Les outils et la démarche de management de la qualité

Etudes de cas

Jeanne-Claude Greslou

Toute entreprise a besoin d'une organisation du travail qui lui permette de répondre au mieux à ses missions. Mais l'équilibre est précaire ; la réalité extérieure peut évoluer, et les personnels en place s'y adapter plus ou moins rapidement. Les difficultés éprouvées à changer et les questions qui en découlent sont fondamentales dans la conduite d'une équipe. Une partie de l'étude ici résumée a porté sur la mise en place d'une démarche qualité dans le projet d'établissement d'un service interétablissements de coopération documentaire. Elle a permis de redécouvrir les éléments-clé de la démarche qualité, et d'expérimenter certains outils d'analyse destinés à formaliser l'implicite.

Every business needs a working organization which allows it to respond best to its mission. The equilibrium is always precarious ; exterior reality evolves, and the personnel in place adapt themselves more or less rapidly. The proven resistance to change and the questions which ensue are fundamental in the conduct of any team. One part of this study summarizes the introduction of quality management in a project to establish a Service interétablissements de coopération documentaire. It has allowed the rediscovery of key elements of quality procedures, and experimentation with certain analytical tools aimed at formalizing what has been implied.

Jedes Unternehmen bedarf einer Arbeitsorganisation, die ihm erlaubt, möglichst gut auf seinen Auftrag zu reagieren. Das Gleichgewicht ist immer gefährdet. Die Realität draußen kann sich ändern und das vorhandene Personal am Ort sich hieran mehr oder minder schnell anpassen. Die Schwierigkeiten, denen man durch den Wandel ausgesetzt ist und die Fragen, die sich daraus ergeben, sind grundlegend bei der Führung eines Mitarbeiterstabs. Ein Teil der hier zusammengefaßten Studie bezieht sich auf die Implementierung eines Qualitätssicherungsverfahrens in einem von verschiedenen Instituten genutzten Dokumentationsdienst. Sie erlaubt es, die Schlüsselelemente der Qualitätssicherung wiederzuerkennen und mit gewissen Analysewerkzeugen zu experimentieren, die dazu geeignet sind, die Inhalte zu formalisieren

S’intéresser à l’idée de qualité quand on travaille depuis longtemps dans une bibliothèque municipale peut paraître superflu. En principe, ce qui anime l’esprit de ceux et celles qui y travaillent est le souci du service public, et du service public de qualité, cela va de soi.

Pourtant, à examiner de près la réalité, on s’aperçoit qu’elle est souvent plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Pour assurer ce service public de qualité, il est nécessaire de trouver une organisation du travail qui tienne compte à la fois des aspirations légitimes du personnel et des attentes des lecteurs, souvent difficiles à connaître.

Cette organisation « idéale » met parfois beaucoup de temps à se mettre en place. Une fois qu’elle a été trouvée, le point d’équilibre correspond à une adaptation plus ou moins réussie aux conditions particulières du moment : missions confiées par les tutelles, moyens financiers et en personnel accordés pour leurs réalisations, pression et exigences du public, types de services à lui rendre, etc. Avec le temps, l’organisation se rode et s’installe, d’une façon plus ou moins rigide, selon que les acteurs changent ou restent les mêmes pendant des années…

En général, pendant un certain temps, l’ensemble fonctionne bien, jusqu’à ce que, à nouveau, la réalité extérieure évolue et qu’un décalage s’installe entre cette dernière et l’organisation qui va devoir se remettre en cause plus ou moins rapidement, avec plus ou moins de facilité. Parfois, le changement s’avère douloureux tant la situation est bloquée !

Des questionnements fondamentaux

Ce constat banal, lot de toute organisation publique ou privée, renvoie à un ensemble de questionnements fondamentaux dans la conduite d’une équipe.

L’offre d’un Service interétablissements de coopération documentaire (SICD) qui souhaitait « définir un outil d’évaluation complémentaire de l’Enquête statistique générale des bibliothèques universitaires (ESGBU), afin de favoriser au sein de son projet d’établissement une démarche qualité » m’a permis, d’une part, de construire un tableau de bord avec choix d’indicateurs, si possible de qualité et pas seulement de quantité 1. Il devait permettre d’évaluer les activités du SICD, au regard de ses missions, et de mesurer l’état d’avancement de ses projets. Il devait, d’autre part, permettre de mettre à plat l’organisation du circuit du livre à la bibliothèque universitaire Droit-Lettres qui en dépendait 2, et où les très longs délais de mise à disposition des documents dénotaient de graves dysfonctionnements de l’organisation du travail. Celle-ci avait déjà été critiquée par le Comité national d’évaluation et par un rapport interne réalisé pour l’étude préalable à la mise en place de l’informatisation, mais aucune solution n’avait pu être trouvée jusqu’alors : la situation était bloquée. Il fallait donc essayer d’en comprendre les causes et de proposer différents scénarios pour y remédier.

Les éléments-clé d’une démarche qualité

Les grands principes de la démarche qualité peuvent être résumés ainsi 3 :

– la qualité est l’aptitude d’un produit ou d’un service à satisfaire les besoins exprimés ou potentiels des utilisateurs ;

– le client est au centre de cette démarche. Mais ce client n’est pas uniquement le client externe, ici nous parlerions de l’usager, mais aussi le client interne. Lorsqu’on examine un processus de travail – ici le circuit du livre –, les différents acteurs sont chacun à leur tour « clients » et « fournisseurs » du service qui les suit ou qui les précède ;

– la qualité ne se définit pas en soi, mais toujours pour un client et autant que possible avec lui, d’où la nécessité d’outils permettant de connaître ses attentes ;

– il est important de rendre visible la non-qualité par un examen de la réalité (interrogation et enquête minutieuse auprès des personnels si possible mobilisés dans des groupes de projet) ;

– après le diagnostic, des objectifs clairs et des priorités doivent être définis par la hiérarchie pour mettre en œuvre les moyens du changement ;

– une évaluation et la mise en place d’indicateurs sont indispensables pour permettre de mesurer l’avancée vers les objectifs fixés.

L’examen du fonctionnement du circuit du livre permet de mieux comprendre pourquoi une tentative de changement dans un service pouvait ne déboucher sur rien, mais également d’expérimenter des outils d’analyse très utiles quand on s’efforce de travailler sur des problèmes de qualité, à savoir l’analyse de processus et l’utilisation de l’arbre causes-effets ou diagramme d’Ishikawa 4.

Des outils d’analyse pour dire l’implicite

Une enquête semi-directive a été effectuée pendant le mois de juillet 1996 auprès de l’ensemble des personnels travaillant sur le circuit du livre : de la secrétaire au conservateur-chef de section. La grille d’entretien utilisée a permis d’identifier les tâches de chacun aux différentes phases du circuit : de l’acquisition intellectuelle à la commande matérielle, du traitement du contenu (indexation et catalogage) au traitement du support (estampillage et équipement antivol). Des résultats de cette enquête, trois enseignements ont pu être tirés :

– l’importance d’un regard extérieur sur une organisation, qui, dans ce cas, reposait sur un personnel peu mobile 5, dont la moyenne d’âge était élevée : plus de 48 ans 6. Dans une telle situation, personnel et encadrement peuvent difficilement porter un regard objectif sur leur propre fonctionnement dans la mesure où ils sont trop impliqués dans le quotidien et depuis trop longtemps ;

– ensuite, le fait que chaque acteur du circuit du livre était à la fois client de ceux qui s’occupaient de l’étape précédente et fournisseur de ceux de l’étape suivante est apparu évident. Tant que l’organisation du travail n’était pas comprise dans ces termes et qu’elle restait morcelée entre autant d’individus sans contact les uns avec les autres, on aboutissait à une situation qui pouvait friser l’absurde.

L’enquête montrait que, en plusieurs points du circuit, plusieurs agents tâchaient de faire au mieux et le plus rapidement possible la partie du travail qui leur incombait, mais que cet effort était vain et n’apportait aucune amélioration à l’ensemble, car plus haut en amont ou plus loin en aval dans la chaîne documentaire, d’autres, pour diverses raisons, prenaient un retard considérable. La division du travail extrêmement poussée entre les différentes catégories de personnel, aggravée par les multiples navettes des livres dans les trois étages du bâtiment, réduisait à néant tout effort tant qu’il restait isolé. Le tableau suivant représentant schématiquement le parcours d’un livre à la section Lettres de cette bibliothèque universitaire, le met bien en évidence ;

– le troisième enseignement retiré est qu’il est important que la hiérarchie explique longuement au personnel les raisons et l’intérêt du changement recherché. Seule cette communication permet de faire comprendre les enjeux et donne un sens à l’effort demandé aux agents, qui peuvent alors devenir partie prenante du changement : « Il faut savoir qu’il n’y a rien de plus difficile, de plus risqué, de plus dangereux à conduire que d’initier un nouvel ordre des choses » 7.

Or, la plupart du temps, cette étape est écourtée voire inexistante. Dans cet exemple-là, il s’avérait qu’un déficit important au niveau de la communication régnait entre les directions du SICD et des deux sections et l’ensemble du personnel de la bibliothèque universitaire, en particulier les catégories C (secrétaires et magasiniers).

Les entretiens montraient que, lors de la très récente mise en place du nouveau système informatique, le personnel n’avait pas compris l’importance du changement demandé. Il était au contraire ressenti comme une tracasserie administrative par certains.

Et là, en ce qui concernait les délais excessivement longs de mise à disposition des documents, il n’apparaissait pas que les faire diminuer soit une priorité, ni une volonté affirmée de la direction. Or, si cette dernière a pour mission d’impulser le changement, c’est le personnel qui va devoir le mettre en œuvre ; du temps doit donc être consacré à le convaincre dans sa majorité de devenir acteur d’une transformation qui doit, au moins partiellement, être conçue en commun.

Un autre outil utile est l’arbre des causes-effets, ou diagramme d’Ishi kawa, qui permet de visualiser les principales causes de dysfonctionnement mises en évidence par l’enquête et de les classer par grands domaines (cf. tableau ci-dessus). L’état des lieux ainsi établi permet aux responsables de choisir les secteurs prioritaires qu’ils souhaitent améliorer. Il est en effet important de rappeler la nécessité d’établir des priorités cadrées par un calendrier, et de ne pas chercher à conduire plusieurs projets de changement en même temps, sauf à s’en donner les moyens réels.

De l’observation à une première mise en pratique

A mon arrivée à la bibliothèque municipale centre ville de Grenoble, la direction des bibliothèques de Grenoble et la municipalité projetaient des travaux de rénovation de cet équipement, âgé de vingt ans, pour l’été 1998 (en particulier, le changement des revêtements de sols, ce qui nécessitait une fermeture et un déménagement des collections). Victime de son succès 8, la bibliothèque s’est agrandie et organisée au coup par coup. C’était l’occasion de repenser globalement l’accueil du public dans l’établissement en s’efforçant de connaître son avis sur l’existant et ses attentes.

Le regard extérieur objectif fut celui d’une équipe de conservateurs stagiaires de l’ENSSIB 9, avec qui fut mise au point une enquête destinée aux usagers, ceci en étroite collaboration avec une partie du personnel réuni en groupe de projet. Ce travail de réflexion mené avec les bibliothécaires a été extrêmement important. Il a permis de prendre du temps pour réfléchir, toucher du doigt les incohérences dans l’organisation des collections ainsi que dans les services proposés aux usagers. Dans une équipe ancienne comme la nôtre, ces incohérences, pour qui regarde de l’extérieur, ont toutes une raison d’être : manque de place et de temps pour déplacer les rayonnages, superposition de nouveaux services liée au développement des nouvelles technologies, sans que la disposition de l’ensemble ait été revue, logique propre à l’équipe dont la majorité, depuis longtemps sur place, connaît par cœur les pièges de la disposition des collections.

Petit à petit, les questions posées par les stagiaires, la constitution d’un questionnaire qui place l’usager au centre de l’interrogation face à l’accueil, ont fait évoluer les mentalités. Ainsi peut-on voir se transformer, et progressivement diminuer, le sentiment d’impuissance devant tout changement même minime, parce qu’il implique du temps, un minimum de budget et des déplacements physiques de composantes de collection difficiles à réaliser sans fermeture. Un consensus se forme sur la nécessité de faire quelque chose.

Les résultats de l’enquête réalisée en avril 1997 ne révèlent pas d’éléments extraordinaires, mais confirment l’existence de nombreux dysfonctionnements parfaitement perçus par les usagers et soulignent l’urgence d’y remédier : signalisation extérieure insuffisante, signalisation intérieure au contraire surabondante, mais confuse dans un espace restreint ; choix de classification peu claire et peu explicite 10 pour qui ne fait pas partie du sérail ; rupture dans la succession des rayons ou des cotes qui, en principe, suivent la classification Dewey, etc. La proposition de plusieurs scénarios a concrétisé les choix à faire pour mettre en œuvre ces changements.

Aujourd’hui, le diagnostic a été porté et des solutions proposées, l’équipe dans son intégralité est convaincue de la nécessité de rendre un meilleur service aux usagers en tenant compte des besoins qu’ils ont exprimés. Ceux-ci seront au centre des demandes inscrites dans le cahier des charges des futurs travaux.

Dans des cas semblables, et même dans des projets plus modestes, qui impliquent une nouvelle organisation du travail, l’intérêt d’avoir à sa disposition des outils d’analyse permettant de passer des opinions aux faits les plus objectifs et de recueillir l’expression du vécu des personnels ou des usagers est primordial. Enfin, associer le personnel concerné dans une démarche de groupe est le plus sûr moyen de lui permettre de trouver des solutions adaptées et de lui donner l’envie de les mettre en œuvre.

Octobre 1997

Illustration
Le circuit du livre à la section Lettres

Illustration
Diagramme d'Ishikawa permettant de visualiser les causes du retard dans le circuit du livre

  1. (retour)↑  Jeanne-Claude Greslou, Ébauche d’une proposition de démarche qualité et recherche d’indicateurs pour la mise en place d’un tableau de bord, mémoire de dcb sous la direction de Anne Mayère, Villeurbanne, enssib, 1996.
  2. (retour)↑  Le Service interétablissements de coopération documentaire est le gestionnaire de la bibliothèque universitaire Droit-Lettres qui constitue l’assise à partir de laquelle il met en œuvre sa mission de coordinateur du réseau documentaire. Souvent confondu avec elle, même s’il s’en défend, il dépend de l’image positive ou négative renvoyée par la bibliothèque universitaire qui rejaillit sur lui. Tout dysfonctionnement ou toute amélioration de la qualité des services de celle-ci renforce ou met en péril la crédibilité de l’action du sicd.
  3. (retour)↑  inist-cnrs, Mémento qualité, mars 1994, p. 8-9.
  4. (retour)↑  Éric Sutter, Services d’information et qualité : comment satisfaire les utilisateurs, Paris, adbs Éd., 1992, p. 44-45.
  5. (retour)↑  Quinze ans d’ancienneté dans le service en moyenne pour les conservateurs interrogés, 17,5 ans pour les bibliothécaires et les bibliothécaires-adjoints, 15,5 ans pour les magasiniers, 6 ans seulement pour les secrétaires.
  6. (retour)↑  Sur les neuf conservateurs assurant l’encadrement de la bu, cinq avaient plus de cinquante-cinq ans.
  7. (retour)↑  Je ne résiste pas à reproduire cette citation de Machiavel placée en exergue de l’article « Conduire le changement ou «C’est encore loin l’Amérique ?» » de Francine Thomas et Annie Gourdier, dans le Bulletin d’informations de l’Association des bibliothécaires français, n° 162, 1er trim. 1994.
  8. (retour)↑  La bibliothèque discothèque centre ville a vingt ans. Elle réalise un quart des prêts du réseau des bibliothèques municipales de Grenoble et compte une collection de 52 000 documents et 12 000 cd.
  9. (retour)↑  Lucie Albaret, Marianne Beyssère, Anne Delmas, Cyril Fierobe, Cendrine Guinde, L’Amélioration de l’accueil à la bibliothèque centre ville de Grenoble, Villeurbanne, enssib, 1997.
  10. (retour)↑  Par exemple, les biographies d’écrivains, de personnages historiques et d’hommes politiques fort nombreuses, sont regroupées à part. Les autres se trouvent classées avec la discipline qui les concerne… Les romans sont classés par ordre alphabétique d’auteurs et sont séparés physiquement du rayon littérature.