en effet, la création de 7 000 places supplémentaires en Île-de-France, soit une augmentation du tiers de la capacité actuelle 11.
L’ouverture de nouvelles bibliothèques municipales par la ville de Paris (neuf sont prévues d’ici à 2009) pourrait également peser sur la fréquentation. Il appartient donc à la BnF de poursuivre et d’intensifier la dynamique créée en faveur de l’ouverture vers de nouveaux publics, en essayant, au mieux des moyens qui lui sont alloués, de tenir compte de leurs attentes, par exemple en termes d’horaires d’ouverture ou de services. Les cinq prochaines années seront, à n’en pas douter, décisives pour l’atteinte de cet objectif.
Les services à distance
L’autre voie pour l’élargissement des publics, qui n’est en rien contraire à la précédente, passe par les services à distance et l’offre en ligne. Nul doute que les lecteurs de cet article auront déjà pu découvrir et mettre à leur profit les ressources du site Internet de la BnF, que ce soit les catalogues, la bibliothèque numérique (Gallica) ou encore les expositions virtuelles et toutes les informations d’ordre pratique ou général qu’il recèle. Le nombre de visiteurs venus sur le site n’a en effet cessé de croître depuis sa création, pour atteindre aujourd’hui une moyenne de plus de 25 000 par jour.
Une enquête en ligne réalisée au printemps 2005 montre que seul un quart d’entre eux sont des étudiants, la première catégorie représentée étant celle des cadres A de la fonction publique (29 %), parmi lesquels on trouvera notamment les enseignants et les bibliothécaires… L’analyse des publics de Gallica montre également qu’une majorité d’entre eux sont des personnes exerçant une activité professionnelle, les enseignants et les universitaires figurant en bonne place parmi eux. Le site Internet de la BnF répond donc mieux aujourd’hui que ne le fait la bibliothèque du haut-de-jardin au désir d’ouverture de la BnF vers un plus « large public », que cette expression soit prise dans son sens quantitatif ou qualitatif.
La complémentarité entre les accès à distance et la fréquentation des salles de lecture semble d’ailleurs plutôt de mise, puisque 56 % des internautes de la BnF se rendent aussi dans ses espaces physiques, dont 23 % au moins une fois par semaine. Le renforcement de cette synergie est donc plus que jamais porteur pour l’avenir.
Décembre 2005