Arts en bibliothèques
L’art ou, comme il est plus juste d’écrire, les arts entretiennent des relations multiples et variées avec les bibliothèques. Les « s » de pluriel que l’on retrouve dans le titre de l’ouvrage témoignent de ce souci d’englober dans la problématique de la publication l’ensemble des rapports mutuels entre les bibliothèques et la discipline artistique. L’ouvrage était attendu depuis plusieurs années par les professionnels. Il répond pour partie à cette attente.
Le contexte
Dans une première partie, l’ouvrage s’attache à analyser le contexte dans lequel s’est développé le réseau des bibliothèques d’art dans l’Hexagone. Sont successivement abordés la création et l’évolution de l’histoire de l’art en France, ses liens avec les bibliothécaires, la crise de l’édition d’art et enfin un panorama de la situation actuelle des bibliothèques d’art. D’André Félibien à Charles Blanc, d’Henri Focillon à André Chastel, pour n’en citer que quelques-uns, les auteurs de la première contribution relatent avec clarté et concision, la genèse puis le développement de l’histoire de l’art dans l’Hexagone à travers ses principales figures. Ils évoquent en parallèle l’évolution de cette discipline en Europe. L’article suivant brosse une comparaison rapide entre la bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques-Doucet à Paris et celle d’Aby Warburg à Londres avant d’aborder la question des implications réciproques et déterminantes entre historiens d’art et bibliothèques.
Rédigé avec un souci notable de synthèse et d’analyse dans un domaine où la bibliographie est encore assez limitée, l’état de l’édition d’art que dresse Jean-François Lasnier apparaît aussi objectif qu’alarmant : plombée par des droits de reproduction multiples, par la frilosité et le choix de rentabilité immédiate de la profession, la production de livres d’art, notamment celle d’un haut niveau scientifique, est en constante régression depuis une dizaine d’années. Au-delà de l’aspect simplement économique qu’elle représente, cette baisse est aussi le reflet d’une importante mutation culturelle menaçant l’existence même du livre d’art. Bien que l’art occupe une place importante dans notre société, il est encore très absent de l’enseignement primaire et secondaire.
Partant de ce constat, Nicole Picot, par ailleurs directrice de la publication, réaffirme le rôle prépondérant que les bibliothèques d’art sont amenées à jouer dans ce contexte paradoxal et esquisse un tableau général de la situation des bibliothèques d’art en France en ce début de XXIe siècle. Mettant en avant l’apport très significatif des nouvelles technologies, l’auteur insiste en conclusion de son article sur la nécessaire mise en place d’une politique documentaire partagée à une époque où la veille éditoriale devient de plus en plus complexe.
La première partie de l’ouvrage s’achève sur un répertoire des principales bibliothèques d’art étrangères qui, bien que fort utile, tient davantage de l’annexe que d’une contribution de corps d’ouvrage.
Des savoir-faire de base pour les professionnels
Consacrée à des questions bibliothéconomiques et à l’étude des documents spécifiques que l’on conserve fréquemment dans les bibliothèques d’art, la deuxième partie de l’ouvrage est sans aucun doute la plus convaincante car elle répond bien à l’une des vocations affichées de la collection « Bibliothèques » dans laquelle s’insère notre ouvrage, à savoir fournir des savoir-faire de base aux professionnels des bibliothèques concernés.
Fourmillant d’indications pratiques et s’appuyant sur un vaste panel de bibliothèques françaises et étrangères, spécialisées ou généralistes et sur une bonne connaissance de la classification Dewey, l’article de Catherine Granger sur l’art et les cadres de classement en est un bon exemple. En écho à ce dernier, on aurait aimé trouver une étude sur les questions soulevées par l’indexation matière des livres d’art.
Centrées sur une problématique similaire, les trois contributions suivantes s’attachent à nous présenter successivement les catalogues d’exposition, de musées et de ventes à travers quelques repères historiques, une typologie et des conseils bibliothéconomiques.
Constatant que l’image animée est encore bien peu présente dans les collections des bibliothèques d’art, l’article suivant se concentre essentiellement sur l’art vidéo et la création artistique sur Internet. Mais est-ce bien à nos institutions (hormis bien sûr aux artothèques) de collecter des œuvres d’art ? La question du film documentaire en art, simplement abordée ici, se pose bien quant à elle et aurait pu s’insérer dans une contribution plus vaste consacrée à l’image en bibliothèque d’art, article qui aurait fait une large place aux estampes, photographies et autres illustrations présentes dans nos fonds.
Nous faisant partager sa grande expérience du sujet, Élisabeth Lortic dresse ensuite un panorama de l’édition d’art pour la jeunesse sur lequel pourront s’appuyer avec profit les bibliothèques souhaitant développer un tel secteur dans leurs collections. Une rapide définition du livre d’artiste et une présentation de la prestigieuse collection de la BnF bouclent de manière intéressante cette deuxième partie.
L’art contemporain en lumière
Centrée exclusivement sur l’art contemporain d’après son intitulé, la troisième partie aurait mérité quelques mots d’introduction justifiant ce choix.
Le premier article est consacré aux dossiers d’artiste et aux dossiers d’œuvre d’une part, et aux archives privées d’autre part. Ces documents n’étant nullement propres à l’art contemporain, cette contribution aurait avantageusement trouvé sa place dans la deuxième partie consacrée aux documents spécifiques.
Très complète toutefois, elle nous renseigne sur de multiples points, comme sur le traitement catalographique de ces types de fonds et sur la question complexe de la communication des archives privées en regard de la législation afférente. Témoignant de leur importance documentaire, les derniers paragraphes s’ouvrent sur les multiples initiatives bibliothéconomiques menées à leur sujet, notamment en matière de signalement.
S’appuyant sur une présentation préalable des acteurs de la diffusion de la création récente, sur le constat que l’art contemporain commence à devenir objet d’étude, que les services documentaires se sont multipliés et ouverts sur l’extérieur, la contribution suivante se propose de nous fournir les clefs du comment documenter l’art contemporain. Malgré quelques redondances avec l’article précédent sur la question des dossiers d’artiste, les institutions soucieuses de développer un fonds documentaire en art contemporain s’y référeront avec profit. Elles se reporteront également avantageusement à la bibliographie, à la webographie et à la liste d’éditeurs et libraires spécialisés même si par nature ces informations deviennent rapidement obsolètes.
Cette troisième partie s’achève sur une brillante synthèse de Claire Tangy qui, après avoir évoqué la genèse des artothèques en France au début des années 1980, analyse la situation actuelle et expose les grands principes qui doivent dicter la constitution d’une collection.
L’apport des NTIC
La dernière partie de l’ouvrage, consacrée à l’apport des nouvelles technologies de l’information, demeure malheureusement trop généraliste pour qu’à sa lecture on saisisse réellement en quoi ces nouvelles technologies sont véritablement révolutionnaires pour la recherche artistique en bibliothèque. Même si quelques exemples sont donnés, la typologie des ressources offertes par Internet dressée dans l’article sur le web artistique s’applique à bon nombre d’autres disciplines ; a contrario, les multiples et riches sites d’artistes ne sont même pas cités.
Quant à l’article sur la numérisation de l’image fixe à la BnF, malgré son titre, il englobe l’ensemble du dossier numérique de la Bibliothèque nationale. En dépit de ses indéniables qualités de clarté, concision et complétude tout à la fois, il nous laisse sur notre faim. On aurait souhaité en savoir plus sur les nombreux projets menés parallèlement dans les bibliothèques parisiennes ou provinciales. On aurait pu également imaginer que quelques lignes soient consacrées au Catalogue des fonds culturels numérisés, projet piloté par le Comité scientifique pour la documentation informatisée et le multimédia (Conseil ministériel de la recherche) qui regroupe déjà plus de 560 fonds conservés par des bibliothèques, musées, services d’archives…
On regrettera enfin que cette dernière partie ne fasse aucune place aux cédéroms, en particulier aux cédéroms bibliographiques, qui, bien que nouvelle technologie un peu « vieillotte » et vraisemblablement remplacée dans quelques années par les bases de données sur Internet, demeure aujourd’hui une ressource indispensable pour les chercheurs en histoire de l’art.
Pour conclure, la principale qualité de ce livre réside dans les nombreux conseils pratiques fournis au lecteur. L’abondance de pistes bibliographiques données dans les contributions ou en annexe à la fin de l’ouvrage, les adresses d’institutions, éditeurs, associations,…, les URL de sites web, constituent autant d’outils précieux pour les professionnels des bibliothèques d’art.
Le pari des « s » d’arts et bibliothèques du titre de l’ouvrage n’est toutefois pas totalement tenu. L’Institut national d’histoire de l’art n’occupe finalement que deux bien petites pages. On aurait désiré en savoir plus sur les dossiers au cœur du projet : libre-accès, politique documentaire, catalogue commun, numérisation, valorisation… Paradoxalement sans doute avec la remarque précédente, on aurait souhaité qu’une place plus importante soit faite aux bibliothèques provinciales, si dynamiques pourtant.
On déplorera enfin que les documents patrimoniaux soient quasiment oubliés dans ce volume. Il aurait pourtant semblé naturel que dans un livre intitulé Arts en bibliothèques, un article soit consacré au patrimoine des bibliothèques d’art. De nombreuses institutions spécialisées possèdent en effet des collections d’estampes, manuscrits enluminés, photographies… dont le double statut, documentaire par leur contenu et leur appartenance à une bibliothèque, mais aussi objet d’art et d’exposition par leur support et leur valeur esthétique, pose d’importantes questions qui auraient mérité d’être évoquées ici.