L'invention du roman pour la jeunesse au XIXe siècle

par Juliette Doury-Bonnet
Paris : Didier Érudition, 2002. – p. 414-535 ; 23 cm. – Numéro de : Revue de littérature comparée, ISSN 0035-1466, n° 304, 2002. Abt (4 numéros) : 59 €. (étudiants : 44 €) pour la France.

Dans l’avant-propos de ce numéro spécial de la Revue de littérature comparée, Isabelle Nières-Chevrel constate que, bien qu’apparu dès 1719 en Angleterre avec The Life and Surprizing Adventures of Robinson 1, en 1830, le roman pour la jeunesse n’existe pas en France. Il va se construire entre 1840 et 1860 autour de deux modèles littéraires, le voyage pédagogique (sur le modèle du Télémaque de Fénelon) et la robinsonnade. Le mode de narration à l’œuvre dans les livres destinés à l’enfance se transforme 2 : « L’adulte de “bon conseil” a disparu ; seule subsiste la distance ironique du narrateur moderne. » En effet, la littérature de jeunesse est « tributaire des formes qui s’inventent dans le roman pour adultes : les écrivains pour la jeunesse sont aussi des lecteurs pour leur propre compte » .

La comparaison avec la situation en Espagne et en Italie prouve l’importance sur son développement de facteurs comme la scolarisation, la place de l’édition non scolaire, l’influence de l’Église sur la vie culturelle, la tradition romanesque nationale et les caractéristiques du lectorat adulte. Dans leurs contributions, Marisa Fernández-López (« La naissance du roman hispanique à la lumière des modèles français, anglais et américain ») et Mariella Colin (« La naissance de la littérature romanesque pour la jeunesse au XIXe siècle en Italie, entre l’Europe et la nation ») mettent l’accent sur l’importance des traductions d’ouvrages étrangers, surtout français, au XIXe siècle, pour combler le vide éditorial et permettre l’émergence d’une littérature enfantine nationale.

Isabelle Nières-Chevrel remarque que la plupart des héroïnes de la littérature de jeunesse ont été imaginées par des femmes, à part le personnage d’Alice de Lewis Carroll. La distinction entre hommes et femmes écrivains « devient encore plus pertinente dans la seconde moitié du siècle quand la distribution sexuée des personnages se confond avec celle des futurs lecteurs » : l’opposition entre lectures pour garçons et lectures pour filles s’affirme. D’ailleurs, « on redoute les attraits du “romanesque” sur les filles », ce qui explique l’antériorité du roman pour garçons sur le roman pour filles. Ce dernier domaine sera influencé par les « romans domestiques » américains dont est issu Little women de Louisa May Alcott (1868) 3. Cependant, dans son article, « Hector Malot, romancier de la jeunesse active et volontaire », Yves Pincet insiste sur la « féminisation du thème de l’enfance » dans l’œuvre d’Hector Malot à partir d’En famille, paru chez Flammarion en 1893, après une publication par épisodes dans Le Petit journal .

Le développement de la presse a joué un grand rôle dans l’apparition du roman pour enfants. Francis Marcoin évoque la naissance en 1832 du premier grand périodique pour la jeunesse, le Journal des enfants, qui publie en feuilleton Les aventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers, que l’on peut considérer comme le premier roman français pour enfants. Ce récit inaugure « une littérature “facile” qui ne tardera pas à faire le bonheur de la presse pour adultes » et « prend toute sa place dans la littérature “industrielle” » .

En 1860, le roman pour la jeunesse est né. À l’aube du XXe siècle, il a déjà ses classiques.

Dans sa contribution, « Terres étrangères, figures d’étrangers dans l’œuvre de la comtesse de Ségur », Isabelle Nières-Chevrel se penche sur le paradoxe de ces romans qui « commencent quand s’arrête l’aventure ». « Loin de mener ses jeunes lecteurs […] dans les voies périlleuses du vaste monde, [la comtesse de Ségur] fait venir tous ses étrangers dans l’univers étroit qui leur est familier. »

À la suite du dossier, la Revue de littérature comparée propose une rubrique Comptes rendus (il s’agit pour cette livraison d’une critique de Du récit merveilleux ou l’ailleurs de l’enfance d’Alain Montandon), une revue des revues et des résumés en français et en anglais des articles.

  1. (retour)↑  Voir l’article de Dennis Butts, « The birth of the boys’ story and the transition from the Robinsonnades to the adventure story ».
  2. (retour)↑  Hans-Heino Ewers, « La littérature de jeunesse entre roman et art de la narration : réflexions à partir de Walter Benjamin ».
  3. (retour)↑  Anne Scott MacLeod, « Girls’ novels in America: the beginnings ».