Le métier d'étudiant. L'entrée dans la vie universitaire

par Martine Poulain

Alain Coulon

Paris : PUF, 1997. - 219 p. ; 21 cm. - (Politique d'aujourd'hui). 158 F

C'est un joli livre qu'a signé Alain Coulon, spécialiste bien connu de la sociologie de l'éducation et auteur notamment d'une évaluation des effets des enseignements documentaires sur les cursus des étudiants. Évaluation qui avait ravi les bibliothécaires des universités, puisqu'elle soulignait à l'évidence les effets positifs, si ce n'est décisifs, de ces enseignements sur la réussite des étudiants 1. Ce nouveau livre s'intéresse cette fois, dans une perspective qui doit beaucoup à l'ethnométhodologie qu'affectionne Alain Coulon, à l'« entrée dans la vie » d'étudiant, véritable épreuve initiatique, si l'on en croit l'auteur.

Le temps de l'étrangeté

Alain Coulon part d'un constat bien connu : 30 à 40 % des étudiants quittent l'université sans diplôme, la moitié abandonnant dès la première année. Plusieurs ministres se sont attelés, avec un succès pour l'instant limité, à cet immense échec, dont les effets sur les étudiants concernés peuvent être dramatiques. Alain Coulon situe donc son travail dans une double perspective, que l'on pourrait appeler de recherche-action. En tant que chercheur, il s'intéresse aux modes de vie des étudiants. En tant qu'enseignant, il a participé, dans son université de Paris 8, à la mise en oeuvre de certaines de ces réformes.

C'est à un difficile processus d'intégration qu'ont à se livrer les nouveaux venus, qui doivent se constituer étudiants, comprendre les arcanes et les mystères de l'université, de leur cursus, adopter de nouvelles valeurs et un nouveau style de vie.

Le monde de l'université est de multiples manières un nouveau monde pour les étudiants, plus encore pour ceux qui viennent de province ou de l'étranger, ou pour ceux qui sont salariés. L'étudiant doit opérer une rupture avec son passé immédiat. Les règles changent. Les premiers contacts avec l'université, lors de l'inscription ou au début des cours, représentent pour eux un « véritable parcours du combattant » : ces premiers contacts sont, selon leurs propos, « traumatisants, angoissants, révoltants, inquiétants ». « Entrer à l'université », souligne encore l'auteur, « c'est explorer et vouloir volontairement se plonger dans les codes qui en définissent l'organisation. Ces codes sont souvent opaques, voire illisibles ». L'incertitude est la règle : sur les programmes, sur le cursus, sur les formations choisis. Plus que les professeurs, ce sont les personnels administratifs qui vont aider les étudiants, leur fournir les modalités d'interprétation des règles. C'est s'il passe successivement ces différentes épreuves que l'étudiant pourra se sentir « affilié » à son nouvel environnement et passer du temps de l'étrangeté au temps de l'apprentissage.

Le temps de l'apprentissage

Le novice devient alors apprenti. Il doit construire des stratégies diverses, concernant par exemple son emploi du temps, la manière dont il va construire son cursus. Là encore, les difficultés rencontrées, même lorsqu'elles sont acceptées, voire intériorisées, peuvent conduire à l'abandon : « L'entrée à l'université opère, pour tous les étudiants, un éclatement du cercle des connaissances, et les sujets les moins bien préparés, ou les plus fragiles, en souffrent davantage. Il n'y a plus, pour un temps, de parole privée possible, plus de confidences dans le cercle restreint de la classe ». Le travail intellectuel demandé n'est pas toujours facile à identifier ou à organiser : « Être étudiant, c'est acquérir cette compétence qui permet de reconnaître quel type et quelle quantité de travail intellectuel il faut fournir et dans quel délai ». Alain Coulon plaide, avec raison, pour que la question de l'affiliation à la bibliothèque soit aussi étudiée en ce sens : « Il faudrait pouvoir décrire en détail cette "compétence" particulière, qui fait partie d'un ensemble plus vaste ».

Peu à peu, les étudiants s'habituent aux implicites des règles de fonctionnement de l'université, les maîtrisent ou apprennent à les contourner. Ils s'installent dans des « routines », signe qu'ils sont passés du temps de l'apprentissage à celui de l'affiliation.

Le temps de l'affiliation

L'étudiant est alors doublement affilié : institutionnellement et intellectuellement. Il sait suivre les règles en les interprétant. L'occasion pour l'ethnométhodologue qu'est Alain Coulon de souligner que « l'interprétation qui est faite des règles ne préexiste pas à leur mise en oeuvre. Elle est coproduite par les acteurs au cours de leurs interactions ». Rien n'est donc réglé d'avance, d'autant plus qu'apparaissent parfois, en cours de route, des règles clandestines Mais, affiliés, même si de manière fragile, les étudiants peuvent devenir à leur tour producteur de normes, peuvent en tout cas réfléchir à ce qui leur est proposé, l'enseignement notamment, et peuvent éventuellement se situer en position de contestation. D'individus, ils deviennent groupe. Et l'apprentissage intellectuel peut continuer. L'étudiant peut alors « lire, écrire, penser ». A propos du travail intellectuel et de l'usage des bibliothèques que celui-ci suppose, l'auteur note par exemple : « Un étudiant compétent sur le plan intellectuel sait identifier les contenus du travail intellectuel en même temps que les codes implicites qui les organisent, entend ce qui n'est pas dit, voit ce qui n'est pas désigné ».

L'auteur signe là un travail tout en finesse et en sensibilité, qui se conclut par un vibrant plaidoyer pour une formation massive à l'usage des ressources documentaires, maîtrise qui seule permet l'acquisition d'une véritable posture intellectuelle, seule apte à témoigner que le processus de conversion au métier d'étudiant est achevé… et réussi.

  1. (retour)↑  L'évaluation des enseignements de méthodologie documentaire à l'université de Paris VIII, sous la dir. de Alain Coulon, Laboratoire de recherche ethnométhodologique, Université de Paris VIII, 1995 (2e éd.).