Performance et démarche qualité
Dans les bibliothèques publiques de la république fédérale d'Allemagne
Hannelore Klempin
Les quelque 13 000 bibliothèques publiques d'Allemagne relèvent de la responsabilité des communes ou des églises. Les concepts élaborés par l'Union fédérale des associations de bibliothécaires allemands, la Commission permanente des ministres de la culture des Länder et le Conseil des villes fournissent des principes directeurs dans ce domaine. L'insuffisance financière des années 70, les restrictions budgétaires des années 80 ont contraint les bibliothèques publiques allemandes à faire la preuve de leur efficacité. L'Institut allemand des bibliothèques, en collaboration avec le Bureau des statistiques des bibliothèques allemandes et l'Institut allemand de normalisation, travaille à la révision des indicateurs de mesure des performances des bibliothèques publiques. Alors que les projets et programmes de marketing ont beaucoup évolué au cours de la dernière décennie, le management de qualité a été encore peu exploré par les bibliothèques publiques allemandes. Les bibliothécaires ont cependant engagé une réflexion sur la qualité, sa mesure et son amélioration.
Some 13 000 public libraries in Germany come under the responsibility of town councils or churches. The concepts developed by the Federal Union of German Librarian Associations, the Permanent Commission of Länder Culture Ministers and the Council of Towns supply the guidelines in this field. The financial stringency of the 1970s and the budget restrictions of the 1980s forced German public libraries to prove their efficiency. The German Institute of Libraries, in cooperation with the German Libraries' Statistics Office and the German Institute of Normalisation, works at revising the performance indicators of the public libraries. Whereas the marketing projects and programmes have evolved considerably in the course of the last decade, the management of quality has been explored little by the German public libraries. The librarians have, however, begun to reflect on quality, its measure and its improvement.
Die etwa 13000 öffentlichen Bibliotheken in Deutschland fallen in den Zuständigkeitsbereich der Kommunen oder der Kirchen. Die durch die Bundesvereinigung Deutscher Bibliotheksverbände, die Ständige Konferenz der Kultusminister der Länder und den Städtetag erarbeiteten Konzepte liefern die Richtlinien auf diesem Gebiet. Die Geldknappheit der siebziger Jahre und die Budgeteinschränkungen der achtziger Jahre haben die deutschen öffentlichen Bibliotheken gezwungen, Ihre Leistungsfähigkeit unter Beweis zu stellen. Das Deutsche Bibliotheksinstitut arbeitet gemeinsam mit der Dienststelle für Bibliotheksstatistik und dem Deutschen Institut für Normung an der Revision der Leistungsmessungsindikatoren für Öffentliche Bibliotheken. Während sich die Projekte und Programme für Marketing im Laufe des letzten Jahrzehnts stark weiterentwickelt haben, ist das Qualitätsmanagement von den deutschen öffentlichen Bibliotheken noch kaum entdeckt worden. Die Bibliothekare haben jedoch begonnen, über die Qualität, ihre Messung und Verbesserung nachzudenken.
Etat fédéral de 81 millions d’habitants, l’Allemagne a une structure politique décentralisée. Elle se compose de seize Länder dotés d’une indépendance considérable et administrés par environ 14 800 fonctionnaires régionaux.
Le système des bibliothèques allemandes
L’ensemble des affaires culturelles, et donc les bibliothèques, dépendent directement, non du gouvernement fédéral mais des Länder, et la majeure partie des bibliothèques sont sous la tutelle d’autorités municipales.
Pour bien comprendre l’organisation des bibliothèques allemandes, il faut au préalable comprendre l’organisation hiérarchique de l’autorité de l’État fédéral. Toutes les structures de pouvoir (gouvernement fédéral, gouvernements des Länder, autorités régionales, cantonales ou municipales) ont des bibliothèques qui leur sont rattachées. Il est par ailleurs d’usage de distinguer les bibliothèques publiques des bibliothèques universitaires ou spécialisées, ces deux grandes catégories différant de par leurs fonctions, leurs missions et leurs buts, autant que de par leurs structures. On comprend ainsi que les bibliothèques puissent recevoir leur financement de différents organismes ou institutions.
L’expression « bibliothèques pub- liques » prend ici une acception particulière, dans la mesure où les grandes bibliothèques universitaires – aussi bien celles des universités que des écoles polytechniques – sont également ouvertes à tous. Bien que leurs collections soient conçues pour un lectorat plus restreint, aux intérêts surtout théoriques, elles sont accessibles à l’ensemble de la population. Ceci étant, en Allemagne, seules sont qualifiées de « publiques » les bibliothèques qui sont financées par des institutions officielles (autorités municipales, Églises, autorités régionales), qui mettent leurs collections et leurs services à la disposition du grand public, et dont les horaires d’ouverture permettent une fréquentation aussi large que possible.
A l’heure actuelle, on dénombre au total environ 13 000 bibliothèques publiques. Seules 4 300 environ d’entre elles emploient un personnel qualifié, dont, bien sûr, toutes les bibliothèques des villes de plus de 100 000 habitants. Le réseau des bibliothèques est également assez dense dans les villes d’au moins 20 000 habitants, et seuls 10 % de ces établissements n’emploient pas de bibliothécaires qualifiés. En revanche, moins de la moitié des localités de 5 000 à 20 000 habitants engagent des professionnels de la lecture publique. La majorité des bibliothèques publiques reçoivent leur financement des autorités locales ou de l’Église. Si le nombre de bibliothèques entretenues par l’Église est relativement important, elles fonctionnent la plupart du temps avec un personnel à temps partiel n’ayant pas suivi de formation spécifique.
Le tableau ci-dessous propose une vue d’ensemble des bibliothèques publiques en Allemagne (chiffres de 1995).
Il existe dans la quasi-totalité des seize Länder de la République fédérale des « centres de formation » (Fachstellen), qui ont essentiellement pour vocation d’aider les petites bibliothèques, en particulier celles qui n’emploient pas de personnel qualifié (les établissements auxquels ils s’adressent et leur niveau de financement varient cependant d’un Land à l’autre). S’il s’agit le plus souvent de structures mises sur pied au niveau du Land, tous les Länder n’ont pas accepté de les inscrire dans leur constitution. Leur tâche consiste en priorité à développer des services de bibliothèque et à aider les autorités locales à créer et diriger des bibliothèques publiques. L’Église a elle aussi mis en place un certain nombre de centres professionnels.
Organisme public, le Deutsches Bibliotheksinstitut (DBI) a pour mission de rassembler, analyser et diffuser les expertises et les expériences en bibliothéconomie. Contrôlé et financé à la fois par le gouvernement fédéral et par les autorités des Länder, le DBI est la seule institution mixte de ce type dans le secteur des bibliothèques.
Il s’adresse sans distinction à toutes les catégories de bibliothèques, et tient compte autant que possible des avis spécialisés et techniques émis par l’ensemble des personnes impliquées dans le fonctionnement des bibliothèques allemandes, ce qui, de temps en temps, oblige à des compromis politiques dans les débats ou la poursuite des activités. Le rôle du DBI est avant tout de servir de médiateur et de renforcer la coordination entre les différents représentants de ce système de bibliothèques fondamentalement décentralisé.
Des collectivités locales autonomes
L’Allemagne ne dispose pas d’une législation nationale en matière de bibliothèques, ni, du fait de la décentralisation des pouvoirs, d’un organisme national qui chapeauterait les bibliothèques publiques. Ajoutée à la structure politique générale du pays, cette absence explique la très grande hétérogénéité du système des bibliothèques.
En conséquence, les différentes institutions fédérales ou municipales et l’Association des bibliothécaires ont défini un certain nombre de principes sur le fonctionnement des bibliothèques publiques, mais qui ne peuvent remplacer une loi ou des normes.
– L’Union fédérale des Associations de bibliothécaires allemands a élaboré un programme qui unifie dans un système commun les missions, les fonctions et les structures des bibliothèques. Intitulé Bibliothèques 93 1, ce document a pour but d’aider les bibliothèques à s’associer et à moderniser leurs services, ce plus particulièrement en s’équipant des nouveaux moyens électroniques.
– La Commission permanente des ministres de la Culture des Länder (KMK) a adopté à plusieurs reprises des résolutions 2 à caractère ponctuel portant sur l’ensemble des fonctions des bibliothèques publiques et visant à terme leur harmonisation.
– Il faut également mentionner une recommandation du Conseil des villes, organisme fédérateur des autorités municipales du pays 3. Ce document, qui porte sur le rôle joué par les bibliothèques publiques dans les activités culturelles municipales, fixe un certain nombre de principes et de directives sur l’entretien de ces établissements par les pouvoirs locaux et sur les conditions qui lui sont associées.
Ces directives et ces initiatives ont beau être officielles, elles butent très précisément sur le principe de l’indépendance des autorités locales en matière d’éducation et de culture : personne, en effet, n’étant tenu de les adopter, ce sont au mieux des recommandations, que chacun peut à discrétion appliquer ou non. L’administration des bibliothèques reste de la responsabilité des autorités locales.
En règle générale, les bibliothèques publiques municipales reçoivent leur budget de la municipalité. Partout où cette dernière n’est pas en mesure d’assumer seule la charge des activités culturelles, le montant nécessaire à l’entretien de la bibliothèque est alloué sur une base régionale.
Ceci étant, les bibliothèques sont loin d’être prioritaires en ce qui concerne la redistribution de l’argent public : cette année, par exemple, elles n’ont reçu que 0,16 % des fonds publics. Le budget dont elles disposent ne cesse de diminuer, ce qui se traduit par une baisse des acquisitions et des effectifs.
Réformer l’administration
Les bibliothèques publiques sont directement associées aux développements politiques observés au niveau local, et donc aussi aux efforts aujourd’hui mis en œuvre pour réformer l’administration. Si, depuis les années 90, un mécontentement général s’exprime à l’égard des services publics, c’est notamment parce que :
– les responsables des résultats d’exploitation ne sont pas maîtres des ressources qu’ils utilisent : les responsabilités sont éclatées entre plusieurs services administratifs ;
– le côté draconien et très restrictif des prescriptions en matière de gestion financière contrevient à l’efficacité du travail ;
– les méthodes comptables actuelles sont bureaucratiques et dépassées ; elles rendent impossible les calculs en termes de coût/efficacité ;
– l’encadrement du personnel obéit à des règles désuètes.
On a donc cherché à établir un nouveau modèle de management des services publics. Sans plus dépendre exclusivement de l’« input » (le budget alloué à un organisme), le management doit en priorité être jugé en fonction de l’« output » (la production), et évalué au moyen de mesures de performance et d’efficacité. Cela suppose de décentraliser la gestion des ressources et d’adopter le maniement d’outils comme la maîtrise ou la gestion des coûts, autrement dit de transformer aussi bien les conceptions en matière de gestion que l’organisation des différents services d’un même établissement.
Selon les régions, les bibliothèques participent ou non à ce processus de réforme administrative, qui, le plus souvent, se déroule dans un contexte de difficultés financières pour les municipalités et vise donc essentiellement à réduire les coûts. Plusieurs bibliothèques ont néanmoins spontanément accepté de servir d’institutions-pilotes pour le nouveau modèle de management ; elles ont obtenu de bons résultats en terme d’efficience accrue et d’une meilleure efficacité orientée vers les clients. Cette dynamique a entraîné des discussions sur la possibilité de mettre en place de nouvelles formes juridiques pour les bibliothèques (gérées par exemple par une fondation, une association, une entreprise privée, etc.).
Les critères d’évaluation des performances
Il n’existe pas pour l’instant de réels « standards » de performance à proprement parler, au sens de normes ou de principes précis. Seul le Bureau des statistiques des bibliothèques allemandes (DBS) est considéré comme contribuant à un référentiel normalisé en publiant des données de base de la mesure des performances. Il recense chaque année un ensemble stable de données et, à intervalles plus longs, rassemble des informations détaillées sur tel ou tel aspect du fonctionnement des bibliothèques. On envisage à l’heure actuelle de revoir ses bases de calcul afin de mieux les adapter à la mesure des performances.
Par ailleurs le DIN (Institut allemand de normalisation) propose des normes applicables à tous les domaines, y compris aux bibliothèques et aux services de documentation. Le DIN, institution nationale, participe aux activités de normalisation internationales et assure la diffusion des normes internationales dans le pays. Un certain nombre de bibliothèques sont aujourd’hui représentées aux côtés du DBI dans les commissions permanentes du DIN sur les « Statistiques des bibliothèques » et sur la « Mesure des performances », afin de revoir les critères du calcul des statistiques et d’étudier les indicateurs de performance pour les bibliothèques définis par la norme ISO. L’ancienne norme nationale utilisée par le Bureau des statistiques des bibliothèques a été abandonnée en 1995, depuis que l’Europe a adopté la norme internationale ISO 2789 relative aux statistiques de bibliothèques.
Des systèmes de mesure normalisés ont été institués aux niveaux régional et local qui reprennent les indicateurs choisis par le groupe des bibliothèques pilotes pour comparer leurs performances. Ces indicateurs leur permettent d’obtenir des mesures harmonisées, mais ajustées à leurs objectifs respectifs.
Le tableau ci-après présente les indicateurs de mesure de performance utilisés à des fins différentes par divers organismes, dont le Bureau des statistiques des bibliothèques.
L’auteur du document Mesure de la performance dans les bibliothèques publiques : ébauche de notice 4 préconise l’adoption d’un certain nombre de directives recommandées sur le plan international. Elles n’ont été dans l’ensemble acceptées qu’avec réticence et très progressivement par les bibliothèques publiques allemandes, à l’exception de quelques établissements acquis à la réorganisation du secteur et qui avaient déjà adopté les concepts de mesure de la productivité et de l’orientation-client.
Certaines bibliothèques utilisent par ailleurs des méthodes fondées lors de projets visant au développement de l’application des concepts du marketing aux bibliothèques publiques, projets intervenus au milieu des années 80, antérieurement donc à la publication du travail de Nick Moore 5. En lançant ces projets en matière de marketing, les bibliothèques entendaient réagir aux changements structurels, politiques et financiers introduits au cours des années 80.
Les méthodes qu’elles utilisent actuellement et la manière dont elles appliquent la mesure de la performance vont de pair avec les efforts entrepris pour réformer la gestion des services publics ou imaginer des moyens et des modèles nouveaux pour financer les bibliothèques.
Normes d’évaluation
Il n’existe pas de norme fixant le montant du budget, les effectifs des salariés, les chiffres de productivité, etc. Des initiatives pour définir ces critères à l’intention des bibliothèques et les adopter en pratique se poursuivent à plusieurs niveaux (dès 1973 par exemple au KGSt 6, institution nationale créée pour conseiller les municipalités). Leur mise en application a échoué par le passé du fait de la structure administrative et politique décrite plus haut, ainsi que d’un financement insuffisant en regard des objectifs relativement ambitieux fixés au début des années 70. Aujourd’hui, toutefois, un certain nombre de bibliothécaires trouvent les critères standards potentiellement dangereux, dans la mesure où ils risquent de pénaliser les établissements correctement équipés. D’un autre côté, si ces standards sont fixés trop haut, il est à craindre que beaucoup de municipalités les jugent irréalistes et refusent de les appliquer.
A partir des années 70, certaines bibliothèques allemandes ont entrepris de mesurer et de comparer leurs performances en procédant, par exemple, à des analyses coût/performance. Ce travail ne fut pas poursuivi, car, au cours de la période prospère qui suivit, les bibliothèques disposèrent de moyens de financement suffisants qui confortaient leur existence.
L’inversion de cette tendance a entraîné une réorientation. Dans les années 80, les municipalités décidèrent un premier train de coupes budgétaires à l’encontre des bibliothèques, ce qui ne manqua pas d’affecter les services de ces établissements et se traduisit d’ailleurs par la fermeture d’un certain nombre d’entre eux. A cela vinrent s’ajouter d’autres facteurs, tels que les changements dans la composition de la population, la transformation des valeurs sociales, la mutation survenue dans le domaine de l’information et de la communication ainsi que les nouvelles habitudes à l’égard des médias.
Des efforts furent en outre entrepris pour réformer les services publics, soumis à une deuxième vague de réductions budgétaires drastiques à partir du début des années 90. Les bibliothèques furent de plus en plus souvent obligées de rendre des comptes à leurs organismes de tutelle, de démontrer qu’elles étaient capables d’économiser leurs ressources, d’apporter la preuve de leurs performances et de leur efficacité.
Pour celles qui fonctionnent sur un budget fixe (« management délégué »), les objectifs de performance entrent pour partie dans les constantes du contrat qui les lie à la municipalité. Lorsque la réforme de l’administration sera pleinement engagée et que les évaluations se feront en continu, les financements seront accordés en fonction des résultats de la mesure des performances.
Avec l’introduction des méthodes de marketing, les questions liées au service à la clientèle ont été incluses dans la mesure des performances. Les bibliothèques qui se sont engagées dans cette voie estiment qu’elles font désormais partie intégrante de leur « culture d’entreprise ».
Si les enquêtes auprès des usagers sont de plus en plus pratiquées, l’usage ne s’en est pas encore généralisé à tout le pays. Elles sont généralement conçues pour préciser des objectifs et mieux servir des groupes d’usagers bien ciblés. La satisfaction de la clientèle est considérée comme un indice important de l’efficacité des services de la bibliothèque. Les panels de clients ou les groupes de discussion d’usagers restent peu pratiqués. De même, il est encore rare que les enquêtes auprès du public soient réitérées à intervalles réguliers sur des périodes assez longues.
Les bibliothèques effectuent par ailleurs des enquêtes auprès de leurs « non-utilisateurs », afin de mieux comprendre pourquoi ces personnes (leur « potentiel latent de clientèle ») ne les fréquentent pas. De la sorte, elles espèrent mieux informer le public sur leurs offres et sur leurs services, et, au final, attirer de nouveaux utilisateurs.
Des enquêtes menées sur des échantillons représentatifs ont ainsi été conduites par la Fondation Bertelsmann 7 et la Fondation de Reading 8. Il est également possible de sonder l’opinion des usagers par le biais des associations pour la promotion et le soutien des bibliothèques publiques (associations d’« Amis de la Bibliothèque », actuellement au nombre de quatre-vingts) qui se mettent en place depuis quelque temps.
Quelques bibliothèques qui se servent couramment des méthodes de marketing, de gestion en budget fixe, et des instruments de contrôle, ont intégré l’orientation du personnel à leur culture d’entreprise, dans l’objectif d’encourager leurs salariés à prendre des responsabilités et des initiatives, et de susciter chez eux une attitude positive par rapport aux changements envisagés dans l’organisation de la bibliothèque.
C’est essentiellement en organisant des débats sur les buts et les missions de la bibliothèque qu’elles cherchent à les motiver. Malheureusement, le personnel craint souvent que la mesure de la performance ne se ramène en fait à une évaluation de leurs performances individuelles.
Activités en cours et problèmes à l’étude
Plusieurs projets et ateliers sur les questions inhérentes à la mesure de performance ont été organisés ces dernières années par le Deutsches Bibliotheksinstitut, ou avec sa participation. Ils ont porté sur : le marketing dans les bibliothèques ; les besoins des utilisateurs et les raisons avancées par ceux qui ne fréquentent pas les bibliothèques ; la définition d’un nouveau rôle pour les bibliothèques ; la programmation et la définition des objectifs ; les nouveaux instruments de contrôle ; les indicateurs de mesure de la performance et de contrôle ; les liens entre la mesure de la performance et la réforme de l’administration ; l’évaluation des coûts et la mesure de la qualité.
La généralisation de ces expériences permet d’élaborer de nouvelles méthodes de travail. Les résultats en sont publiés sous forme de rapports, de guides ou de manuels 9. Il existe une forte demande à l’égard de ces documents, et beaucoup de bibliothèques travaillent sur ces aspects en prenant appui sur leurs bases de travail théoriques et méthodologiques. Sans indiquer de procédures fixes, ces publications proposent un large éventail de variantes dont les bibliothèques peuvent s’inspirer pour trouver leur propre modus operandi. Elles présentent également les résultats obtenus par des bibliothèques pilotes, ce qui favorise les échanges d’expérience. Il faut également mentionner les nombreuses initiatives en matière de formation continue prises par les « centres de formation », les associations professionnelles et le DBI.
Des difficultés existent cependant qui tiennent à l’impossibilité de confronter les données rassemblées par les différentes bibliothèques, du fait de l’extrême diversité de leurs structures et de celles de leurs administrations de tutelle. Il n’y a aucune commune mesure entre leurs budgets, leurs effectifs en personnel, les locaux qu’elles occupent, etc. Qui plus est, les Länder et les municipalités ne suivent pas tous les mêmes règles sur les imputations budgétaires, la gestion du personnel et la comptabilité. Cela rend parfois la comparaison impossible.
Précisons qu’en règle générale la mesure de la performance suscite aussi des réticences chez les bibliothécaires, qui craignent que leurs supérieurs n’exploitent les résultats au détriment de la bibliothèque ; ils craignent par exemple que des erreurs d’interprétation puissent intervenir, liées à la comparaison avec les résultats atteints par d’autres bibliothèques. Ils doutent également que la mesure de la performance puisse réellement servir à porter des jugements utiles et réalistes sur les services de bibliothèque. Étant donné l’absence de tout critère de performance ou de qualité précis, les pouvoirs politiques locaux peuvent difficilement déchiffrer et interpréter les renseignements fournis par la bibliothèque.
La démarche qualité
Jusqu’ici, les débats sur la démarche qualité dans les bibliothèques restent assez marginaux en Allemagne. Si le personnel des bibliothèques publiques est bien convaincu qu’il doit être au service des usagers, la conception de cette mission n’est que rarement formalisée ou « managée ».
Les réflexions sur la démarche qualité ont essentiellement lieu dans les bibliothèques spécialisées ou de recherche, ainsi que dans les centres d’information et de documentation 10. Quelques bibliothèques universitaires travaillent également sur le management de la qualité et les indicateurs de qualité 11. Le DBI a pour sa part essayé de lancer le débat en organisant deux rencontres nationales dont les actes ont été publiés en 1995 12.
A ce jour, la réforme en cours dans les administrations locales a (en pratique, sinon en théorie) essentiellement porté sur des aspects quantitatifs : nouvelles formes de gestion financière et de budgétisation, amélioration des systèmes comptables, productivité précisément chiffrée, etc. Par voie de conséquence, les bibliothèques publi ques ont adopté les outils de management quantitatif retenus en priorité par les municipalités dont elles dépendent. Bien que ces outils quantitatifs passent souvent pour n’être qu’une première étape, il faut beaucoup de temps pour les mettre au point et les appliquer.
Depuis quelque temps, toutefois, le mot « qualité » apparaît avec une plus grande fréquence dans les publications sur la gestion des bibliothèques. A une époque où le niveau d’exigence à l’égard des services publics augmente en même temps que leurs ressources diminuent, les bibliothécaires s’intéressent de plus en plus à quatre aspects du management de la qualité :
– la programmation et la définition des objectifs,
– l’orientation vers la clientèle,
– la mesure de la performance,
– la participation du personnel.
Et ce sont les questions suivantes qui sont aujourd’hui au centre de leurs préoccupations.
Comment évaluer la qualité ?
De toute évidence, l’utilisation des outils du management quantitatif ne donne qu’une image fort limitée de la bibliothèque. Ce constat sert de point de départ aux débats qui ont lieu sur les principes à retenir pour décrire la qualité des services de bibliothèque. Peut-on se prononcer sur la qualité en se fondant uniquement sur des données chiffrées et des indicateurs ? Quels sont les indicateurs les plus pertinents ? Y a-t-il d’autres moyens de renseigner les autorités locales sur la valeur et l’utilité du service rendu par la bibliothèque ? Comment attirer l’attention sur le fait que l’importance des collections n’est pas nécessairement un gage de leur qualité ? Comment expliquer que lorsqu’on compare entre elles deux bibliothèques, la différence de coût de leurs services traduit peut-être une différence de qualité ?
Ces questions qui se posent avec de plus en plus d’acuité n’ont toujours pas reçu de réponses satisfaisantes. La Section I (bibliothèques des villes de plus de 400 000 habitants) de l’Association allemande des bibliothécaires n’a pas réussi à s’entendre sur un ensemble commun d’indicateurs de performance à même de décrire la qualité d’un service de bibliothèque donné. Pourtant certaines publications (par exemple celles de la Fondation Bertelsmann) mentionnent quelques indicateurs qui pourraient permettre aux bibliothèques d’évaluer la qualité de leurs services.
Les enquêtes destinées à mesurer la satisfaction des usagers deviennent de plus en plus courantes. Toutefois elles sont généralement considérées comme une démarche exceptionnelle qui, parce qu’elle requiert beaucoup de travail supplémentaire de la part du personnel, n’est pas reconduite à intervalles réguliers. L’aide apportée par une institution régionale ou nationale permettrait peut-être d’en augmenter la fréquence.
Quelques bibliothèques ont cependant adopté pour elles-mêmes un ensemble formel d’indicateurs de qualité et d’enquêtes d’opinion, notamment la Bibliothèque centrale de Dresde.
Comment améliorer la qualité ?
Le développement de services et d’un état d’esprit plus tournés vers les citoyens est un autre aspect, moins directement visible, de la réforme de l’administration. Il implique l’application des outils du management de la qualité à l’ensemble des services publics.
Pour le mettre en œuvre, quelques bibliothèques publiques ont déjà commencé à intégrer les méthodes du management de la qualité à leurs services. En l’occurrence, il s’agit pour l’essentiel de constituer sur une base non hiérarchique des groupes d’amélioration de la qualité ou des cercles de qualité. C’est aussi un bon moyen d’inciter le personnel à se sentir responsable des prestations fournies. Cette démarche ne passe pas par le recours à des standards de service ou des spécifications externes.
Les bibliothèques publiques qui ciblent une clientèle d’entreprises industrielles ou économiques envisagent d’obtenir la certification ISO 9000 pour mieux répondre aux exigences de l’industrie privée (certaines entreprises certifiées ISO 9000 ont en effet décidé de ne plus coopérer qu’avec des partenaires eux aussi agréés). A l’heure qu’il est, toutefois, une seule institution a reçu cette qualification, la FIZ Chemie GmbH (société privée spécialisée dans la documentation en chimie) de Berlin.
Qu’est-ce que la qualité ?
En ce moment, la réflexion porte à peu près exclusivement sur les moyens qui permettraient de mesurer et d’améliorer la qualité. De façon assez étonnante, on ne s’interroge pas ouvertement sur « ce qu’est la qualité ». Cela tient peut-être à ce que les bibliothécaires trouvent que la définition générale de la qualité avancée par la littérature managériale (« répondre dans toute la mesure du possible aux besoins et aux attentes du client », par exemple) peut être appliquée telle quelle aux bibliothèques.
Un groupe de travail composé de bibliothèques de moindre importance de Rhénanie-Westphalie s’est prononcé de manière plus spécifique en affirmant qu’« une bibliothèque ne saurait définir ses objectifs du seul point de vue de sa clientèle. Pour servir au mieux le grand public, elle doit penser toute la gamme de ses prestations en fonction de sa mission municipale. […] La satisfaction de ses clients permet de mesurer jusqu’à quel point la bibliothèque s’est acquittée de ses tâches 13. »
Le moment venu, il faudra définir précisément « ce qui est bien » dans les services offerts par les bibliothèques. Cette définition dépendra en fait du rôle et de la mission assignés à l’avenir aux bibliothèques, et c’est à partir de là qu’il faudrait dès maintenant entamer le débat.
Plans et projets additionnels
En ce qui concerne la mesure de la performance, il devient essentiel de diffuser les connaissances disponibles en matière d’évaluation quantitative. Une autre tâche importante consistera à rassembler les nouvelles expériences portant sur la mesure et l’évaluation de la qualité.
Les bibliothécaires vont en outre coopérer sur le plan international pour atteindre, respecter, corriger et diffuser les résultats et les normes relatifs à la mesure de la performance, tels qu’ils sont par exemple actuellement définis par les indicateurs de performance ou les statistiques internationales sur les bibliothèques établis par l’ISO.
Les problèmes liés à la mesure des coûts, au management du personnel et aux outils dont les bibliothèques doivent se doter pour modifier leur organisation interne vont faire l’objet de nouveaux projets ou de nouvelles recherches. Il sera à cet égard indispensable de tester les méthodes utilisées et d’initier la diffusion des expériences existantes.
Novembre 1997