Histoire des universités

par Yves Desrichard

Christophe Charle

Jacques Verger

Paris : PUF, 1994. – 126 p. ; 18 cm. – (Que sais-je ; 391) - ISBN 2-13-046530-7

L’Histoire des universités a l’ambition d’analyser l’histoire des universités en France, en Europe et dans le monde, de leur naissance au XIIIe siècle jusqu’en 1945. D’emblée, les auteurs soulignent que le terme d’« université » est « une création spécifique de la civilisation occidentale, née... au début du XIIIe siècle ».

Naissance des universités

C’est à Paris, Bologne, Oxford, mais aussi Montpellier que se créent les premières universités, et notamment des écoles du Moyen Age, où l’on enseignait les disciplines issues de l’Antiquité, mais d’une « Antiquité christianisée [par les] Pères de l’Église ». De fait, le renouveau des savoirs qui marque la naissance des universités est étroitement lié à l’institution ecclésiastique. Les disciplines enseignées, où la théologie et le droit canon tiennent une bonne place, le sont à des étudiants venus de toute la chrétienté, sous le contrôle de la papauté. Dès les XIVe et XVe siècles cependant, le pouvoir de l’État s’affirme sur les universités, même si celles-ci restent en majeure part « institutions d’Église ».

Au XIIIe siècle, les disciplines enseignées se regroupent autour des « quatre facultés » que se doit de posséder toute université : arts, médecine, droit, théologie. En sont exclus, au départ, les « arts mécaniques » et les « sciences lucratives », « victimes du double mépris qui frappait le travail manuel et le profit pécuniaire ». L’enseignement est fondé sur un certain nombre de textes de référence (« autorités »). La rareté des exemplaires disponibles explique que, presque dès l’origine, nombre d’universités se soient dotées de bibliothèques.

La pédagogie s’organise autour d’une double figure, celle de la lectio (lecture) et celle de la disputatio (« dispute », autrement dit débat ou discussion menée sur le mode du syllogisme). De fait, l’enseignement était surtout oral : les auteurs notent qu’il était souvent interdit de dicter ses « lectures ».

Entre XVIe et XVIIIe siècles

A ce moment-là, les créations d’universités se poursuivent à un rythme soutenu, en Europe, mais aussi en Amérique latine et en Amérique du Nord. Les clivages et les particularismes s’accentuent, tant dans les disciplines enseignées que dans les pratiques religieuses. La montée des nationalismes, par exemple en Allemagne et en Autriche, aboutit à un contrôle de plus en plus étroit des états sur les universités, qui perdent peu à peu l’autonomie dont elles bénéficiaient, au moins par rapport au pouvoir politique. Ces évolutions signent la fin de la peregrinatio academica, et les effectifs d’étudiants stagnent – tandis que se rétrécit « l’éventail social » de leurs origines.

A ce tableau plutôt sombre, il faut ajouter les critiques, qui vont croissant, à l’égard du fonctionnement des institutions universitaires, et de leur utilité. On s’interroge sur les écarts entre les enseignements dispensés et la culture vivante, notamment en plein siècle des Lumières ; on se demande si le but de la formation universitaire est de produire des compétences utilisables, ou d’assurer aux titulaires de diplômes un rang élevé dans l’ordre social ; on déplore le manque d’assiduité des enseignants comme des étudiants ; on suspecte la qualité et la valeur des diplômes délivrés, où la fraude et la complaisance ont leur part.

XIXe siècle et ère moderne

Bien évidemment, la Révolution française et le courant libéral qui parcourt l’Europe au XIXe siècle, mais aussi la domination napoléonienne sur une large partie du vieux continent, ont de profondes conséquences sur les universités, en France et dans le reste de l’Europe. C’est de cette époque qu’il faut dater la puissance et la renommée des universités allemandes, où l’augmentation des effectifs va de pair avec le renforcement de l’enseignement des disciplines « nouvelles », comme la philologie, mais aussi les mathématiques ou la physique ; en France, le « système napoléonien », profitant de l’abolition des universités de l’Ancien Régime par la Convention, suscite la création d’écoles prestigieuses (ou devenues telles), comme la (future) École polytechnique, ou l’École normale supérieure. Parallèlement, il réorganise le système universitaire, en s’octroyant par exemple le monopole de la collation des grades universitaires – tandis que la prédominance parisienne se renforce.

Aux Etats-Unis, où la première université d’État naît... en 1789, se développe un modèle spécifique, qui se démarquera bientôt profondément de celui de l’ex-colonisateur anglais. Ce « modèle américain », perçu comme un « enseignement supérieur de masse » s’affirme et est renforcé par le développement rapide de ce pays, marqué par les influences hétérogènes des millions d’immigrés qui en assurent le dynamisme.

Le système français entame dès 1860 une réforme, que les auteurs estiment inachevée. Si le rassemblement des facultés en universités est bien effectué par la loi de 1896, et dote les universités de la personnalité civile et d’une certaine indépendance dans leur gestion (notamment sur le plan pédagogique), elle n’entame que peu la suprématie parisienne, là où l’objectif était de créer des pôles régionaux de qualité comparable aux grandes universités parisiennes. En 1914, 43 % des étudiants restent concentrés à Paris.

En Angleterre, si la prépondérance d’Oxbridge (comprenez Oxford et Cambridge) est battue en brèche par les civic universities, le système universitaire reste profondément marqué par l’inégalitarisme social, qui fait réserver les études « nobles » (et longues) aux classes les plus favorisées de la nation. En Allemagne, l’avènement de pouvoirs autoritaires provoque une crise grave du « modèle allemand », les effectifs décroissent, sous l’effet conjugué d’ostracismes de plus en plus affirmés. De ce fait, la « mise au pas de l’enseignement supérieur par le régime nazi » n’entraîne pas de profonds remous. Si un tiers du corps enseignant est touché par l’épuration, qui s’en va renforcer, notamment, les universités américaines, beaucoup de ceux qui restent perdent alors honneur et probité.

Des débats toujours d’actualité

Il n’est pas besoin de forcer le trait, et l’on peut rester fidèle à ce qui est écrit, pour voir que l’évolution de l’institution universitaire depuis la fin de la guerre est marquée par des bouleversements, des querelles, des critiques, qui, tous, ont déjà été évoqués depuis le XIIIe siècle. Il est même frappant de constater combien les discours, les polémiques, les invocations, dont chacun pourra être le témoin, ne sont que le prolongement d’une histoire déjà riche de près de 800 ans.