Nouvelles technologies pour une société plus accessible

5e Colloque BrailleNet

Juliette Doury-Bonnet

Les 28 et 29 avril 2003, un séminaire européen consacré à l’accessibilité des sites web s’est déroulé à la Cité des sciences et de l’industrie. Organisé par l’association BrailleNet, l’université Paris VI et l’Inserm, dans le cadre de l’année européenne des personnes handicapées, le colloque fut ouvert par Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, qui souligna trois idées-forces : la recherche technologique sur le handicap est à l’origine d’améliorations pour tous les publics ; les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont des outils indispensables pour compenser les déficiences ; leur appropriation par les handicapés a un rôle d’exemple. La ministre a annoncé le lancement le 25 avril d’un programme d’action gouvernemental sur le thème « Recherche et diffusion des technologies au service du handicap 1 », en collaboration avec le secrétariat d’État aux Personnes handicapées, dont un des axes est au cœur de la problématique d’accessibilité puisqu’il vise à favoriser l’utilisation d’Internet par les handicapés. Elle a insisté sur la nécessité d’une transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur dans la société de l’information qui « doit avoir une exception pleine et entière pour le handicap ». L’amélioration de l’accessibilité des sites web gouvernementaux grâce à une étroite collaboration avec BrailleNet et le World Wide Web Consortium (W3C) est une priorité. Le relais doit être pris par les développeurs web, grâce au XML notamment, pour diffuser cette compétence dans les sites Internet privés. Elle a rendu hommage aux organisateurs du colloque, en particulier à BrailleNet, association issue de la « recherche académique, ouverte vers l’entreprise et le milieu associatif au bénéfice de tous ».

Accès à l’éducation

La première table ronde avait pour thème « Technologies pour une éducation à part égale » et était présidée par Amanda Watkins, de l’European Agency for Development in Special Needs Education. Neil Minkley a décrit le processus qui a permis d’améliorer l’accessibilité de l’Encyclopédie Hachette multimédia dont il est responsable. La version « pro » de cette encyclopédie en ligne, spécialement créée pour le marché de l’éducation, a été considérée comme « globalement satisfaisante » par BrailleNet, mais nécessite pour devenir complètement accessible des modifications supplémentaires qui seront prises en considération dans une nouvelle version (prévue pour septembre 2004). La méthode par essai et par erreur qui a été mise en œuvre est coûteuse : il vaut mieux prévoir l’accessibilité dès le moment de la conception.

Hugues Peeters, de l’Université catholique de Louvain, a présenté Claroline, une plate-forme web publique pour la création de cours en ligne 2, désormais traduite en 17 langues et utilisée dans 200 institutions. La « modestie technologique » assumée et l’interface essentiellement textuelle sont garantes d’une meilleure accessibilité au plus grand nombre et plus particulièrement aux déficients visuels. Dominique Burger, de l’Inserm, a présenté Vickie 3, un projet IST pour l’intégration scolaire qui devrait aboutir à la mise au point en 2005 d’un appareil format portable doté d’une capacité de stockage importante. L’objectif est de mettre en place un schéma de production, d’adaptation et de diffusion de documents accessibles à des élèves handicapés visuels. Vickie se propose de développer, d’assembler et de tester des composants logiciels constituant une chaîne continue entre les éditeurs de contenus didactiques (cours des professeurs, manuels scolaires, livres d’exercices…) et leurs utilisateurs aveugles ou malvoyants.

Accès à la culture

La deuxième table ronde fut consacrée aux « Technologies pour un accès égal à la culture », sous la présidence de Rodolfo Catani (European Blind union). Karim Taha, de l’Association pour le bien des aveugles, a présenté les services de la Bibliothèque braille romande et livre parlé (BBR) qui assure la production, la maintenance et le prêt de livres en braille et de livres parlés. Depuis trois ans est en cours un projet de numérisation des archives sonores analogiques de la BBR afin d’éviter l’obsolescence du support et d’offrir aux usagers un nouvel accès aux livres parlés grâce à Internet. Le catalogue est désormais en ligne, ainsi qu’une version de démonstration de la bibliothèque virtuelle 4. Cependant, le problème des droits d’auteur se pose pour tout téléchargement ou écoute en ligne. La BBR a testé une solution commerciale existante permettant la gestion de droits : un système de DRM (Digital Rights Management) Microsoft.

Markus Gylling, de la Swedish Library of Talking Books and Braille, a présenté le consortium Daisy 5 (Digital Accessible Information System) dont il est le coordinateur. Daisy a pour mission de mettre au point la norme internationale pour la production, l’échange et l’usage du livre sonore numérique, permettant de réduire les coûts de mise en œuvre à moyen terme en partageant les efforts. C’est dans le contexte du consortium Daisy, du projet Vickie et du serveur Hélène que Guillaume Dubourguet (BrailleNet) avait placé son intervention, « Le livre numérique accessible : réalité et perspectives ». Il a identifié trois étapes dans l’édition adaptée : obtenir des fichiers sources auprès des éditeurs sensibilisés, les préparer pour leur exploitation (pour chaque mode de diffusion, braille, gros caractères ou numérique, il y a un format spécifique), les diffuser sur un support adapté. Le livre numérique a des avantages (faible volume, navigation facile, possibilité de recherche dans le texte, choix du type de restitution, possibilité de lire sur ordinateur et assistant personnel), mais son usage n’est pas spécifique aux déficients visuels. Il faut restreindre l’accès par un système sécurisé en utilisant une DRM. Comme Bookshare.org 6 aux États-Unis, le serveur Hélène 7 est un serveur collaboratif pour l’édition adaptée. Le transfert est sécurisé et l’usage réservé aux centres de transcription. Une recherche est en cours pour la lecture en ligne. Enfin, au-delà des questions techniques et juridiques, il faut s’intéresser aux conditions de financement de l’édition adaptée française.

L’aspect juridique a été traité plus spécifiquement pour la France par Bruno Anatrella, avocat au barreau de Paris, qui a rappelé les principes du code de la propriété intellectuelle et ses exceptions (copie privée, revues de presse). « Nous sommes dans une phase de transition en attendant la transposition française de la Directive européenne sur le droit d’auteur », a-t-il conclu. À côté de l’éventualité d’une exception pédagogique, il s’est dit convaincu qu’une exception interviendrait aussi pour les handicapés. Au contraire, David Mann, président du groupe de travail sur le copyright de l’Union européenne des aveugles, a remarqué que la France « semblait opposée aux exceptions ». Dans son intervention sur « Le droit de lire : copyright et personnes handicapées visuelles », il a souligné que la plupart des États étaient en retard dans l’application de la directive qui prévoit effectivement des exceptions pour différents types de handicaps. Mais le droit d’auteur n’est pas le seul obstacle pour jouir du droit à la lecture. Des relations de confiance et de coopération entre les éditeurs et les associations sont souhaitables afin de faciliter et d’accélérer la production de titres, de développer le marché commercial, surtout sous format audio. Rodolfo Catani, dans sa synthèse, a souligné que l’Union européenne des aveugles demandait une directive générale sur le handicap qui donnerait un droit moral d’accès à la culture aux handicapés.

Accès au web

La troisième table ronde, présidée par Daniel Dardailler (W3C/ERCIM) fut consacrée à l’accès égal aux services du web. Des expériences conduites dans les pays européens furent décrites : plusieurs fondations proposent désormais des évaluations de sites web, une maintenance et des formations. Benoît Thieulin (Services d’information du gouvernement) a souligné « les effets contrastés de la volonté gouvernementale affichée » d’accessibilité du service public français en ligne – et dans le secteur privé, les conclusions ne sont pas meilleures. Les dispositifs juridiques et coercitifs ont montré leurs limites. Les cahiers des charges font bien référence aux normes, mais les web agencies prestataires n’ont pas su appliquer ces critères. Les contraintes de communication et les choix esthétiques sont très lourds et se font au détriment de l’accessibilité. Benoît Thieulin a pris l’exemple du site du Premier ministre qui, grâce à la collaboration de l’association BrailleNet et de la société Visual Friendly avec l’agence de développement, est devenu un des sites français les plus accessibles. Il a souligné les limites de cette approche a posteriori : elle est longue et coûteuse et certains choix techniques sont irréversibles. Cela empêche d’en faire un cas d’école pour le web public français. B. Thieulin a tiré des leçons de plusieurs années de tâtonnement : la question de l’accessibilité doit être traitée en amont du développement des sites, et par des spécialistes. Les critères de respect des standards devraient être précisés et se traduire par une labellisation. Tout cela nécessite des moyens financiers… Daniel Dardailler a conclu en remarquant que du point de vue des industriels qui produisent des outils, un label d’accessibilité européen unique est indispensable, « même pour les gros comme IBM ».

Pendant ces journées, le W3C/WAI (Web Accessibility Initiative) et vingt-quatre organisations européennes représentant douze pays ont signé un accord de coopération pour le lancement du projet EuroAccessibility 8. L’objectif est d’établir une méthodologie d’évaluation commune, une assistance technique et une autorité de certification européenne pour garantir une accessibilité aux sites web.

Les actes du colloque sont disponibles sur le site de BrailleNet 9.