La filière culturelle territoriale : statuts et formation

Isabelle Masse

Le 20 octobre 1997, le groupe Ile-de-France (gif) de l’Association des bibliothécaires français (abf) organisait à la bibliothèque Buffon, à Paris, une demi-journée d’information sur les statuts et les formations des personnels rattachés à la fonction publique territoriale, et en particulier sur l’intégration des personnels non titulaires.

Des textes complexes

Pour Nadine Hermann, du cnfpt, les ajouts permanents faits aux textes des statuts liés à la filière culturelle rendent la lisibilité de l’ensemble très complexe. Les statistiques publiées par l’insee en 1994 donnent une image relativement objective de l’état des professions culturelles dans les collectivités locales. Les cadres A représentent 44,8 % des personnels ; les non-titulaires 51,06 %, toutes professions confondues. Dans l’enseignement artistique, on trouve une majorité de non-titulaires : 71,95 %. Dans la sous-filière patrimoine, ce sont les attachés de conservation et les bibliothécaires (ces derniers non titulaires pour 14,8 % d’entre eux) qui dominent. Ces chiffres traduisent bien un dysfonctionnement, une inadaptation globale des statuts, que la publication de textes complémentaires a tenté d’améliorer.

La loi Hœffel

La fluidité du système de recrutement des concours et l’obligation pour les collectivités de recruter quand elles s’y sont engagées d’une part, un système de formation initiale d’application moins contraignant pour les agents et les collectivités locales d’autre part, sont les deux objectifs de la loi Hœffel. Deux dispositions peuvent être distinguées :

– une formation avant titularisation (fat) mise en place dans l’année qui suit le recrutement de l’agent mis sur la liste d’aptitude, sous forme d’un dispositif léger qui doit favoriser l’intégration dans la fonction publique et dans la collectivité territoriales ;

– une formation d’adaptation à l’emploi (fae) étalée sur trois ans, nécessaire pour le changement de grade des agents et qui leur permet d’être en relation étroite avec les pratiques professionnelles et le métier.

Le cnfpt a mené une réflexion sur l’individualisation de la formation. Chacun des agents inscrits sur la liste d’aptitude évaluerait, avec son employeur, les compétences requises pour devenir rapidement opérationnel. Un système d’accompagnement pourrait être mis en place à la prise de poste de l’agent.

Dans la proposition de programme pour 1998, le schéma général met en regard les compétences nécessaires liées à l’exercice du métier et les propositions de formations. Le cnfpt a une position délicate dans l’ensemble de la filière culturelle : pivot dans toutes les filières sur la base de cotisation de 1 % de la masse salariale, sa démarche est « budgétivore » et consommatrice de moyens humains importants. Une autre difficulté est celle de la répartition du travail sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des effectifs et du bassin des personnels à former.

La gestion prévisionnelle des effectifs est une opération difficile à effectuer. Le cnfpt a tenté de projeter jusqu’en 2005 les besoins des collectivités locales afin de connaître leurs intentions d’ouverture de concours, et ceci, en particulier, sur la base des futurs départs à la retraite. L’enquête menée auprès des directions des ressources humaines n’a donné que peu d’informations en retour.

Le protocole Perben

Le protocole Perben, signé en mai 1996, et suivi de la loi du 16 décembre de la même année, a pour objectif de résorber l’emploi public précaire, de l’État et des collectivités locales, et est à l’origine des concours réservés. Le dispositif est celui d’un deuxième sas de régularisation et d’entrée dans la filière culturelle de la fonction publique territoriale. Il est fondé sur des entretiens à partir de dossiers soumis à conditions, dont la constitution nécessitera une grande vigilance, afin d’éviter tout rejet.

La journée du 7 octobre 1997, intitulée « La filière culturelle six ans après sa création » et organisée par la fncc (Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture) et La Gazette des communes, avec la participation associative des différents personnels de l’ensemble de la filière culturelle, a fait apparaître le dysfonctionnement des textes, leurs lacunes, et les conséquences sur chacune des professions. La confrontation des adjoints à la culture et des généralistes de la culture a révélé les difficultés de fonctionnement depuis l’adoption des textes statutaires des décrets de 1991. Les objectifs n’ont pas été atteints. Ont également été mis en évidence la méconnaissance des besoins des professionnels et des collectivités locales par l’administration centrale, la déconnexion entre formation professionnelle, mode de recrutement et obligation de la formation post-recrutement, ainsi que l’étalement trop grand dans le temps des formations et leur inadaptation au métier de bibliothécaire.

Les bibliothécaires en Ile-de-France

Les résultats de l’enquête Formation, fonction et identité des bibliothécaires en Ile-de-France, menée par le gif et la Bibliothèque publique d’information et avec le soutien du cnfpt 1 et qui portait sur les catégories B (assistants de conservation et assistants qualifiés de conservation), furent présentés par Anne-Marie Bertrand.

La méthodologie suivie avait adopté deux dispositifs sous la forme, d’une part, de questionnaires envoyés aux bibliothèques municipales de l’automne 1995 au printemps 1996 ; au total, 1 356 agents ont été contactés. 333 questionnaires ont été considérés comme exploitables, taux suffisant pour être représentatif. D’autre part, vingt et un entretiens qualitatifs ont été menés, de mars à octobre 1996, auprès de personnes ayant rempli le questionnaire.

Trajectoire professionnelle

Quelques idées reçues ont été mises à mal. Par exemple, celle de l’existence d’une vocation de bibliothécaire : en effet, 49 % de l’échantillon ont exercé une profession avant de travailler en bibliothèque, dont 30 % pendant plus de trois ans. Ou bien l’idée selon laquelle les personnes reconverties viennent en majorité de l’enseignement – en fait, sur 49 %, seuls 10,5 % avaient une activité dans ce secteur. Les métiers les plus représentés sont en fait les métiers administratifs.

Le choix du métier de bibliothécaire, qui n’a pas une visibilité sociale très importante, se fait en général parce qu’on connaît un bibliothécaire dans son entourage, parce qu’il entre dans le cadre d’un service public, au sein du secteur culturel, et qu’il est possible de travailler avec les enfants.

La précarité des emplois est visible : 56 % ont commencé sur un emploi non permanent (bénévole, vacataire, contractuel), 36 % ont commencé comme employé de bibliothèque, 45 % sans diplôme professionnel. Mais il y a peu de mobilité entre les établissements : plus de 70 % travaillent dans leur bibliothèque depuis plus de trois ans.

En ce qui concerne l’avancement, c’est principalement le concours de bibliothécaire qui permet de passer en catégorie A. En cas de réussite, la nouvelle formation est souvent ressentie comme une absurdité, et considérée comme du temps perdu.

Formation, activités effectuées

L’état des lieux permet de constater que le niveau universitaire des personnes est très largement supérieur à celui exigé par les statuts (plus de 50 % de l’échantillon ont bac + 2, voire plus), et confirme que les filières littéraires et de sciences humaines sont hégémoniques. 76,8 % des personnes ont un ou plusieurs cafb, d’autres ont acquis des diplômes professionnels après leur entrée dans les bibliothèques.

En ce qui concerne l’expérience professionnelle, les personnes interrogées pensent être assez bien formées pour la fonction qu’elles assurent. Un quart d’entre elles a reçu une formation pour une fonction nouvelle. La quasi-totalité (93,5 %) dit avoir été formée « sur le tas », les apports de l’expérience permettent de mieux répondre aux diverses situations, et d’acquérir assurance et aisance.

La connaissance d’un autre environnement et d’autres méthodes de travail, les acquis préalables – 50 % ont une expérience préprofessionnelle antérieure à l’entrée dans les bibliothèques (Association de soutien scolaire, Orchestre baroque, travail en librairie, animation de centre aéré…) – sont donc utiles dans le nouveau métier.

A partir d’une petite liste d’activités représentatives de la diversité des tâches effectuées et significatives des responsabilités et des exigences du travail quotidien, huit activités ont été citées par plus des trois quarts des bibliothécaires : en ordre décroissant, accueil, indexation, prêt, rangement, notices bibliographiques, suggestions d’acquisitions, décision, suivi de commande. Le cœur du métier est donc constitué par le service public et le circuit du livre.

Interrogations

Les interrogations entraînées par les résultats du questionnaire ont porté sur le recrutement, la formation, la distinction entre assistant et assistant qualifié de conservation, et l’avenir du métier.

Un regret marqué est celui que le diplôme universitaire ait pris le pas sur les autres caractéristiques des candidats (expériences professionnelles, acquis culturels…). Un point qui revient souvent est la dénonciation de l’injustice subie par les personnes tributaires du calendrier de la réforme, de leur âge, de l’arbitraire des examinateurs, de la taille de la ville dans laquelle ils exercent.

Le dispositif actuel de la formation a provoqué de nombreuses critiques. En ce qui concerne la formation continue, plus de 50 % ont suivi des stages au cours des trois dernières années. Trois points critiques principaux peuvent être relevés : le monopole du cnfpt comme organisme formateur, les villes qui privilégient les stages techniques par rapport aux stages documentaires, disciplinaires ou de contenu, l’inadaptation de l’offre à la demande.

La distinction entre les profils particuliers d’assistant de conservation et d’assistant qualifié de conservation paraît introuvable, cependant les responsabilités confiées aux uns et aux autres ne sont pas tout à fait comparables. Les responsabilités fonctionnelles ou techniques sont différentes pour les uns et les autres (fonctionnelles pour 54 % des assistants qualifiés et pour 38 % des assistants ; techniques pour 44 % des assistants qualifiés et pour 33 % des assistants).

Dernier point, l’avenir du métier, qui provoque bien des inquiétudes. Il est considéré comme attachant, mais la lassitude provoquée par les questions statutaires est parfois très grande. Sont lourdement ressentis le poids croissant du public scolaire, la multiplicité et la dispersion des activités exercées ; le poids des élus dont le rôle dans le fonctionnement et le développement des bibliothèques est bien perçu. Mais ceux-ci ne reconnaissent pas la qualification des personnels, n’ont pas toujours de politique de lecture, et leurs priorités sont différentes de celles des bibliothécaires.

D’une manière générale, l’attachement au métier est évident, ainsi que le souci de la qualité du service rendu. Les bibliothécaires ont exprimé des craintes, évoqué des problèmes dont ils se demandent s’ils sont conjoncturels ou appelés à perdurer. D’une manière plus large, c’est la question du maintien de l’existence du métier qui est posée.

  1. (retour)↑  Les résultats de cette enquête ont été publiés à la fin de l’année 1997 par le gif, la bpi et le cnfpt sous le titre Formation, fonction et identité des bibliothécaires en Ile-de-France.