Écologie d'un espace public
les bibliothèques municipales de Marseille
Jacques Vialle
L’auteur se propose d’étudier à Marseille, aujourd’hui, « la constitution différentielle des publics selon les types de bibliothèques et leurs situations urbaines ». Ce qui distingue cette enquête de terrain (27 tableaux et 7 cartes) des atlas habituels de géographie culturelle 1, c’est la recherche de localisation précise des lieux depuis lesquels les usagers se rendent en bibliothèque, l’évaluation du rayonnement propre à chaque site, et enfin l’intégration à la définition sociologique des usagers de leurs principales pratiques culturelles cultivées.
L’auteur rappelle que Marseille présente la particularité de voir coexister deux importants réseaux de bibliothèques : le réseau municipal proprement dit (longtemps secondaire) et le réseau des bibliothèques associatives géré par l’OCB (Office central des bibliothèques) dont le but est depuis 1937 « d’aider à la création de bibliothèques populaires ». Mais, à Marseille comme ailleurs, le centre conjugue équipements culturels et lieux de vente du livre 2, et c’est bien dans les quartiers où résident en majorité les cadres que l’offre culturelle est la plus dense et, en tout cas, les usagers les plus nombreux.
Logiques de l’offre et logiques de la demande
L’approche écologique des trois types d’établissement municipaux (bibliothèque centrale, de secteur, de quartier) montre qu’ils jouissent probablement d’un pouvoir d’attraction symbolique inégalement légitime ; mais plus que l’image ou même la spécialisation objective des équipements, ce sont sans doute les habitus culturels propres aux différents lectorats qui expliquent le mieux les fréquentations exclusives ou non d’un site, les usages différenciés (bibliothèque de séjour/bibliothèque d’approvisionnement) et les attentes culturelles exclusives ou plurielles (emprunt, consultation, étude, préférence pour la littérature romanesque ou documentaire, etc.). C’est dire aussi qu’en fonction de leur situation géosociologique, à équipements comparables, le « rendement » des bibliothèques (taux d’inscrits, de fréquentation, d’emprunts) n’est pas le même. L’étude permet de préciser que la proximité géographique d’une bibliothèque ne dynamise que modestement la pratique ouvrière (surtout dans les arrondissements où les classes populaires sont minoritaires), alors que la bonne volonté culturelle des classes moyennes est très sensible à une offre rapprochée de qualité.
Cette solide contribution, à mi-chemin des méthodes quantitatives et qualitatives 3, montre enfin que l’histoire des bibliothèques municipales marseillaises est aussi celle d’une volonté politique plus ou moins soutenue, et surtout relativement récente, de diffuser le livre en milieu populaire (la publication en annexe des délibérations passionnées du Conseil municipal sur le sujet – avril 1875 – est particulièrement bien venue).
On regrettera seulement le ton inutilement polémique de l’avant-propos qui schématise à trop bon compte les positions théoriques de quelques-unes des recherches contemporaines en sociologie de la culture.