La gestion de la qualité en Espagne
Situation actuelle
Elisa García-Morales
En Espagne, depuis 1992, les bibliothèques et les centres de documentation, avec l'assistance de leurs associations professionnelles, prennent en compte les méthodes de gestion de la qualité dans leurs établissements. Les applications se multiplient, tant dans le secteur public, avec une avancée intéressante des bibliothèques universitaires, que dans le secteur privé. Toutefois, la démarche se met en place lentement et nécessite des interventions en amont, notamment dans le changement des comportements par rapport aux conceptions managériales et dans la prise en compte des méthodes dans les formations professionnelles.
Since 1992, libraries and document centres in Spain, with the assistance of their professional associations, have taken into account the methods of quality management in their establishments. Its applications have multiplied, as much in public sector, with an interest in growth from university libraries, as in the private sector. However, the approach is established slowly and requires prior interventions notably in the change of behaviour in relation to managerial conceptions and in the methods used in professional training.
In Spanien berücksichtigen die Bibliotheken und Dokumentations-zentren mit Unterstützung ihrer Personalverbände seit 1992 die Methoden der Qualitätssicherung in ihren Einrichtungen. Die Anwendungen nehmen ständig zu, sowohl im öffentlichen Bereich, mit einem interessanten Vorsprung bei den Universitätsbibliotheken, als auch auf dem privaten Sektor. Die Methode etabliert sich auf jeden Fall nach und nach und bedarf der Interventionen von oben, besonders bei der Veränderung des Verhaltens in Bezug auf Management-konzeptionen und in der Berücksichtigung der Methoden in der beruflichen Ausbildung.
Les premières références sur la gestion de la qualité appliquée aux services d’information et de documentation en Espagne datent de 1992. Depuis lors, plusieurs études théoriques sont parues dans des revues professionnelles sur ce thème et les premières expériences pratiques ont été réalisées.
Les professionnels des bibliothèques et centres de documentation en Espagne, comme leurs collègues dans d’autres pays, se sont trouvés confrontés à une situation de changement permanent supposant une adaptation continue. Ils constatent chaque jour qu’ils dirigent des structures plus complexes et que leurs problèmes s’apparentent de plus en plus à ceux de l’entreprise. Ils deviennent perméables aux idées en provenance de ce secteur, et, en conséquence, commencent à s’intéresser au phénomène de la qualité.
Il existe un intérêt majeur pour toutes ces techniques et méthodes dont l’application permet d’obtenir une meilleure efficacité, techniques généralement ignorées jusqu’alors. En effet, la formation à la bibliothéconomie et à la documentation en Espagne présente traditionnellement de grandes lacunes dans tous ces aspects relatifs à la gestion.
L’évolution en Espagne
Durant les trois dernières années, cette évolution a pris différentes formes.
Les publications. Depuis 1992, quelque 40 articles, exposés et communications sur des sujets liés à la qualité ont été publiés. Ce chiffre peut paraître assez faible comparé à la production dans d’autres pays d’Europe ; rapporté aux publications du secteur professionnel, il représente 2 % du contenu des publications 1. Les analyses proposées sont presque toutes théoriques, assez peu sont consacrées à des comptes rendus d’expériences pratiques.
La formation. Quelques universités ont intégré dans les programmes officiels des diplômes de bibliothéconomie et de documentation, la philosophie et les techniques de gestion de la qualité. D’autre part, des cursus de spécialisation figurent dans les programmes de formation continue proposés par les associations professionnelles comme SEDIC, AVEI, ANABAD GALICIA 2, ou par des organismes publics de l’Administration centrale et autonome qui ont en charge les réseaux de bibliothécaires.
Les congrès et réunions professionnelles. Le meilleur indicateur de l’actualité du mot « qualité » réside dans sa présence dans les titres et les sous-titres des journées et séminaires professionnels qui ont eu lieu en Espagne ces deux dernières années.
Cela ne signifie pas pour autant que le contenu de ces journées soit centré sur la qualité, mais cela reflète l’intérêt des professionnels pour l’amélioration de leurs services et de leurs missions. Cette amélioration est plus à mettre en relation avec la volonté traditionnelle de faire mieux pour sa bibliothèque ; elle ne traduit pas nécessairement la pleine intégration de la nouvelle « philosophie » de la qualité qui conduit à systématiser les processus d’amélioration et à rechercher une véritable orientation de l’organisation vers le client.
Il semble que le premier événement qui ait eu un impact sur la diffusion de la philosophie de la gestion de la qualité dans notre secteur a été la réalisation en septembre 1994 d’une session parallèle sur TQM (Total Quality Management). C’est au cours de ces journées nationales de la documentation que le responsable des certifications d’entreprises de l’Agence espagnole de normalisation (AENOR) parla des possibilités d’application de la norme ISO 9000.
Les groupes de travail. En mars 1994 s’est créé un groupe de travail sur la qualité dans l’association professionnelle la plus représentative en Espagne, la SEDIC (Société espagnole de documentation et information scientifique).
A l’origine, il s’agissait d’un groupe d’étude ayant pour objectif de susciter l’application de la gestion de la qualité dans les bibliothèques et services de documentation espagnols.
Pendant l’année 1994-1995, le travail a consisté en l’analyse de divers thèmes en relation avec la qualité :
– analyse des besoins et des attentes des usagers,
– contrôle des processus,
– contrôle des coûts,
– utilisation concrète des outils de la qualité…
Durant l’année 1996, l’objectif fixé était de travailler dans plusieurs directions :
– construire quelques modèles de processus documentaires de base qui pourraient servir de référence aux professionnels au moment de l’analyse des tâches ;
– élaborer un exemple type de documentation pour l’implantation de la norme ISO 9000 ; ce dossier sera publié fin 1997 ;
– travailler sur le projet d’un système de standards ou d’indicateurs pour le contrôle de la qualité des fournisseurs d’information ;
– suivre l’évolution des expériences pratiques d’application de la gestion de la qualité menées à terme en Espagne. C’est dans cette optique que le groupe de travail sur la qualité de la SEDIC a organisé, en janvier 1996, des journées durant lesquelles ont été restituées les expériences réalisées en Espagne dans le domaine de la gestion de la qualité.
En 1997, la SEDIC a mis en place un mode de certification des bibliothécaires et documentalistes, orienté vers la garantie des niveaux de qualification nécessaires à l’exercice de la profession.
Expériences pratiques
Depuis 1993, a démarré une série d’expériences que nous pouvons situer à différents degrés :
– application d’outils et de méthodes de gestion de la qualité pour obtenir de meilleurs rendements dans le fonctionnement des services des bibliothèques et centres de documentation ;
– évolution des règles de management par objectifs vers des programmes d’amélioration continue de la qualité ;
– application de programmes concrets de gestion de la qualité dans les bibliothèques et les centres de documentation intégrés dans des institutions engagées dans les projets TQM ;
– implantation des normes ISO 9000 dans les services de documentation.
Les dimensions et les domaines d’application de ces initiatives sont très variés, mais commencent à constituer un ensemble de cas qui présentent un grand intérêt pour les professionnels du secteur souhaitant se former à la gestion de la qualité.
Nous proposons ici un bref résumé de ces expériences réussies, réparties entre les deux grands groupes, dans lesquels s’inscrivent les bibliothèques et services de documentation et d’information dans notre pays.
Bibliothèques et services de documentation dans le secteur public
C’est dans le domaine des bibliothèques universitaires qu’ont émergé les expériences les plus intéressantes pour l’implantation de systèmes de gestion de la qualité.
Ces expériences ont toutes un point commun : l’application de la gestion de la qualité dans la bibliothèque s’inscrit dans un projet d’implantation d’un système de gestion de la qualité à toute l’université. Généralement les bibliothèques sont intégrées dans des programmes pilotes pour pouvoir clairement délimiter leurs tâches et leurs relations de service avec les différents « clients » de l’université.
Plusieurs exemples de ce type peuvent être cités : l’Université Carlos III de Madrid, l’Université Polytechnique de Catalogne, l’Université Complutense de Madrid et l’Université Pompeu i Fabre de Barcelone. Dans ces exemples, le personnel de la bibliothèque s’est entouré de consultants spécialisés en gestion de la qualité.
Dans d’autres universités, ce sont les bibliothécaires qui ont engagé seuls le développement des programmes de gestion de la qualité et qui ont appliqué la méthodologie aux différents services de la bibliothèque (Université de Càdiz) ou mis en œuvre de nouveaux services (Université de Corufia).
Les bibliothèques publiques se sont intéressées plus tard à la démarche qualité. Quelques expériences concrètes existent, comme celle du réseau des bibliothèques publiques de Castilla La Mancha, qui applique des procédures de normalisation pour l’amélioration de la qualité des bases de données bibliographiques. Ces bases de données sont développées pour leurs propres équipes, organisées en groupes d’initiatives et d’amélioration. En 1997, le réseau des bibliothèques publiques de Catalogne a entrepris de travailler à l’obtention de la certification ISO 9000.
Dans le secteur public, on trouve aussi les bibliothèques et services de documentation des réseaux d’hôpitaux. Ceux-ci ont, traditionnellement, constitué des groupes dynamiques qui travaillent en contact avec des « clients » très exigeants quant à la prise en considération de leurs besoins en information. En général ce sont de petits centres très soucieux d’améliorer la qualité de leurs services et dans lesquels ont été conduites des expériences très intéressantes, comme à la bibliothèque de l’hôpital Juan Canalejo…
Bibliothèques et services de documentation du secteur privé
Quoique les expériences restent très isolées, les services de documentation dans les entreprises privées sont immergées dans la dynamique de la certification à la norme ISO 9000, qui envahit le monde de l’entreprise.
Dans quelques cas, les documentalistes ont participé activement, aux côtés des directions de la qualité, à l’élaboration des procédures concernant leurs services et à l’établissement des règles visant à assurer le contrôle de la documentation sur la qualité pour l’ensemble de l’entreprise.
Les responsables de la politique de gestion de la qualité des entreprises ont besoin d’une grande quantité d’informations, de leur systématisation et de leur contrôle. Cette conjonction d’intérêts entre les responsables qualité et les responsables de la documentation et de l’information à l’intérieur des entreprises est – pensons-nous – une piste très favorable à l’évolution de nos services.
De plus, parmi les entreprises prestataires de services d’information et de documentation espagnoles, on observe les prémices d’un travail sur l’implantation de systèmes de qualité.
Peu de producteurs de bases de données tant du secteur public que du secteur privé utilisent un système relevant effectivement de la gestion de la qualité. Malgré des signes positifs de prise en compte des besoins et des attentes des usagers, il n’existe cependant pas d’action systématique dans ce domaine.
Un travail à long terme
Cette situation espagnole amène à tirer une série de conclusions. Le passage de la théorie à l’acte est beaucoup plus lent que ne le laisse supposer l’intérêt des professionnels pour la gestion de la qualité. Ceci est dû à différents facteurs :
– le manque de compétitivité réelle dans ce secteur, qui continue à bénéficier, dans une large mesure, d’un « marché captif », qui ne favorise pas son intégration dans les mécanismes du marché ;
– le manque de conscience de la part des décideurs, et, plus particulièrement, dans le secteur public, de la nécessité de travailler avec des systèmes de gestion de la qualité, et leur manque de volonté réelle en la matière ;
– le sentiment du « tout ou rien » de plusieurs professionnels : s’ils ne mettent pas en œuvre des plans de qualité totale, ils n’aboutiront à rien, puisque les initiatives isolées conduisent à l’échec ;
– le sentiment d’insécurité des bibliothécaires et des documentalistes au moment de s’embarquer dans l’utilisation de nouvelles techniques de gestion, sans les connaissances nécessaires, et sans la possibilité – le plus souvent – d’avoir recours à l’aide de consultants extérieurs ;
– le doute sur les bénéfices réels qui peuvent être obtenus en échange de coûts qui, eux, sont plus évidents et qui, dans la plupart des cas, relèvent du « sacrifice personnel ».
Les expériences menées dans le secteur nous montrent qu’il y a de grandes différences entre domaines professionnels et qu’il existe diverses méthodes pour aborder la recherche de la qualité. Toutefois (et je crois que ceci est vrai aussi dans les entreprises privées), nous sommes à des années lumières de l’implantation de véritables systèmes de gestion de la qualité totale. Il reste encore beaucoup à faire pour accomplir toutes les étapes du processus. Il s’agit notamment :
– de persuader les directeurs de bibliothèques et de centres de documentation que la qualité est prioritaire pour l’adaptation et la survie de leurs services et de faire passer l’idée que la qualité ne relève pas d’un désir vague de « faire mieux », mais d’une nouvelle philosophie d’organisation qui permet de systématiser les efforts de toutes les personnes vers l’amélioration continue des prestations ;
– de former les professionnels dans l’usage des outils de la qualité, de leur apprendre à diriger et motiver les personnels et à travailler en équipes efficaces, capables d’analyser leurs processus de travail, de proposer des initiatives d’amélioration et d’assumer leurs responsabilités ;
– de susciter l’implantation de systèmes de gestion de la qualité et de promouvoir les échanges d’expériences concrètes qui permettent aux professionnels d’avoir des modèles pour agir ;
– de mesurer les coûts et les résultats des améliorations introduites, d’utiliser ces informations complexes pour démontrer de façon moins théorique l’intérêt de ces démarches et mieux appréhender les bénéfices réels que l’on peut obtenir de l’amélioration de la qualité.
La qualité est un travail à long terme qui ne prétend pas faire des miracles et qu’il est difficile d’atteindre sans connaître des phases de découragement. En tant que membres de groupes de travail dans des associations professionnelles nationales et internationales, nous avons la tâche (pas toujours facile) d’entretenir le flambeau de la qualité.
Novembre 1997