Le marketing des services d'information

pour un usage de l'information documentaire

par Jean-Michel Salaün

Éric Sutter

Paris : ESF, 1994. – 207 p. ; 24 cm. – (Systèmes d’information et nouvelles technologies). ISBN 2-7101-1068-7 ISSN 0298-3524 : 140 F

L’auteur est devenu, en quelques publications 1, le principal vulgarisateur des méthodes de management en direction des centres de documentation et, plus largement, des services d’information 2.

L’ouvrage a toutes les qualités du bon manuel. Le plan est clair et suit la logique de la démarche à mettre en œuvre. Les méthodes sont détaillées, présentées de façon immédiatement utile et largement illustrées par des exemples de problèmes courants rencontrés par les responsables documentaires. Enfin, le style est limpide et convaincant.

Les étapes de la méthode

Après une introduction présentant les concepts et la démarche générale du marketing, quatre parties reprennent les étapes traditionnelles de la méthode. Le temps des études passe en revue les données à recueillir en insistant sur l’analyse de l’environnement du service et tout particulièrement sur les usages de l’information, le comportement et la satisfaction des utilisateurs. Le temps de la réflexion et de la décision permet de construire la stratégie en s’appuyant sur la segmentation de la clientèle, le ciblage et le mix particulier des services d’information. Le temps de la mise en œuvre reprend les grands éléments du mix en les détaillant : produit et service, distribution, communication commerciale, tarification. Enfin Le temps du contrôle et du suivi concerne principalement l’évaluation du service. L’ensemble de la démarche est donc présentée. L’analyse interne, celle du service, n’est peut-être pas très développée, mais c’est sans doute parce que l’auteur l’a largement détaillée dans ses ouvrages précédents.

Eric Sutter propose donc d’appliquer les méthodes éprouvées du marketing dans un domaine où les manuels spécialisés ne sont pas légion. Il faut souligner que celui-ci a la qualité précieuse de multiplier les études de cas et les illustrations de terrain sur des centres de documentation ou des bases de données. Il est volontairement orienté sur ces seules activités. On peut regretter ce parti pris d’exclusion mutuelle entre bibliothèques et centres de documentation, malheureusement traditionnel en France à la différence des pays anglo-saxons. Mais ce n’est pas l’essentiel.

La question de la gratuité

Reste un débat de fond. Faut-il nécessairement reprendre sans recul des méthodes configurées dans un tout autre contexte ? La réponse, me semble-t-il, doit être plus nuancée que celle, sans équivoque affirmative, de l’auteur. Il y a en effet des risques de dérapage, ou simplement d’inadaptation.

L’auteur indique : « Nous nous plaçons délibérément dans une optique marchande. Il est vrai qu’il existe encore un certain nombre de fournisseurs d’information, appartenant au secteur public, qui continuent à diffuser des informations gratuitement, mais cela ne saurait durer ». C’est une prise de position claire, mais malheureusement erronée. Il ne s’agit pas ici d’en critiquer l’orientation, mais bien la réalité objective. Tout d’abord, le terme de gratuité est ambigu, il ne signifie pas nécessairement une gratuité totale, mais que l’ensemble du coût du service n’est pas pris en charge dans sa totalité par le destinataire final. Ensuite, la gratuité n’est pas réservée au service public, de nombreux centres de documentation, services internes d’entreprise ou d’organisation fournissent des services non facturés à leurs utilisateurs. Bien souvent le financement des services d’information est, en totalité ou en partie, indirect (ce n’est d’ailleurs pas l’apanage de cette activité, la télévision publique ou commerciale en est un autre exemple). Il ne s’agit pas d’une anomalie, mais d’une caractéristique. S’il est vrai que, là comme ailleurs, la logique marchande s’étend, il n’est pas prouvé qu’elle débouche nécessairement sur une facturation de l’ensemble du service à l’usager. Du coup, le marketing des services d’information doit en tenir compte, en développant, par exemple, une stratégie en direction de la tutelle hiérarchique ou encore une contractualisation avec ses usagers.

La notion de concurrence

Par ailleurs, la notion de concurrence mériterait une réflexion plus approfondie. La nature même du service pousse à la coopération, ceci aussi bien dans un contexte privé que public. Poser d’emblée la concurrence comme une donnée est erroné, et dangereux car on peut réduire l’éventail des services ou des fonds disponibles. Il y a sans aucun doute des concurrences, elles ne sont pas aussi brutales que dans un contexte ordinaire et les concurrents ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Ces deux débats, rappelés ici à titre illustratif, ne doivent pas conduire à conclure qu’il faut abandonner toute référence au marketing. L’outil est bien trop performant pour être négligé. Mais si l’ouvrage d’Eric Sutter est un manuel d’une grande qualité concrète et pédagogique, il faut malgré tout garder un esprit critique pour appliquer certaines des méthodes qu’il met en avant.

  1. (retour)↑  Jean MICHEL, Eric SUTTER, Valeur et compétitivité de l’information documentaire. L’analyse de la valeur et documentation, 2e éd, Paris, ADBS, 1991 ; Eric SUTTER, Services d’information et qualité. Comment satisfaire les utilisateurs, Paris, ADBS, 1992.
  2. (retour)↑  Cet ouvrage est une commande de la Direction de l’information scientifique et technique et des bibliothèques (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche).