« Une histoire de lecture publique
Les médiateurs socioculturels du livre en bibliothèque »
Juliette Doury-Bonnet
Un film documentaire de vingt-six minutes, Une histoire de lecture publique : les médiateurs socioculturels du livre en bibliothèque, a été projeté à l’occasion de la journée professionnelle du Salon du livre de Paris. Réalisé par Laurent Bouëxière et produit par Paris bibliothèques et la Maison du geste et de l’image, ce film témoigne du travail des médiateurs du livre de Paris, depuis 1999. Jean-Claude Utard 1, de la Direction des affaires culturelles de la ville de Paris, en a présenté les objectifs : faire le bilan des actions de médiation à Paris et intéresser les élus à la question de la pérennisation des postes de médiateurs nés du dispositif des emplois-jeunes. Il a souligné que, le budget étant limité, toutes les facettes du travail de médiation n’avaient pu être illustrées. Le film présente des actions « hors les murs » en direction des enfants et des personnes âgées (les « âges faciles » selon l’expression d’Anne Kupiec) et l’accueil de jeunes handicapés à la bibliothèque. La projection a été suivie des réactions de deux « grands témoins », les sociologues Anne Kupiec (IUT Métiers du livre, Paris X) et Bernadette Seibel (Enssib).
Pour Anne Kupiec, la fonction de médiation est indispensable si l’on souhaite que la bibliothèque mette en relation collections et publics. La bibliothèque doit être présente à l’extérieur pour aller vers des publics qui ne viendraient pas d’eux-mêmes, pour différentes raisons. Bernadette Seibel a opposé la dimension « tout public » de la bibliothèque à un autre modèle d’action publique plus militant vers des populations particulières. Quand on parle de « nouveau métier de la médiation », seule la notion de management de projet culturel est nouvelle, a-t-elle souligné. On entre dans une logique d’action sociale. Il y a une rationalisation des modes d’action culturelle basée sur le relationnel. L’objectif est d’atteindre l’individu et non le groupe, d’établir des relations durables. Il est nécessaire d’entrer en contact avec l’individu pour ajuster la réponse. Le médiateur est présenté dans le film comme un agent de la bibliothèque envoyé vers des publics lointains ou réfractaires, dans une logique de conviction, de démonstration, voire de « démarchage commercial ». Il met en œuvre des qualités personnelles relationnelles destinées à servir le livre et la lecture et à modifier la représentation de la bibliothèque. Le documentaire introduit l’idée que l’activation du lien social est un préalable au processus d’acculturation. Dans le commentaire en voix off des images, Bernadette Seibel a relevé quelques expressions censées caractériser les médiateurs : par exemple, « l’absence de préjugés ». Le médiateur détiendrait l’expérience de la vie.
Au-delà de ce documentaire, Anne Kupiec a vu se dessiner en filigrane une politique de la médiation et un questionnement de la mission des bibliothécaires et de leur manière de travailler. Deux types d’interrogations se font jour. L’activité de médiation est-elle une fonction ou un nouveau métier ? Si c’est une fonction devenue indispensable pour le public et pour l’équipe, qu’en est-il de son avenir et de l’avenir des médiateurs ? Qu’en est-il des publics qui risquent de ne plus bénéficier du service ? Que vont devenir les équipes de bibliothèque qui ont été amenées à réfléchir sur leur fonction ? Comme l’a noté Bernadette Seibel, le film sous-entend une rupture par rapport à la notion de carrière professionnelle. Le sens du métier de médiateur se retrouverait dans la précarité, dans la définition et l’adhésion à un projet. Mais comment peut-on développer des compétences dans un temps court ? On « invente en marchant » : on crée son poste, on définit son métier dans l’expérimentation. C’est une logique de changement, d’adaptation. De plus, le film ne dit rien du choix des livres et oppose implicitement qualités intellectuelles et qualités relationnelles. Il y a une rupture entre le métier de médiateur et la définition traditionnelle d’organisation des collections. Ce qui est présenté, c’est une certaine division du travail, une nouvelle manière de conduire le métier en déléguant certaines fonctions.
La question de la formation, soulevée lors du débat qui a suivi, est essentielle, mais loin d’être résolue. Anne Kupiec a souligné que les publics dans leur dimension plurielle étaient toujours négligés. « Les obstacles ne sont pas seulement dans les habitudes, mais aussi dans des conceptions mythiques du métier. »