Développer et exploiter un fonds spécialisé
Eh bien voilà un livre, un guide, une bible, que sais-je ? qui arrive à point nommé. Interrogés, l'an dernier, par le Conseil supérieur des bibliothèques sur la constitution des fonds des bibliothèques, leur accroissement, et sur les dérives éventuelles constatées ici ou là, les bibliothécaires se sont replongés à corps perdu dans l'encyclopédisme, ont élaboré des chartes d'acquisition, bref, se sont acharnés à discerner les fonds généraux, les fonds spécialisés, et les fonds quasi privés, organisés en kyste dans certains établissements.
Les ouvrages de Bertrand Calenge 1 ont permis de reconstituer l'essentiel des outils de réflexion généraux. Quelques articles du BBF ont, peu ou prou, éclairé certaines pratiques professionnelles – qu'on songe seulement à l'article d’André-Pierre Syren 2.
Une synthèse intelligente
Mais il nous fallait une synthèse intelligente sur l'articulation complexe entre fonds spécialisés, fonds particuliers, collections spécialisées. Comment intégrer et faire vivre un fonds spécialisé dans un fonds général encyclopédique ? Comment accroître et faire connaître un fonds aussi spécialisé que celui de l'Institut français du pétrole ? Comment valoriser – donc rechercher un public réel, potentiel ? Comment évaluer ces fonds ?
Et cette synthèse ne pouvait être faite que par celui qui a parcouru la France entière des bibliothèques de tout poil, de tous ordres, qui a interrogé, sondé et visité les catalogues les plus élaborés et les plus artisanaux, l'homme qui a impulsé – sous l'autorité des présidents et directeurs de l'Établissement public de la Bibliothèque de France, puis de la Bibliothèque nationale de France – la politique des pôles associés : Georges Perrin.
Ce n'est évidemment pas un hasard si la création de ces pôles associés, puis leur articulation avec une politique documentaire nationale, ont posé des questions théoriques et pratiques dont nous trouvons ici, de façon homothétique à l'échelle de nos bibliothèques, des traces et des pistes pour des réponses cohérentes et intelligentes.
Donc, « le présent volume a pour ambition de mettre en lumière la particularité des traitements qu'il convient d'appliquer à l'ensemble de ces collections qui ont pour seuls points communs de n'être pas a priori encyclopédiques et d'avoir pour destinations premières l'étude et la recherche ».
Acquérir, donc éliminer, accroître, signaler, évaluer, valoriser, chaque étape du traitement d'un fonds spécialisé est développé par des conservateurs aux titres identiques, mais aux fonctions extrêmement différentes. De la bibliothèque de Charleville-Mézières, qui accueille les archives de Jean-Marie Le Sidaner, André Velter, et bientôt Guy Goffette autour du fonds Rimbaud, et dont on saisit bien l'intérêt, pour les poètes, d'un lieu identifiable, vivant, proche et fraternel, au Cadist (Centre d'acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) de Physique de Grenoble, établissement reconnu par toute la communauté scientifique, tous les soucis, angoisses, affres, interrogations que se posent au quotidien les conservateurs sont, sinon résolus, calmés, pour le moins analysés.
La vie se joue sur les marges. À la lecture de ces études de cas, on comprend bien que l'originalité et l'intérêt d'un fonds spécialisé sont sa limite, qu'elle soit financière, intellectuelle ou administrative, et aussi sa place au sein d'un fonds universitaire ou son articulation avec un fonds général de nature encyclopédique.
Un ouvrage solide et charpenté
L'ensemble de l'ouvrage est solidement encadré par de sérieux articles méthodologiques de Georges Perrin.
Si le premier pose clairement les bornes, le second, en fin de volume, traite de la « maintenance » d'un fonds spécialisé et reprend les étapes incontournables de la vie d'un tel fonds quelle que soit la bibliothèque. L'ouvrage est, de plus, étoffé d’une copieuse intervention d'André-Pierre Syren, sorte d'épine dorsale centrale, qui fait un point complet sur le signalement des collections, donc sur les outils bibliographiques à notre disposition.
Une mention toute spéciale doit être accordée à Nelly Guillaume, directrice de la Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales (BIULO), pour la dose de patience, de ruse et de ténacité qu'elle nous perfuse en nous décrivant le labyrinthe des acquisitions des dons, legs en relation avec des administrations qui font – en matière de bureaucratie approximative – mieux que la nôtre. Cet article est une sorte de repos de l'âme pour tous ceux qui sont confrontés au code des marchés publics français.