Du chercheur à l'élève

quels documents ? quelles médiations ?

par Marie-Hélène Kœnig

Cité des sciences et de l'industrie

colloque de la Fédération des associations de documentalistes et bibliothécaires de l’Éducation nationale (Fadben), Cité des sciences et de l’industrie (CSI), Paris, 29 octobre 1992. Paris : Fadben, 1994. – 173 p. ; 29 cm.

C’est dans le cadre d’une université d’été sur le thème de l’appropriation du savoir scientifique : apport de la documentation, que la Fadben a organisé ce colloque en octobre 1992. Une bibliographie signalétique sur la vulgarisation de la culture scientifique complète le volume, ainsi qu’une liste de collections et de périodiques.

S’approprier la culture scientifique

L’objectif de cette rencontre était de mieux comprendre les mécanismes qui permettent aux élèves de s’approprier la culture scientifique, dans tous ses aspects documentaires, dans et hors de l’école. La finalité de la vulgarisation est vue comme une responsabilisation des citoyens, les documentalistes ayant, dans la sphère de l’éducation informelle, un rôle à jouer dans les modes d’acquisition des connaissances et l’appropriation des savoirs par les élèves.

Pour Roger Lesgards, président de la CSI, la double difficulté relative à la culture scientifique et technique est la recherche du langage qui convient pour communiquer avec les publics d’une part, et la nécessité de s’appuyer sur leurs représentations pour réussir la transmission de savoirs d’autre part.

Pour Michel Treut, à l’époque président de la Fadben, le postulat de départ de la réflexion s’articule en trois points. L’élève individu bâtit son propre savoir, il est un acteur. Ses savoirs seront d’autant plus solides qu’il pourra les étayer dans un environnement culturellement riche. Le rôle du documentaliste est à positionner dans ce contexte, en interrelation avec l’enseignant, pour aider l’élève à avoir les stratégies d’accès et d’utilisation de l’information dont il a besoin.

Joël de Rosnay (CSI) expose une approche systémique des savoirs. Compte tenu de leur multiplicité et complexité, de leur transmission avec ses obstacles, il voit la nécessité d’une « diététique de l’information ». La traditionnelle approche analytique peut se compléter par l’approche systémique. Celle-ci s’appuie sur quatre niveaux : les systèmes (« un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d’une finalité »), les structures, les réseaux et les évolutions. Cette approche doit déboucher sur une action sur les systèmes afin de les modifier. Pour appliquer l’approche systémique au système éducatif, cinq règles pragmatiques peuvent être dégagées.

Jack Guichard (CSI) rend compte de la conception de la Cité des enfants et de la façon dont leurs besoins ont été pris en compte, en même temps que les caractéristiques du public et ses représentations dans le choix des thématiques, la conception des éléments d’exposition et des supports d’aide à la visite.

Michèle Grosbois (Université de Paris 6) intervient sur le thème « Du savoir savant au savoir enseigné », à partir d’une recherche menée sur la transposition didactique d’un concept biologique (la respiration). L’analyse des manuels montre un savoir, dans lequel le doute est évacué et la science présentée de manière figée. Empilement des connaissances n’équivaut pas à assimilation, l’interrogation reste entière quant à la structuration de la culture scientifique.

Yves Girault (Université de Montréal) s’interroge sur les relations entre bande dessinée et vulgarisation scientifique. C’est l’analyse graphique qui a permis à l’auteur de caractériser la bande dessinée scientifique, à partir d’une double interrogation sur la vulgarisation du savoir scientifique d’une part et l’évolution du genre bande dessinée d’autre part.

Gérard Losfeld (Université de Lille 3) reprend en synthèse les thèmes évoqués lors de la journée. Dès lors que l’appropriation du savoir scientifique passe par plusieurs médias, se pose la question de la vulgarisation scientifique et de la légitimation des deux catégories d’acteurs qui interviennent dans son champ : les chercheurs, producteurs du savoir scientifique et les médiateurs, journalistes ou autres qui ont à transmettre ce savoir. Dans le champ scolaire, le documentaliste a son rôle à jouer dans l’aide à la construction des savoirs évoquée à plusieurs reprises. Le décalage des manuels scolaires, légitimés socialement par leur auteur, « illégitimés » pédagogiquement, contribue à renforcer le rôle des documentalistes.

Ceux-ci ont l’avantage sur les enseignants disciplinaires de pouvoir se distancier de la constitution des savoirs, sans être comme les journalistes, tenus par « l’audience ». En ce sens, ils sont beaucoup plus libres dans le jeu à la fois social et pédagogique. Et ils peuvent potentiellement intervenir dans un champ inexploré pour le moment, celui de la constitution de langages documentaires de transfert, de reformulation d’un savoir vers un autre, en une écologie pédagogique. Gérard Losfeld termine en suggérant que les documentalistes scolaires, médiateurs, se positionnent dans le domaine « métadiscursif » où leurs savoirs et savoir-faire professionnels les placent, au sein de la sphère éducative.

Documentation et savoir scientifique

Le volume se termine par quatre interventions sur le thème de l’apport de la documentation dans l’appropriation du savoir scientifique.

Dans l’une d’elles, Jean-Louis Martinand (École nationale supérieure de Cachan) évoque l’utilisation de la documentation dans l’enseignement scientifique, en particulier celui des sciences physiques sous trois aspects : information scientifique et apprentissages scolaires, vulgarisation et enseignement, documentation dans l’éducation scientifique.

Dans « Populariser, vulgariser, « vulgairiser » les sciences », Daniel Raichvarg (Université d’Orsay) tire quant à lui trois leçons du passé : une double critique dont fait l’objet la vulgarisation sur la forme et le fonds, une synergie modernité/innovation et une hésitation entre le plaisir et l’inquiétude.

Suit une rapide présentation de « MATH en JEANS » de Jean-Claude Loriol. Ce savant acronyme (Méthodes d’Apprentissage de THéories mathématiques en Jumelant des Établissements pour une Approche Nouvelle des Savoirs) cache une approche ayant pour fondement une activité de recherche en mathématiques sur des problèmes non scolaires, par des élèves des lycées de toutes sections, encadrés par des chercheurs en mathématiques du CNRS et des professeurs de mathématiques. Dans cette approche, la documentation devient vivante et ouverte. Composée de documents bruts, multimédia, elle permet ainsi des changements de cadre utiles à la relance du questionnement.

Quatre ateliers complétaient cette université d’été, s’interessant au partenariat dans et hors de la communauté éducative, aux fonds documentaires scientifiques à mettre à la disposition des élèves dans les centres de documentation des lycées et collèges, à la collaboration enseignants/documentalistes et aux formations, initiale et continue, à mettre en place dans les académies à l’intention des enseignants et des documentalistes.

Apprendre autrement

Les actes de ce colloque complètent fort utilement la bibliothèque de ceux qui s’intéressent à la vulgarisation scientifique. Certes l’approche est celle de documentalistes et d’enseignants, mais les centres d’intérêt évoqués ici trouveront un écho auprès des bibliothécaires de lecture publique qui s’intéressent à ces questions sans toujours bien savoir par où commencer. La réussite réside dans « l’éveil de la curiosité » du lecteur mentionnée à plusieurs reprises par les intervenants... Il n’est que de voir pour s’en convaincre l’approche historique de la notion de vulgarisation ou les préoccupations croisées de bibliothécaires, « muséologues » et enseignants cherchant à faire apprendre autrement, en s’appuyant sur les représentations des « publics ». La limite est celle de documents de ce type, moins aboutis que ne le serait un ouvrage collectif sur ce thème.