Mémoires de l'éphémère

fêtes et spectacles dans le patrimoine écrit

Dominique Bougé-Grandon

En ce début du mois d’octobre 1997, bibliothécaires, universitaires, archivistes, journalistes, hommes de spectacle s’étaient donné rendez-vous dans l’amphithéâtre du nouvel Opéra de Lyon, pour la huitième édition des Rencontres du patrimoine écrit. Ce changement de lieu – les rencontres se tenaient à Roanne depuis leur création – inaugure une série de déplacements dans la Région Rhône-Alpes. Les organisateurs, inspirés sans doute par le thème des rencontres 1996 1, ont annoncé que Chambéry, puis Grenoble, Roanne et Annecy, succéderaient à Lyon.

Ce colloque, organisé conjointement par la Fédération française de coopération entre bibliothèques, représentée par son tout nouveau président Michel Sineux, et l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation et la bibliothèque municipale de Lyon, avait pour thème, lié à celui du Mois du patrimoine écrit : Mémoires de l’éphémère : fêtes et spectacles dans le patrimoine écrit 2

Éphémère et éternité

Le titre du colloque soulignait déjà la contradiction qui a dominé l’ensemble des interventions : comment transmettre, par-delà les siècles, les « mille et un éclats » de l’insaisissable ?

De ce point de vue, la conférence inaugurale de Daniel Bougnoux, de l’université Stendhal de Grenoble, fut un temps fort et un vrai plaisir pour l’esprit. De nombreuses phrases de son intervention ont ensuite été reprises, comme un fil rouge tout au long de ces deux journées. La fête comme le spectacle – mais plus encore que lui – est du domaine de l’instant. Difficile à analyser et à transcrire par écrit, il en est d’elle comme du plaisir esthétique ou du premier baiser. Comment pourrions-nous la fixer par l’image ou l’écrit, sans craindre de la « congeler » ? Faut-il même s’y risquer ? N’y a-t-il pas trahison, lorsque l’on passe « du geste à la page, de la création au commentaire, de l’éphémère au durable » ?

On a bien perçu, dans les interventions qui ont suivi, que l’on ne peut qu’imparfaitement saisir ce qu’ont vécu, avec intensité, les acteurs et les spectateurs des fêtes passées. Les gravures des livres étudiés par Claire Lesage, de la Bibliothèque nationale de France, ne font qu’évoquer les machineries et les costumes des fêtes de l’Italie du xviie siècle, les archives recensées par François Gasnault ne révèlent qu’un aspect des bals publics des années 1830, les affiches des corridas analysées par Jean Bescos ne disent pas tout de l’atmosphère brûlante et du sang. La fête qui court de village en village, telle que l’évoqua la romancière Florence Delay, consume elle-même une partie des traces de son passage.

Mais faut-il pour cela renoncer à en conserver quelque chose ? Et se condamner à l’oubli ? Olivier Margot, du journal L’Équipe, par un étonnant marathon qui l’a conduit d’un site olympique à l’autre à la recherche d’événements sportifs passés, et Daniel Soudan, par ses expériences archéoculinaires, ont montré qu’il n’est pas vain d’essayer, grâce aux témoignages et aux documents, de remonter le temps.

Traquer l’éphémère

La deuxième journée, en écho à la première, commença par le discours d’ouverture du metteur en scène Jacques Lassalle, travaillé par la même contradiction, pris entre la volonté de garder des traces des pièces qu’il a montées et le désir de tout détruire : « Ma mémoire récuse l’archive ». Le musicologue Davitt Moroney 3, qui travaille à la restitution d’œuvres musicales oubliées, affirma, quant à lui, que de grands moments de musique sommeillent encore dans les fonds des bibliothèques, propos illustré d’une autre manière par l’intervention de Francine Lancelot qui a rédigé un inventaire de catalogues de danses tout en expérimentant les chorégraphies qu’elle y retrouvait transcrites.

L’après-midi fut consacré au spectacle et plus particulièrement au théâtre. Sophie Lieber évoqua les traces des représentations du Cid, depuis la création de la pièce jusqu’à aujourd’hui. Quant à Odile Krakovitch, elle rappela que les archives de la répression sont une source incontournable pour tous ceux qui veulent étudier le théâtre au xixe siècle.

Les dernières interventions et la table ronde ont été l’occasion de s’arrêter plus longuement sur les fonds des établissements riches en documents ayant trait au théâtre et au spectacle en général – dont le département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France. La question posée fut celle des passerelles qui existeraient ou non entre les spectacles et les lieux de l’écrit.

Après la synthèse du colloque confiée à Dominique Arot, du Conseil supérieur des bibliothèques, Dominique Coq, au nom du Directeur du livre et de la lecture, annonça la mise en œuvre d’un projet important – sous la houlette de la Direction du livre et de la lecture et de la Direction du théâtre et des spectacles – de recensement des fonds théâtraux français. Outil de référence et de localisation, cet inventaire sera à l’image de celui des fonds musicaux en région. Voilà qui réjouira le cœur de ceux dont l’esprit chagrin – mais réaliste – s’étonne qu’on cherche parfois à promouvoir des fonds que l’on ne connaît pas encore dans leur ensemble.

  1. (retour)↑  Ce colloque a été publié sous le titre Le Patrimoine en mouvement : migration de l’écrit au fil des siècles, actes du colloque de Roanne, 1er et 2 octobre 1996, Annecy, arald ; Paris : ffcb ; Roanne : Bibliothèque municipale, 1997. Cf. le compte rendu paru dans le bbf, 1997, n° 1, p. 68-70.
  2. (retour)↑  Rappelons que la Direction du livre et de la lecture a soutenu, comme chaque année, la présentation d’expositions réalisées sur ce thème, à partir des collections de six bibliothèques municipales : Avignon, Dieppe, Niort, Roubaix, Troyes et Versailles, et ce du 20 septembre au 20 octobre 1997. Ces expositions, dont les catalogues sont publiés dans la petite collection « (Re)Découvertes », sont l’occasion de faire connaître les fonds des bibliothèques en région.
  3. (retour)↑  Davitt Moroney avait joué, le jeudi soir, au musée des Tissus de Lyon, sur un clavecin de 1716, les œuvres – datées de 1710 et 1719 – de Nicolas Siret, organiste à la cathédrale de Troyes et compositeur.