La démarche qualité en bibliothèque

Questions-réponses

Éric Sutter

Le démarrage d'une démarche d'amélioration de la qualité au sein d'une bibliothèque peut générer des interrogations, voire de la méfiance au sein du personnel. Chacun a son idée, mais ne voit pas toujours la différence entre cette vision individuelle de la qualité du travail et la vision globale qui prend en compte l'ensemble des composantes du « système » bibliothèque. L'accomplissement de la mission et la maîtrise de la satisfaction des usagers impliquent une véritable « gestion » de la qualité, avec ce que cela implique en matière d'organisation, de définition des responsabilités à différents niveaux, de procédures de fonctionnement et de contrôle, d'évolution de l'état d'esprit du personnel, d'indicateur...

The beginning of a process of improvement of the quality within a library can generate questions from, and even the mistrust of, personnel. Each has his idea, but each does not always see the difference between his individual vision of the quality of the work and the larger vision which takes into account all the composite parts of the library system. The accomplishment of the mission and maintaining the satisfaction of users imply a real management of quality, with which come organizational concerns, definition of responsibilities at different levels, control and function procedures, evolution of staff state of mind, indicators...

Die Erprobung eines Qualitätssicherungssystems in einer Bibliothek kann Unverständnis, ja sogar Mißtrauen beim Personal hervorrufen. Jeder hat seine Vorstellung, aber sieht nicht immer den Unterschied zwischen dieser individuellen Sicht hinsichtlich der Qualität der Arbeit und der globalen Sichtweise, die die Gesamtheit der Komponenten des « Systems » Bibliothek berücksichtigt. Die Bewältigung des Auftrags und die Zufriedenstellung der Benutzer setzen eine wirkliche « verwaltungsmäßige Behandlung » der Qualität voraus, einschließlich dessen, was dies im Bereich Organisation, in der Festlegung der Verantwortlichkeiten auf verschiedenen Ebenen, an Arbeits- und Kontrollgängen, an geistiger Entwicklung des Personals usw. mit sich bringt.

Aborder la gestion de la qualité dans le milieu des bibliothèques, comme dans toute entreprise qui adopte pour la première fois une démarche nouvelle susceptible de conduire à des changements, peut générer quelques réticences de la part du personnel. Ces réticences sont généralement dues à des a priori ou à des malentendus sur le concept même de gestion de la qualité. L’expérience montre qu’un effort de pédagogie doit être accompli lors du lancement de toute opération sur ce sujet, car rien ne se fait sans l’adhésion active du personnel et sans une vision commune des progrès à accomplir.

C’est pourquoi cet article tentera de répondre à quelques interrogations légitimes que pourraient se poser des bibliothécaires ou des conservateurs à qui l’on proposerait d’engager une démarche qualité.

Personne n’a à nous apprendre ce qu’est la qualité…

« Nous sommes des professionnels confirmés et nous savons très bien ce qu’est un catalogage de qualité : nous respectons intégralement les normes et autres règles de traitement des documents ».

Vrai ! La qualité repose en grande partie sur la compétence du personnel, surtout dans des activités à dominante intellectuelle. Les normes de gestion de la qualité insistent justement sur la nécessité de mettre les bonnes personnes aux bonnes places et d’organiser le maintien de la compétence du personnel par des actions de formation continue tant au niveau technique qu’au niveau de la gestion de la qualité.

Les professionnels des bibliothèques (comme ceux de n’importe quelle profession) n’ont pas attendu les qualiticiens pour faire correctement leur travail (ce qu’on appelle la conscience professionnelle et le savoir-faire individuel).

Une affaire de conformité

Il est vrai aussi que la gestion de la qualité est effectivement une affaire de conformité ; une bonne gestion de la qualité passe par le choix ou la consignation de spécifications (les règles techniques que chacun doit respecter) et de procédures (le processus de travail, l’enchaînement des tâches successives à accomplir par chacun) et par le contrôle du respect de ces règles et de ces procédures par le personnel. Et pourtant, il y a parfois (souvent ?) des usagers qui ne sont pas satisfaits…

Si le résultat final (le service que reçoit ou perçoit l’usager : documents offerts, orientation, consultation, prêt…) n’est pas toujours satisfaisant, c’est que la seule compétence du personnel et le respect des règles techniques ne sont pas suffisants pour assurer de façon durable un service de qualité. D’autres paramètres interviennent : ils figurent justement dans les guides normatifs de gestion de la qualité.

La démarche qualité permet de passer d’une qualité « individuelle » à une qualité « collective » et organisée. Elle permet d’avoir une approche globale du service rendu et d’orienter toute l’organisation vers les usagers et la satisfaction de leurs attentes (dans le cadre de la mission confiée à l’établissement, naturellement). La qualité se gère. La gestion de la qualité s’apprend.

Pour les entreprises industrielles…

« Nous ne sommes pas une entreprise qui fabrique des voitures ou met des haricots en conserve, nous n’avons pas à faire du profit… ».

Vrai ! Si le souci même de satisfaire l’usager ou le client remonte à la préhistoire (l’éleveur ou le potier ont toujours eu à cœur de fidéliser leurs clients), c’est évidemment au sein du milieu industriel que le concept de gestion de la qualité s’est développé.

Cette préoccupation a d’abord été centrée sur le contrôle qualité au stade final de la fabrication des produits, mais, pour des raisons de sécurité particulièrement aiguë dans certains secteurs (le nucléaire, l’aéronautique…), l’accent a dû être mis sur la prévention et sur des règles de travail permettant d’éviter tout risque fâcheux pour les travailleurs, les usagers ou la population environnante et toute panne coûteuse à réparer.

Et puis, dans les secteurs soumis à des concurrences très fortes, maîtriser la qualité des produits n’était pas suffisant pour attirer ou fidéliser les clients ; il devenait nécessaire d’avoir une approche plus globale de la qualité au sein de l’entreprise et de viser l’excellence dans la relation avec les clients. Ceci a été particulièrement ressenti dans les activités dites de service (transport, hôtellerie, prestations intellectuelles…).

Dans les activités non marchandes, au sein desquelles évoluent les bibliothèques, l’objectif d’une démarche qualité n’est pas la « sécurité » ou la « rentabilité », mais plus simplement l’efficacité, c’est-à-dire l’accomplissement de la mission confiée par la collectivité à travers, d’une part, la pleine satisfaction des usagers et, d’autre part, une optimisation des dépenses et des temps passés aux différentes tâches.

La démarche qualité est une démar che de progrès : on peut toujours faire mieux dans les services rendus, dans l’accueil, dans les délais de mise à disposition des ouvrages, dans la diversité des ressources offertes, dans la maîtrise des coûts…

Toute activité, de production ou de service, peut mettre en œuvre une gestion de la qualité. De nombreuses bibliothèques à travers le monde ont engagé avec succès une telle démarche, certaines s’orientent même vers une certification de conformité aux normes internationales de la série ISO 9000.

Il ne faut pas oublier que, d’une certaine façon, une bibliothèque est en situation de concurrence (indirecte, certes, mais bien réelle) avec :

– d’autres modes d’accès aux livres et aux documents audiovisuels ou électroniques (librairie, vente par correspondance, entreprises de location, médiathèque de la commune voisine ou du comité d’entreprise, prêt d’un voisin ou d’un membre de la famille…) ;

– d’autres formes de culture ou de loisir (télévision, cinéma, surf sur Internet, promenade, pêche…).

Elle est aussi confrontée à la non-consommation culturelle ou informative : elle est généralement loin de toucher la totalité de la « clientèle » potentielle qu’elle est censée atteindre…

La démarche qualité est donc un outil puissant devant s’intégrer impérativement dans la réflexion « marketing » de l’institution : quels objectifs de conquête et de fidélisation des usagers se fixe-t-on pour satisfaire la mission ? Comment s’organiser pour atteindre ces objectifs à un coût raisonnable pour les contribuables ? La démarche qualité est une démarche managériale.

A notre niveau, nous ne maîtrisons rien…

« Tout dépend de la direction de l’établissement ; on ne demande pas mieux de faire bien notre travail, mais qu’on nous donne des équipements satisfaisants, du personnel en nombre suffisant ou bien formé… ».

Vrai ! Une démarche qualité ne peut réussir et devenir une véritable source de progrès que si la direction de l’institution assume ses responsabilités et s’engage véritablement dans la démarche, c’est-à-dire qu’elle définit et communique sa politique qualité (quel « niveau de service » choisit-elle pour son offre ?) et les objectifs qualité à atteindre. Elle doit dégager les moyens nécessaires pour mettre en œuvre cette politique. Les normes internationales de gestion de la qualité sont très explicites à ce sujet.

Cela dit, si les personnes n’ont pas compris les objectifs à atteindre ou ne sont pas coordonnées entre elles, on peut doubler ou tripler les effectifs ou encore mettre des postes de travail partout sans améliorer pour autant la satisfaction des usagers en phase finale.

L’expérience montre que l’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers dépend peu d’un accroissement des moyens affectés, mais dépend surtout de l’efficacité de l’organisation du travail, de la clarification des relations entre les unités de travail (ce que les qualiticiens appellent les relations clients -fournisseurs internes), de la bonne compréhension des objectifs à atteindre (rappeler sans cesse la mission), de la motivation du personnel, de « l’introduction de l’usager » dans la tête des personnes qui ne sont pas en interface avec les usagers… Une direction peut indiquer un cap, donner une impulsion, faciliter la mise en œuvre, mais elle ne peut tout faire elle-même.

Une contribution d’ensemble

Satisfaire les usagers sur les différents aspects du service (pouvoir accéder à des heures pratiques, être bien accueilli, trouver facilement dans le catalogue ou sur les rayonnages, disposer d’ouvrages récents et adaptés à la préoccupation, pouvoir consulter dans des conditions agréables ou emprunter pour une durée suffisante…) dépend de la contribution de l’ensemble du personnel, donc de chaque individu (du magasinier au chef d’équipe).

Contribuer à la satisfaction des usagers, c’est un état d’esprit, c’est bien faire son travail, en respectant les règles retenues, en exécutant dans les délais impartis, en réalisant à un coût acceptable (en temps passé), mais c’est surtout travailler de façon intégrée à l’ensemble (articulée avec l’activité des autres personnes ou des autres unités) et de façon cohérente avec la politique fixée par la direction et les « promesses » faites aux usagers à travers la communication et, enfin, c’est avoir une orientation « service ». L’ensemble des tâches individuelles doit conduire à un résultat global satisfaisant pour l’usager.

C’est faire le « juste nécessaire » par rapport à un référentiel et non faire de la « sur-qualité », c’est-à-dire viser une qualité absolue et théorique (on ne peut complètement ignorer certaines contraintes économiques…!). La qualité n’est pas synonyme de « luxe » (cf. l’exigence de qualité au sein des différentes catégories hôtelières). Les notices catalographiques de la Bibliothèque nationale de France et celles d’Électre ne sont pas identiques, car elles ne concernent pas le même usage. Toutes deux sont cependant « de qualité ».

En termes d’appréciation, l’usager a une approche globale du service offert. De son point de vue, à quoi lui sert une notice « parfaite », peaufinée dans ses moindres détails, si elle ne lui est accessible que six ou dix mois après l’acquisition de l’ouvrage ou si elle correspond à un ouvrage inadapté à l’usage qu’il veut en faire ?

Il faut être efficace et raisonner en termes d’incidences pour l’usager et de priorité dans l’affectation des temps passés. Tous les éléments d’une notice méritent-ils la même exigence de contrôle ? Est-on certain que l’organisation du travail adoptée est la plus performante ? Les outils mis en œuvre permettent-ils effectivement de libérer du temps au profit de l’animation, par exemple ?

Le juste nécessaire

Ce concept du « juste nécessaire » est à associer au concept de « modulation ». Autrement dit, la démarche qualité oblige à se poser des questions et donc à déterminer une politique (d’acquisition, de traitement…). Par exemple : tous les documents doivent-ils être catalogués ? Dans mon contexte, est-il nécessaire de cataloguer certains documents à durée de vie courte et plus ou moins consommables (indicateurs horaires des transports, annuaire des abonnés au téléphone…) ? Tous les documents doivent-ils être traités avec le même degré de finesse ? Dans mon contexte, ne peut-on pas moduler et appliquer un catalogage allégé à certains types de documents, voire assimiler certaines séries de documents à une publication périodique ?

Au contraire, d’autres documents ne méritent-ils pas l’adjonction d’une analyse pour mieux éclairer le choix du lecteur ? Gérer la qualité n’est pas obligatoirement « standardiser » aveuglément les processus de travail et rendre uniformes les résultats. Des outils comme l’Analyse de la valeur peuvent être particulièrement utiles à mettre en œuvre au cours d’une démarche d’amélioration de la qualité de service.

La qualité, c’est mettre l’accent et la priorité sur l’essentiel, tel que cela est perçu et vécu par les usagers et non tel que cela est imaginé ou imposé par le personnel. La qualité, c’est adopter le point de vue de l’usager à tous les stades et à chaque poste de travail.

Nous n’avons pas de points de repère…

« Dans les grandes institutions, nous ne connaissons pas toujours les appréciations portées par les usagers ; et puis nous ne voyons pas comment on peut mesurer du qualitatif… ».

Les grandes bibliothèques sont comparables à de nombreuses entreprises : seule une partie du personnel est en interface avec l’usager. Cela ne fera d’ailleurs que s’accroître avec le développement des bibliothèques virtuelles et l’accès à distance aux catalogues et aux documents. C’est pourquoi il est important, en sus d’une observation interne, d’organiser un « retour d’information » systématique et d’entreprendre périodiquement une enquête d’évaluation de la satisfaction des usagers, voire de consulter aussi les non-usagers.

Il est essentiel de détecter les insatisfactions éventuelles (les écarts entre les attentes plus ou moins exprimées et l’offre effectivement perçue) et de disposer de matériaux pour alimenter la réflexion puis le plan d’actions à mener en vue d’améliorer la qualité du service rendu. Tout comme il est essentiel de faire connaître ces résultats auprès de l’ensemble du personnel, de les analyser et de rechercher l’origine des insatisfactions enregistrées, de trouver collectivement les solutions pour corriger la situation et éviter que de telles insatisfactions demeurent.

La qualité, ça se mesure. Si l’on souhaite réellement progresser, il faut que la direction tout comme le personnel disposent de points de repère objectifs, chiffrés. Où en est-on ? Quels progrès est-il raisonnable d’envisager pour les douze mois à venir ?

La mise en place d’indicateurs spécifiques fait partie intégrante de la démarche qualité. Ces indicateurs doivent concerner le niveau de satisfaction des usagers (conjointement avec des indicateurs de nature marketing), les résultats des contrôles de conformité (conjointement avec des indicateurs de production) et les actions d’amélioration (conjointement avec des indicateurs de gestion). La qualité, cela doit se quantifier (et c’est possible). C’est uniquement comme cela que le personnel peut constater les progrès accomplis ou savoir ce qui reste à accomplir.

Nous sommes déjà engagés sur d’autres projets…

« Encore une démarche de plus ! Nous sommes déjà mobilisés par la réinformatisation du fonds, la mise en place d’un espace multimédia, l’implantation d’une interconnexion à Internet… On ne peut tout mener de front ! ».

Vrai ! Il y a des périodes où tout se bouscule, où il faut être au four et au moulin et où il faut parer au plus pressé… Justement, une démarche qualité peut être bienvenue à ce moment-là pour situer les projets les uns par rapport aux autres, valider qu’ils sont bien « orientés » vers une plus grande satisfaction de la mission confiée et des usagers. La méthodologie proposée dans les différentes normes internationales permet justement d’avoir une vision globale de l’organisation et de la « contribution » de chaque sous-ensemble, de chaque outil, de chaque unité de travail.

Les qualiticiens proposent toute une « boîte à outils » (analyse fonctionnelle, analyse de la valeur, diagramme cause-effet, matrice de corrélation, groupe de progrès, etc.), dans laquelle on peut puiser pour trouver « l’outil » permettant, en fonction de ses besoins ou du stade de la démarche, de nourrir la réflexion, mettre en évidence des dysfonctionnements, analyser une situation, mobiliser le personnel, planifier des actions…

Les outils mobilisés peuvent d’ailleurs servir à gérer la qualité d’un… projet (pour éviter des écarts entre le cahier des charges et la réalisation, des dérapages dans les délais, des incompréhensions entre différents acteurs…).

Pour beaucoup de personnes, il est tentant de remettre au lendemain ce qui risque de modifier les habitudes (devoir faire autrement) ou un comportement, ou encore de bousculer (du moins pendant une certaine période) une relative tranquillité. Réussir une démarche qualité, c’est-à-dire réussir à progresser collectivement vers une plus grande « excellence » des services offerts par la bibliothèque, peut être pourtant une source légitime de fierté pour chacun : « C’est ensemble que nous sommes parvenus à ce résultat là ».

Octobre 1997