L'aDBU au Mans
un congrès riche de débats et de propositions
Jérôme Kalfon
Le 27e congrès de l’Association des directeurs de bibliothèques universitaires (adbu), qui s’est déroulé au Mans du 18 au 20 septembre 1997, s’est ouvert sur la question de ses missions.
Répondre aux questions : que sommes-nous ? Que voulons-nous ? n’est pas, aux yeux de son président, Bruno Van Dooren, le résultat d’une crise identitaire, mais au contraire un signe de vitalité. D’aucuns diront que les constats restent souvent les mêmes, au point de lasser, que les nouvelles questions ne sont que des variations sur les mêmes sujets. Mais l’originalité de ce congrès a résidé dans la dynamique qui a semblé s’en dégager ; la rencontre avec les utilisateurs et les décideurs laisse apparaître une réelle prise de conscience des enjeux de la question documentaire dans l’Université française. Face à ces enjeux, l’adbu a répondu par la volonté d’apporter des réponses.
Apporter des réponses
On demande aux bibliothèques d’ouvrir davantage, d’acheter mieux et plus, mais cela ne suffit pas à définir une politique documentaire et, en la matière, force est de constater que les objectifs ne sont pas définis par les universités, ou rarement. Mais alors comment construit-on une politique documentaire ? Entre bibliothécaires ? Avec les présidents ? En conseil de documentation ?
Les nouveaux liens entre bibliothèques et bibliothécaires, la communauté universitaire, l’administration, la Conférence des présidents d’université (cpu) sont ténus. Renforcer ces liens, tel est le rôle que veut se donner l’adbu, qui peut être une instance de proposition au niveau national pour la mise en place d’une véritable politique documentaire, qui peut exercer une influence auprès de ses partenaires et convaincre de la justesse de ses points de vue cpu et instances ministérielles.
Pour son président, l’adbu est, forme, veut constituer encore plus une collégialité professionnelle, aider les responsables à prendre des décisions, être un lieu de convivialité et d’échange. Propos repris par Gilles Cottereau, président de l’université du Maine, pour qui la force de proposition de l’Association en fait une sorte de laboratoire de la décision, loin du corporatisme. L’adbu associe directeurs, adjoints, et chefs de sections, ensemble qui totalise 350 membres dont près de 200 adhérents pour 800 conservateurs présents dans l’enseignement supérieur, en un lieu de dépassement des règles hiérarchiques qui peut, par porosité, se transmettre dans les établissements.
Au-delà de simples propositions, l’adbu se veut un lieu de prises de positions, que ce soit sur les choix économiques, sur les projets de contrats tels que ceux proposés par le Centre français du droit de copie (cfc) et à propos duquel un document a été diffusé, sur le projet de loi sur les bibliothèques ou encore sur les emplois jeunes. Elle se propose aussi de réaliser des journées d’étude plus fréquentes.
Se donner les moyens de ses ambitions
Mais aujourd’hui, l’adbu ne dispose pas des moyens de répondre aux missions qu’elle s’est fixées. Il en ressort la nécessité de revoir son organisation administrative. Or actuellement, elle manque d’un lieu géographique identifiable et si possible symbolique, ne dispose pas de l’infrastructure indispensable, ni même d’un bureau, et se trouve éloignée des sources d’information des établissements de l’enseignement supérieur. C’est dans ce contexte qu’une réflexion sur ses statuts a été menée au cours de la première journée du congrès, également consacrée à l’assemblée générale de l’Association. Un groupe de travail a été constitué.
La question des changements de statuts se pose dans un cadre qui évolue pour les bibliothèques universitaires. Dans le contexte de la déconcentration, le lien entre ces dernières et l’administration centrale a tendance à se distendre, celle-ci se cantonnant à dessiner de grands objectifs est moins présente, alors que, sur le terrain, l’autonomie des universités se trouve accrue.
Les interventions de la deuxième journée, centrée sur l’étudiant et la bibliothèque, ont montré à quel point il peut y avoir convergence de vues entre les diverses composantes de la communauté universitaire.
Jean-Pierre Finance, vice-président de la cpu, a souligné l’importance des enjeux, le caractère indispensable d’une formation méthodologique et de l’apprentissage de la recherche documentaire. Les représentants des syndicats étudiants, invités à participer à cette journée d’étude, en ont également souligné l’importance ainsi que la nécessité de l’introduire très tôt dans le cursus. Le président de l’université de Metz, Gérard Nauroy, a insisté sur la maîtrise des techniques documentaires comme moyen de réussite dans les études et le rôle central de la bibliothèque dans la démarche pédagogique, ouvrant la voie à une autonomie intellectuelle. L’extrême diversité des situations a encore une fois été soulignée, que ce soit entre composantes, entre disciplines ou entre régions, mais aussi en ce qui concerne l’origine socioprofessionnelle des étudiants.
Insularités
Le mot insularité est revenu régulièrement dans la bouche des intervenants, qui regrettaient que l’action documentaire (pour ne pas parler de « politique ») soit menée sans rapports avec les objectifs de la pédagogie et de la recherche, récrimination en miroir face aux regrets des bibliothécaires de voir des politiques pédagogiques ou de recherche souvent menées sans leur indispensable volet documentaire. Responsabilité partagée donc, et convergence de vues.
Au-delà des incantations d’usage, une réelle volonté d’intégration de la politique documentaire de la part de l’ensemble des partenaires était sensible. Mais, du point de vue de certains, l’intégration des bibliothèques universitaires dans l’université n’existera pas s’il n’y a pas « défléchage » des moyens, soulignant le caractère aberrant de prise de décision sur les moyens documentaires par les instances éloignées par nature du terrain. Cette affirmation a été suivie, comme l’on pouvait s’y attendre, des réactions hostiles qui accompagnent la levée des tabous.
Certes, le « fléchage » des moyens est un élément de confort, un garde-fou face au risque de diminution des moyens en l’absence d’une réelle vision de la question documentaire. Le mirage de la « bibliothèque sans lieu », grâce aux magies du virtuel, ou sa fusion dans un restaurant universitaire prônée il y a peu par de hauts responsables, sont encore présents dans certains esprits. Il a été souligné que les universités disposent d’une autonomie suffisante pour accorder au « fléchage » un caractère plus ou moins indicatif, et que la voie moyenne consistant à en maintenir ce caractère peut être considérée comme une phase transitoire sans qu’il soit besoin d’introduire de modifications de fond dans le fonctionnement actuel. Il a par ailleurs été dit que les moyens qui doivent être fédérés ne sont pas forcément ceux en provenance de l’administration centrale. Tout le monde s’accorde, en revanche, sur le constat d’insuffisance des moyens en personnel, en locaux, en documents et en horaires d’ouverture.
Les étudiants ont souligné le rôle social des bibliothèques, car si leur présence et leur efficacité sont un facteur de réussite, leur absence ou insuffisance deviennent un facteur de sélection. Lieu de socialisation également, espace de solidarité entre les étudiants, de transmission du savoir renforcée par la mise en place du tutorat. A propos de ce dernier, l’intérêt d’intégrer pédagogie et documentation dans les actions de tutorat et d’améliorer la formation des tuteurs a été souligné.
Paradoxalement, les constats d’insuffisance contrastent avec les résultats des enquêtes qui laissent apparaître 85 % d’utilisateurs satisfaits des bibliothèques universitaires. A mettre en parallèle avec un autre constat dont a fait part Jean-Claude Groshens, président du Conseil supérieur des bibliothèques (csb), selon lequel l’usager ignore les services qui peuvent lui être rendus.
Un programme pour les cinq ans à venir
Les débats ont débouché sur l’approbation du programme de l’adbu pour cinq ans : trois priorités, dix-sept actions à conduire, précisées dans un document qui a vocation à être largement diffusé auprès des partenaires et de la presse. Les trois priorités ainsi définies sont : développer l’accès aux nouvelles technologies de l’information dans les bibliothèques universitaires, améliorer les conditions d’études en bibliothèque, intégrer la documentation à la pédagogie et à la recherche et favoriser l’autonomie des étudiants. Les dix-sept actions à conduire proposent la mise en place d’actions concrètes en liaison avec ces trois priorités.
Enfin, une résolution concernant la relation entre l’adbu et le cori 1, dont le but est de favoriser l’engagement des bibliothécaires français dans le cadre de l’ifla, a été votée suite aux difficultés de l’adbu à faire valoir ses candidatures, et dans le contexte de la création du Comité français ifla (cfi).
Comme il est de tradition, la journée de clôture accueillait les représentants de l’administration. Ce fut l’occasion pour Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques, d’annoncer de bonnes nouvelles qui permettront peut-être que certains objectifs ne demeurent pas de simples propos incantatoires et qui laissent augurer d’un bon budget et d’une excellente année en termes de création d’emplois. Un budget qui crée des obligations, car il doit s’accompagner de résultats visibles en termes de qualité de services et ne pas être considéré comme du rattrapage.
Ce fut aussi l’occasion de présenter une refonte des critères de répartition budgétaire aux établissements, établie en concertation avec l’adbu et la cpu. Selon les simulations, et compte tenu des caractéristiques du budget 1998, ils garantissent le maintien de la masse globale (en effectifs constants), l’une de ses caractéristiques est d’abandonner la notion d’unités fonctionnelles, particulièrement inadaptée compte tenu de la diversité des situations. Ses axes prioritaires sont l’extension des horaires d’ouverture, la progression de l’intégration des bibliothèques associées, la restructuration en vue du libre accès grâce à de petits ou moyens travaux, l’informatisation et la formation des usagers. Un vaste programme d’extension des surfaces est également prévu. Ces priorités vont dans le sens du programme de l’adbu.
La réunion du Mans a aussi été l’occasion de réunir les membres des trois réseaux nationaux, auroc, sibil, BnF, dans le cadre d’un précongrès, ainsi que d’une présentation par l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (abes) de l’état d’avancement du projet de système universitaire de documentation 2. Il a également été souligné que l’année 1998 est l’année de préparation du 12e Plan et que les questions immobilières vont se trouver sur le devant de la scène.
L’image des bibliothèques doit beaucoup évoluer pour correspondre à ce que l’on souhaite qu’elle soit, a-t-on entendu au cours de ce congrès. La densité des débats et les projets à venir contribueront-ils à rapprocher les objectifs et la réalité ?